Clément XIII

248ᵉ Pape ; de 1758 à 1769

9 janvier 1765

Bulle pontificale Apostolicum Pascendi

Rétablissement de la Compagnie de Jésus

Donné à Rome, à Sainte-​Marie Majeure, le 9 jan­vier 1765
CLÉMENT, ÉVÊQUE, SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU,

À tous les fidèles Chrétiens,
Salut et Bénédiction Apostolique.

Jésus-​Christ Notre-​Seigneur ayant char­gé le bien­heu­reux apôtre saint Pierre et le pon­tife romain son suc­ces­seur de l’o­bli­ga­tion de paître son trou­peau, obli­ga­tion qu’au­cune cir­cons­tance de temps ni de lieu, aucune consi­dé­ra­tion humaine, rien en un mot ne doit bor­ner ; il est du devoir de celui qui est assis sur la chaire de saint Pierre de don­ner son atten­tion à toutes les fonc­tions dif­fé­rentes de la charge que Jésus-​Christ lui a confiée sans en omettre ou négli­ger aucune, et d’é­tendre sa vigi­lance à tous les besoins de l’Église.

Une des prin­ci­pales fonc­tions de cette charge est de prendre sous sa pro­tec­tion les ordres reli­gieux approu­vés par le saint-​siège, de don­ner une nou­velle acti­vi­té au zèle de ceux qui, s’é­tant dévoués par un ser­ment solen­nel à la pro­fes­sion reli­gieuse, tra­vaillent avec un cou­rage sou­te­nu par la pié­té à défendre la reli­gion catho­lique, à l’é­tendre, à culti­ver le champ du Seigneur ; d’ins­pi­rer de l’ar­deur et de don­ner des forces à ceux qui par­mi eux seraient lan­guis­sants et faibles, de conso­ler ceux que l’af­flic­tion pour­rait abattre, et sur­tout d’é­car­ter de l’Église confiée à sa vigi­lance tous les scan­dales qui chaque jour naissent en son sein et dont l’ef­fet est la perte des âmes. L’institut de la com­pa­gnie de Jésus, qui a pour auteur un homme auquel l’Église uni­ver­selle a défé­ré le culte et l’hon­neur qu’elle rend aux saints ; que plu­sieurs de nos pré­dé­ces­seurs d’heu­reuse mémoire, Paul III, Jules III, Paul IV, Grégoire XIII et Grégoire XIV, Paul V, out approu­vé et confir­mé plus d’une fois après l’a­voir soi­gneu­se­ment exa­mi­né, qui a reçu d’eux et de plu­sieurs autres de nos pré­dé­ces­seurs, au nombre de dix-​neuf, des faveurs et des grâces par­ti­cu­lières ; que les évêques, non-​seulement de nos jours, mais des siècles pré­cé­dents, ont loué hau­te­ment comme étant très-​avantageux, très-​utile et très-​propre à accroître le culte, l’hon­neur et la gloire de Dieu, et à pro­cu­rer le salut des âmes ; que les rois les plus puis­sants comme les plus pieux, et les princes les plus dis­tin­gués dans la répu­blique chré­tienne, ont tou­jours pris sous leur pro­tec­tion, dont les règles ont for­mé neuf hommes mis au rang des saints ou des bien­heu­reux, par­mi les­quels trois ont reçu la cou­ronne du mar­tyre ; qui a été hono­ré des éloges de plu­sieurs per­son­nages célèbres par leur sain­te­té, que nous savons jouir dans le ciel de la gloire éter­nelle ; que l’Église uni­ver­selle a nour­ri avec affec­tion dans son sein depuis deux siècles, confiant constam­ment à ceux qui le pro­fessent les prin­ci­pales fonc­tions du saint minis­tère qu’ils ont tou­jours rem­plies au grand avan­tage des fidèles, et qui enfin a été décla­ré pieux par l’Église uni­ver­selle assem­blée à Trente.

