Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

15 mai 1956

Lettre encyclique Haurietis Aquas In Gaudio

Sur le culte rendu au Sacré-Cœur de Jésus

Donné à Rome, auprès de Saint-​Pierre, le 15 mai de l’an 1956

A nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres Ordinaires en paix et com­mu­nion avec le Siège Apostolique.

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.

1. « Vous pui­se­rez des eaux avec joie aux sources du Sauveur. » Par ces mots, le pro­phète Isaïe, en se ser­vant d’i­mages expres­sives, pré­di­sait ces dons de Dieu mul­tiples et sur­abon­dants que l’ère chré­tienne allait appor­ter. Ces mots, disons-​Nous, Nous viennent spon­ta­né­ment à l’es­prit, au moment de célé­brer le cen­te­naire du jour où Notre Prédécesseur d’im­mor­telle mémoire, Pie IX, condes­cen­dant volon­tiers aux vœux qui affluaient de tout le monde catho­lique, ordon­na de célé­brer la fête du Sacré-​Cœur de jésus dans l’Église universelle.

2. A la véri­té, il est impos­sible d’é­nu­mé­rer les dons célestes que le culte ren­du au Sacré-​Cœur de Jésus répand dans les cœurs des fidèles : il les puri­fie, les ranime par ses divines conso­la­tions et il les entraîne à l’ac­qui­si­tion de toutes les Vertus. C’est pour­quoi, Nous sou­ve­nant du mot très sage de l’a­pôtre saint Jacques : « Tout beau pré­sent, tout don par­fait vient d’en haut et des­cend du Père des lumières », Nous voyons à bon droit, dans ce culte même, qui plus ardent que jamais pros­père dans le monde entier, le don ines­ti­mable que le Verbe incar­né et notre divin Sauveur, en tant que média­teur unique de grâce et de véri­té entre son Père céleste et le genre humain, a com­mu­ni­qué à l’Église, sa mys­tique Épouse, dans le cours de ces der­niers siècles, où il lui faut sur­mon­ter tant de dif­fi­cul­tés et sup­por­ter tant d’é­preuves. Grâce à ce don ines­ti­mable, l’Église peut en effet mani­fes­ter une cha­ri­té plus ardente à l’é­gard de son divin Fondateur et, pour ain­si dire, réa­li­ser plus lar­ge­ment cette exhor­ta­tion que, nous dit saint jean l’Évangéliste, Jésus pro­fé­ra lui-​même : « Le der­nier jour de la fête, le plus solen­nel, Jésus debout, s’é­cria : “Si quel­qu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, Celui qui croit en moi, comme l’a dit l’Écriture, des fleuves d’eau vive cou­le­ront de son sein”. Il disait cela de l’Esprit que devaient rece­voir ceux qui croi­raient m lui ». Il n’é­tait pas dif­fi­cile pour ceux qui l’en­ten­daient par­ler, de rap­por­ter ces mots, par les­quels il pro­met­tait une source d’eau vive qui devait naître de leur sein, aux paroles des saints pro­phètes Isaïe, Ézéchiel et Zacharie dans leurs pré­dic­tions du règne du Messie, ou encore à cette pierre sym­bo­lique d’où l’eau jaillit mira­cu­leu­se­ment sous la verge de Moïse.

3. La cha­ri­té divine tire sa pre­mière source du Saint-​Esprit, qui est l’Amour per­son­nel tant du Père que du Fils au sein de l’au­guste Trinité. C’est donc très jus­te­ment que l’Apôtre des nations, fai­sant comme écho aux paroles de Jésus-​Christ, attri­bue l’ef­fu­sion de la cha­ri­té dans les âmes des fidèles à cet Esprit d’a­mour : « L’amour de Dieu a été répan­du dans nos cœurs par l’Esprit-​Saint qui nous a été don­né ».

4. Ce lien très étroit que les Saintes Écritures affirment inter­ve­nir entre la divine cha­ri­té, qui doit brû­ler dans les cœurs des chré­tiens, et l’Esprit-​Saint – qui est essen­tiel­le­ment Amour – nous dévoile à tous, Vénérables Frères, la nature intime elle-​même de ce culte que l’on doit rendre au très saint Cœur de Jésus-​Christ, car, s’il est mani­feste que ce culte, si nous consi­dé­rons sa nature par­ti­cu­lière, est l’acte de reli­gion par excel­lence – puis­qu’il requiert de notre part une volon­té pleine et abso­lue de nous vouer et consa­crer à l’a­mour du divin Rédempteur, dont son Cœur trans­per­cé est le vivant témoi­gnage et le signe, – de même il est éga­le­ment mani­feste, et dans un sens encore plus pro­fond, que ce même culte sup­pose avant tout que nous ren­dions amour pour amour à ce divin Amour, En effet, du fait seul de la cha­ri­té découle cette consé­quence que les cœurs des hommes se sou­mettent plei­ne­ment et par­fai­te­ment à l’au­to­ri­té suprême du Seigneur, puisque, en réa­li­té, le sen­ti­ment de notre amour s’at­tache à la volon­té divine au point de ne faire qu’un en quelque sorte, selon ce qui est dit : Celui qui s’u­nit au Seigneur n’est avec lui qu’un esprit ».

