Clément XIV

249ᵉ Pape ; de 1769 à 1774

21 juillet 1773

Bref Dominus ac Redemptor Noster

Sur la suppression de la Compagnie de Jésus

Donné à Rome, à Sainte-​Marie Majeure, sous l’an­neau du pêcheur, le 21 juillet 1773

CLÉMENT, ÉVÊQUE, SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU
Ad per­pe­tuam rei memoriam

Jésus-​Christ, notre Seigneur et Rédempteur, le prince de paix annon­cé par le pro­phète, s’est décla­ré tel en venant dans ce monde d’a­bord aux pas­teurs par le minis­tère des anges ; puis, avant de mon­ter au ciel, il l’a fait savoir lui-​même à deux reprises à ses dis­ciples. Et quand, appor­tant la paix par le sang de sa croix, il eut tout récon­ci­lié avec Dieu le père, sur la terre comme dans le ciel, c’est encore une mis­sion de paix qu’il confia à ses disciples.

En s’ac­quit­tant de leur tâche au nom du Christ, qui n’est pas un Dieu de dis­corde mais un Dieu de paix et d’a­mour, ils devaient annon­cer cette paix à l’u­ni­vers entier et réunir de pré­fé­rence vers ce but tous leurs efforts et tout leur zèle. Et cela, afin que tous ceux qui sont régé­né­rés en Jésus-​Christ fussent inté­res­sés à conser­ver dans le lien de la paix l’u­ni­té de l’es­prit, qu’ils ne fissent qu’un seul corps et une seule âme, comme ils n’ont été appe­lés au salut que dans un seul et même espoir de cette voca­tion à laquelle on s’ef­force en vain d’at­teindre, dit saint Grégoire le Grand, si l’on n’y court en com­mu­nion d’âme avec le prochain.

[…]

Quand on eut mis sous nos yeux ces exemples et d’autres encore d’un poids, d’une auto­ri­té si grande pour tous, brû­lant du désir de mar­cher d’un pas sûr et confiant dans la réso­lu­tion dont nous par­le­rons plus bas, nous n’a­vons omis ni soins ni recherches pour étu­dier à fond tout ce qui regarde l’o­ri­gine, les pro­grès et l’é­tat actuel de l’Ordre régu­lier connu sous le nom de Société de Jésus. Il demeure éta­bli pour nous qu’il fut ins­ti­tué par son saint fon­da­teur pour le salut des âmes, pour la conver­sion des Hérétiques et sur­tout des Infidèles, et enfin pour accroître encore dans les âmes la pié­té et la reli­gion ; que, pour atteindre plus faci­le­ment, plus heu­reu­se­ment cette fin si dési­rée, il fut consa­cré à Dieu par un vœu très rigou­reux de pau­vre­té évan­gé­lique, tant pour la com­mu­nau­té que pour cha­cun de ses membres, à l’ex­cep­tion tou­te­fois des mai­sons d’é­tudes ou de belles-​lettres, aux­quelles on lais­sa la facul­té de pos­sé­der quelques biens, de manière pour­tant qu’au­cune par­tie n’en pour­rait jamais être appli­quée ni détour­née aux avan­tages et à l’u­sage com­mun de la Société même.

C’est en se confor­mant à ces règles les plus sages et à d’autres encore que Paul III, notre pré­dé­ces­seur, approu­va d’a­bord la Société de Jésus par les lettres revê­tues de son sceau en date du 26 Septembre 1540, et qu’il l’au­to­ri­sa à rédi­ger des sta­tuts et règle­ments des­ti­nés à assu­rer sa tran­quilli­té, son exis­tence et son régime. Et, quoique le pape Paul n’ait pas vou­lu, à l’o­ri­gine, que la Société nais­sante, ren­fer­mée dans les plus étroites limites, com­prît plus de soixante Religieux, néan­moins, par d’autres lettres datées du 28 février 1543, il per­mit d’y admettre tous ceux qu’il paraî­trait oppor­tun ou néces­saire d’y rece­voir. Enfin, par un bref en même forme du 15 novembre 1549, le même Paul, notre pré­dé­ces­seur, dota cette Société de nom­breux et très grands pri­vi­lèges, confé­ra aux Généraux pla­cés à sa tête le pou­voir d’y intro­duire vingt prêtres à titre de coad­ju­teurs spi­ri­tuels, et de leur faire par­ta­ger les pri­vi­lèges, les faveurs et l’au­to­ri­té assu­rés aux Profès de la Société. Il vou­lut et ordon­na que cette per­mis­sion pût s’é­tendre, sans aucune réserve ou limi­ta­tion de nombre, à tous ceux qui en seraient jugés dignes par les Généraux. En outre, la Société elle-​même, tous les membres qui la com­po­saient, leurs per­sonnes comme leurs biens, furent entiè­re­ment sous­traits à toute auto­ri­té, juri­dic­tion et dis­ci­pline des Ordinaires, le Pape reven­di­quant pour lui et le Siège Apostolique le devoir de les protéger.

Dans la suite, nos autres pré­dé­ces­seurs n’ont pas mon­tré envers cette Société moins de muni­fi­cence et de libé­ra­li­té. Jules III, Paul IV, Pie IV, Pie V, Grégoire XIII, Sixte V, Grégoire XIV, Clément VIII, Paul V, Léon XI, Grégoire XV, Urbain VIII et d’autres Souverains Pontifes ont ou confir­mé, ou accru, ou déter­mi­né plus clai­re­ment les pri­vi­lèges anté­rieu­re­ment concé­dés. Et pour­tant, par la teneur même et les termes de ces Constitutions apos­to­liques, il est éta­bli que la Société, presque à sa nais­sance, vit pul­lu­ler dans son sein dif­fé­rents germes de dis­cordes et de jalou­sies, qui non seule­ment déchi­rèrent ses membres, mais les autres Ordres Religieux, le Clergé sécu­lier, les Académies, les Universités, les Collèges, les Écoles publiques, les Souverains eux-​mêmes qui avaient accueilli la Société dans leurs États. Et ces troubles, ces dis­sen­sions avaient pour ori­gine tan­tôt la nature et le carac­tère des vœux, tan­tôt le moment d’ad­mettre les reli­gieux à pro­non­cer ces vœux, la facul­té de les ren­voyer ou de les éle­ver aux Ordres sacrés sans un titre et sans avoir fait des vœux solen­nels, contrai­re­ment aux déci­sions du Concile de Trente et de Pie V, de sainte mémoire, tan­tôt la puis­sance abso­lue que le Général s’ar­ro­geait et quelques autres articles concer­nant le régime de la Société, tan­tôt dif­fé­rents points de doc­trine pour les Collèges, pour les exemp­tions et pri­vi­lèges, qui parais­saient aux Ordinaires et autres per­sonnes consti­tuées en digni­té, soit ecclé­sias­tique, soit sécu­lière, empié­ter sur leur juri­dic­tion et sur leurs droits. En un mot, les plus graves accu­sa­tions ont été por­tées contre cette Société, et elles n’ont pas légè­re­ment contri­bué à trou­bler la paix et la tran­quilli­té de la Chrétienté.