Ce même ins­ti­tut, il s’est trou­vé récem­ment des hommes qui, après l’a­voir défi­gu­ré par des inter­pré­ta­tions fausses et malignes, n’ont pas craint de le qua­li­fier d’ir­ré­li­gieux, d’im­pie, tant dans les conver­sa­tions par­ti­cu­lières que dans des écrits impri­més, répan­dus dans le public, de le déchi­rer par des impu­ta­tions les plus inju­rieuses, de le cou­vrir d’op­probre et d’i­gno­mi­nie, et en sont venus au point que, non contents de l’i­dée par­ti­cu­lière qu’ils s’en sont faite à eux-​mêmes, ils ont entre­pris par toute sorte d’ar­ti­fices de faire cir­cu­ler le poi­son de contrée en contrée, de le répandre de toute part, et ne cessent encore aujourd’­hui de faire usage de toutes les ruses ima­gi­nables pour faire goû­ter leurs dis­cours empoi­son­nés à ceux des fidèles qui ne seraient point assez sur leurs gardes ; insul­tant ain­si de la manière la plus outra­geante l’Église de Dieu, qu’ils accusent équi­va­lem­ment de s’être trom­pée jus­qu’à juger et décla­rer solen­nel­le­ment pieux et agréable à Dieu ce qui en soi était irré­li­gieux et impie, et d’être ain­si tom­bée dans une erreur d’au­tant plus cri­mi­nelle, qu’elle aurait souf­fert pen­dant plus long­temps durant l’es­pace même de plus de deux cents ans, qu’au très-​grand pré­ju­dice des âmes, son sein res­tât souillé d’une tache aus­si flé­tris­sante. A un mal si grand qui jette des racines d’au­tant plus pro­fondes et acquiert chaque jour des forces d’au­tant plus grandes qu’il a été dis­si­mu­lé plus long­temps, dif­fé­rer encore d’ap­por­ter remède, ce serait nous refu­ser et à la jus­tice qui nous ordonne d’as­su­rer à cha­cun ses droits et de les sou­te­nir avec vigueur, et aux mou­ve­ments de la sol­li­ci­tude pas­to­rale que nous avons pour le bien de l’Église.

Pour repous­ser donc l’in­jure atroce faite tout à la fois à l’Église que Dieu lui-​même a com­mise à nos soins, et au saint-​siège sur lequel nous sommes assis ; pour arrê­ter par notre auto­ri­té apos­to­lique le pro­grès de tant de dis­cours impies contraires à toute rai­son comme à toute équi­té, qui, se répan­dant de tout côté, portent avec eux la séduc­tion et le dan­ger pro­chain de la perte des âmes ; pour assu­rer l’é­tat des clercs régu­liers de la com­pa­gnie de Jésus qui nous demandent cette jus­tice, et pour lui don­ner une consis­tance plus ferme par le poids de notre auto­ri­té, pour appor­ter quelque sou­la­ge­ment à leurs peines dans le grand désastre qui les afflige ; enfin pour défé­rer aux justes vœux de nos véné­rables frères les évêques de toutes les par­ties du monde catho­lique qui, dans les lettres qu’ils nous ont adres­sées, font les plus grands éloges de cette com­pa­gnie, dont ils nous assurent qu’ils tirent de très-​grands ser­vices cha­cun dans leur dio­cèse ; de notre propre mou­ve­ment et cer­taine science, usant de la plé­ni­tude de la puis­sance apos­to­lique, mar­chant sur les traces de tous nos pré­dé­ces­seurs, par notre pré­sente consti­tu­tion qui doit valoir à per­pé­tui­té, disons et décla­rons dans la même forme et de la même manière qu’ils ont dit et décla­ré, que l’ins­ti­tut de la com­pa­gnie de Jésus res­pire au plus haut point la pié­té et la sain­te­té, soit dans la fin prin­ci­pale qu’il a conti­nuel­le­ment en vue, et qui n’est autre que la défense et la pro­pa­ga­tion de la reli­gion catho­lique, soit dans les moyens qu’il emploie pour par­ve­nir à cette fin ; c’est ce que l’ex­pé­rience nous a appris jus­qu’à présent.