5. Pourtant, bien que l’Église ait eu et ait encore en telle estime le culte du Cœur très saint de Jésus, au point qu’elle prend soin de le pro­pa­ger et de le faire pros­pé­rer dans les peuples chré­tiens du monde entier, et qu’elle s’ef­force, en outre, de tout son pou­voir, de le défendre contre les attaques du natu­ra­lisme et du sen­ti­men­ta­lisme, il est néan­moins bien regret­table que dans les temps pas­sés, et même de nos jours, ce culte très noble ne jouisse pas d’une égale estime et d’un égal hon­neur prés de quelques chré­tiens, même par­fois de la part de ceux qui font montre de zèle pour la reli­gion et l’ac­qui­si­tion de la sainteté.

6. « Si tu savais le don de Dieu ». Par ces mots, Vénérables Frères, Nous, qui par un secret conseil de Dieu avons été choi­sis comme gar­dien et dis­pen­sa­teur de ce tré­sor de foi et de pié­té que le divin Rédempteur a confié à son Église, conscient du devoir de Noue charge, Nous aver­tis­sons tous ceux qui, bien qu’é­tant Nos fils, et bien que le culte du Sacré-​Cœur de Jésus, triom­phant, pour ain­si dire, des erreurs et de l’in­dif­fé­rence des hommes, se répande dans son Corps mys­tique, cèdent aux pré­ju­gés et opi­nions et vont par­fois jus­qu’à esti­mer ce culte moins adap­té, pour ne pas dire nui­sible, aux néces­si­tés spi­ri­tuelles de l’Église et de l’hu­ma­ni­té, les plus urgentes à l’heure actuelle.

Il n’en manque pas en effet qui, parce qu’ils confondent et mettent sur le même plan la nature supé­rieure de ce culte avec les formes par­ti­cu­lières et diverses de dévo­tion que l’Église approuve et favo­rise sans les com­man­der, pensent que ce culte est quelque chose de super­flu que cha­cun peut pra­ti­quer ou non à son gré ; cer­tains vont jus­qu’à pré­tendre que ce culte est impor­tun et de peu d’u­ti­li­té, voire même tout à fait inutile pour ceux qui militent pour le règne de Dieu, prin­ci­pa­le­ment dans le but de tra­vailler, en y consa­crant toutes leurs forces, leur temps et leurs res­sources, à la défense et pro­pa­ga­tion de la véri­té catho­lique, à la dif­fu­sion de la doc­trine sociale chré­tienne et à la mul­ti­pli­ca­tion des actes de reli­gion et des œuvres qu’ils estiment beau­coup plus néces­saires à notre époque.

Il n’en manque pas enfin qui, bien loin de voir dans ce culte une aide effi­cace pour réno­ver et réfor­mer hon­nê­te­ment les mœurs chré­tiennes, tant dans la vie pri­vée des indi­vi­dus que dans les familles, y voient plu­tôt une pié­té plus nour­rie de sen­si­bi­li­té que d’es­prit et de cœur, et pour cela plu­tôt digne des femmes ; car ils y voient quelque chose qui ne convient guère à des hommes cultivés.

7. Il y en a encore, d’autre part qui, du fait qu’ils consi­dèrent que ce culte fait appel sur­tout à la péni­tence, à l’ex­pia­tion et aux autres ver­tus qu’on déclare « pas­sives » parce que pri­vées appa­rem­ment de fruits exté­rieurs, ne l’es­timent pas propre à rani­mer la spi­ri­tua­li­té de notre époque à qui incombe e devoir d’en­tre­prendre une action franche et d’en­ver­gure pour le triomphe de la foi catho­lique et la défense vigou­reuse des mœurs chré­tiennes. Car ces mœurs, de nos jours, comme tout le monde le sait, se trouvent faci­le­ment enta­chées des erreurs de ceux qui pra­tiquent l’in­dif­fé­rence pour toute forme de reli­gion, sans que leur esprit dis­tingue le vrai du faux, et sont mal­heu­reu­se­ment péné­trés des prin­cipes du maté­ria­lisme athée et du laï­cisme.

8. Qui ne voit, Vénérables Frères, que de telles manières de pen­ser sont en totale oppo­si­tion avec les décla­ra­tions qu’ont faites solen­nel­le­ment de cette chaire de véri­té Nos Prédécesseurs, en approu­vant le culte du Sacré-​Cœur de Jésus ?

Qui ose­rait décla­rer inutile et moins adap­tée à notre pré­sente époque cette pié­té que Notre Prédécesseur d’im­mor­telle mémoire, Léon XIII, a décla­ré être « la forme de reli­gion la plus esti­mable ? » et il ne dou­tait pas qu’on y trou­vât un remède capable de gué­rir les maux qui, de nos jours mêmes, et sans aucun doute d’une manière plus ample et plus aiguë, inquiètent et font souf­frir les indi­vi­dus et la socié­té. « Cette consé­cra­tion qu’à tous Nous conseillons, sera pour tous d’un grand pro­fit », disait-​il. Et il y ajou­tait cet aver­tis­se­ment et cette exhor­ta­tion qui se rap­portent au culte même du Sacré-​Cœur de Jésus : « De là cette viru­lence des maux qui nous accablent et nous pressent vive­ment de deman­der le secours de Celui-​là seul qui a pou­voir de les éloi­gner. Qui peut-​il être Celui-​là, sinon Jésus-​Christ, Fils unique de Dieu ? » « Car il n’est sous le ciel aucun autre nom, par­mi ceux qui ont été don­nés chez les hommes, qui doive nous sau­ver ». « Il faut donc recou­rir à Celui qui est la Voie, la Vérité et la Vie ».