De là les nom­breuses plaintes qui s’é­le­vèrent contre la Société et qui furent sou­mises au juge­ment de Paul IV, de Pie V, de Sixte V, nos pré­dé­ces­seurs, ren­for­cées encore de l’au­to­ri­té de quelques Princes. Entre autres, Sa Majesté catho­lique Philippe II, roi d’Espagne, d’illustre mémoire, prit soin de faire connaître à Sixte V, notre pré­dé­ces­seur, non seule­ment les motifs graves et pres­sants qui le pous­saient à cette démarche, les récla­ma­tions des inqui­si­teurs d’Espagne contre les pri­vi­lèges exces­sifs de la Société et contre la forme de son régime, mais encore des points de dis­putes approu­vés par plu­sieurs de ses membres, même les plus recom­man­dables par leur science et par leur pié­té, et il fit des ins­tances auprès de ce Pontife pour qu’il nom­mât une com­mis­sion apos­to­lique char­gée de visi­ter cette Société.

Pour satis­faire au zèle et aux demandes de Philippe qui lui parais­saient aus­si rai­son­nables que justes, le même Sixte V nom­ma pour visi­teur apos­to­lique un Évêque que recom­man­daient aux yeux de tous sa pru­dence, sa ver­tu et ses lumières. En outre, il dési­gna une Congrégation de Cardinaux de la sainte Église romaine qui devaient employer tous leurs soins et leur vigi­lance à mener l’af­faire à bonne fin. Mais une mort pré­ma­tu­rée enle­va le même Sixte V, notre pré­dé­ces­seur. Le pro­jet si salu­taire qu’il avait for­mé s’é­va­nouit et ne put abou­tir. A peine éle­vé au plus haut degré de l’a­pos­to­lat, Grégoire XIV, d’heu­reuse mémoire, don­na de nou­veau, par les lettres scel­lées de son sceau du 28 juin 1591, l’ap­pro­ba­tion la plus éten­due à l’ins­ti­tut de la Société. Il confir­ma, rati­fia et conso­li­da tous les pri­vi­lèges accor­dés par ses pré­dé­ces­seurs, et, en pre­mière ligne, celui d’ex­clure et de ren­voyer les membres de cet Ordre sans recou­rir à aucune forme juri­dique, sans faire aupa­ra­vant aucune infor­ma­tion, sans dres­ser aucun acte, sans obser­ver aucune règle judi­ciaire, ni accor­der aucun délai, même essen­tiel, mais sur l’ins­pec­tion seule de la véri­té du fait, et n’ayant égard qu’à la faute ou à un motif suf­fi­sant d’ex­pul­sion, aux per­sonnes et aux autres cir­cons­tances. De plus il impo­sa le plus pro­fond silence, et défen­dit sur­tout, sous peine d’ex­com­mu­ni­ca­tion encou­rue par le fait seul, d’o­ser atta­quer direc­te­ment ou indi­rec­te­ment l’ins­ti­tut, les consti­tu­tions ou les décrets de la Société, ou de son­ger à y faire des chan­ge­ments d’au­cune sorte. Cependant cha­cun conser­va le droit de lui faire connaître et pro­po­ser, à lui seule­ment et aux Papes ses suc­ces­seurs, soit direc­te­ment, soit par l’in­ter­mé­diaire des Légats ou des Nonces du Saint-​Siège, toutes les addi­tions, retran­che­ments ou modi­fi­ca­tions qui pour­raient être appor­tés à ces constitutions.

Mais loin d’a­pai­ser les cla­meurs et les plaintes éle­vées contre la Société, ces mesures ne firent que pro­pa­ger de plus en plus, dans presque tout l’u­ni­vers, les plus vives contes­ta­tions tou­chant la doc­trine de cet Ordre, qu’un très grand nombre accu­sa d’être tout à fait oppo­sée à la Foi ortho­doxe et aux bonnes mœurs. Au sein même de la Société, comme au dehors, écla­tèrent de plus en plus des dis­sen­sions fré­quentes et des que­relles. Entre autres accu­sa­tions diri­gées contre elle, on lui repro­cha de recher­cher avec trop d’a­vi­di­té et d’empressement les biens de la terre. De là naquirent ces troubles, qui ne sont, hélas ! que trop connus, qui ont cau­sé au Siège apos­to­lique tant de cha­grin et de dou­leur ; tel est le motif du par­ti que plu­sieurs Souverains ont embras­sé contre la Société. C’est ce qui obli­gea ces Religieux, pour obte­nir de Paul V, d’heu­reuse mémoire, notre pré­dé­ces­seur, une nou­velle confir­ma­tion de leur ins­ti­tut et de leurs pri­vi­lèges, à deman­der de vou­loir bien rati­fier et appuyer de son auto­ri­té quelques décrets publiés dans la cin­quième Congrégation géné­rale et insé­rés mot à mot dans sa Bulle du 4 Septembre 1606. Il y est dit expres­sé­ment que les membres de la Société, réunis en assem­blée géné­rale, tant en consi­dé­ra­tion des troubles et des ini­mi­tiés intes­tines que des plaintes et des récla­ma­tions venues du dehors, avaient été ame­nés à rédi­ger le sta­tut suivant :

