Paul VI

262e pape ; de 1963 à 1978

15 septembre 1966

Lettre encyclique Christi Matri

Sur la mère du Christ pour obtenir la paix dans le monde

Table des matières

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 15 sep­tembre 1966, en la qua­trième année de Notre Pontificat 

A Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires des lieux, au cler­gé et aux fidèles du monde entier

Vénérables Frères,

Introduction

Durant le mois d’oc­tobre, le peuple fidèle a cou­tume d’of­frir la réci­ta­tion du rosaire comme autant de cou­ronnes à la Mère de Dieu.

A l’exemple de Nos pré­dé­ces­seurs, Nous approu­vons vive­ment cette pra­tique. Cette année, Nous convions tous les enfants de l’Eglise à un hom­mage plus par­ti­cu­lier de pié­té envers Notre-​Dame. Et cela en rai­son des menaces de cala­mi­tés graves et éten­dues qui pèsent sur la famille humaine : en Asie orien­tale se pour­suit un conflit san­glant et se déchaîne une guerre achar­née. De ce fait, Nous Nous trou­vons pres­sé d’in­ten­si­fier tout l’ef­fort pos­sible en faveur de la paix.

Vient s’a­jou­ter à Nos pré­oc­cu­pa­tions ce que Nous appre­nons d’autres régions du monde : la course aux arme­ments nucléaires, l’am­bi­tion incon­trô­lée d’ex­pan­sion natio­nale, l’exal­ta­tion déme­su­rée de la race, les ten­dances sub­ver­sives, la sépa­ra­tion impo­sée entre citoyens d’un même pays, les manœuvres cri­mi­nelles, le meurtre de per­sonnes inno­centes. Tout cela peut don­ner lieu aux pires catastrophes.

La Providence Nous impose, semble-​t-​il, à Nous comme à Nos plus récents pré­dé­ces­seurs, la mis­sion par­ti­cu­lière de consa­crer Nos efforts patients et constants à la sau­ve­garde et à l’af­fer­mis­se­ment de la paix. Ce devoir découle évi­dem­ment du man­dat qui Nous est confié de conduire l’Eglise entière. Celle-​ci, « signe dres­sé devant les nations » Is 11,12, ne sert pas d’in­té­rêts poli­tiques, mais elle doit appor­ter au genre humain la véri­té et la grâce de Jésus-​Christ, son divin Fondateur.

En réa­li­té, depuis les débuts de Notre minis­tère apos­to­lique, Nous n’a­vons rien négli­gé pour la cause de la paix, ni prière adres­sée à Dieu, ni ins­tances, ni exhor­ta­tions, et même l’an der­nier, Nous Nous sommes ren­du en Amérique du Nord afin de par­ler au siège de l’Organisation des Nations Unies du bien si dési­ré de la paix, et de recom­man­der qu’on ne laisse pas des peuples en état d’in­fé­rio­ri­té par rap­port à d’autres, que les uns ne s’at­taquent point aux autres, mais que tous conjuguent leur zèle et leur action pour éta­blir la paix.

Par la suite, Nous n’a­vons ces­sé d’en­cou­ra­ger les hommes à qui incombe cette lourde res­pon­sa­bi­li­té d’é­car­ter de l’hu­ma­ni­té l’é­pou­van­table fléau qui pour­rait survenir.

Au nom du Seigneur, Nous crions : » Arrêtez ! »

Maintenant encore, Nous éle­vons Notre voix « avec un grand cri et des larmes » He 5,7 pour sup­plier ins­tam­ment les diri­geants des nations de tout ten­ter pour empê­cher la pro­pa­ga­tion de l’in­cen­die et pour éteindre com­plè­te­ment celui-​ci. Nous n’en dou­tons pas : les hommes de toute race, de toute cou­leur, de toute reli­gion, de toute classe sociale, s’ils aiment le droit et l’hon­nê­te­té, par­tagent Notre sentiment.

Que tous ceux dont cela dépend ménagent les condi­tions néces­saires à la ces­sa­tion des hos­ti­li­tés avant que ne leur échappe, par le poids même des évé­ne­ments, la pos­si­bi­li­té de dépo­ser les armes.