9. Et Notre Prédécesseur immé­diat d’heu­reuse mémoire, Pie XI, décla­rait éga­le­ment ce culte non moins recom­man­dable et non moins apte à nour­rir la pié­té chré­tienne quand il écri­vait dans son Encyclique : « Dans cette… forme de la dévo­tion, n’y a‑t-​il pas la syn­thèse de toute la reli­gion et plus encore la norme d’une vie plus par­faite, capable d’a­che­mi­ner les âmes à connaître plus pro­fon­dé­ment et plus rapi­de­ment le Christ Seigneur, à l’ai­mer plus ardem­ment, à l’i­mi­ter avec plus d’ap­pli­ca­tion et plus d’ef­fi­ca­ci­té ? »

Pour Nous, non moins que Nos Prédécesseurs, ce point capi­tal de véri­té Nous paraît évident et pro­bant ; et lorsque Nous avons pris en charge le sou­ve­rain pon­ti­fi­cat, Nous Nous sommes féli­ci­té de voir ce culte du Sacré-​Cœur de Jésus se déve­lop­per heu­reu­se­ment dans les nations chré­tiennes, triom­pha­le­ment pour ain­si dire. Nous Nous sommes réjoui des innom­brables fruits de salut qui en décou­laient sur l’Église tout entière. Il Nous a plu de le faire savoir dès Notre pre­mière Encyclique.

Ces fruits mêmes, au cours des années de Notre pon­ti­fi­cat – elles ne furent pas rem­plies seule­ment de peines et d’an­goisses, mais aus­si de conso­la­tions inef­fables – n’ont dimi­nué ni en nombre, ni en force, ni en beau­té ; mais ils ont plu­tôt aug­men­té. A la véri­té, des entre­prises variées ont heu­reu­se­ment vu le jour, capables de renou­ve­ler ce culte, tout en étant des plus adap­tées aux besoins de noue temps : des asso­cia­tions pour pro­mou­voir la culture de l’es­prit, la reli­gion et la bien­fai­sance ; des publi­ca­tions pour en expli­quer la doc­trine, des points de vue his­to­rique, ascé­tique et mys­tique ; des pra­tiques de répa­ra­tion et, sur­tout, men­tion­nons ces mani­fes­ta­tions de pié­té très ardente que mul­ti­plie l’Association de l’Apostolat de la Prière. On a vu, sur­tout, sous sa direc­tion et son impul­sion, des familles, des col­lèges, des Instituts et par­fois même des nations se consa­crer au très saint Cœur de Jésus, et plus d’une fois Nous Nous en sommes réjoui d’un cœur pater­nel dans des Lettres, des Allocutions publiques, ou même des Radiomessages que Nous avons don­nés à cette intention.

10. Aussi, en voyant cette féconde abon­dance des eaux de salut, c’est-​à-​dire des dons célestes de l’a­mour sur­na­tu­rel, jaillir du Cœur sacré de notre divin Rédempteur et se répandre sur les fils sans nombre de l’Église catho­lique, sous l’ins­pi­ra­tion et l’ac­tion de l’Esprit-​Saint, Nous ne pou­vons Nous empê­cher, Vénérables Frères, de vous exhor­ter d’un cœur pater­nel à rendre avec Nous les plus hautes louanges et les plus grandes grâces à Dieu dis­pen­sa­teur de tout bien, Nous écriant avec l’Apôtre des nations : « A Celui qui peut, par la puis­sance qui agit en nous, faire infi­ni­ment au delà de nos demandes ou de nos pen­sées, à lui soit la gloire dans l’Église et le Christ-​Jésus, pour tous les âges et dans le cours des siècles ! Amen ».

Mais, après avoir ren­du grâces comme il faut à l’é­ter­nelle Divinité, Nous dési­rons vous exhor­ter, vous et tous Nos très chers fils de l’Église, par cette Encyclique, à étu­dier avec un esprit plus atten­tif ces prin­cipes qui, décou­lant de nos Saints Livres et de la doc­trine des saints Pères et des théo­lo­giens, éta­blissent comme sur des bases solides ce culte du très saint Cœur de Jésus. Car Nous sommes entiè­re­ment per­sua­dé que c’est seule­ment après avoir consi­dé­ré à fond l’es­sence et la sublime nature de ce culte dans l’é­clat de la lumière de la véri­té divi­ne­ment révé­lée, c’est seule­ment alors, disons-​Nous, que nous pour­rons exac­te­ment et plei­ne­ment esti­mer son incom­pa­rable excel­lence et son abon­dance jamais épui­sée des dons célestes. Alors sur­tout, ayant médi­té et contem­plé pieu­se­ment les bien­faits sans nombre qui en ont décou­lé, nous pour­rons ain­si com­mé­mo­rer digne­ment le pre­mier cen­te­naire de l’ex­ten­sion à l’Église uni­ver­selle de la fête du très saint Cœur de Jésus.

11. Dans le but d’of­frir aux fidèles un ali­ment à de salu­taires réflexions dont ils puissent plus faci­le­ment se nour­rir pour com­prendre plus à fond la véri­table nature de ce culte et en rece­voir des fruits abon­dants, Nous allons par­cou­rir ces pages de l’Ancien et du Nouveau Testament qui nous révèlent et nous pro­posent la cha­ri­té infi­nie de Dieu à l’é­gard du genre humain. Nous ne pour­rons jamais l’ap­pro­fon­dir assez. Nous abor­de­rons dans leurs grandes lignes les com­men­taires que nous ont lais­sés les Pères et les Docteurs de l’Église. Enfin, Nous pren­drons soin de mettre en lumière ce lien très étroit qui inter­vient entre cette forme de dévo­tion que l’on doit au Cœur du divin Rédempteur et le culte qui est dû à son amour et à l’a­mour de l’au­guste Trinité envers tous les hommes.