Suscitée par Dieu même pour la pro­pa­ga­tion de la Foi et le salut des âmes, notre Société peut, par les fonc­tions propres de son ins­ti­tut, qui sont les armes spi­ri­tuelles, atteindre heu­reu­se­ment son but, sous l’é­ten­dard de la Croix, avec uti­li­té pour l’Église et édi­fi­ca­tion pour le pro­chain. Mais, d’autre part, elle ren­drait vains ces avan­tages, elle s’ex­po­se­rait aux plus grands périls si elle s’oc­cu­pait des choses du siècle et de ce qui touche à la poli­tique et au gou­ver­ne­ment des États ; c’est pour­quoi très sage­ment nos ancêtres ont déci­dé qu’en ser­vant Dieu, nous ne nous enga­gions point dans les autres affaires qui sont oppo­sées à notre pro­fes­sion. Et sur­tout comme, dans ces temps pleins de périls, notre Ordre, peut-​être par la faute, l’am­bi­tion et le zèle indis­cret de quelques-​uns de ses membres, se trouve atta­qué en bien des pays et dif­fa­mé auprès de plu­sieurs sou­ve­rains, dont nous devions cepen­dant, dans la pen­sée de notre Père Ignace, de bien­heu­reuse mémoire, conser­ver, pour obéir à Dieu, l’af­fec­tion et la bien­veillance, comme, d’ailleurs, la bonne odeur de Jésus-​Christ est néces­saire pour pro­duire des fruits, la Congrégation a pen­sé qu’il fal­lait s’abs­te­nir de toute appa­rence de mal, et pré­ve­nir, autant que pos­sible, même les plaintes qui ne repo­se­raient que sur de faux soup­çons. C’est pour­quoi, par le pré­sent décret, elle nous inter­dit expres­sé­ment et for­mel­le­ment à tous de nous mêler en aucune manière des affaires publiques, en dépit des rai­sons qui pour­raient nous y invi­ter ou nous y enga­ger, et de déro­ger aux lois de notre ins­ti­tut, quelles que soient les prières et les sol­li­ci­ta­tions. De plus elle a recom­man­dé aux Pères défi­ni­teurs de déter­mi­ner et de régler avec soin les moyens les plus propres à remé­dier tota­le­ment, s’il le fal­lait, à ces abus.

Assurément, nous l’a­vons remar­qué avec la dou­leur la plus amère, ces remèdes pres­crits, et beau­coup d’autres employés dans la suite, n’ont eu ni assez d’ef­fi­ca­ci­té, ni de force pour extir­per et dis­si­per tant et de si grands troubles ain­si que les accu­sa­tions et les plaintes for­mées contre ladite Société. Et nos autres pré­dé­ces­seurs, Urbain VIII, Clément IX, X, XI et XII, Alexandre VII et VIII, Innocent X, XI, XII, et XIII, et Benoît XIV ont fait de vains efforts pour rendre à l’Église la tran­quilli­té si dési­rée. Par un grand nombre de Constitutions concer­nant soit les affaires sécu­lières dont la Société ne devait s’oc­cu­per ni hors de ses mis­sions sacrées, ni à leur occa­sion, soit les dis­cus­sions les plus graves et les que­relles si vive­ment atti­sées par ses membres, non sans rui­ner la foi dans les âmes et au grand scan­dale des peuples, contre les Ordinaires des lieux, les Ordres reli­gieux, les lieux consa­crés à la pié­té, et les com­mu­nau­tés de toute espèce en Europe, en Asie et en Amérique ; soit l’in­ter­pré­ta­tion et la pra­tique de cer­taines céré­mo­nies païennes admises dans plu­sieurs endroits, en négli­geant celles qui sont approu­vées par l’Église uni­ver­selle ; soit l’in­ter­pré­ta­tion et l’ap­pli­ca­tion de ces maximes que le Saint-​Siège a jus­te­ment pros­crites comme scan­da­leuses et mani­fes­te­ment nui­sibles aux bonnes mœurs ; soit enfin d’autres objets de la plus grande impor­tance et abso­lu­ment néces­saires pour conser­ver aux dogmes de la Religion chré­tienne leur pure­té et leur inté­gri­té, et qui, dans ce siècle et dans les pré­cé­dents, ont fait naître des abus et des maux consi­dé­rables, tels que troubles, sédi­tions dans plu­sieurs États catho­liques, et même per­sé­cu­tions contre l’Église dans quelques pro­vinces de l’Asie et de l’Europe. Tous nos pré­dé­ces­seurs en ont res­sen­ti une vive dou­leur et, entre autres, le Pape Innocent XI, de pieuse mémoire, que la néces­si­té contrai­gnit de défendre à la Société de don­ner l’ha­bit à des novices, Innocent XIII qui fut contraint de la mena­cer de la même peine, et enfin Benoît XIV, de récente mémoire, qui ordon­na une visite des mai­sons et des col­lèges situés dans les États de notre très cher Fils en Jésus-​Christ, le roi très fidèle de Portugal et des Algarves. Dans la suite, le Saint-​Siège n’a reti­ré aucune conso­la­tion, ni la Société aucun secours, ni la Chrétienté aucun avan­tage des der­nières lettres apos­to­liques de Clément XIII, d’heu­reuse mémoire, notre pré­dé­ces­seur immé­diat, lettres extor­quées (sui­vant l’ex­pres­sion dont Grégoire X, notre pré­dé­ces­seur, s’est ser­vi dans le Concile œcu­mé­nique de Lyon, cité ci-​dessus) plu­tôt qu’ob­te­nues de lui, et dans les­quelles il loue infi­ni­ment et approuve de nou­veau l’ins­ti­tut de la Société de Jésus.

