Editorial du n° 39 de mai 2015 – Aux Sources du Carmel : l’oraison est une réalité spirituelle complexe

Bulletin du Tiers-​Ordre sécu­lier pour les pays de langue fran­çaise

Editorial du n° 39 de mai 2015 – Aux Sources du Carmel :
l’oraison est une réalité spirituelle complexe, abbé Dubroeucq

Cher frère, Chère sœur,

La prière qui consti­tue la spé­ci­fi­ci­té du Carmel et qui se retrouve dans toutes les voca­tions car­mé­li­taines, c’est l’oraison. Sans l’oraison le Carmel ne serait rien. Certes, l’oraison n’est pas l’exclusivité du Carmel. Tout chré­tien, de par son bap­tême, est appe­lé à ren­con­trer Jésus dans un cœur à cœur intime. Cependant, le Carmel a le pri­vi­lège d’avoir des guides d’oraison sûrs, recon­nus comme Maîtres et Docteurs des voies inté­rieures par l’Église uni­ver­selle : sainte Thérèse de Jésus (1515–1582) et saint Jean de la Croix (1542–1591).

C’est à leur école que se sont for­més tous ceux et celles qui vivent de la spi­ri­tua­li­té du Carmel. Ils nous ont légué le fruit de leur vaste expé­rience de la vie de prière dans des écrits qui consti­tuent une réfé­rence pour toute l’Église. Ainsi, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face, nous enseigne-​t-​elle com­ment être une âme d’oraison dans le quo­ti­dien d’une vie tout ordi­naire, dans notre monde d’aujourd’hui. S’il est vrai que les per­sonnes qui s’adonnent à une forme de médi­ta­tion quelle qu’elle soit en retirent des béné­fices concrets dans leur vie de tous les jours : elles deviennent plus calmes, plus sereines, aug­mentent leurs capa­ci­tés de concen­tra­tion et leur maî­trise de soi. Cependant la moti­va­tion pro­fonde pour faire orai­son se situe à un tout autre niveau : l’oraison est une ren­contre intime avec Dieu. C’est là que se déve­loppe notre rela­tion avec « Celui dont on se sait aimé. » C’est là que nous nous lais­sons trans­for­mer par l’Amour pour fécon­der l’Église, et toutes ses œuvres.

Pour répondre à ces avances de Jésus, pour se livrer à l’action de son amour trans­for­mant, il n’est pas néces­saire d’être par­fait. Le Seigneur nous ache­mi­ne­ra Lui-​même à la per­fec­tion qu’Il désire pour nous. Il suf­fit d’avoir un désir ordi­naire de connaître et d’imiter Jésus dans tous les domaines de notre vie, et de prendre quelques petits moyens sug­gé­rés pour se dis­po­ser à cette ren­contre quo­ti­dienne. Le Seigneur nous fera ensuite connaître ce qu’Il attend de nous au fur et à mesure que nous pro­gres­se­rons sur ce che­min d’oraison. Pour avan­cer dans l’oraison il est avan­ta­geux de se choi­sir un guide spirituel.

« Selon moi, en effet, l’oraison men­tale n’est pas autre chose qu’une ami­tié intime, un entre­tien fré­quent, seul à seul, avec Celui dont nous nous savons aimés[1]. »

D’emblée il faut consta­ter que l’oraison est une réa­li­té spi­ri­tuelle com­plexe, dif­fi­cile à sai­sir. Elle est de l’ordre de la foi et de l’expérience et varie selon les per­sonnes. Pour sainte Thérèse de Jésus, toute prière per­son­nelle faite dans le silence où l’esprit et le cœur s’occupent direc­te­ment de Dieu s’appelle orai­son. Mais sainte Thérèse consi­dé­re­ra aus­si comme fai­sant par­tie de l’oraison toute prière vocale où l’esprit et le cœur s’occupent : soit du sens des paroles pro­non­cées, soit direc­te­ment de Dieu, sans réfé­rence aux paroles réci­tées. Chercher et demeu­rer dans la com­pa­gnie du Christ, telle est l’idée fon­da­men­tale que sainte Thérèse se fait de l’oraison.