Nous pen­sons, en effet, que déjà en pro­je­tant de cette lumière qui nous vient des saintes Écritures et de la tra­di­tion patris­tique sur les prin­ci­paux élé­ments fon­da­men­taux de cette très noble forme de pié­té, il sera plus facile aux chré­tiens de pui­ser « les eaux avec joie aux sources du salut ».

On le fera, en consi­dé­rant toute l’im­por­tance par­ti­cu­liè­re­ment grave dont jouit le culte du très saint Cœur de Jésus dans la litur­gie de l’Église et dans sa vie et son action, tant au dedans qu’au dehors. On pour­ra plus faci­le­ment alors recueillir ces fruits spi­ri­tuels qui per­met­tront à cha­cun de renou­ve­ler ses mœurs pour son salut, comme le dési­rent les pas­teurs du trou­peau du Christ.

12. Pour que tous puissent com­prendre plus exac­te­ment la valeur de la doc­trine dont témoignent les textes cités de l’Ancien et du Nouveau Testament rela­tifs à ce culte, il faut avoir bien pré­sente à l’es­prit la rai­son pour laquelle l’Église accorde un culte de latrie au Cœur du divin Rédempteur. Comme vous le savez par­fai­te­ment, Vénérables Frères, il y a une double rai­son. La pre­mière, qui se rap­porte éga­le­ment aux autres membres saints du Corps de Jésus-​Christ, repose sur ce prin­cipe par lequel nous savons que son Cœur, en tant que la plus noble part de sa nature humaine, est uni hypo­sta­ti­que­ment à la per­sonne du Verbe divin.

C’est pour­quoi on doit lui attri­buer te même culte d’a­do­ra­tion dont l’Église honore la per­sonne même du Fils de Dieu incar­né. C’est là une véri­té qu’il faut pro­fes­ser, de foi catho­lique, car elle a été sanc­tion­née solen­nel­le­ment dans te Concile œcu­mé­nique d’Éphèse et le deuxième de Constantinople.

La seconde rai­son qui se rap­porte par­ti­cu­liè­re­ment au Cœur du divin Rédempteur et qui, pour un motif éga­le­ment par­ti­cu­lier, exige qu’on lui rende un culte de latrie, découle du fait que son Cœur, plus que tout autre membre de son Corps, est un signe ou sym­bole natu­rel de son immense cha­ri­té envers le genre humain. Comme le remar­quait Notre Prédécesseur d’im­mor­telle mémoire, Léon XIII : « Il y a dans le Sacré-​Cœur de Jésus un sym­bole et une image claire de l’a­mour infi­ni de Jésus-​Christ, autour qui nous pousse à nous aimer les uns les autres ».

13. Sans aucun doute, certes, les Livres Saints ne font jamais une men­tion claire d’un culte par­ti­cu­lier d’a­mour et de dévo­tion ren­du au Cœur phy­sique du Verbe incar­né comme sym­bole de sa très ardente cha­ri­té. S’il faut assu­ré­ment le recon­naître fran­che­ment, cela ne doit pas cepen­dant nous éton­ner et ne peut en aucune façon nous ame­ner à dou­ter que l’a­mour de Dieu à notre égard, prin­ci­pale rai­son de ce culte, est pro­cla­mé et incul­qué, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, par de telles images que les cœurs en sont vive­ment émus. Ces images, puis­qu’elles étaient mises en avant déjà dans les Saintes Écritures pour annon­cer la venue du Fils de Dieu fait homme, peuvent donc être consi­dé­rées comme un pré­sage du signe et du témoi­gnage de cet amour divin très noble, c’est-​à-​dire du très saint et ado­rable Cœur du divin Rédempteur.

14. En ce qui concerne notre sujet, Nous ne pen­sons pas qu’il soit néces­saire de citer de nom­breux pas­sages des Livres de l’Ancien Testament qui contiennent les pre­mières véri­tés divi­ne­ment révé­lées. Nous esti­mons qu’il suf­fit de rap­pe­ler que le sou­ve­nir de cette Alliance conclue entre Dieu et son peuple et consa­crée par des vic­times paci­fiques – dont Moïse publia la Loi fon­da­men­tale gra­vée sur les deux Tables et que les pro­phètes ont expli­quée – ne fut pas seule­ment un pacte rati­fié par les enga­ge­ments de l’au­to­ri­té suprême de Dieu et l’o­béis­sance à elle due par les hommes, mais un pacte confir­mé et vivi­fié par les plus nobles motifs d’amour.

Car même pour le peuple d’Israël, la suprême rai­son d’o­béir à Dieu n’é­tait pas la crainte des châ­ti­ments divins que les ton­nerres et les éclairs de la cime du Sinaï jetaient dans les cœurs, mais plu­tôt l’a­mour dû à Dieu : « Écoute, Israël : Yahweh est notre Dieu, Yahweh est unique. Tu aime­ras Yahweh, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Et ces com­man­de­ments que je te donne aujourd’­hui seront sur ton cœur ».

15. Ne nous éton­nons donc pas si Moïse et les pro­phètes, que le doc­teur Angélique appelle à bon droit les ancêtres du peuple élu, convain­cus que le fon­de­ment de toute la Loi repose sut ce pré­cepte de l’a­mour, ont décrit les liens et rap­ports qui exis­taient entre Dieu et son peuple par des images emprun­tées à l’a­mour mutuel entre père et fils, ou entre époux, plu­tôt qu’à l’aide d’i­mages sévères ins­pi­rées par l’au­to­ri­té suprême de Dieu ou l’o­béis­sance obli­ga­toire et crain­tive due par nous tous.