Après tant et de si grands orages, après de si affreuses tem­pêtes, les meilleurs chré­tiens espé­raient voir luire enfin ce jour qui devait rame­ner la tran­quilli­té et la paix la plus pro­fonde. Mais, alors que le même Clément XIII, notre pré­dé­ces­seur, occu­pait la chaire de Pierre, les cir­cons­tances étaient deve­nues beau­coup plus dif­fi­ciles et les temps plus ora­geux. En effet, les cla­meurs et les plaintes contre ladite Société s’ac­crois­sant de jour en jour, on vit s’é­le­ver vio­lem­ment dans quelques endroits, sédi­tions, troubles, dis­cordes et scan­dales des plus redou­tables qui, usant et rom­pant tout à fait le lien de la cha­ri­té chré­tienne, allu­mèrent dans les âmes des fidèles l’es­prit de par­ti, les haines et les ini­mi­tiés. Les dif­fi­cul­tés et les dan­gers s’ac­crurent au point que ceux-​là dont la pié­té tra­di­tion­nelle et la libé­ra­li­té envers la Société, trans­mises en quelque sorte par droit héré­di­taire dans leur famille, sont avan­ta­geu­se­ment connues de toutes les nations, c’est-​à-​dire nos très chers fils en Jésus-​Christ les rois de France, d’Espagne, de Portugal et des Deux-​Siciles, furent contraints de ren­voyer et de ban­nir de leurs Royaumes, États et pos­ses­sions, tous les reli­gieux de cet Ordre, bien convain­cus que cette mesure extrême pour­rait seule remé­dier à tant de maux, qu’elle était de tous points néces­saire pour empê­cher les peuples chré­tiens de s’in­ju­rier, de se pro­vo­quer, de se déchi­rer mutuel­le­ment dans le sein même de l’Église, leur sainte mère.

Mais ces mêmes rois, nos très chers fils en Jésus-​Christ, furent per­sua­dés que ce remède ne pou­vait avoir d’ef­fi­ca­ci­té pour réta­blir la tran­quilli­té dans l’u­ni­vers chré­tien que si la Société elle-​même était entiè­re­ment sup­pri­mée et abo­lie. C’est pour­quoi ils firent connaître au même Clément XIII, notre pré­dé­ces­seur, leurs dési­rs et volon­té. D’un com­mun accord, ils lui deman­dèrent, avec l’au­to­ri­té qu’ils avaient, à laquelle ils joi­gnirent leurs prières et leurs ins­tances, d’as­su­rer par ce moyen très effi­cace la tran­quilli­té per­pé­tuelle de leurs sujets et le bien de l’Église uni­ver­selle de Jésus-​Christ. Mais la mort de ce Pontife, inopi­né­ment sur­ve­nue, arrê­ta le cours de cette affaire et en entra­va le dénoue­ment. Et quand, à notre tour, par l’ef­fet de la misé­ri­corde divine, nous fûmes assis dans la chaire de saint Pierre, nous fûmes l’ob­jet des mêmes prières, des mêmes demandes et des mêmes ins­tances, et un grand nombre d’Évêques et d’autres per­son­nages émi­nents par leur digni­té, leur science et leur reli­gion, y ont joint leurs dési­rs et leurs avis.

Mais pour­tant, dans une affaire aus­si grave et de si grande impor­tance, réso­lu à prendre le par­ti le plus sûr, nous avons cru avoir besoin d’un long temps, non seule­ment pour faire une enquête atten­tive, un exa­men des plus mûrs, et déci­der enfin avec la plus grande pru­dence, mais aus­si, afin que nos gémis­se­ments, nos prières conti­nuelles nous obtinssent du Père des lumières un secours et un appui tout par­ti­cu­liers. Et nous avons eu soin de nous faire aider auprès de Dieu par les prières et les œuvres pies de tous les fidèles. Nous avons vou­lu sur­tout exa­mi­ner sur quelle base repo­sait cette opi­nion si répan­due que l’ins­ti­tut des clercs de la Société de Jésus avait été approu­vé et confir­mé solen­nel­le­ment, en quelque sorte, par le Concile de Trente. Or, nous avons eu la preuve que, dans ce concile, il n’a­vait été ques­tion de cet Ordre que pour l’ex­cep­ter du décret géné­ral, par lequel il fut déci­dé, pour les autres Ordres reli­gieux, qu’a­près le temps de novi­ciat, les novices seraient admis à la pro­fes­sion s’ils en étaient jugés dignes, ou ren­voyés de la com­mu­nau­té. C’est pour­quoi la même assem­blée (Session 25, chap. XVI, de Regular.) décla­ra qu’elle ne vou­lait rien inno­ver, ni empê­cher ledit ordre de la Société de Jésus de ser­vir Dieu et son Église selon leur pieux ins­ti­tut approu­vé par le Saint-​Siège apostolique.

