Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

8 septembre 1892

Lettre encyclique Magnæ Dei Matris

Sur le Rosaire en l’honneur de Marie

Table des matières

A nos Vénérables Frères, les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires des lieux en paix et en com­mu­nion avec le Siège Apostolique.
Léon XIII, Pape

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.

Confiance sans borne en Marie

Sentiments personnels du Saint-Père

Toutes les fois que l’occasion Nous est don­née d’exciter et d’accroître dans le peuple chré­tien l’amour et le culte de la glo­rieuse Mère de Dieu, Nous sommes inon­dé d’une joie et d’une satis­fac­tion mer­veilleuses, non seule­ment parce que la chose est par elle-​même très impor­tante et très féconde en excel­lents fruits, mais aus­si parce qu’elle s’harmonise de la plus suave façon avec les sen­ti­ments intimes de notre cœur. En effet, la pié­té envers Marie, pié­té que Nous avons sucée avec le lait, gran­dit vigou­reu­se­ment avec l’âge et s’affermit dans Notre âme ; car Nous voyons plus clai­re­ment com­bien était digne d’amour et d’honneur celle que Dieu lui-​même aima le pre­mier, et d’une telle dilec­tion que, l’ayant éle­vée au-​dessus de toutes les créa­tures et ayant ornée des dons les plus magni­fiques, il la choi­sit pour sa mère. 

Témoignages de la bonté de Marie

De nom­breux et écla­tants témoi­gnages de sa bon­té et de sa bien­fai­sance envers Nous, que Nous ne pou­vons Nous rap­pe­ler sans la plus pro­fonde recon­nais­sance et sans que Nos yeux se mouillent de larmes, aug­men­tèrent en Nous cette même pié­té et l’enflamment plus vive­ment. A tra­vers les nom­breuses et redou­tables vicis­si­tudes qui sont sur­ve­nues, tou­jours elle a été Notre refuge, tou­jours Nous avons éle­vé vers elle Nos yeux sup­pliants ; ayant dépo­sé dans son sein toutes Nos tris­tesses, Notre soin assi­du a été de la prier de vou­loir bien se mon­trer en tout temps Notre mère et d’invoquer la pré­cieuse faveur de pou­voir lui témoi­gner en retour les sen­ti­ments du plus tendre des fils.

Depuis le souverain pontificat

Lorsque, dans la suite, par un mys­té­rieux des­sein de la pro­vi­dence de Dieu, il est arri­vé que Nous avons été appe­lé à cette chaire du bien­heu­reux Pierre, pour repré­sen­ter la per­sonne même de Jésus-​Christ dans son Eglise, ému du poids énorme de cette charge et n’ayant pour Nous sou­te­nir, aucune confiance dans Nos propres forces, Nous avons sol­li­ci­té avec plus d’instances les secours de l’assistance divine, par la mater­nelle inter­ces­sion de la bien­heu­reuse Vierge. Notre espé­rance, Nous sen­tons le besoin de le pro­cla­mer, n’a jamais été déçue dans le cours de Notre vie, ni sur­tout dans l’exercice de Notre suprême apostolat. 

Espérance de biens plus grands

Aussi cette même espé­rance Nous porte-​t-​elle main­te­nant à deman­der, sous les mêmes aus­pices et par la même inter­ven­tion, des biens plus nom­breux et plus consi­dé­rables, qui contri­buent éga­le­ment au salut du trou­peau du Christ et à l’heureux accrois­se­ment de la gloire de l’Eglise.

Redoublement de piété

Il est donc juste et oppor­tun, Vénérables Frères, que Nous inci­tions tous nos fils et que vous les exhor­tiez après Nous à célé­brer le pro­chain mois d’octobre, consa­cré à Notre Dame et Reine auguste du Rosaire, avec le redou­ble­ment de pié­té que réclament les besoins tou­jours grandissants.