Ainsi, pour don­ner des exemples, Moïse lui-​même, quand il entonne son chant si célèbre pour l’af­fran­chis­se­ment de son peuple libé­ré de la ser­vi­tude d’Égypte, for­mu­la ces pen­sées et images qui émeuvent si for­te­ment le cœur : « Tel un aigle qui, éveillant sa nichée, plane au-​dessus de ses petits, il (Dieu) déploya ses ailes, le prit et l’emporta sur son pen­nage ».

Mais peut-​être nul autre des saints pro­phètes mieux qu’o­sée ne dévoile et ne décrit aus­si net­te­ment et aus­si for­te­ment l’a­mour dont Dieu pour­suit sans cesse son peuple. Dans les écrits de ce pro­phète, en effet, qui se dis­tingue par­mi les autres petits pro­phètes par la subli­mi­té de sa phrase concise, Dieu pro­fesse, à l’é­gard de son peuple élu, cet amour juste et sain­te­ment sou­cieux comme l’est l’a­mour d’un père aimant et misé­ri­cor­dieux, ou d’un époux, dont l’hon­neur est bles­sé. Il s’a­git d’un amour qui, bien loin de dimi­nuer ou de ces­ser à cause de la per­fi­die des tra­hi­sons ou de crimes affreux, les punit plu­tôt comme ils le méritent, dans ce seul but de laver de leurs fautes, de puri­fier et – bien loin de les répu­dier ou de les aban­don­ner – de s’at­ta­cher par des liens nou­veaux et raf­fer­mis l’é­pouse infi­dèle et éga­rée et ses fils ingrats : « Quand Israël était jeune, je l’ai­mais et j’ap­pe­lais mon fils hors de l’Égypte… C’est moi qui gui­dais les pas d’Éphraïm, le sou­te­nant par ses bras ; et ils n’ont pas vu que je les gué­ris­sais. Je les tirais avec des liens d’hu­ma­ni­té, avec des liens d’a­mour… Je gué­ri­rai leur infi­dé­li­té, j’au­rai pour eux un amour sin­cère, car ma colère s’est détour­née d’eux. Je serai comme la rosée pour Israël, il fleu­ri­ra comme le lis et il pous­se­ra des racines comme le Liban ».

16. Ce sont de sem­blables pen­sées que tra­duit le pro­phète Isaïe quand il montre Dieu lui-​même et son peuple élu conver­sant et dis­cu­tant ensemble de points de vue oppo­sés : « Sion disait : “Yahweh m’a aban­don­née, le Seigneur m’a oubliée !” Une femme peut-​elle oublier son nour­ris­son, n’ayant pas pitié du fruit de ses entrailles ? Si même celles-​ci oubliaient, moi je ne t’ou­blie­rai pas ». Et ces paroles ne sont pas moins émou­vantes pour le cœur que celles de l’au­teur du Cantique des can­tiques, qui, à l’aide des images de l’a­mour conju­gal, décrit d’une manière expres­sive les liens de mutuel amour qui lient entre eux Dieu et la nation qu’il ché­rit : « Comme un lis au milieu des épines, telle est mon amie par­mi les jeunes filles… Je suis à mon bien-​aimé et mon bien-​aimé est à moi ; il fait paître son trou­peau par­mi les lis… Mets-​moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras ; car l’a­mour est fort comme la mort, la jalou­sie est inflexible comme le séjour des morts ; ses ardeurs sont des traits de feu, une flamme de Yahweh ».

17. Cet amour de Dieu, très tendre, indul­gent et patient, qui, s’il se détourne de son peuple d’Israël à cause de ses crimes accu­mu­lés, ne le répu­die cepen­dant pas, nous semble certes fort et sublime, mais il ne fut, en somme, que le pré­sage pro­phé­tique de cette cha­ri­té très ardente que le Rédempteur pro­mis aux hommes allait faire débor­der pour tous de son Cœur très aimant et qui devait être l’exem­plaire de notre dilec­tion et le fon­de­ment de la Nouvelle Alliance. Car, en réa­li­té, Celui seul qui est le Fils unique du Père, et le Verbe fait chair « plein de grâce et de véri­té », en venant vers les hommes écra­sés de péchés innom­brables et de misères, put faire jaillir de sa nature humaine unie hypo­sta­ti­que­ment à la Personne divine, sur le genre humain, « « une source d’eau vive » qui arro­se­rait très lar­ge­ment la terre aride et la trans­for­me­rait en jar­din flo­ris­sant et plein de fruits.

C’est ce pro­dige si éton­nant qu’al­lait pro­duire l’é­ter­nel et très misé­ri­cor­dieux amour de Dieu que le pro­phète Jérémie semble annon­cer en quelque sorte par ces mots : « C’est d’un amour éter­nel que je t’ai aimée, aus­si je t’ai conser­vé ma faveur… Voici que des jours viennent – oracle de Yahweh – où je conclu­rai avec la mai­son d’Israël et avec la mai­son de Juda une alliance nou­velle… Voici l’al­liance que je conclu­rai avec la mai­son d’Israël, après ces jours-​là – oracle de Yahweh – ; je met­trai ma loi au dedans d’eux ; je l’é­cri­rai dans leur cœur ; et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple… ; car je par­don­ne­rai leur ini­qui­té, et je ne me sou­vien­drai plus de leur péché ».

