Sous la PMA, le problème de la Liberté religieuse

Le débat autour de la PMA touche une nou­velle fois la famille, cel­lule de base de la socié­té. Comment réagir face à cette inno­va­tion auda­cieuse qui risque de modi­fier en pro­fon­deur le lien entre parents et enfants ?

Un pre­mier réflexe de pru­dence s’impose en pré­voyant les risques de fra­gi­li­té psy­cho­lo­gique chez ces enfants-​jouets, nés sans famille. Le res­pect de la vie humaine nous invite éga­le­ment à une grande réserve dans l’usage de ces nouveautés.

Mais com­ment jus­ti­fier ces réti­cences ? Pourquoi y aurait-​il une limite ? Pourquoi l’homme ne ferait-​il pas ce qu’il vou­drait ? Pourquoi ne pourrait-​il pas déci­der ce qui est bien et ce qui est mal ?

Au fond de notre politique, on trouve toujours la théologie

Ces ques­tions qui reviennent régu­liè­re­ment en arrière-​plan des débats de socié­té n’ont qu’une réponse satis­fai­sante : Dieu. Un grand révo­lu­tion­naire le sou­li­gnait avec éton­ne­ment : « Il est sur­pre­nant qu’au fond de notre poli­tique nous trou­vions tou­jours la théo­lo­gie [1]. » « Ce qui est sur­pre­nant, com­mente Donoso Cortès, c’est l’étonnement qu’expriment ces paroles : la théo­lo­gie n’est-elle pas la science de Dieu, l’océan qui contient et embrasse toutes les sciences, comme Dieu est l’océan qui contient et embrasse toutes choses ? » [2]. Au prin­cipe du com­bat pour la défense de la loi natu­relle, il y a la recon­nais­sance de l’autorité du Créateur duquel nous dépen­dons radicalement.

Ces véri­tés nous semblent peut-​être évi­dentes, mais il faut bien recon­naître qu’elles sont aujourd’hui affai­blies dans bien des esprits en rai­son du libé­ra­lisme ambiant qui cherche par tous les moyens à atté­nuer ou à neu­tra­li­ser l’autorité de Dieu sur ses créatures.

La loi sur la PMA n’est qu’un épi­sode d’un com­bat contre Dieu et son Église. Depuis le concile Vatican II, ce com­bat se mène au nom de la liber­té religieuse.

Qu’est-​ce que la Liberté religieuse ?

La liber­té reli­gieuse est la doc­trine énon­cée dans la décla­ra­tion Dignitatis humanæ (§2), lors du concile Vatican II :

Le concile du Vatican déclare que la per­sonne humaine a droit à la liber­té reli­gieuse. Cette liber­té consiste en ce que tous les hommes doivent être sous­traits à toute contrainte de la part tant des indi­vi­dus que des groupes sociaux et de quelque pou­voir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière reli­gieuse nul ne soit for­cé d’agir contre sa conscience ni empê­ché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en pri­vé comme en public, seul ou asso­cié à d’autres.

Ce texte majeur du concile fit l’objet de vifs débats. « Le cœur de l’événement conci­liaire est la recon­nais­sance de la liber­té de conscience [3]. » En adop­tant ce « prin­cipe essen­tiel de l’État moderne [4] », le concile a accep­té une des reven­di­ca­tions fon­da­men­tales de la franc-​maçonnerie : « Les chré­tiens ne devront pas d’ailleurs oublier que toutes les routes [c’est-à-dire toutes les reli­gions] conduisent à Dieu et se main­te­nir dans cette notion cou­ra­geuse de liber­té de pen­sée qui – et on peut vrai­ment par­ler à ce pro­pos de révo­lu­tion par­tie de nos loges maçon­niques – s’est mer­veilleu­se­ment éten­due sous le dôme de Saint-​Pierre » [5].

C’est la grande vic­toire du catho­li­cisme libé­ral, comme le sou­ligne Marcel Prélot : « Le libé­ra­lisme catho­lique […] connaît ses vic­toires ; il pointe avec la cir­cu­laire d’Eckstein en 1814 ; il ful­gure avec l’essor de l’Avenir en automne 1830 ; il connaît des vic­toires, des crises alter­nées ; jusqu’à ce que le mes­sage de Vatican II aux gou­ver­nants marque sa fin : ses reven­di­ca­tions fon­da­men­tales, éprou­vées et épu­rées, étant reçues par le concile lui-​même » [6].