Le Rosaire : Remède à la cor­rup­tion du Monde

I. Situation présente

a) Attaques contre la foi et la loi de Dieu

Par com­bien et par quels moyens de cor­rup­tion la malice du siècle s’efforce d’affaiblir et d’extirper entiè­re­ment la foi chré­tienne et l’observance de la loi divine, qui nour­rit la foi et lui fait por­ter des fruits, ce n’est déjà que trop visible ; déjà le champ du Seigneur, comme sous un souffle empes­té, est presque cou­vert d’une végé­ta­tion d’ignorance reli­gieuse, d’erreurs et de vices. 

b) Inertie ou complicité des pouvoirs publics

Et ce qui est plus cruel à pen­ser, loin qu’un frein soit impo­sé ou que de justes peines soient infli­gées à une per­ver­si­té si arro­gante et si cou­pable par ceux qui le peuvent et sur­tout qui le doivent, il arrive le plus sou­vent que leur iner­tie ou leur appui semble accroître la force du mal.

c) Effets désastreux

De là vient qu’on a à déplo­rer avec rai­son que les éta­blis­se­ments publics où sont ensei­gnés les sciences et les arts soient sys­té­ma­ti­que­ment orga­ni­sés de façon que le nom de Dieu n’y soit pas pro­non­cé, ou y soit outra­gé : à déplo­rer que la licence de publier par des écrits ou de faire entendre par la parole toutes sortes d’outrages contre le Christ-​Dieu et l’Eglise devienne de jour en jour plus impu­dente. Et ce qui n’est pas moins déplo­rable, c’est cet aban­don et cet oubli de la pra­tique chré­tienne qui résultent pour beau­coup et qui, s’ils ne sont pas une apos­ta­sie ouverte de la foi, y mènent cer­tai­ne­ment, la conduite de la vie n’ayant plus aucun rap­port avec la foi. Celui qui consi­dé­re­ra la confu­sion et la cor­rup­tion des choses les plus impor­tantes ne s’étonnera pas si les nations affli­gées gémissent sous le poids de la colère divine et fré­missent dans l’appréhension de cala­mi­tés plus graves encore.

II. Remède : La vie chrétienne et le Rosaire

Or, pour apai­ser la jus­tice de Dieu offen­sé et pour pro­cu­rer à ceux qui souffrent la gué­ri­son dont ils ont besoin, rien ne vaut mieux que la prière pieuse et per­sé­vé­rante, pour­vu qu’elle soit unie avec le sou­ci et la pra­tique de la vie chré­tienne, ce que Nous croyons devoir être prin­ci­pa­le­ment obte­nu par le Rosaire en l’honneur de Marie.

Origine et actualité de cette dévotion

Son ori­gine bien connue, que glo­ri­fient d’illustres monu­ments et que Nous-​mêmes avons plus d’une fois rap­pe­lée, atteste sa grande puis­sance. En effet, à l’époque où la secte des Albigeois, qui se don­nait l’apparence de défendre l’intégrité de la foi et des mœurs, mais qui, en réa­li­té, les trou­blait abo­mi­na­ble­ment et les cor­rom­pait, était une cause de grandes ruines pour beau­coup de peuples, l’Eglise com­bat­tit contre elle et contre les fac­tions conju­rées, non pas avec des sol­dats et des armes, mais prin­ci­pa­le­ment en lui oppo­sant la force du très saint Rosaire, dont la Mère de Dieu elle-​même don­na le rite à pro­pa­ger au patriarche Dominique ; et ain­si, magni­fi­que­ment vic­to­rieuse de tous les obs­tacles, elle pour­vut, et alors et dans la suite pen­dant des tem­pêtes sem­blables, au salut des siens, avec un suc­cès tou­jours glo­rieux. C’est pour­quoi, dans cette condi­tion des hommes et des choses que Nous déplo­rons, qui est affli­geante pour la reli­gion, très pré­ju­di­ciable au bien public, nous devons tous prier en com­mun avec une égale pié­té la sainte Mère de Dieu, afin d’éprouver heu­reu­se­ment, selon nos dési­rs, la même ver­tu de son Rosaire.

