Le Vatican et la troisième partie du secret de Fatima

Il y a quelques semaines, la fête de Notre-​Dame de Fatima, fixée au 13 mai, fut ins­crite au calen­drier litur­gique de l’Eglise uni­ver­selle. Le 13 mai 2002, 85e anni­ver­saire de la pre­mière appa­ri­tion de Notre-​Dame à Fatima, fut donc la pre­mière célé­bra­tion de cette fête dans toute l’Eglise. Pour mar­quer cet évé­ne­ment, l’agence de presse Zénit, proche de la congré­ga­tion des Légionnaires du Christ, a publié un long texte de 4 pages inti­tu­lé : « Première célé­bra­tion uni­ver­selle de la fête de Notre-​Dame de Fatima. L’anniversaire de l’attentat de 1981 ». Ce texte s’étend très lon­gue­ment sur l’attentat du 13 mai 1981 contre Jean-​Paul II, et réaf­firme sans sour­ciller que la troi­sième par­tie du secret de Fatima, dont le texte a été ren­du public par Rome le 26 juin 2000, se réduit pour l’essentiel à une annonce pro­phé­tique de cet atten­tat : « Le 13 mai 2000 à Fatima, lors de la béa­ti­fi­ca­tion des deux pas­tou­reaux, le car­di­nal Angelo Sodano révé­lait le conte­nu de la der­nière par­tie du mes­sage de Fatima, qui parle des souf­frances de l’Eglise et de « l’évêque vêtu de blanc », frap­pé par des « coups d’arme à feu » : une annonce de l’attentat du 13 mai 1981. »

Tout cela est-​il sérieux ? Il nous semble assez évident, pour de mul­tiples rai­sons, que l’interprétation n’est aucu­ne­ment plausible :

1) Le car­di­nal Ottaviani, alors pro-​préfet du Saint-​Office, ren­con­tra sœur Lucie le 17 mai 1955, et lui deman­da pour­quoi la date de 1960 avait été fixée pour publier la troi­sième par­tie du secret. Et Lucie de répondre : « Parce que, alors, il appa­raî­tra plus clair. » Or, si l’essentiel de cette troi­sième par­tie du secret est une annonce pro­phé­tique de l’attentat du 13 mai 1981, on ne com­prend pas com­ment ce texte aurait pu appa­raître plus clair dès 1960.

2) Le car­di­nal Sodano, dans sa com­mu­ni­ca­tion du 13 mai 2000 lue à Fatima et qui don­nait un pre­mier aper­çu du conte­nu de la troi­sième par­tie du secret, décla­ra : « Ce texte consti­tue une vision pro­phé­tique com­pa­rable à celles de l’Ecriture Sainte, qui ne décrivent pas de manière pho­to­gra­phique le détail des évé­ne­ments à venir, mais qui résument et condensent sur un même arrière-​plan des faits qui se répar­tissent dans le temps en une suc­ces­sion et une durée qui ne sont pas pré­ci­sées. » Or, nou­velle inco­hé­rence, après une telle pré­sen­ta­tion, on s’efforce de faire coïn­ci­der cette vision avec un évé­ne­ment his­to­rique bien pré­cis et bien daté : l’attentat du 13 mai 1981.

3) Et pour faire mieux cor­res­pondre la vision publiée avec l’attentat de 1981, le car­di­nal, dans sa pré­sen­ta­tion du 13 mai 2000, en prend à son aise avec la tra­duc­tion lit­té­rale du texte ori­gi­nal : ain­si il nous parle d’un Pape qui « tombe à terre comme mort, sous les coups d’une arme à feu », ce qui cor­res­pond par­fai­te­ment avec l’attentat de 1981, mais pas du tout avec le texte ori­gi­nal por­tu­gais qui dit ceci : « … il (le Pape) fut tué par un groupe de sol­dats qui tirèrent plu­sieurs tirs et flèches, et de la même manière mou­rurent les uns après les autres les évêques, les prêtres, les reli­gieux et reli­gieuses et divers laïcs, hommes et femmes de classes et de caté­go­ries sociales dif­fé­rentes. » Le groupe de sol­dats et les flèches dis­pa­raissent dans la pré­sen­ta­tion du car­di­nal Sodano, car ils ne cor­res­pondent pas avec l’attentat de 1981… De plus, dans le texte ori­gi­nal, il n’est pas fait men­tion expli­cite d’une arme à feu. Le pro­blème vient du verbe por­tu­gais « dis­pa­rar » qui signi­fie tirer (avec une arme) et sous-​entend la pré­sence d’armes à feu ; mais comme nous sommes en pré­sence d’un groupe de sol­dats, la vision com­pre­nait cer­tai­ne­ment plu­sieurs armes à feu, et non une seule ! Il faut aus­si noter que per­sonne n’est mort sur la place Saint-​Pierre, le 13 mai 1981, alors que tout le monde meurt dans la vision.