18. Toutefois, c’est grâce aux seuls Évangiles que nous avons la cer­ti­tude et la preuve de cette Nouvelle Alliance conclue entre Dieu et les hommes – car ce pacte que Moïse avait conclu entre Dieu et le peuple d’Israël n’é­tait que le signe et le sym­bole de celui que le pro­phète Jérémie avait pré­dit, – la Nouvelle Alliance, disons-​Nous, est en réa­li­té celle qui a été éta­blie et réa­li­sée grâce au Verbe incar­né qui nous a conci­lié la faveur divine. Il faut recon­naître que cette Alliance est, d’une manière incom­pa­rable, plus noble et plus ferme, du fait qu’elle n’a pas été sanc­tion­née comme la pré­cé­dente dans le sang des boucs et des veaux, mais dans le Sang très saint de Celui que ces ani­maux paci­fiques et pri­vés de rai­son annon­çaient : « L’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ».

L’Alliance chré­tienne, en effet, bien mieux que l’an­cienne, se montre fran­che­ment comme un pacte fon­dé, non sur l’as­su­jet­tis­se­ment, ni la crainte, mais conclu en ver­tu de cet amour qui doit unir le père et les fils. Elle s’en­tre­tient et se ren­force par une effu­sion plus géné­reuse de grâce divine et de véri­té, selon ce mot de l’a­pôtre saint Jean : « De sa plé­ni­tude, nous avons tous reçu, et grâce sur grâce ; car la Loi a été don­née par Moïse, mais la grâce et la véri­té sont venues par Jésus-​Christ ».

19. Puisque cette parole du dis­ciple « que Jésus aimait, et qui, pen­dant la Cène, repo­sa sur sa poi­trine », nous intro­duit dans le mys­tère de l’a­mour infi­ni du Verbe incar­né, il semble juste, équi­table et salu­taire, Vénérables Frères, de nous arrê­ter un peu dans la contem­pla­tion très douce de ce mys­tère. Ainsi, bai­gnés par la lumière que reflète l’Évangile pour éclai­rer ce mys­tère, puissions-​nous par­ve­nir à réa­li­ser le vœu qu’ex­pri­mait l’Apôtre des nations dans sa lettre aux Éphèsiens : « Que le Christ habite en vos cœurs par la foi ; soyez enra­ci­nés dans la cha­ri­té et fon­dés sur elle, afin de pou­voir com­prendre avec tous les saints ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, et connaître l’a­mour du Christ qui défie toute connais­sance. Ainsi serez-​vous rem­plis de la plé­ni­tude même de Dieu ».

20. Le mys­tère de la Rédemption divine est, en effet, par une rai­son de pre­mier ordre et toute natu­relle, un mys­tère d’a­mour ; c’est-​à-​dire de cet amour équi­table du Christ pour son Père céleste à qui il pré­sente le sacri­fice de la croix, offert d’un cœur aimant et sou­mis, et la satis­fac­tion sur­abon­dante et infi­nie qui lui était due pour les fautes du genre humain : « Le Christ en souf­frant, par amour et obéis­sance, a offert à Dieu quelque chose de plus grande valeur que ne l’exi­ge­rait la com­pen­sa­tion de toute l’of­fense du genre humain ». C’est de plus, un mys­tère d’a­mour misé­ri­cor­dieux de l’au­guste Trinité et du divin Rédempteur à l’é­gard de tous les hommes : puisque ceux-​ci étaient dans l’im­puis­sance totale d’ex­pier leurs crimes, le Christ, par les richesses inson­dables de ses mérites que, par l’ef­fu­sion de son Sang très pré­cieux, il s’est acquis, a pu réta­blir et per­fec­tion­ner ce pacte d’a­mi­tié entre Dieu et les hommes que la misé­rable faute d’Adam une pre­mière fois, puis les innom­brables péchés du peuple élu avaient violé.

Ainsi le divin Rédempteur – en tant que Médiateur légi­time et par­fait – du fait que, par son amour très ardent à notre égard, il a par­fai­te­ment conci­lié les devoirs et obli­ga­tions du genre humain avec les droits de Dieu, a été sans contre­dit l’au­teur de cette conci­lia­tion admi­rable réa­li­sée entre la divine jus­tice et la divine misé­ri­corde qui consti­tue le mys­tère trans­cen­dant de notre salut. Le Docteur Angélique en parle en ces termes : « Il faut dire qu’il conve­nait à sa misé­ri­corde et à Sa jus­tice de déli­vrer l’homme par la Passion du Christ. A sa jus­tice, d’une part, parce que, par sa Passion, le Christ a satis­fait pour le péché du genre humain ; et ain­si, par la jus­tice du Christ, l’homme a été libé­ré. A Sa misé­ri­corde, d’autre part, parce que, du fait que l’homme ne pou­vait lui-​même satis­faire pour le péché de l’hu­ma­ni­té tout entière, Dieu lui a fait don dans Son Fils d’un Rédempteur. Et ce fut le fait d’une misé­ri­corde plus abon­dante que s’il avait par­don­né les péchés sans satis­fac­tion. Aussi, il est dit ; “Dieu qui est riche en misé­ri­corde et pous­sé par le grand amour dont il nous a aimés, alors même que nous étions morts par suite de nos fautes, Dieu nous a fait revivre avec le Christ” ».

21. Mais, pour que nous puis­sions, autant qu’il est pos­sible à des mor­tels, « com­prendre avec tous les saints ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur » de l’a­mour mys­té­rieux du Verbe incar­né envers son Père céleste et les hommes souillés de la tache de leurs péchés, il faut remar­quer que son amour ne fut pas uni­que­ment spi­ri­tuel, comme il convient à Dieu en tant que « Dieu est Esprit ». Il était, certes, de cette nature, l’a­mour dont Dieu aima nos parents et le peuple hébreux ; et ain­si, les expres­sions d’a­mour humain conju­gal ou pater­nel, qu’on lit dans les psaumes, les écrits des pro­phètes et le Cantique des can­tiques, sont des témoi­gnages et des mani­fes­ta­tions de l’a­mour authen­tique, mais entiè­re­ment spi­ri­tuel dont Dieu pour­sui­vait le genre humain.