Que ceux-​là au pou­voir des­quels est remis le salut de la famille humaine sachent que leur conscience est char­gée d’une très grave obli­ga­tion. Qu’ils inter­rogent cette conscience et sondent leur propre cœur ; que cha­cun veuille bien regar­der et sa propre nation et le monde, et Dieu, et l’his­toire ; qu’ils songent que leur nom res­te­ra en béné­dic­tion s’ils répondent avec sagesse à cette pres­sante invitation.

Au nom du Seigneur, Nous crions : « Arrêtez ! » Il faut se ren­con­trer ; il faut en venir a confé­rer et à négo­cier en toute sin­cé­ri­té. C’est main­te­nant qu’il faut régler les conflits, même avec quelque incon­vé­nient et quelque désa­van­tage ; car il fau­dra bien qu’ils soient réglés non sans peut-​être d’é­normes dom­mages et des désastres dont, pour le moment, nul ne peut ima­gi­ner l’hor­reur. La paix doit être cepen­dant basée sur la jus­tice et la liber­té, elle doit donc res­pec­ter les droits des hommes et des com­mu­nau­tés – autre­ment, elle serait pré­caire et instable.

La prière pour la paix pendant le mois du Rosaire

Tout en expri­mant de la sorte Notre anxié­té et Notre émoi, Nous devons, comme le dicte Notre res­pon­sa­bi­li­té pas­to­rale, implo­rer le secours d’en haut. A celui qui est « le Prince de la Paix » Is 9,5, il faut deman­der la paix, « ce bien si grand que par­mi les biens de la terre et du temps on n’en­tend men­tion­ner rien de plus appré­cié, on ne sau­rait sou­hai­ter rien de plus dési­rable, trou­ver rien de meilleur » (Saint Augustin, De civi­tate Dei, XIX, 11, PL, 41,637)

Puisque aux époques d’in­cer­ti­tude et de trouble, l’Eglise a l’ha­bi­tude de recou­rir à l’in­ter­ces­sion de Marie, sa Mère, c’est vers celle-​ci que Nous Nous tour­nons. vers elle que Nous orien­tons votre pen­sée et celle de tous les chré­tiens. Car, selon le mot de saint Irénée, « elle est deve­nue le salut du genre humain tout entier » (Adv. haer., 3,22 ; PG, 7,959).

Rien ne Nous paraît répondre plus par­fai­te­ment aux cir­cons­tances actuelles que de faire mon­ter la sup­pli­ca­tion de toute la famille chré­tienne vers la Mère de Dieu invo­quée comme « Reine de la Paix », afin que par­mi tant et de si graves misères elle dis­pense lar­ge­ment les dons de sa bon­té maternelle.

Marie, Mère de l’Eglise

Il faut, disons-​Nous, adres­ser une prière intense et per­sé­vé­rante à celle que Nous avons pro­cla­mée, au cours du second Concile oecu­mé­nique du Vatican, Mère de l’Eglise. Par cette recon­nais­sance du fait que Marie a spi­ri­tuel­le­ment enfan­té l’Eglise, Nous confir­mions un point de la doc­trine tra­di­tion­nelle : Marie est « vrai­ment Mère des membres du Christ », dit saint Augustin (De sanct. virg., 6 ; PL, 40,399), à qui fait écho, sans par­ler des autres, saint Anselme : « Quelle digni­té plus haute pourra-​t-​on jamais lui recon­naître que celle d’être la Mère de ceux-​là dont le Christ daigne être le Père et le Frère ? » (De sanct. virg., 6 ; PL, 40,399). Notre pré­dé­ces­seur Léon XIII a même appe­lé Notre-​Dame « en toute véri­té Mère de l’Eglise » (Encyclique Adiutricem popu­li chris­tia­ni) C’est donc en toute assu­rance que Nous met­tons Notre espoir en elle dans l’é­moi et la crainte qu’ins­pirent les troubles actuels.

Le Rosaire

Puisque la pitié de Dieu gran­dit quand les maux deviennent plus graves, Notre sou­hait le plus vif, Vénérables Frères, est que sui­vant votre ini­tia­tive, vos invi­ta­tions et votre impul­sion, on invoque plus ins­tam­ment durant le mois d’oc­tobre Marie notre Mère, comme Nous l’a­vons déjà fait entendre, par la pra­tique pieuse du Rosaire. C’est là une forme de prière très agréable à la Mère du Seigneur et très effi­cace pour obte­nir les dons du ciel.