A. Le Rosaire : Ce qu’il exprime

a) Un appel à la Mère de la Miséricorde

Et, en effet, lorsque nous nous confions à Marie par la prière, nous nous confions à la Mère de la Miséricorde, dis­po­sée de telle sorte à notre égard que, quel que soit le besoin qui nous presse, sur­tout pour l’acquisition de la vie immor­telle, aus­si­tôt, de son propre mou­ve­ment, même sans être appe­lée, elle vient tou­jours à notre aide, et elle nous donne du tré­sor de cette grâce dont elle reçut de Dieu, dès le prin­cipe, la pleine abon­dance, afin de deve­nir digne d’être sa mère. Cette sur­abon­dance de la grâce, qui est le plus émi­nent des nom­breux pri­vi­lèges de la Vierge, l’élève de beau­coup au-​dessus de tous les hommes et de tous les anges et la rap­proche du Christ plus que toutes les autres créa­tures : C’est beau­coup pour un saint de pos­sé­der une quan­ti­té de grâce suf­fi­sante au salut d’un grand nombre ; mais, s’il en avait une quan­ti­té qui suf­fit au salut de tous les hommes du monde entier, ce serait le comble ; et cela existe dans le Christ et dans la Bienheureuse Vierge [1].

b) Sens de l’Ave Maria

Lors donc que nous la saluons pleine de grâce par les paroles de l’ange et que nous tres­sons en cou­ronne cette louange répé­tée, il est à peine pos­sible de dire com­bien nous lui sommes agréables et nous lui plai­sons : chaque fois, en effet, nous rap­pe­lons le sou­ve­nir de sa sublime digni­té, et de la rédemp­tion du genre humain que Dieu a com­men­cée par elle ; par là aus­si se trouve rap­pe­lé le lien divin et per­pé­tuel qui l’unit aux joies et aux dou­leurs, aux opprobres et aux triomphes du Christ pour la direc­tion et l’assistance des hommes en vue de l’éternité. Que s’il a plu au Christ, dans sa ten­dresse, de prendre si com­plè­te­ment notre res­sem­blance et de se dire et se mon­trer à tel point fils de l’homme et notre frère, afin de mieux faire écla­ter sa misé­ri­corde envers nous, Il a dû deve­nir sem­blable en tout à ses frères, afin d’être misé­ri­cor­dieux (Hb 2, 17) ; de même Marie, qui a été choi­sie pour être la mère de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, qui est notre frère, a été éle­vée par ce pri­vi­lège au-​dessus de toutes les mères, pour qu’elle répan­dît sur nous et nous pro­di­guât sa miséricorde.

c) Marie : notre Mère

En outre, si nous devons au Christ de nous avoir fait par­ti­ci­per au droit qui lui appar­te­nait en propre d’avoir Dieu pour père et de lui en don­ner le nom, nous lui devons éga­le­ment de nous avoir ten­dre­ment com­mu­ni­qué le droit d’avoir Marie pour mère et de lui en don­ner le nom. Et comme la nature elle-​même a fait du nom de mère le plus doux d’entre tous les noms, et de l’amour mater­nel comme le type de l’amour tendre et dévoué, la langue ne peut pas expri­mer, mais les âmes pieuses sentent com­bien brûle en Marie la flamme d’une affec­tion géné­reuse et effec­tive, en Marie qui est, non pas humai­ne­ment, mais par le Christ, notre Mère.

d) Elle connaît tous nos besoins

Ajoutons qu’elle voit et qu’elle connaît beau­coup mieux que toute autre ce qui nous concerne : les secours dont nous avons besoin dans la vie pré­sente, les périls publics ou pri­vés qui nous menacent, les dif­fi­cul­tés et les maux dans les­quels nous nous trou­vons, sur­tout la viva­ci­té de la lutte pour le salut de notre âme contre des enne­mis achar­nés ; en tout cela et dans les autres épreuves de la vie, bien plus que toute autre elle peut et elle désire appor­ter à ses fils ché­ris la conso­la­tion, la force, les secours de tout genre.

e) Ayons donc confiance

C’est pour­quoi adressons-​nous à Marie har­di­ment et avec ardeur, la sup­pliant par ces liens mater­nels qui l’unissent si étroi­te­ment à Jésus et à nous ; invo­quons avec pié­té son assis­tance par la prière qu’elle-même a dési­gnée et qui lui est si agréable ; alors nous pour­rons nous repo­ser avec sécu­ri­té et allé­gresse dans la pro­tec­tion de la meilleure des mères.