Par contre, l’a­mour qui s’ex­hale dans l’Évangile, les lettres des apôtres et les pages de l’Apocalypse, où est décrit l’a­mour du Cœur même de Jésus-​Christ, exprime non seule­ment la cha­ri­té divine, mais encore les sen­ti­ments d’une affec­tion humaine ; et cela, pour tous ceux qui sont catho­liques, est abso­lu­ment cer­tain. Le Verbe de Dieu, en effet, n’a pas pris un corps impal­pable et arti­fi­ciel, comme déjà au pre­mier siècle du chris­tia­nisme le pré­ten­daient cer­tains héré­tiques que l’a­pôtre saint Jean condamne par ces mots : « Car beau­coup de séduc­teurs se sont répan­dus dans le monde qui ne pro­fessent pas que Jésus-​Christ se soit incar­né. Le voi­là bien le séduc­teur et l’Antéchrist ! » Mais, en réa­li­té, il a uni à sa Personne divine une nature humaine, indi­vi­duelle, com­plète et par­faite, qui fut conçue dans le sein très pur de la Vierge Marie par la puis­sance du Saint-​Esprit. Il ne man­qua donc rien à cette nature humaine que s’est uni le Verbe de Dieu. Lui-​même l’a prise, en véri­té, sans aucune dimi­nu­tion ni aucun chan­ge­ment, tant pour ce qui est du corps que pour ce qui est de l’es­prit : c’est-​à-​dire douée d’in­tel­li­gence et de volon­té, et de toutes les autres facul­tés de connais­sance internes et externes, des facul­tés sen­sibles d’af­fec­tion et de toutes les pas­sions natu­relles. Toutes ces choses sont ensei­gnées par l’Église comme solen­nel­le­ment pro­cla­mées et confir­mées par les Pontifes de Rome et les Conciles œcu­mé­niques : « Tout entier dans sa nature, tout entier dans la nôtre », « par­fait dans sa divi­ni­té, et éga­le­ment par­fait dans son huma­ni­té », « entiè­re­ment Dieu-​homme et entiè­re­ment homme-Dieu ».

22. C’est pour­quoi, comme on ne peut mettre en doute d’au­cune façon que Jésus-​Christ a pris un Corps véri­table qui jouit de tous les sen­ti­ments qui lui sont propres et par­mi les­quels l’a­mour sur­passe tous les autres, il ne peut y avoir éga­le­ment aucun doute qu’il a été doué d’un cœur phy­sique et sem­blable au nôtre, puisque, sans cette par­tie très excel­lente du corps, il ne peut y avoir de vie d’homme, même en ce qui concerne ses affec­tions. Aussi, le Cœur de Jésus-​Christ, uni hypo­sta­ti­que­ment à la divine Personne du Verbe a, sans aucun doute, pal­pi­té d’a­mour et de tout autre sen­ti­ment, et cepen­dant, tous ces sen­ti­ments étaient en par­fait accord et s’har­mo­ni­saient et avec sa volon­té d’homme pleine de divine cha­ri­té, et avec l’a­mour divin lui-​même que le Fils par­tage en com­mun avec le Père et avec l’Esprit-​Saint, de telle sorte qu’il n’y eut jamais entre ces trois amours aucun manque d’ac­cord ou d’harmonie.

23. Cependant que le Verbe de Dieu ait pris pour lui une nature humaine véri­table et par­faite, et se soit for­mé et mode­lé un cœur de chair qui, non moins que le nôtre, pou­vait souf­frir et être trans­per­cé, cela, disons-​Nous, à moins de le mettre et le consi­dé­rer dans la lumière qui se dégage non seule­ment de l’u­nion hypo­sta­tique et sub­stan­tielle, mais éga­le­ment dans cette lumière qui vient de la Rédemption de l’homme comme de son com­plé­ment, peut paraître scan­dale et folie pour cer­tains, comme ce fut le cas du Christ cru­ci­fié pour les Juifs et les gen­tils. Car les sym­boles de la foi catho­lique, en accord par­fait avec les Saintes Lettres nous assurent que le Fils unique de Dieu a pris une nature humaine capable de souf­frir et mor­telle pour cette rai­son prin­ci­pale qu’il dési­rait offrir, sus­pen­du à la croix, un sacri­fice san­glant pour consom­mer l’œuvre du salut des hommes. C’est d’ailleurs ce que nous enseigne l’Apôtre des nations par ces mots : « Car Sanctificateur et sanc­ti­fiés ont tous une même ori­gine. C’est pour cette rai­son qu’il ne rou­git pas de les appe­ler frères, quand il dit : “j’an­non­ce­rai ton nom à mes frères”. Et encore : “me voi­ci, moi et les enfants que Dieu m’a don­nés”. Puis donc que les enfants avaient en par­tage une nature de sang et de chair, il en a, lui aus­si, pris une toute sem­blable… Voilà pour­quoi il devait se faire en tout sem­blable à ses frères pour deve­nir ain­si un grand prêtre misé­ri­cor­dieux et fidèle, capable d’ex­pier les péchés du peuple. C’est pour avoir connu lui-​même l’é­preuve et la souf­france qu’il peut venir en aide à ceux qui sont dans l’é­preuve ».