Ainsi, après avoir eu recours à tant de res­sources, avoir usé de tant de moyens si impor­tants et si néces­saires, secou­ru, aidé, comme nous en avons la confiance, par la pré­sence et l’ins­pi­ra­tion du Saint-​Esprit, for­cé d’ailleurs par les exi­gences de notre digni­té, qui nous fait une obli­ga­tion si étroite de pro­cu­rer, d’en­cou­ra­ger et d’af­fer­mir de tout notre pou­voir le repos et la tran­quilli­té de l’é­tat chré­tien, de sup­pri­mer entiè­re­ment tout ce qui pour­rait lui cau­ser le moindre dom­mage, ayant recon­nu, en outre, que la Société de Jésus, ne pou­vant plus pro­duire ces fruits si abon­dants et ces avan­tages si consi­dé­rables pour les­quels elle a été ins­ti­tuée, approu­vée par tant de Papes, nos pré­dé­ces­seurs, et favo­ri­sée par de si nom­breux pri­vi­lèges, convain­cu qu’il est tout à fait ou presque impos­sible que, tant que cet Ordre exis­te­rait, l’Église pût jouir d’une paix véri­table et solide, conduit par d’aus­si puis­santes rai­sons, pres­sé encore par d’autres motifs que les lois de la pru­dence et le très sage gou­ver­ne­ment de l’Église uni­ver­selle nous sug­gèrent et que nous conser­vons au fond de notre cœur, sui­vant les traces de ces mêmes pré­dé­ces­seurs, et par­ti­cu­liè­re­ment les traces que Grégoire X nous a lais­sées au Concile géné­ral de Lyon, puis­qu’il s’a­git, main­te­nant encore, d’une Société que son ins­ti­tut non moins que ses pri­vi­lèges rangent au nombre des Ordres men­diants ; après y avoir mûre­ment réflé­chi, de notre cer­taine science et dans la plé­ni­tude de notre puis­sance apos­to­lique, nous sup­pri­mons et nous abo­lis­sons ladite Société de Jésus ; nous anéan­tis­sons et nous abro­geons tous ses offices en géné­ral et cha­cun en par­ti­cu­lier, fonc­tions et admi­nis­tra­tions, mai­sons, écoles, col­lèges, retraites, gym­nases et tous autres lieux qui lui appar­tiennent de quelque manière que ce soit, et en quelque pro­vince, royaume ou état qu’ils soient situés ; tous ses sta­tuts, cou­tumes, usages, décrets, consti­tu­tions, celles mêmes qui lui ont été confir­mées par ser­ment et avec l’ap­pro­ba­tion du Saint-​Siège ou autre­ment ; sup­pri­mons de même tous et cha­cun des pri­vi­lèges et indults, tant géné­raux que par­ti­cu­liers, dont nous vou­lons que la teneur soit regar­dée comme plei­ne­ment et suf­fi­sam­ment expri­mée par ces pré­sentes lettres, abso­lu­ment comme s’ils étaient repro­duits ici mot à mot, et cela non­obs­tant toute for­mule ou clause qui y serait contraire, et quels que soient les décrets ou autres obli­ga­tions sur les­quels ils sont appuyés. C’est pour­quoi nous décla­rons anéan­tie à per­pé­tui­té et entiè­re­ment éteinte l’au­to­ri­té du Général, des Provinciaux, des Visiteurs et de tous autres Supérieurs de cette Société, dans l’ordre spi­ri­tuel comme dans l’ordre tem­po­rel, et nous trans­fé­rons abso­lu­ment et sans aucune réserve cette même auto­ri­té et cette même juri­dic­tion aux Ordinaires des lieux, selon les cas et les per­sonnes, dans la forme et sous les condi­tions que nous expli­que­rons ci-​après ; défen­dant, comme nous le défen­dons par ces pré­sentes, d’ad­mettre désor­mais qui que ce soit dans ladite Société, qu’il s’a­gisse de novi­ciat ou de la prise d’ha­bit ; défen­dons de même d’ad­mettre en aucune manière ceux qui ont été ci-​devant auto­ri­sés à pro­non­cer des vœux ou simples ou solen­nels, sous peine de nul­li­té de leur admis­sion ou pro­fes­sion, et sous d’autres peines à notre volon­té. De plus, nous vou­lons, ordon­nons et enjoi­gnons que ceux qui sont actuel­le­ment novices soient tout de suite, sur-​le-​champ, immé­dia­te­ment et effec­ti­ve­ment ren­voyés ; et pareille­ment défen­dons que ceux qui n’ont fait que des vœux simples et n’ont encore été ini­tiés à aucun ordre sacré puissent y être pro­mus, ou sous le pré­texte et titre de leur pro­fes­sion dans la Société, ou à rai­son des pri­vi­lèges à elle accor­dés contrai­re­ment aux décrets du Concile de Trente.

Mais comme nos efforts tendent à assu­rer le bien géné­ral de l’Église et la tran­quilli­té des peuples, tout en appor­tant quelques conso­la­tions et secours à cha­cun des membres de cette Société dont nous ché­ris­sons ten­dre­ment dans le Seigneur tous les membres en par­ti­cu­lier, comme nous vou­lons que, déli­vrés de toutes les que­relles, dis­putes et afflic­tions aux­quelles ils ont été livrés jus­qu’à ce jour, ils cultivent avec plus de fruit la vigne du Seigneur et tra­vaillent avec plus de suc­cès au salut des âmes ; nous sta­tuons et ordon­nons que les membres de cette Société qui n’ont fait que des vœux simples et qui ne sont point encore entrés dans les Ordres sacrée, seront déliés de ces mêmes vœux, qu’ils sor­ti­ront tous de leurs mai­sons et col­lèges pour prendre le genre de vie que cha­cun juge­ra le plus conforme à sa voca­tion, à ses forces et à sa conscience, et cela dans le laps de temps qui sera fixé par les Ordinaires des lieux et recon­nu suf­fi­sant pour qu’ils puissent se pro­cu­rer un emploi ou une charge, ou trou­ver quelque bien­fai­teur qui les reçoive sans dépas­ser cepen­dant le délai d’un an à par­tir du jour de ces pré­sentes, puis­qu’en ver­tu des pri­vi­lèges de la Société ils pou­vaient en être exclus sans autre motif que celle que dic­taient aux supé­rieurs la pru­dence et les cir­cons­tances, sans qu’on ait fait aupa­ra­vant aucune cita­tion, dres­sé aucun acte, obser­vé aucun ordre judiciaire.

Quant à ceux qui sont éle­vés aux Ordres sacrés, nous consen­tons à ce qu’ils aban­donnent leurs mai­sons et col­lèges pour entrer dans quelque Ordre reli­gieux approu­vé par le Saint-​Siège. Là ils auront à rem­plir le temps d’é­preuve pres­crit par le Concile de Trente s’ils ne sont liés à la Société que par des vœux simples. S’ils ont fait des vœux solen­nels, la durée de cette épreuve ne sera que de six mois, en ver­tu de la dis­pense que nous leur accor­dons à cet effet. Ils seront libres aus­si de res­ter dans le monde comme prêtres sécu­liers, en se sou­met­tant entiè­re­ment à l’au­to­ri­té et à la juri­dic­tion des Ordinaires des lieux où ils éta­bli­ront leur domi­cile. A ces prêtres qui res­te­ront ain­si dans le siècle, et jus­qu’au jour où ils pour­ront être pour­vus d’un emploi nous vou­lons qu’il soit attri­bué une pen­sion conve­nable sur les reve­nus de la mai­son ou du col­lège où ils habi­taient pré­cé­dem­ment. Cette pen­sion sera pro­por­tion­née aux reve­nus de ces mai­sons et aux charges qui leur incombent.

