Aux sources du Carmel : Editorial du numéro 7 de janvier 2006

Cher frère. Chère sœur,

Telle est la force du silence, qu’elle pro­cure et main­tient dans l’homme la jus­tice et la paix avec Dieu, avec lui-​même et avec les autres.

Le silence bien com­pris est un moyen excellent pour trou­ver Dieu, pour se retrou­ver soi-​même, pour retrou­ver les âmes.

Pour trou­ver Dieu, d’a­bord. Chercher Dieu, est le pre­mier devoir de l’âme qui aspire à la contem­pla­tion. Mais pour cela il faut nous mettre dans l’at­mo­sphère favo­rable. On ne peut cher­cher Dieu que là où II est, là où II se révèle à l’âme. Or, « Non in com­mo­tione Dominus », « Le Seigneur n’est pas dans le bruit et l’a­gi­ta­tion. » [I Rois, XIX, 11].…

Dans le silence, nous connais­sons Sa volon­té sainte, tant celle qui est signi­fiée (par les com­man­de­ments, notre règle, notre devoir d’é­tat) que celle de Son bon plai­sir mani­fes­tée par les cir­cons­tances. Nous y serons atten­tifs, n’é­tant pas dis­traits par le tumulte exté­rieur ou inté­rieur de l’i­ma­gi­na­tion, de la mémoire ou des passions.

Dans le silence. Dieu nous ins­truit merveilleusement.

« Que toutes les créa- tures se taisent, s’é­crie l’au­teur de l’Imitation, Vous, Seigneur, parlez-​moi seul. » Car Dieu parle dans le silence. « Le Père n’a dit qu’une parole : ce fut Son Fils. Et II la dit tou­jours dans un silence sans fin. Et c’est dans le silence qu’elle peut être enten­due de l’âme. » [saint Jean de la Croix, Mots d’ordre. Éd. de Solesmes, n° 217]. Aussi, « Le par­ler que Dieu entend le mieux n’est que silence d’a­mour. » [op. cit., n°253].

On peut donc dire que, si l’a­mour est la loi de Dieu, le silence est son atmo­sphère. [Dom Godefroid Bélorgey, Sous le regard de Dieu], Et Mère Marie de Jésus, car­mé­lite, de dire :

« Le silence, c’est l’aide que nous don­nons à Dieu pour qu’il puisse nous com­bler comme II veut. »

Mais le silence est sur­tout le cli­mat de l’in­ti­mi­té avec Dieu, la condi­tion néces­saire de la prière.

« Il isole l’âme des créa­tures beau­coup plus effi­ca­ce­ment que les murs ou les grilles. L’âme vrai­ment silen­cieuse, quand elle est obli­gée de vaquer aux ouvres exté­rieures, demeure tou­jours unie à Dieu. Ainsi fai­sait sainte Marie-​Madeleine, modèle de vie contem­pla­tive… Simon le Pharisien se scan­da­lise de la voir aux pieds de Jésus, elle se tait ; sa sœur se plaint d’elle ouver­te­ment, elle ne répond pas ; les dis­ciples s’in­dignent de lui voir bri­ser un vase rem­pli de par­fums, elle n’a pas un mot pour s’ex­cu­ser. Mais Jésus, qui sait qu’elle ne garde ain­si ses lèvres closes que pour mieux Lui par­ler dans son cour, se charge de la défendre. Il la jus­ti­fie devant le Pharisien, II lui donne rai­son contre sa sœur, et 11 annonce aux dis­ciples que l’his­toire du par­fum répan­du sur Lui sera por­tée avec l’Évangile à toute la terre pour la gloire de cette femme. » [Dom J. de Monléon, Les Instruments de la Perfection, Éd. de la Source, 1936, p.279–280].

Nous voyons là com­bien Nôtre-​Seigneur prend à cour les inté­rêts des âmes silen­cieuses. Que dire aus­si des grâces inté­rieures dont II les comble comme II l’af­firme par la bouche du pro­phète Osée :

« Je la condui­rai au désert, et je lui par­le­rai au cour. » [Os., II, 16–17].

Le silence enfin consti­tue la louange la plus éle­vée que l’on puisse offrir à Dieu.

« Ce silence « plein », « pro­fond », ce silence dont par­lait David lors­qu’il s’é­criait : « le silence est ta louange. » [PS. LXI, 21].Oui, c’est la plus belle louange, puisque c’est celle qui se chante éter­nel­le­ment au sein de la tran­quille Trinité. » [Bse Elisabeth de la Trinité, Dernière retraite, Sème jour],

Le silence nous fait retrou­ver nos âmes en Dieu. « Qui cus­to­dit os suum, cus­to­dit ani­mam suam », « Celui qui garde sa bouche, garde son âme.» [Prov., XIII, 31].