« Je fai­sais tous mes efforts pour consi­dé­rer sans cesse Jésus-​Christ, notre Bien et notre Maître, pré­sent en moi : c’était là ma manière d’oraison. Si je médi­tais sur un mys­tère, je me le repré­sen­tais de même inté­rieu­re­ment[2]. » Le recueille­ment est la manière de prier qui a si bien réus­si à sainte Thérèse dans les débuts. On peut y dis­tin­guer trois étapes : se recueillir, réa­li­ser en soi-​même ou auprès de soi la pré­sence vivante de Jésus, s’entretenir inti­me­ment avec Lui.

Se recueillir, c’est l’effort par lequel nous ame­nons nos sens et notre esprit à ne plus s’occuper du monde exté­rieur afin qu’ils se rendent dis­po­nibles pour entrer en contact direct avec Dieu. Pour y par­ve­nir, sur­tout dans les débuts, il convient de recher­cher le silence et la soli­tude. Une fois les sens exté­rieurs apai­sés, nous serons vite assaillis par un monde inté­rieur de pen­sées et de sen­ti­ments les plus divers. Que faire alors ? Sainte Thérèse nous conseille d’abandonner au Seigneur toutes ces pen­sées et ces sen­ti­ments en recon­nais­sant notre misère et notre condi­tion de pécheur. Puis, elle nous demande de ne nous occu­per que de Lui. Voici ses conseils : « Pour prier comme il faut, vous savez déjà qu’on doit com­men­cer par exa­mi­ner sa conscience, réci­ter le Confiteor et faire le signe de la Croix. Ensuite, puisque vous êtes seules, cher­chez sans délai une com­pa­gnie. Mais quelle meilleure com­pa­gnie que celle du Maître qui nous a ensei­gné la prière que vous allez réci­ter[3]. »

De la qua­li­té de ce recueille­ment dépen­dra la qua­li­té de l’oraison. Cette forme de recueille­ment est acquise par nos propres moyens. Il ne s’agit pas ici du recueille­ment sur­na­tu­rel dans lequel Dieu nous absorbe en Lui, mais de réa­li­ser la pré­sence vivante du Christ en soi. « Il est vivant le Seigneur devant qui je me tiens[4]. » Pour sainte Thérèse, il est pri­mor­dial de prendre conscience que Dieu est là, qu’Il est à mes côtés ou en moi. Elle pré­fère cepen­dant qu’on se repré­sente le Christ au plus intime de soi car Il y demeure, en son centre comme en un châ­teau. A nous ensuite d’établir la rela­tion per­son­nelle, le contact direct avec le Seigneur. 

Comment réa­li­ser ce contact vivant ? Sainte Thérèse nous pro­pose de le faire par une repré­sen­ta­tion du Christ en son Humanité. Mais puisqu’elle-même est inca­pable d’utiliser son ima­gi­na­tion à cet effet, la repré­sen­ta­tion inté­rieure qu’elle nous pro­pose est de l’ordre de la foi, d’une foi vive qui per­çoit, sans voir, la pré­sence du Christ. « Figurez-​vous une per­sonne aveugle ou plon­gée dans les ténèbres : elle parle à quelqu’un, et parce qu’elle est assu­rée de sa pré­sence, elle voit qu’elle est en sa com­pa­gnie ; je veux dire que, sans l’apercevoir, elle sent, elle croit qu’il est là[5]. » Quelle atti­tude faut-​il alors adop­ter ? « Tout ce que je vous demande, c’est de le regar­der… Jamais il ne vous quitte des yeux[6]. » Le regard revêt une signi­fi­ca­tion par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante pour sainte Thérèse. C’est dans cet échange de regards que s’exprime la rela­tion per­son­nelle. Ce regard est théo­lo­gal : c’est un acte de foi, ani­mé par l’amour et ten­du vers le désir, l’espérance d’être uni à Dieu. « Dieu et l’âme se com­prennent par cela seul que Dieu veut se faire entendre d’elle. Et à ces deux amis il n’est besoin d’aucun autre arti­fice pour se mani­fes­ter l’amour qu’ils se portent. En ce monde, quand deux per­sonnes intel­li­gentes s’aiment beau­coup, elles se com­prennent, semble-​t-​il, sans démons­tra­tion aucune, et sim­ple­ment en se regar­dant[7]. »