Mais il y a des pro­fès déjà reçus dans les Ordres sacrés, et qui craignent de n’a­voir pas de quoi vivre hon­nê­te­ment, par le défaut ou la modi­ci­té de leur pen­sion ou par la dif­fi­cul­té de s’as­su­rer une retraite ; il en est qui, à rai­son de leur grand âge et de leurs infir­mi­tés, ou pour tout autre motif juste et rai­son­nable, pré­fé­re­ront ne pas quit­ter les mai­sons ou col­lèges de la Société. Tous ceux-​là pour­ront y demeu­rer, à condi­tion qu’ils ne prennent aucune part à l’ad­mi­nis­tra­tion de ces mai­sons ou col­lèges, qu’ils ne portent que l’ha­bit des clercs sécu­liers, et qu’ils soient entiè­re­ment sou­mis aux Ordinaires des lieux. Il leur est expres­sé­ment inter­dit de rem­pla­cer les sujets qui vien­dront à man­quer, d’ac­qué­rir dans la suite aucune mai­son, aucun bien, confor­mé­ment aux décrets du Concile de Lyon, et d’a­lié­ner les mai­sons, les biens et les lieux qu’ils pos­sèdent actuel­le­ment. Ils seront tou­te­fois libres de se réunir dans un cer­tain nombre de mai­sons, selon le nombre des sujets res­tants, de manière que les éta­blis­se­ments éva­cués puissent être conver­tis à de pieux usages, selon les conve­nances, le temps, les lieux, les saints Canons et la volon­té des fon­da­teurs, selon ce qui sera le plus favo­rable à l’ac­crois­se­ment de la Religion, au salut des âmes et à l’u­ti­li­té publique. En atten­dant on choi­si­ra un membre du cler­gé sécu­lier, recom­man­dable par sa pru­dence et ses bonnes mœurs, pour veiller à l’ad­mi­nis­tra­tion de ces mai­sons, d’où le nom de la Société sera tota­le­ment sup­pri­mé et aboli.

Nous décla­rons aus­si que tous ceux qui se trouvent déjà expul­sés de quelque pays que ce soit sont com­pris dans la sup­pres­sion géné­rale de l’Ordre. Nous vou­lons en consé­quence que ces Jésuites ban­nis, même reçus dans les Ordres sacrés, qui ne seraient pas encore entrés dans un autre ordre reli­gieux, n’aient, dès ce moment, d’autre état que celui de clercs et de prêtres sécu­liers, et res­tent entiè­re­ment sou­mis aux ordi­naires des lieux.

Si ces mêmes Ordinaires recon­naissent en ceux qui sont sor­tis de l’ins­ti­tut de la Société en ver­tu du pré­sent bref pour deve­nir prêtres sécu­liers, cette science et cette pure­té de mœurs si néces­saires, ils pour­ront à leur gré leur accor­der ou refu­ser la per­mis­sion de confes­ser les fidèles et de prê­cher devant le peuple : A défaut de cette auto­ri­sa­tion don­née par écrit, aucun d’eux ne pour­ra exer­cer ce minis­tère. Toutefois, en ce qui regarde les étran­gers, les Évêques ou les Ordinaires des lieux ne devront jamais accor­der ces auto­ri­sa­tions à ceux qui vivront dans les mai­sons ou col­lèges qui appar­te­naient autre­fois à la Société. En consé­quence, nous leur défen­dons de prê­cher et d’ad­mi­nis­trer aux étran­gers le sacre­ment de péni­tence, comme l’a défen­du Grégoire X, notre pré­dé­ces­seur, dans le Concile géné­ral cité ci-​dessus. L’exécution de ces ordres est expres­sé­ment confiée à la conscience des Évêques. Nous leur recom­man­dons de son­ger sans cesse au compte rigou­reux qu’ils ren­dront un jour à Dieu des bre­bis confiées à leurs soins, et au juge­ment ter­rible dont le Souverain Juge des vivants et des morts menace ceux qui gou­vernent les autres.

Si, en outre, par­mi les anciens membres de la Société, il s’en trou­vait quelques-​uns qui étaient char­gés de l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse ou qui exer­çaient les fonc­tions de pro­fes­seurs dans plu­sieurs col­lèges ou écoles, nous vou­lons qu’ils res­tent abso­lu­ment étran­gers à toute direc­tion, admi­nis­tra­tion ou auto­ri­té ; on ne devra les auto­ri­ser à conti­nuer leurs fonc­tions que s’ils donnent une bonne opi­nion de leurs tra­vaux, que s’ils savent se mettre en garde contre toutes ces dis­cus­sions sur des points de doc­trine dont le relâ­che­ment et la fri­vo­li­té n’oc­ca­sionnent et n’en­gendrent ordi­nai­re­ment que des abus et de funestes contes­ta­tions. Nous ordon­nons que ces fonc­tions seront à jamais inter­dites à ceux qui ne tra­vaille­raient pas selon leur pou­voir au main­tien de la paix dans les écoles et à la tran­quilli­té publique. Si même ils en étaient actuel­le­ment char­gés, il fau­drait les leur retirer.

Quant aux Missions, si nous enten­dons les com­prendre éga­le­ment dans tout ce que nous avons sta­tué sur la sup­pres­sion de la Société, nous nous réser­vons de prendre à cet égard les mesures propres à pro­duire, à assu­rer le plus faci­le­ment et le plus sûre­ment la conver­sion des infi­dèles et la ces­sa­tion de toute dispute.

Après avoir abro­gé et cas­sé entiè­re­ment, comme ci-​dessus, tous les pri­vi­lèges et sta­tuts de cet Ordre, nous décla­rons que tous ses membres, une fois sor­tis des mai­sons et col­lèges, après avoir embras­sé l’é­tat de clercs sécu­liers, seront propres et aptes à obte­nir, confor­mé­ment aux décrets des saints Canons et Constitutions apos­to­liques, toutes sortes de béné­fices, ou simples, ou à charge d’âmes, offices, digni­tés, per­son­nats [1] et autres d’où ils étaient, comme membres de la Société, entiè­re­ment exclus par le Bref de Grégoire XIII du 10 Septembre 1584, qui com­mence par ces mots : Salis superque. Nous leur per­met­tons encore de rece­voir rétri­bu­tion pour célé­brer la messe, ce qui leur était aus­si défen­du, et de jouir de toutes les grâces et faveurs, aux­quelles ils ne pou­vaient pré­tendre comme clercs régu­liers de la Société de Jésus. Sont éga­le­ment abro­gées toutes les auto­ri­sa­tions qui leur avaient été accor­dées par le Général et les autres Supérieurs, en ver­tu des pri­vi­lèges accor­dés par les Souverains Pontifes, par exemple le droit de lire les livres des héré­tiques et autres pro­hi­bés et condam­nés par le Saint-​Siège, de ne point obser­ver les jours de jeûne ou de ne point user des ali­ments d’abs­ti­nence en ces mêmes jours ; d’a­van­cer ou de retar­der les heures pres­crites pour réci­ter le bré­viaire et, en géné­ral, toutes les facul­tés de cette nature, qui leur sont inter­dites dans la suite sous les peines les plus sévères. Notre inten­tion est qu’à l’exemple des prêtres sécu­liers ils conforment leur genre de vie aux règles du droit commun.