Cette prière, le second Concile oecu­mé­nique du Vatican l’a recom­man­dée à tous les enfants de l’Eglise en disant : « Qu’on fasse grand cas de ces pra­tiques et exer­cices de dévo­tion envers Marie que le magis­tère a recom­man­dés au cours des siècles » LG 67.

Cette pra­tique si féconde ne sert pas seule­ment à endi­guer le mal et à conju­rer les désastres, comme le montre clai­re­ment l’his­toire de l’Eglise. Elle favo­rise aus­si gran­de­ment la vita­li­té chré­tienne : » Avant tout, elle nour­rit la foi catho­lique en fai­sant médi­ter fort à pro­pos les mys­tères du salut, et elle élève notre pen­sée au niveau des véri­tés de la Révélation » (Pie XI, ency­clique Ingravescentibus Malis).

Le 4 octobre, journée de prière pour la paix

Ainsi donc, durant le pro­chain mois d’oc­tobre, dédié à Notre-​Dame du Rosaire, qu’on redouble de prières et de sup­pli­ca­tions ! Que par l’in­ter­ces­sion de Marie brille enfin pour le monde entier l’au­rore de la véri­table paix – la paix dans tous les domaines y com­pris celui de la pra­tique reli­gieuse ; car actuel­le­ment, hélas la liber­té de pro­fes­ser sa reli­gion n’est point assu­rée partout.

Plus spé­cia­le­ment Nous sou­hai­tons que le 4 octobre, anni­ver­saire de Notre visite à l’Organisation des Nations Unies, soit célé­bré cette année dans l’u­ni­vers catho­lique comme « un jour consa­cré à prier pour la paix ».

Il vous appar­tien­dra, Vénérables Frères, selon la pié­té qui vous dis­tingue et votre conscience de la gra­vi­té de la situa­tion, de pres­crire les actes reli­gieux par les­quels, ce jour-​là, les prêtres, les reli­gieux, le peuple fidèle, mais plus par­ti­cu­liè­re­ment les enfants ain­si que les malades et tous ceux qui souffrent, implo­re­ront la Mère de Dieu et de l’Eglise.

Pour Nous, dans la basi­lique Saint-​Pierre, près du tom­beau du Prince des apôtres, Nous adres­se­rons une prière toute spé­ciale à la Vierge, pro­tec­trice du monde chré­tien et garante de la paix. Ainsi la voix unique de l’Eglise, mon­tant de toutes les par­ties de la terre, ira comme frap­per à la porte du ciel. En effet, selon le mot de saint Augustin, « dans la diver­si­té des langues humaines qu’en­tendent nos oreilles, unique est le lan­gage de la foi qui anime nos cœurs »(Enarr. In Ps.54,11 ; PL, 36,636)

Prière à Marie pour la paix

O bien­heu­reuse Vierge, dans votre bon­té mater­nelle, regar­dez tous Vos enfants ! Voyez l’in­quié­tude des pas­teurs qui redoutent les hor­reurs d’une tem­pête pour le trou­peau confié à leur res­pon­sa­bi­li­té ; montrez-​vous atten­tive à l’an­goisse de tant d’hommes, pères et mères de famille, que pré­oc­cupe le sort de leurs enfants et le leur. Apaisez les bel­li­gé­rants et inspirez-​leur « des pen­sées de paix », faites que Dieu, ven­geur de la jus­tice lésée, agisse selon sa misé­ri­corde, res­ti­tue aux peuples la tran­quilli­té si dési­rée et leur assure une ère très longue de véri­table prospérité.

Dans le ferme espoir que la Sainte Mère de Dieu accueille­ra Notre humble demande, Nous vous accor­dons de tout cœur, à vous-​mêmes, Vénérables Frères, ain­si qu’à tout votre cler­gé et aux popu­la­tions confiées à vos soins, la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 15 sep­tembre 1966, en la qua­trième année de Notre Pontificat.