Rien n’est facile comme de com­mettre des fautes dans l’u­sage de la parole. Aussi la ten­dance de toutes les âmes inté­rieures est de se taire :

« Sedebit soli­ta­rius et tace­bit. » « Il s’as­sié­ra, soli­taire, et il se tai­ra. » [Jérémie, Lamentations, III, 28].

Le grand exemple que nous a don­né Nôtre-​Seigneur par rap­port à la parole, c’est de s’en pri­ver quand elle n’est pas néces­saire. De ses trente ans de vie cachée, on ne recueille de Lui que quelques mots pro­non­cés au Temple. Il ne prit la parole que pour assu­mer Son grand devoir de la pré­di­ca­tion. Durant sa Passion, II s’est tu, à l’é­ton­ne­ment de ses juges ; Pilate, en par­ti­cu­lier, fut frap­pé de ce silence.

« Le grand bien­fait du silence orga­ni­sé, c’est qu’il nous détache du sen­sible, de l’im­mé­diat, et nous fait retrou­ver le sens de l’in­vi­sible, nous per­met de nous exa­mi­ner, de nous contrô­ler, d’a­voir notre âme bien en mains : « Et ani­ma mea in mani­bus mois sem­per » [PS. CXVIII, 109]. Faire silence … pour se res­sai­sir et se redon­ner à Dieu dans l’ac­ti­vi­té du moment pré­sent, tel est le secret des actions par­faites aus­si bien que de la patience dans les épreuves. « Plus l’âme a reçu dans le silence, plus elle donne dans l’ac­tion. » [E. Hello]» [R.P. Bruno, o.c.s.o./ Le silence monastique].

Enfin, dans et par le silence, nous retrou­vons les âmes. Par lui, nous avons un regard neuf sur toutes choses, le regard même de Dieu qui atteint jus­qu’aux pro­fon­deurs des êtres. C’est la vie de foi et dans la foi. Alors que les sens ne montrent que de trom­peuses appa­rences, la foi nous montre les réa­li­tés, nous fait voir Jésus dans le pro­chain. Il fau­drait lire tout ce beau pas­sage, dont nous ne don­nons ci-​dessous qu’un mince extrait, où le bien­heu­reux Ch. de Foucauld met en oppo­si­tion ce que les sens nous livrent et ce que la foi nous révèle :

« L’œil lui montre un pauvre, la foi lui montre Jésus… Les sens sont curieux ; la foi ne veut rien connaître, elle a soif de s’en­se­ve­lir et vou­drait pas­ser toute sa vie immo­bile aux pieds du Tabernacle… Les sens ont hor­reur de la souf­france ; la foi la bénit, comme un don de la main de Jésus, une part de sa croix, au “II daigne don­ner à por­ter. » [Écrits spi­ri­tuels, Éd. du Seuil, p.522]. L’âme vivant ain­si de foi, dans le silence, s’ouvre à une immense cha­ri­té. « Le zèle des âmes : la règle de voir en tout humain une âme à sau­ver, et de se dévouer aux salut des âmes comme leur Bien-​Aimé, au point que le nom de « sau­veur » résume leur vie comme il exprime la sienne. » [op. cit., p.436].

Cette cha­ri­té s’é­tend spé­cia­le­ment aux malades et aux âmes du pur­ga­toire, sur­tout celles pour les­quelles la règle nous demande des prières, des messes, ou l’of­frande de la com­mu­nion. On veille­ra à ne pas omettre ces devoirs, [cf. Règle, ch.XVI]. Voyant ain­si les âmes dans la lumière de Dieu, les aimant en Dieu, nous vivrons avec elles dans la paix.

« 0pus jus­ti­tiae pax et cultus jus­ti­tia silen­tium. » « Telle est la ver­tu du silence qu’il conserve en l’homme la jus­tice de Dieu, qu’il nour­rit et entre­tient la paix entre les hommes. » [saint Bonaventure, De per­fec­tione vitse, ch. IV].

Oui, nous qui appar­te­nons à cet ordre du Carmel, gar­dien de la vie inté­rieure, aimons et recher­chons ce silence aus­si bien inté­rieur qu’ex­té­rieur, atmo­sphère de la vie contem­pla­tive. La règle nous y invite, en par­ti­cu­lier depuis l’exa­men du soir jus­qu’a­près les prières du matin, [cf. n°69]. Apprenons à la vivre plus par­fai­te­ment en contem­plant avec la sainte litur­gie la vie cachée de Jésus à Nazareth en com­pa­gnie de la Vierge Immaculée et de saint Joseph.

+ Je vous bénis.

Abbé L.-P. Dubroeucq +