C’est cette expé­rience qui nous a appris com­bien le régime de cette com­pa­gnie a for­mé jus­qu’à nos jours de défen­seurs de la foi ortho­doxe et de zélés mis­sion­naires qui, ani­més d’un cou­rage invin­cible, se sont expo­sés à mille dan­gers sur la terre et sur mer pour por­ter la lumière de la doc­trine évan­gé­lique à des nations féroces et bar­bares ; nous voyons que tous ceux qui pro­fessent ce louable ins­ti­tut sont occu­pés à des fonc­tions saintes, les uns à for­mer la jeu­nesse à la ver­tu et aux sciences, les autres à don­ner les exer­cices spi­ri­tuels, une par­tie à admi­nis­trer avec assi­dui­té les sacre­ments sur­tout de la péni­tence et de l’eu­cha­ris­tie, et à pres­ser dans leurs dis­cours les fidèles d’en faire un usage fré­quent, une autre par­tie à por­ter la parole de l’Évangile aux habi­tants de la cam­pagne ; c’est pour­quoi, à l’exemple de nos pré­dé­ces­seurs, nous approu­vons ce même ins­ti­tut que la pro­vi­dence divine a sus­ci­té pour opé­rer de si grandes choses, et nous confir­mons par notre auto­ri­té apos­to­lique les appro­ba­tions qui lui ont été don­nées ; nous décla­rons que les vœux par les­quels les clercs régu­liers de la com­pa­gnie de Jésus se consacrent à Dieu selon ledit ins­ti­tut, sont purs et agréables à ses yeux ; nous approu­vons et louons par­ti­cu­liè­re­ment, comme très-​propres à réfor­mer les mœurs, à ins­pi­rer et for­ti­fier la pié­té, les exer­cices spi­ri­tuels que les mêmes clercs régu­liers de la com­pa­gnie de Jésus donnent aux fidèles qui, éloi­gnés du tumulte du monde, passent quelques jours dans la retraite à s’oc­cu­per sérieu­se­ment et uni­que­ment de leur salut éternel.

De plus, nous approu­vons les congré­ga­tions ou soda­li­tés éri­gées sous l’in­vo­ca­tion de la bien­heu­reuse Marie, ou sous tout autre titre, non-​seulement celles qui sont for­mées de jeunes gens qui fré­quentent les écoles de la com­pa­gnie de Jésus, mais aus­si toutes les autres, soit qu’elles soient seule­ment com­po­sées d’é­tu­diants ou seule­ment des autres fidèles de Jésus-​Christ, soit qu’elles réunissent les uns et les autres ; et nous ne don­nons pas moins notre appro­ba­tion à tous les pieux exer­cices qui s’y pra­tiquent avec fer­veur ; et nous recom­man­dons extrê­me­ment la dévo­tion toute par­ti­cu­lière qu’on s’at­tache à culti­ver et à aug­men­ter dans ces soda­li­tés envers la bien­heu­reuse mère de Dieu Marie tou­jours vierge. Nous confir­mons par notre auto­ri­té apos­to­lique les bulles par les­quelles nos pré­dé­ces­seurs d’heu­reuse mémoire, Grégoire XIII, Sixte V, Grégoire XV et Benoît XIV ont approu­vé les­dites soda­li­tés ; de même par notre pré­sente consti­tu­tion nous approu­vons de toute l’au­to­ri­té que Dieu nous a don­née et de la force de notre confir­ma­tion apos­to­lique toutes les autres consti­tu­tions faites par les pon­tifes romains nos pré­dé­ces­seurs, pour approu­ver et louer les fonc­tions du même ins­ti­tut de la com­pa­gnie de Jésus, cha­cune des­quelles consti­tu­tions nous vou­lons qu’on regarde comme insé­rée dans celle-​ci, vou­lant et ordon­nant, si besoin est, qu’elles soient cen­sées faites de nou­veau et mises au jour par nous-même.

Qu’il ne soit donc per­mis à per­sonne de don­ner atteinte à notre pré­sente consti­tu­tion appro­ba­tive et confir­ma­tive, ni d’être assez témé­raire pour oser y contre­ve­nir ; que si quel­qu’un avait la pré­somp­tion d’en­freindre cette défense, qu’il sache qu’il encour­ra l’in­di­gna­tion de Dieu tout-​puissant et des bien­heu­reux apôtres saint Pierre et saint Paul.

Donné à Rome, à Sainte-​Marie-​Majeure, l’an de l’Incarnation de Notre-​Seigneur 1764, le 7e des ides de jan­vier, la 7e année de notre pon­ti­fi­cat (9 jan­vier 1765).

CLEMENT XIII, Pape.