4) Enfin, il est éton­nant de consta­ter que, pour inter­pré­ter cette troi­sième par­tie du secret, le Vatican n’ait pas eu recours aux deux visions du Saint-​Père dont fut gra­ti­fiée la bien­heu­reuse Jacinthe ; il n’en men­tionne même pas l’existence ! Elles sont pour­tant rap­por­tées dans son 3ème Mémoire par Lucie qui pré­cise bien qu’elles sont en rap­port étroit avec le secret :

Première vision : « J’ai vu le Saint-​Père dans une très grande mai­son, age­nouillé devant une table, la tête dans les mains et pleu­rant. Au dehors, il y avait beau­coup de gens et cer­tains lui jetaient des pierres, d’autres le mau­dis­saient et lui disaient beau­coup de vilaines paroles. Pauvre Saint-​Père ! Nous devons beau­coup prier pour lui ! » (Mémoires de Sœur Lucie, Fatima, seconde édi­tion fran­çaise de mai 1991, réim­pri­mée en août 1997, troi­sième mémoire du 31 août 1941, p. 113)

Deuxième vision : « A une autre occa­sion, nous allâmes à Lapa do Cabeço. (…) Après un cer­tain temps, Jacinthe se redres­sa et m’appela :

– Ne vois-​tu pas tant de routes, tant de che­mins et de champs pleins de gens qui pleurent de faim et n’ont rien à man­ger ? Et le Saint-​Père dans une église, priant devant le Cœur Immaculé de Marie ? Et tant de monde qui prie avec lui ?

Plusieurs jours après, Jacinthe me demanda :

– Est-​ce que je peux dire que j’ai vu le Saint-​Père et tout ce monde ?

– Non ! Ne vois-​tu pas que cela fait par­tie du secret ? Et qu’ainsi bien­tôt tout se découvrirait ?

– C’est bien, alors je ne dirai rien. » (Mémoires, op. cit., p. 114)

Ces deux visions de Jacinthe et celle ren­due publique le 26 juin 2000 nous offre donc comme un trip­tyque dans lequel les trois tableaux sont com­plé­men­taires et abso­lu­ment indis­so­ciables ; nous essaie­rons d’en don­ner une expli­ca­tion cor­recte dans un pro­chain texte. Mais l’absence de recours à ces deux visions1 dans le com­men­taire théo­lo­gique et la « ten­ta­tive d’interprétation du secret de Fatima » du car­di­nal Ratzinger le 26 juin 2000 est élo­quente, et montre le but de la manœuvre : déna­tu­rer le secret de Fatima, et par là même vider de sa sub­stance l’ensemble du mes­sage de Notre-​Dame ; il faut en effet remar­quer que les textes publiés le 26 juin 2000 par la Congrégation pour la doc­trine de la foi sous le titre : « Le mes­sage de Fatima » (livret de 44 pages dans la ver­sion fran­çaise qui ren­ferme d’ailleurs de lourdes fautes de tra­duc­tion…) ne contiennent pas une seule fois les mots « cha­pe­let » ou « rosaire », alors que Notre-​Dame a dit son nom le 13 octobre 1917 : « Je suis Notre-​Dame du Rosaire », et qu’il n’y a qu’une seule demande qu’elle ait renou­ve­lée à cha­cune de ses six appa­ri­tions, du 13 mai au 13 octobre : « Que l’on conti­nue tou­jours à réci­ter le cha­pe­let tous les jours ». De plus, la dévo­tion au Cœur Immaculé de Marie, essen­tielle dans le mes­sage de Fatima, est trai­tée avec dédain par le car­di­nal Ratzinger qui cherche à nier qu’elle soit des­ti­née au monde entier, mal­gré les paroles sans ambi­guï­té de Notre-​Dame, le 13 juin comme le 13 juillet : « Dieu veut éta­blir dans le monde la dévo­tion à mon Cœur Immaculé ». Contre ces paroles, le car­di­nal n’hésite pas en effet à écrire : « Comme che­min vers ce but (le salut des âmes), est indi­quée – de manière sur­pre­nante pour des per­sonnes pro­ve­nant de l’ère cultu­relle anglo-​saxonne et alle­mande (sic!) – la dévo­tion au Cœur Immaculé de Marie. » (Le Message de Fatima, Congrégation pour la doc­trine de la Foi, Cité du Vatican, année 2000, p. 39). Tout ceci semble symp­to­ma­tique du triste état de la dévo­tion mariale au cœur même de la Rome conciliaire !

Abbé Fabrice Delestre.

  1. Ce main­tien sous silence est d’autant plus éton­nant que les deux visions du Saint-​Père par Jacinthe ont été men­tion­nées deux fois pen­dant la céré­mo­nie de béa­ti­fi­ca­tion des deux pas­tou­reaux à Fatima le 13 mai 2000 :

    – par l’évêque de Leiria-​Fatima, dans le résu­mé de la vie de la bien­heu­reuse Jacinthe, lu publi­que­ment juste avant la béa­ti­fi­ca­tion pro­pre­ment dite ;
    – par le pape lui-​même qui y fit une allu­sion très claire dans l’homélie de la messe.
    Ces deux men­tions sem­blaient indi­quer que les auto­ri­tés de l’Eglise tiennent ces deux visions comme dignes de foi au même titre que les appa­ri­tions de l’ange et de Notre-​Dame. []