Comme le note Mgr Lefebvre, « Cette doc­trine nou­velle et libé­rale de la liber­té reli­gieuse a été l’objectif prin­ci­pal du concile pour beau­coup d’experts tels que le père Congar, le père Courtney Murray, le père Leclerc et bien d’autres … Pour tous ces par­ti­sans de la thèse libé­rale, le concile se jouait sur ce sujet fon­da­men­tal qui orien­te­rait toute l’activité de l’Église d’une manière conforme à l’esprit moderne de liber­té, de neu­tra­li­té des socié­tés civiles, de plu­ra­lisme, de dia­logue, d’œcuménisme » [7].

Pourquoi s’opposer à la Liberté religieuse ?

Depuis cin­quante ans, c’est un des grands thèmes du com­bat de la Fraternité Saint-​Pie X. Mgr Lefebvre est lui-​même reve­nu de nom­breuses fois sur ce sujet. Il s’y oppo­sa parce qu’il en voyait les consé­quences funestes : la rup­ture des concor­dats, les lois qui ne s’inspiraient plus de la morale révé­lée. Il s’y oppose sur­tout parce que cette liber­té a été condam­née par les papes du XIXe siècle, en par­ti­cu­lier par Pie IX, dans Quanta Cura.

Propositions condam­nées par Pie IX dans Quanta cura (1864)Propositions affir­mées par Vatican II dans Dignitatis humanæ (1965)
A : La meilleure condi­tion de la socié­té est celle où on ne recon­naît pas au pou­voir l’office de répri­mer par des peines légales les vio­la­teurs de la reli­gion catho­lique, si ce n’est lorsque la paix publique le demande.A’ : en matière reli­gieuse, que nul ne soit … empê­ché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en pri­vé comme en public, seul ou asso­cié à d’autres.
B : La liber­té de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme…B’ : la per­sonne humaine a droit à la liber­té reli­gieuse. Cette liber­té consiste en ce que [A’]
C : qui doit être pro­cla­mé et garan­ti dans toute socié­té cor­rec­te­ment constituée.C’ : Ce droit de la per­sonne humaine à la liber­té reli­gieuse doit être recon­nu dans l’ordre juri­dique de la socié­té de manière à ce qu’il consti­tue un droit civil.

Le P. Congar avoue que Dignitatis Humanæ est contraire au Syllabus : « On ne peut nier que l’affirmation de la liber­té reli­gieuse par le concile Vatican II ne dise maté­riel­le­ment autre chose que le Syllabus de 1864, et même à peu près le contraire des pro­po­si­tions 15, 77, et 79 de ce docu­ment » [8]. […] « J’ai col­la­bo­ré aux der­niers para­graphes – les­quels me laissent moins satis­fait. Il s’agissait de mon­trer que le thème de la liber­té reli­gieuse appa­rais­sait déjà dans l’Écriture. Or il n’y est pas » [9].

Le prin­ci­pal ins­pi­ra­teur du texte, le père Courtney Murray, recon­naît dans son com­men­taire : « Presque exac­te­ment un siècle plus tard, la décla­ra­tion sur la liber­té reli­gieuse semble affir­mer comme doc­trine catho­lique ce que Grégoire XVI et Pie IX consi­dé­raient comme un délire, une idée folle » [10].

La liber­té reli­gieuse s’oppose à la pra­tique constante de l’Église : « Les saints n’ont jamais hési­té à bri­ser les idoles, détruire leurs temples, faire légi­fé­rer contre les pra­tiques païennes ou héré­tiques. L’Église – sans jamais for­cer à croire ou à être bap­ti­sé – s’est tou­jours recon­nu le droit et le devoir de pro­té­ger la foi de ses enfants, et d’empêcher, quand elle le pou­vait, l’exercice public et la pro­pa­gande des faux cultes. Admettre Vatican II, c’est admettre que, depuis deux mil­lé­naires, les papes, les saints, les Pères et doc­teurs de l’Église, les évêques et les rois chré­tiens ont constam­ment vio­lé un des droits natu­rels de la per­sonne humaine, sans que per­sonne, dans l’Église, ne s’en soit jamais aper­çu. Une telle thèse est aus­si absurde qu’impie » [11].