B. Le Rosaire : Ce qu’il produit

a) Il nourrit et protège la foi

A ce titre de recom­man­da­tion pour le Rosaire qui res­sort de la prière même qui le com­pose, il faut ajou­ter qu’il offre un moyen pra­tique facile d’inculquer et de faire péné­trer dans les esprits les dogmes prin­ci­paux de la foi chré­tienne ; ce qui est un autre titre très noble de recommandation.

1. Ce qu’est la foi
Rôle et objet

C’est, en effet, par la foi avant tout que l’homme monte direc­te­ment et sûre­ment vers Dieu et qu’il apprend à révé­rer d’esprit et de cœur la majes­té immense de ce Dieu unique, son auto­ri­té sur toutes choses, sa sou­ve­raine puis­sance, sa sagesse, sa pro­vi­dence : Car il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu’il existe et qu’il récom­pense ceux qui le cherchent (Hb 11, 6). Mais parce que le Fils éter­nel de Dieu a pris l’humanité, qu’il luit à nos yeux et se pré­sente comme la voie, la véri­té, la vie, il est, à cause de cela, néces­saire que notre foi embrasse les pro­fonds mys­tères de l’auguste Trinité des per­sonnes divines et du Fils unique du Père fait homme : La vie éter­nelle consiste en ce qu’ils vous connaissent, vous le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-​Christ (Jn 17, 3).

Immense bienfait

Dieu nous a gra­ti­fiés d’un immense bien­fait lorsqu’il nous a gra­ti­fiés de cette sainte foi ; par ce don, non seule­ment nous sommes éle­vés au-​dessus de la nature humaine, comme étant deve­nus contem­pla­teurs et par­ti­ci­pants de la nature divine, mais nous avons un prin­cipe de mérite supé­rieur pour les célestes récom­penses ; et, en consé­quence, nous avons la ferme espé­rance que le jour vien­dra où il nous sera don­né de voir Dieu, non plus par une image tra­cée dans les choses créées, mais en lui-​même, et de jouir éter­nel­le­ment du sou­ve­rain bien.

2. Danger de la perdre

Mais le chré­tien est tel­le­ment pré­oc­cu­pé par les sou­cis divers de la vie et si faci­le­ment dis­trait par les choses de peu, que, s’il n’est pas sou­vent aver­ti, il oublie peu à peu les choses les plus impor­tantes et les plus néces­saires, et il arrive ain­si que sa foi lan­guit et même s’éteint.

3. Moyen de la préserver : le Rosaire

Pour pré­ser­ver ses fils de ce grand péril de l’ignorance, l’Eglise n’omet aucun des moyens sug­gé­rés par sa sol­li­ci­tude et sa vigi­lance, et le Rosaire en l’honneur de Marie n’est pas le der­nier qu’elle emploie dans le but de venir en aide à la foi. 

Principaux mystères contemplés

Le Rosaire, en effet, avec une très belle et fruc­tueuse prière reve­nant dans un ordre réglé, amène à contem­pler et à véné­rer suc­ces­si­ve­ment les prin­ci­paux mys­tères de notre reli­gion : ceux, en pre­mier lieu, par les­quels le Verbe s’est fait chair, et Marie, mère et tou­jours vierge, accepte avec une sainte joie cette mater­ni­té ; ensuite les amer­tumes, les tour­ments, le sup­plice du Christ souf­frant, qui ont payé le salut de notre race ; puis ses mys­tères glo­rieux, son triomphe sur la mort, son ascen­sion dans le ciel, l’envoi du Saint-​Esprit, la splen­deur rayon­nante de Marie reçue par des­sus les astres, enfin la gloire éter­nelle de tous les saints asso­ciés à la gloire de la Mère et du Fils.