S’entretenir avec le Christ. Sainte Thérèse nous conseille de tout mettre en œuvre pour gar­der un contact vivant avec le Christ et main­te­nir notre rela­tion d’amour avec Lui. « Attachez-​vous de pré­fé­rence à ce qui enflam­me­ra davan­tage votre amour[8]. » Ces efforts pour­ront prendre la forme d’entretiens : entre­tien cœur à cœur, et entre­tien à thème évangélique.

Un entre­tien cœur à cœur. Vient un moment où l’âme dési­reuse de demeu­rer en pré­sence du Christ et de gar­der un contact intime avec Lui, rompt le silence et s’exprime en toute confiance, livrant le fond de son être.

« L’âme pour­ra se repré­sen­ter aus­si qu’elle est en la pré­sence de Jésus-​Christ, s’attacher très amou­reu­se­ment à sa sainte huma­ni­té, vivre en la socié­té de ce divin Maître, lui par­ler, lui expo­ser ses besoins, se plaindre à lui de ses peines, et au lieu de l’oublier quand elle est dans la joie, se réjouir alors avec lui. Tout cela sans for­mules étu­diées, mais avec des paroles conformes aux dési­rs et aux besoins du moment[9]. »

Sainte Thérèse estime que cet entre­tien seul à seul avec le Seigneur doit être empreint de véri­té, de liber­té et d’amour : une véri­té qui ne cache rien de sa misère, de ses fai­blesses et de ses besoins, véri­té de celui qui se sait aimé en dépit de tout ; une liber­té qui est spon­ta­néi­té, fran­chise, sim­pli­ci­té de ceux qui se connaissent inti­me­ment et qui peuvent tout se dire ; un amour qui est total, unique et vivant.
Un entre­tien à thème évan­gé­lique. Ici, l’on s’engage dans une forme sim­pli­fiée de médi­ta­tion dans le but d’enflammer la volon­té. Ce qui carac­té­rise cette médi­ta­tion c’est le choix, non pas d’une idée géné­rale mais d’une scène de l’Évangile. « Il est bon de dis­cou­rir quelque temps, d’approfondir les dou­leurs que Notre-​Seigneur a sup­por­tées dans ce mys­tère et le motif qui les lui fit endu­rer[10]. » Cependant, dès que l’on est éveillé à l’amour, que l’on revienne à l’entretien cœur à cœur ou au simple regard. 

Sainte Thérèse nous met en garde contre tout effort contrai­gnant pour pro­lon­ger cet entre­tien médi­ta­tif. « Mais il ne faut pas se fati­guer sans relâche à creu­ser son sujet ; il faut aus­si se tenir auprès de Notre-​Seigneur dans le silence de l’entendement. L’âme ten­te­ra de se péné­trer de la pen­sée qu’il la regarde ; elle lui tien­dra com­pa­gnie, elle lui par­le­ra, lui adres­se­ra des demandes ; elle s’humiliera à ses pieds, elle trou­ve­ra sa joie auprès de lui, elle se recon­naî­tra indigne de demeu­rer en sa pré­sence… Cette manière de prier est des plus avan­ta­geuses[11]. » Car « l’essentiel n’est pas de pen­ser beau­coup, mais d’aimer beau­coup[12]. »