Si les papes se sont oppo­sés à la liber­té reli­gieuse, c’est qu’elle mécon­naît la royau­té sociale de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Comme le dit saint Pie X en dénon­çant la sépa­ra­tion de l’Église et de l’État : « Cette thèse est la néga­tion très claire de l’ordre sur­na­tu­rel. Elle limite en effet l’action de l’État à la seule pour­suite de la pros­pé­ri­té publique durant cette vie, qui n’est que la rai­son pro­chaine des socié­tés poli­tiques ; et elle ne s’occupe en aucune façon, comme lui étant étran­gère, de leur rai­son der­nière, qui est la béa­ti­tude éter­nelle pro­po­sée à l’homme quand cette vie si courte aura pris fin » [12]. Prétendre que l’État ne doit pas sou­te­nir la vraie reli­gion et répri­mer les faux cultes, c’est oublier que les socié­tés sont l’œuvre de Dieu, et que les indi­vi­dus qu’elles ras­semblent ont tous été créés pour le Ciel. Dire que Notre-​Seigneur doit régner sur les socié­tés, ce n’est que tirer la consé­quence logique de sa divi­ni­té. Vouloir limi­ter son rôle sur les socié­tés, comme pré­tend le faire la doc­trine de la liber­té reli­gieuse, c’est vou­loir mettre une limite au pou­voir radi­cal qu’il a comme Créateur. C’est en même temps absurde et impie.

Conclusion : Pas de justice sociale, sans respect de l’ordre naturel.

Comme le sou­li­gnait Léon XIII, « Les socié­tés humaines ne peuvent pas, sans deve­nir cri­mi­nelles, se conduire comme si Dieu n’existait pas ou refu­ser de se pré­oc­cu­per de la reli­gion comme si elle leur était chose étran­gère ou qui ne pût leur ser­vir en rien » [13]. Nous le voyons bien avec nos socié­tés apos­tates. Elles finissent par recon­naître dans leurs lois des choses que la rai­son réprouve même sans la lumière de la foi.

Abbé Vincent Gélineau, prêtre de la Fraternité Saint Pie X (prieu­ré de Bailly).

Sources : Le Saint Vincent de avril 2020

Notes de bas de page
  1. Proudhon, Confessions d’un révo­lu­tion­naire, p. 61[]
  2. Donoso Cortès, Essai sur le catho­li­cisme, le libé­ra­lisme et le socia­lisme, DMM, 1986, p. 33[]
  3. Rocco Buttiglione, La Pensée de Karol Wojtyla, Fayard, Paris, 1984, p. 252[]
  4. Benoît XVI, dis­cours à la Curie du 22 décembre 2005[]
  5. Yves Marsaudon, L’Œcuménisme vu par un franc-​maçon de tra­di­tion, Vitiano, Paris, 1964, p. 121[]
  6. Mgr Lefebvre, Ils l’ont décou­ron­né, p. 221[]
  7. Mgr Lefebvre, Mes doutes sur la liber­té reli­gieuse, Clovis, 2000, Avant-​propos, p. 15[]
  8. Yves Congar O.P., La Crise dans l’Église et Mgr Lefebvre, Paris, Cerf, 1977, p. 54.[]
  9. Yves Congar O.P. inter­ro­gé par Éric Vatré, dans La Droite du Père, Enquête sur la Tradition catho­lique aujourd’hui, Paris, Trédaniel, 1994, p. 118.[]
  10. John Courtney Murray S.J. « Vers une intel­li­gence du déve­lop­pe­ment de la doc­trine de l’Église sur la liber­té reli­gieuse », dans Vatican II, La liber­té reli­gieuse (Unam Sanctam 60), Paris, Cerf, 1967, p. 111.[]
  11. Abbé Gaudron, Catéchisme catho­lique de la crise dans l’Église, p. 94[]
  12. Saint Pie X, ency­clique Vehementer nos (11 février 1906).[]
  13. Léon XIII, Immortale Dei, PIN 149[]