Piété sans cesse renouvelée

La série ordon­née de toutes ces mer­veilles est fré­quem­ment et assi­dû­ment pré­sen­tée à l’esprit des fidèles et se déroule comme sous leurs yeux ; aus­si le Rosaire inonde-​t-​il l’âme de ceux qui le récitent dévo­te­ment d’une dou­ceur de pié­té tou­jours nou­velle, leur don­nant la même impres­sion et émo­tion que s’ils enten­daient la propre voix de leur très misé­ri­cor­dieuse Mère leur expli­quant ses mys­tères et leur adres­sant de salu­taires exhor­ta­tions. C’est pour­quoi il est per­mis de dire que chez les per­sonnes, dans les familles et par­mi les peuples où la pra­tique du Rosaire est res­tée en hon­neur comme autre­fois, il n’y a pas à craindre que l’ignorance et les erreurs empoi­son­nées détruisent la foi.

b) Il soutient la vie morale

La foi sans les œuvres est une foi morte

Mais il y a une autre uti­li­té non moins grande que l’Eglise attend du Rosaire pour ses fils : c’est qu’ils conforment mieux leur vie et leurs mœurs à la règle et aux pré­ceptes de la sainte foi. Si, en effet, selon la divine parole connue de tous : La foi sans les œuvres est une foi morte , parce que la foi tire sa vie de la cha­ri­té et que la cha­ri­té se mani­feste en une mois­son d’actions saintes, le chré­tien ne tire­ra aucun pro­fit de sa foi pour l’éternité, s’il ne règle sur elle sa vie : Que sert à quelqu’un, mes frères, de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres ? Est-​ce que la foi pour­ra le sau­ver ? Cette classe d’homme encour­ra, au jour du juge­ment, des reproches bien plus sévères de la part du Christ que ceux qui ont le mal­heur d’ignorer la foi et la morale chré­tiennes ; car ceux-​ci ne com­mettent pas la faute des autres, de croire d’une manière et de vivre d’une autre ; mais, parce qu’ils sont pri­vés de la lumière de l’Evangile, ils ont une cer­taine excuse, ou du moins cer­tai­ne­ment leur faute est moins grande.

L’action du Christ
Exemples entraînant du Sauveur

Pour que la foi que nous pro­fes­sons pro­duise l’heureuse mois­son de fruits qui convient, la contem­pla­tion des mys­tères peut admi­ra­ble­ment ser­vir, en enflam­mant les âmes à la pour­suite de la ver­tu. Quel sublime et écla­tant exemple ne nous offre pas, sur tous les points, l’œuvre de salut de Notre-​Seigneur Jésus-Christ !

Le Dieu tout-​puissant, pres­sé par l’excès de son amour pour nous, se réduit à l’infime condi­tion de l’homme ; il habite et il converse fra­ter­nel­le­ment, comme l’un de nous, au milieu de nous ; il prêche et il enseigne toute jus­tice aux par­ti­cu­liers et aux foules, maître émi­nent par la parole, Dieu par l’autorité. Il se donne tout entier au bien de tous ; il gué­rit ceux qui souffrent de mala­dies cor­po­relles, et sa pater­nelle misé­ri­corde apporte le sou­la­ge­ment aux mala­dies plus graves des âmes ; à ceux-​là sur­tout qu’éprouve la peine ou que fatigue le poids des inquié­tudes il adresse le plus tou­chant appel : Venez à moi vous tous qui tra­vaillez et qui êtes char­gés, et je vous sou­la­ge­rai (Mt 11, 28).

Influence de la grâce

Lui-​même, alors que nous repo­sons entre ses bras, nous souffle ce feu mys­tique qu’il a appor­té par­mi les hommes et pénètre de cette dou­ceur d’âme et de cette humi­li­té par les­quelles il désire que nous deve­nions par­ti­ci­pants de la vraie et solide paix dont il est l’auteur : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trou­ve­rez le repos pour vos âmes (Mt 11, 29). Et néan­moins, pour cette lumière de la sagesse céleste et cette insigne abon­dance de bien­faits dont il a gra­ti­fié les hommes, il a éprou­vé de leur part la haine et les plus indignes outrages, et, atta­ché à la croix, il a ver­sé son sang et sa vie, n’ayant pas de plus vif désir que de les enfan­ter à la vie par sa mort.