Après la publi­ca­tion de ce Bref, nous défen­dons à qui que ce soit d’o­ser en sus­pendre l’exé­cu­tion, même sous cou­leur, titre ou pré­texte de quelque demande, appel, requête, décla­ra­tion ou consul­ta­tion sur les doutes qui pour­raient s’é­le­ver, ou sous quelque autre pré­texte pré­vu ou impré­vu. Car nous vou­lons que la sup­pres­sion et l’a­bo­li­tion de toute la Société, ain­si que de tous ceux qui y sont atta­chés, aient, à par­tir de ce moment et immé­dia­te­ment leur plein et entier effet, dans la forme et de la manière ci-​dessus ordon­nées, sous peine d’ex­com­mu­ni­ca­tion majeure encou­rue par le seul fait, et réser­vée à nous et aux Papes, nos suc­ces­seurs, contre qui­conque ose­rait appor­ter le moindre obs­tacle, empê­che­ment ou délai à l’exé­cu­tion du pré­sent Bref.

Nous man­dons en outre, et nous défen­dons, en ver­tu de la sainte obéis­sance à tous les ecclé­sias­tiques et à cha­cun en par­ti­cu­lier, régu­liers et sécu­liers, quels que soient leur grade, digni­té, qua­li­té et condi­tion, et notam­ment à ceux qui ont été jus­qu’à pré­sent affi­liés à la Société et qui en étaient membres, d’o­ser la défendre, d’at­ta­quer la sup­pres­sion ; d’é­crire contre elle, et même d’en par­ler, ni même de par­ler de ses causes et motifs, de l’ins­ti­tut, des règles, des consti­tu­tions, de la dis­ci­pline de la Société ou de toute autre chose rela­tive à cette affaire, et cela à moins d’une per­mis­sion expresse du Souverain Pontife. Nous défen­dons à tous et à cha­cun, sous peine d’ex­com­mu­ni­ca­tion réser­vée à nous et à nos suc­ces­seurs, de prendre texte de cette sup­pres­sion pour oser atta­quer ou pro­vo­quer, en secret ou en public, de vive voix ou par écrit, par des dis­putes, injures, affronts, et par tout autre genre de mépris qui que ce soit et encore bien moins ceux qui ont fait par­tie dudit Ordre.

Nous exhor­tons tous les princes chré­tiens, dont nous connais­sons l’at­ta­che­ment et le res­pect pour le Siège apos­to­lique, à déployer leur zèle et leurs soins, la force, l’au­to­ri­té et la puis­sance qu’ils ont reçues de Dieu, pour la défense et la pro­tec­tion de la Sainte Église romaine pour assu­rer la pleine et entière exé­cu­tion de ce Bref. Nous les enga­geons à adhé­rer à tous les articles qu’il ren­ferme, à éta­blir et publier de sem­blables décrets afin que l’exé­cu­tion de notre pré­sente volon­té ne soit pas, au sein des fidèles, une occa­sion de que­relles, de troubles ou de divisions.

Enfin nous exhor­tons tous les Chrétiens, et par les entrailles de Jésus-​Christ, notre Seigneur, nous les conju­rons de se rap­pe­ler que tous ont le même Maître qui est aux Cieux, le même Sauveur, qui nous a tous rache­tés au prix si pré­cieux de son sang, que tous nous avons été régé­né­rés par l’eau du Baptême, que tous nous sommes recon­nus enfants de Dieu et cohé­ri­tiers de Jésus-​Christ et nour­ris du pain de la parole divine et de la doc­trine catho­lique, que tous enfin ne for­mons plus qu’un même corps en Jésus-​Christ, que nous sommes les membres les uns des autres. Et c’est pour­quoi il est néces­saire qu’u­nis en même temps par le lien de cha­ri­té, tous les hommes gardent la paix entre eux et mettent tous leurs soins à s’ai­mer réci­pro­que­ment, car qui aime son pro­chain a accom­pli la loi. Qu’ils détestent sur­tout les offenses, les riva­li­tés, les dis­putes, les embûches et les autres fléaux ima­gi­nés, décou­verts, sus­ci­tés par le vieil enne­mi du genre humain, pour trou­bler l’Église de Dieu et entra­ver la féli­ci­té éter­nelle des Fidèles, sou­vent même sous le faux pré­texte des opi­nions de l’é­cole, sous l’ap­pa­rence d’une plus grande per­fec­tion chré­tienne. Que tous enfin tra­vaillent de tout leur pou­voir à acqué­rir la véri­table sagesse, qui a fait dire à saint Jacques (chap. III, Ep. can.V, 13) : » S’il y a par­mi vous quelque homme sage et docte, que par la ver­tu de sa conver­sa­tion il montre ses bonnes œuvres avec une sagesse pleine de dou­ceur. Si vous êtes ani­més d’un zèle amer, et si vos cœurs sont livrés à l’es­prit de dis­corde, ne vous enor­gueillis­sez pas par une gloire contraire à la véri­té. Car ce n’est point là cette sagesse qui des­cend d’en haut ; mais c’est une sagesse ter­restre, sen­suelle et dia­bo­lique. Où se trouvent l’en­vie et la dis­corde, se trouvent aus­si le désordre et toutes les œuvres mau­vaises. Cette sagesse qui des­cend du Ciel, au contraire, est modeste, paci­fique, rete­nue, acces­sible aux bons conseils, d’ac­cord avec les bons, pleine de misé­ri­corde, elle porte de bons fruits sans envie, car les paci­fiques sont ceux qui sèment dans la paix les fruits de la justice. »