Pour arri­ver à gar­der le contact vivant avec le Christ, ou pour y reve­nir, sainte Thérèse nous sug­gère quelques petits moyens : s’aider d’un bon livre, avoir une image ou un por­trait du Seigneur, réci­ter une prière vocale comme le « Notre Père » en essayant de suivre les paroles et d’en péné­trer le sens. Bien qu’elle nous ait lais­sé des sug­ges­tions très concrètes pour nous aider à faire orai­son, elle n’a pas déve­lop­pé de « méthode d’oraison ». C’est le Seigneur seul qui en est le maître d’œuvre. Ainsi donc, ce qui carac­té­rise sa manière de faire orai­son, c’est plu­tôt l’extrême sou­plesse qui laisse à cha­cun la plus grande liber­té. L’essentiel est que nous res­tions éveillés à l’amour.

Pour cal­mer l’inquiétude des débu­tants et encou­ra­ger à la per­sé­vé­rance tous ceux « qui, après avoir com­men­cé il y a long­temps, ne par­viennent jamais à finir », elle pré­cise que c’est à ce moment-​là « que leur volon­té se nour­rit et prend de la vigueur à leur insu[13]. » « Car, bien que nous ne l’entendions pas, pensez-​vous qu’il se taise ? Non, certes. Il nous parle au cœur, quand c’est de cœur que nous le prions[14]. »

Elle recon­naît cepen­dant que « Le Seigneur tarde par­fois beau­coup, mais il donne alors d’un seul coup et magni­fi­que­ment ce qu’il a don­né à d’autres, peu à peu, pen­dant bien des années[15]. » Pour que l’on puisse durer dans cet « entre­tien », Dieu dépose au plus secret de nous-​même, un désir, une impa­tience d’avoir enfin une réponse de Lui. Et Il ne répon­drait jamais ? 

Chers ter­tiaires, en ce 5ème cen­te­naire de la nais­sance de notre Mère sainte Thérèse de Jésus, je vous invite à vous péné­trer de ses ensei­gne­ments qui vous aide­ront à per­sé­vé­rer dans la vie d’oraison au ser­vice de l’Église et à être fidèles à votre voca­tion car­mé­li­taine. Daigne la Reine du Carmel vous obte­nir cette grâce. 

† Je vous bénis.

Abbé L.-P. Dubrœucq 

Retraites carmélitaines

Retraites car­mé­li­taines

Retraites mixtes (hommes et dames),ouvertes prin­ci­pa­le­ment aux ter­tiaires du car­mel mais aus­si aux per­sonnes inté­res­sées par la spi­ri­tua­li­té du carmel.

Inscriptions auprès de M. l’ab­bé Dubroeucq au prieu­ré de Gastines tél : 02 41 74 12 78 

Tél : au prieu­ré Saint Louis-​Marie Grignon de Montfort, 49380 Faye d’Anjou ou au 06 16 80 63 17

Notes de bas de page
  1. Ste Thérèse de Jésus, Vie, ch. 8, 5, in Thérèse d’Avila. Œuvres com­plètes, Paris, Cerf, 2010, p. 62.[]
  2. ch.4, 8, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 32. []
  3. Chemin de la Perfection, ch. 26, 1, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 794.[]
  4. 1R, 17, 1.[]
  5. Vie, ch. 9, 6.[]
  6. Chemin de la Perfection, ch. 26, 3, in Œuvres com­plètes, op. cit., p.795.[]
  7. Vie, ch. 27, 10, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 201.[]
  8. Quatrièmes Demeures, ch. 1, 7, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 1016. []
  9. Vie, ch.12, n. 2, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 86.[]
  10. Vie, ch. 13, 22, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 99.[]
  11. Vie, ch.13, 22, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 99–100.[]
  12. Quatrièmes Demeures, ch.1, 7, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 1016.[]
  13. Vie, ch.11, 15, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 84.[]
  14. Chemin de la Perfection, ch. 24, 5, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 791.[]
  15. Chemin de la Perfection, ch. 17, 2, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 760.[]