Amour ardent qu’il suscite

Il n’est pas pos­sible que l’on consi­dère atten­ti­ve­ment en soi-​même de tels témoi­gnages de l’immense amour de notre Rédempteur pour nous sans que la volon­té recon­nais­sante s’enflamme. La force de la foi éprou­vée sera si grande que, l’esprit de l’homme étant éclai­ré et son cœur vive­ment tou­ché, elle l’entraînera tout entier sur les pas du Christ, à tra­vers tous les obs­tacles, jusqu’à pou­voir répé­ter cette pro­tes­ta­tion digne de l’apôtre Paul : Qui donc nous sépa­re­ra de la cha­ri­té du Christ ? La tri­bu­la­tion, ou la pau­vre­té, ou la faim, ou la nudi­té, ou le péril, ou la per­sé­cu­tion, ou le glaive ? … (Rm 8, 35) Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus-​Christ qui vit en moi (Ga 2, 20).

L’action de la Vierge
Exemples de Marie

Mais, de peur que devant les exemples si sublimes don­nés par le Christ, Dieu et homme tout à la fois, la conscience de notre fai­blesse native ne nous décou­rage, en même temps que ses mys­tères ceux de sa très sainte Mère sont pla­cés sous nos yeux et offerts à notre méditation.

Vie pauvre et obscure

Elle est sor­tie, il est vrai, de la race royale de David, mais il ne lui reste rien des richesses ou de la gran­deur de ses aïeux ; elle mène une vie obs­cure, dans une humble ville, dans une mai­son plus humble encore, d’autant plus contente de son obs­cu­ri­té et de sa pau­vre­té qu’elle peut plus libre­ment éle­ver son esprit vers Dieu et s’attacher à ce bien suprême et aimé par-​dessus tout.

Grandeur et humilité

Et le Seigneur est avec elle, et il la comble des conso­la­tions de sa grâce ; un mes­sage céleste lui est envoyé, la dési­gnant comme celle qui, par la ver­tu du Saint-​Esprit, don­ne­ra nais­sance au Sauveur atten­du des nations. Plus elle admire la sublime élé­va­tion de sa digni­té et en rend grâces à la bon­té du Dieu puis­sant et misé­ri­cor­dieux, plus elle s’enfonce dans son humi­li­té, ne s’attribuant aucune ver­tu, et elle s’empresse de se pro­cla­mer la ser­vante du Seigneur alors qu’elle devient sa mère. Ce qu’elle a sain­te­ment pro­mis, elle l’accomplit avec une sainte ardeur, sa vie étant dès lors en intime com­mu­nion, pour la joie et pour les larmes, avec celle de son Fils Jésus.

Royauté universelle

C’est ain­si qu’elle attein­dra une hau­teur de gloire où per­sonne, ni homme, ni ange, ne s’élèvera, parce que per­sonne ne pour­ra lui être com­pa­ré, pour le mérite et la ver­tu ; ain­si la cou­ronne du royaume d’en haut et du royaume d’ici-bas lui est réser­vée, parce qu’elle devien­dra l’invincible reine des mar­tyrs ; ain­si, dans la cité céleste de Dieu elle sera assise éter­nel­le­ment, la cou­ronne sur la tête, à côté de son Fils, parce que constam­ment pen­dant toute sa vie, plus constam­ment encore sur le Calvaire, elle aura bu avec lui le calice d’amertume.

Contempler et imiter

Voici donc que, dans sa sagesse et sa bon­té, Dieu nous a don­né dans Marie le modèle de toutes les ver­tus le plus à notre por­tée. En la consi­dé­rant et la contem­plant, nos esprits ne se sentent pas comme écra­sés par l’éclat de la divi­ni­té ; mais, au contraire, atti­rés par la paren­té d’une com­mune nature, nous tra­vaillons avec plus de confiance à l’imiter. Si nous nous don­nons tout entiers à cette œuvre, avec son assis­tance sur­tout, il nous sera cer­tai­ne­ment pos­sible de repro­duire en nous au moins quelques traits d’une si grande ver­tu et d’une si par­faite sain­te­té, et, imi­tant l’admirable confor­mi­té de sa vie à toutes les volon­tés de Dieu, il nous sera don­né de la suivre dans le ciel.