Quant au pré­sent bref, alors même que les supé­rieurs et autres reli­gieux de ladite Société, ain­si que tous ceux qui auraient ou pré­ten­draient y avoir quelque inté­rêt, à un titre quel­conque, seraient dis­po­sés à ne pas l’ac­cep­ter, alors même qu’ils n’au­raient été ni appe­lés ni enten­dus, nous vou­lons qu’en aucun temps il ne puisse jamais être atta­qué, infir­mé ou inva­li­dé pour cause de subrep­tion, obrep­tion, nul­li­té ou inva­li­di­té, pour défaut d’in­ten­tion de notre part ou tout autre motif, quelque grand qu’il puisse être, non pré­vu, même essen­tiel, alors même, que dans les dis­po­si­tions qui pré­cèdent ou dans quel­qu’une d’entre elles nous aurions négli­gé les for­ma­li­tés d’u­sage ou les dis­po­si­tions qu’il aurait fal­lu obser­ver et prendre, ni pour tout autre point capi­tal, tiré soit du droit, soit de quelque cou­tume, même impli­ci­te­ment conte­nue dans le Corpus juris, sous le pré­texte d’une énorme, d’une très énorme et entière lésion, ni enfin sous tous autres pré­textes, motifs ou causes, quelque justes, rai­son­nables ou pri­vi­lé­giés qu’ils puissent être, même s’ils auraient dû être néces­sai­re­ment énon­cés pour la vali­di­té du conte­nu de ce bref. Nous défen­dons qu’il soit jamais dis­cu­té, atta­qué, inva­li­dé, rétrac­té ou por­té en jus­tice, qu’on invoque contre lui le droit de res­ti­tu­tion en entier, de dis­cus­sion, de réduc­tion, par les voies et termes de droit, ou par quelque autre moyen à obte­nir de droit, de fait, de grâce ou de jus­tice, de quelque manière qu’il eût pu être accor­dé et obte­nu pour s’en ser­vir tant en jus­tice qu’au­tre­ment. Nous vou­lons expres­sé­ment que le pré­sent bref soit dès ce moment, dès main­te­nant et à per­pé­tui­té valide, stable et effi­cace ; qu’il pro­duise et garde son plein et entier effet, et qu’il soit invio­la­ble­ment obser­vé par tous et par cha­cun de ceux à qui il appar­tient et appar­tien­dra dans la suite, de quelque manière que ce soit d’en assu­rer l’observation.

C’est ain­si, et non autre­ment, que devront être exé­cu­tées toutes les clauses des pré­sentes et cha­cune en par­ti­cu­lier par tous les juges ordi­naires ou délé­gués même les audi­teurs aux causes du palais apos­to­lique, par les car­di­naux de la sainte Église romaine et même les légats a latere, par les nonces du St-​Siège et autres char­gés pour le pré­sent ou à l’a­ve­nir d’une auto­ri­té quel­conque dans une cause quel­conque. Nous leur enle­vons le pou­voir ou la facul­té à eux tous et à cha­cun en par­ti­cu­lier de juger, d’in­ter­pré­ter, de se pro­non­cer, de défi­nir, et décla­rons nuls et vains leurs actes si, par igno­rance ou sciem­ment, il leur arri­vait de por­ter à ce bref la moindre atteinte.

Et cela en dépit de toutes les consti­tu­tions ou règle­ments apos­to­liques, même faits dans les conciles géné­raux, non­obs­tant aus­si, en tant que de besoin, notre maxime de ne pri­ver per­sonne d’un droit acquis, quand bien même il s’a­gi­rait de sta­tuts, tra­di­tions, pri­vi­lèges, accor­dés même par ser­ment et confir­ma­tion apos­to­lique aux mai­sons, col­lèges, églises de ladite Société, ou encore de lettres apos­to­liques et indults accor­dés à ladite Société, à ses Supérieurs, reli­gieux et per­sonnes quel­conques, quelle qu’en soit la forme et la teneur, quelles qu’en soient les clauses déro­ga­toires et autres décrets de cas­sa­tion, décla­rant vain et sans valeur tout ce qui aurait pu leur être accor­dé pour une rai­son pareille, même en consis­toire ou autre­ment. Pour tous et pour cha­cun des règle­ments faits ci-​dessus, quand bien même il eut été néces­saire, même pour rendre une déro­ga­tion suf­fi­sante, de faire une men­tion expresse et for­melle de leur conte­nu, mot à mot, et sans les ren­fer­mer dans des clauses géné­rales qui en rendent le sens, quand même on eût dû se ser­vir de quelque autre expres­sion ou tour­nure par­ti­cu­lière, nous vou­lons qu’on regarde toutes ces for­mules comme si elles étaient réel­le­ment employées et insé­rées mot pour mot dans ce bref sans en avoir rien omis et comme si on y avait obser­vé l’ordre pres­crit ; nous vou­lons qu’on les tienne pour telles et qu’elles aient toute leur force pour l’exé­cu­tion des règle­ments ci-​dessus éta­blis. Et nous déro­geons spé­cia­le­ment et expres­sé­ment à toutes ces choses et à toutes les autres qui leur seraient contraires.

Nous vou­lons enfin qu’on ajoute, tant en jus­tice qu’au dehors, aux copies de ce bref, même impri­mées, pour­vu qu’elles aient été revê­tues de la signa­ture d’un notaire public quel­conque et munies du sceau de quelque per­son­nage revê­tu d’une digni­té ecclé­sias­tique, la même foi qu’on y ajou­te­rait si l’on exhi­bait et noti­fiait l’original.

Donné à Rome, à Sainte-​Marie Majeure, sous l’an­neau du pêcheur, le 21 juillet 1773 et la cin­quième année de notre Pontificat.

CLEMENT XIV, Pape.

Notes de bas de page
  1. Bénéfices sur une église, soit cathé­drale, soit col­lé­giale, et qui confé­rait le droit de pré­séance sur les autres cha­noines.[]