III. Conclusion : Prions par Marie

A. Recommandation à tous

a) Nos besoins sont grands

Poursuivons vaillam­ment et fer­me­ment, quelque pénible et quelque embar­ras­sé de dif­fi­cul­tés qu’il soit, notre pèle­ri­nage ter­restre ; au milieu du labeur et des épreuves, ne ces­sons pas de tendre vers Marie nos mains sup­pliantes, en disant avec l’Eglise : Nous sou­pi­rons vers vous, gémis­sant et pleu­rant, dans cette val­lée de larmes… Tournez vers nous vos regards misé­ri­cor­dieux. Donnez-​nous une vie pure, ouvrez-​nous un che­min sûr, afin que, contem­plant Jésus, nous nous réjouis­sions à jamais avec vous ! [2]

b) Marie est notre Mère

Et Marie, qui, sans en avoir jamais subi per­son­nel­le­ment l’épreuve, sait com­bien notre nature est faible et vicieuse, et qui est la meilleure et la plus dévouée des mères, avec quel à‑propos et quelle géné­ro­si­té elle vien­dra à notre aide ! avec quelle ten­dresse elle nous conso­le­ra ! avec quelle force elle nous sou­tien­dra ! Marchant par la route que le sang divin du Christ et les larmes de Marie ont consa­crée, nous sommes cer­tains de par­ve­nir sans dif­fi­cul­tés à la par­ti­ci­pa­tion de leur bien­heu­reuse gloire.

c) Le rosaire est efficace

Le Rosaire en l’honneur de la Vierge Marie, dans lequel se trouvent si bien et si uti­le­ment réunis une excel­lente for­mule de prière, un moyen effi­cace de conser­ver la foi et un insigne modèle de ver­tu par­faite, est donc entiè­re­ment digne d’être fré­quem­ment aux mains des vrais chré­tiens et d’être pieu­se­ment réci­té et médité.

B. Recommandation spéciale

La Confrérie de la Sainte-Famille

Nous adres­sons par­ti­cu­liè­re­ment ces exhor­ta­tions à la confré­rie de la Sainte-​Famille, que Nous avons récem­ment approu­vée et recom­man­dée. Puisque le mys­tère de la vie long­temps silen­cieuse et cachée de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, entre les murs de la mai­son de Nazareth, est la rai­son d’être de cette confré­rie, qui a pour but d’obtenir que les familles chré­tiennes s’appliquent à se mode­ler sur l’exemple de la très sainte Famille, divi­ne­ment consti­tuée, les liens par­ti­cu­liers qui la rat­tachent au Rosaire sont évi­dents, spé­cia­le­ment en ce qui regarde les mys­tères joyeux qui se sont accom­plis lorsque Jésus, après avoir mon­tré sa sagesse dans le temple, vint avec Marie et Joseph à Nazareth, où il leur était sou­mis, pré­pa­rant les autres mys­tères qui devaient le mieux contri­buer à ins­truire et à rache­ter les hommes. Que tous les asso­ciés s’appliquent donc, cha­cun dans la mesure de ses moyens, à culti­ver et à pro­pa­ger la dévo­tion du Rosaire.

C. Même indulgences

Pour ce qui Nous regarde, Nous confir­mons les conces­sions d’indulgences que Nous avions faites les années pré­cé­dentes en faveur de ceux qui accom­pli­ront pen­dant le mois d’octobre ce qui est pres­crit à cet effet. Nous comp­tons beau­coup, véné­rables Frères, sur votre auto­ri­té et votre zèle pour que le Rosaire soit réci­té, avec une ardente pié­té, en l’honneur de la Vierge, secours des chrétiens.

D. Intentions précisées

L’Eglise et le Pape

Mais Nous vou­lons que la pré­sente exhor­ta­tion finisse, comme elle a com­men­cé, par le témoi­gnage renou­ve­lé avec plus d’insistance de Notre recon­nais­sance et de Notre confiance envers la glo­rieuse Mère de Dieu. Nous deman­dons au peuple chré­tien de por­ter à ses autels ses prières sup­pliantes et pour l’Eglise, bal­lot­tée par tant de contra­dic­tions et de tem­pêtes, et pour Nous-​même qui, avan­cé en âge, fati­gué par les labeurs, aux prises avec les dif­fi­cul­tés les plus graves, dénué de tout secours humain, tenons le gou­ver­nail de l’Eglise.

Espoir grandissant

En Marie, Notre puis­sante et tendre Mère, Notre espoir va tous les jours gran­dis­sant et Nous est de plus en plus doux. Si Nous attri­buons à son inter­ces­sion de nom­breux et signa­lés bien­faits reçus de Dieu, Nous lui attri­buons avec une par­ti­cu­lière recon­nais­sance la faveur d’atteindre bien­tôt le cin­quan­tième anni­ver­saire de Notre ordi­na­tion épiscopale.

Long pastoral

C’est assu­ré­ment une grande chose pour qui consi­dère une si longue durée du minis­tère pas­to­ral, sur­tout ayant encore à l’exercer avec une sol­li­ci­tude de tous les jours, dans la conduite du peuple chré­tien tout entier. Pendant cet espace de temps, en Notre vie, comme en celle de tout homme, comme dans les mys­tères du Christ et de sa mère, ni les motifs de joie n’ont man­qué, ni de nom­breuses et graves causes de dou­leur n’ont été absentes ; des sujets de Nous glo­ri­fier en Jésus-​Christ Nous ont été don­nés aus­si. Toutes ces choses, avec sou­mis­sion et recon­nais­sance envers Dieu, Nous Nous sommes appli­qué à les faire ser­vir au bien et à l’honneur de l’Eglise.

Joie et douleurs

Dans la suite, car le reste de Notre vie ne sera pas dis­sem­blable, si de nou­velles joies ou de nou­velles dou­leurs sur­viennent, si quelques rayons de gloire brillent, per­sé­vé­rant dans les mêmes sen­ti­ments et ne deman­dant à Dieu que la gloire céleste, Nous dirons avec David : Que le nom du Seigneur soit béni : que la gloire ne soit point pour nous, Seigneur, qu’elle ne soit point pour nous, mais pour votre nom [3].

Actions de grâces et vœux

Nous atten­dons de Nos fils, que Nous voyons ani­més pour Nous de tant de pieuse affec­tion, moins des féli­ci­ta­tions et des louanges que des actions de grâces, des prières et des vœux offerts au Dieu très bon ; plei­ne­ment heu­reux s’ils obtiennent pour Nous que ce qui Nous reste de vie et de force, ce que Nous pos­sé­dons d’autorité et de grâce, serve uni­que­ment au plus grand bien de l’Eglise et avant tout à rame­ner et à récon­ci­lier les enne­mis et les éga­rés que Notre voix appelle depuis longtemps.

Sainteté et prospérité

Que de la fête pro­chaine qui, si Dieu le per­met, Nous réjoui­ra, découle pour Nos fils bien-​aimés la jus­tice, la paix, la pros­pé­ri­té, la sain­te­té et l’abondance de tous les biens ; voi­là ce que Notre cœur pater­nel sol­li­cite de Dieu, voi­là ce que nous expri­mons par les paroles divines : « Entendez-​moi… et fruc­ti­fiez comme la rose plan­tée sur le bord des eaux ; soyez par­fu­més d’un doux par­fum comme le Liban. Fleurissez comme le lis, et don­nez votre par­fum, et couvrez-​vous d’un gra­cieux feuillage, et chan­tez le can­tique de la louange, et bénis­sez le Seigneur dans ses œuvres. Glorifiez son nom, confessez-​le de bouche et dans vos can­tiques et sur vos cithares… Louez de cœur et de bouche et bénis­sez le nom du Seigneur. » (Si 39, 17–20 ; 41)

Si ces réso­lu­tions et ces vœux ren­contrent l’opposition des méchants qui blas­phèment tout ce qu’ils ignorent, que Dieu daigne leur par­don­ner ; que par l’intercession de la Reine du très saint Rosaire, il nous soit pro­pice ; comme augure de cette faveur et comme gage de Notre bien­veillance, rece­vez, Vénérables Frères, la béné­dic­tion apos­to­lique que Nous vous accor­dons affec­tueu­se­ment dans le Seigneur, à vous, à votre cler­gé et à votre peuple.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 8 sep­tembre 1892, la quin­zième année de Notre Pontificat.

LEON XIII, Pape.

Notes de bas de page
  1. S. Thomas d’Aquin, op. VIII, sur la Salutation angé­lique[]
  2. Office romain, Ant. Salve Regina[]
  3. Ps 112, 2 ; Ps 108, 1[]