24. Aussi, les saints Pères, témoins véri­diques de la doc­trine divi­ne­ment révé­lée, ont par­fai­te­ment com­pris ce que l’a­pôtre Paul avait déjà affir­mé très clai­re­ment, que le mys­tère de l’a­mour divin était comme le prin­cipe et le cou­ron­ne­ment, tant de l’Incarnation que de la Rédemption. On lit sou­vent et clai­re­ment dans leurs écrits que Jésus-​Christ a pris une nature humaine par­faite, avec un corps fra­gile et péris­sable comme le nôtre, pour entre­prendre notre salut éter­nel, et nous mani­fes­ter et nous dévoi­ler, de la manière la plus évi­dente. son amour infi­ni aus­si bien que sensible.

25. Saint Justin, comme un écho à la voix de l’Apôtre des nations, écrit ceci : « Nous ado­rons et aimons le Verbe Fils du Dieu incréé et inef­fable ; puis­qu’il s’est fait homme pour nous, pour que, deve­nu par­ti­ci­pant à nos affec­tions, il leur apporte le remède ». De même, saint Basile, le pre­mier des trois Pères de Cappadoce, affirme qu’il y eut dans le Christ de véri­tables affec­tions sen­sibles et saintes : « Il est évident que le Seigneur a assu­mé les affec­tions natu­relles pour confir­mer sa véri­table et non fan­tas­tique incar­na­tion ; quant aux affec­tions des vices qui souillent la pure­té de notre vie, il les reje­ta comme indignes de sa divi­ni­té sans tache ». Pareillement, saint Jean Chrysostome, lumière de l’Église d’Antioche, recon­naît que les émo­tions sen­sibles qu’é­prou­vait le divin Rédempteur démon­traient clai­re­ment qu’il avait revê­tu la nature humaine dans son inté­gri­té : « S’il n’a­vait pas été de notre nature il n’au­rait pas été ému par la dou­leur ». Parmi les Pères latins, méritent d’être évo­qués ceux que l’Église vénère de nos jours comme les plus grands doc­teurs. Ainsi saint Ambroise témoigne que les émo­tions sen­sibles et les affec­tions dont le Verbe incar­né ne fut pas exempt, nais­saient comme d’un prin­cipe natu­rel : « Et c’est pour­quoi, ayant pris une âme, il prit aus­si les affec­tions de l’âme ; Dieu, en effet, du fait qu’il était Dieu, n’au­rait pu être ému ou mou­rir ». C’est de ces affec­tions que saint Jérôme tire son prin­ci­pal argu­ment que le Christ a réel­le­ment pris la nature humaine : Notre-​Seigneur pour prou­ver la véri­té de sa nature humaine, a vrai­ment été sujet à la tris­tesse. Saint Augustin recon­naît par­ti­cu­liè­re­ment ces rap­ports qui existent entre les affec­tions du Verbe incar­né et la fin de la Rédemption de l’homme : « Mais ces affec­tions de l’in­fir­mi­té humaine, comme la chair même de l’hu­ma­ni­té infirme et la mort de la chair humaine, le Seigneur Jésus les a prises, non par néces­si­té de sa condi­tion, mais par une volon­té de misé­ri­corde, pour trans­fi­gu­rer en lui-​même son Corps, qui est l’Église, dont il a dai­gné être la tête, c’est-​à-​dire ses membres qui sont ses saints et ses fidèles : en sorte que si l’un d’eux venait, dans les épreuves humaines, à s’at­tris­ter et à souf­frir, qu’il ne s’es­time pas pour cela sous­trait à l’ac­tion de sa grâce ; ce ne sont pas là des péchés, mais des marques de l’in­fir­mi­té humaine, et, comme le chœur s’ac­corde à la voix qui entonne, ain­si son corps se modè­le­rait sur son propre Chef ». Avec plus de conci­sion, mais non moins d’ef­fi­ca­ci­té, les cita­tions qui suivent, de saint Jean Damascène, pro­clament la doc­trine mani­feste de l’Église, « Dieu tout entier m’a pris entiè­re­ment, comme un tout uni au tout, pour appor­ter le salut à tout l’homme. Car n’au­rait pu être gué­ri ce qui n’a pas été pris ». « Il a donc pris tout pour tout sanc­ti­fier ».

26. Il faut remar­quer cepen­dant que ces cita­tions de la Sainte Écriture et des Pères, et de nom­breux pas­sages sem­blables que nous n’a­vons pas cités, bien que témoi­gnant net­te­ment que Jésus-​Christ fut doué d’af­fec­tions et d’é­mo­tions sen­sibles et qu’il prit la nature humaine pour réa­li­ser notre salut éter­nel, ne rap­portent néan­moins jamais ces affec­tions à son Cœur phy­sique de manière à en faire expres­sé­ment un sym­bole de son amour infi­ni, Mais si les Évangélistes et les autres écri­vains ecclé­sias­tiques ne décrivent pas direc­te­ment le Cœur de notre Rédemption, Cœur vivant et doué de la facul­té de sen­tir non moins que le nôtre, et pal­pi­tant et tres­saillant des émo­tions et affec­tions diverses de son âme, néan­moins, ils mettent sou­vent dans sa pleine lumière son amour divin et les émo­tions sen­sibles qui l’ac­com­pagnent, telles que désir, joie, peine, crainte et colère, comme ils se mani­festent dans ses regards, ses paroles et ses gestes.

La face sur­tout de notre ado­rable Sauveur fut le témoi­gnage et comme le miroir le plus fidèle de ces affec­tions qui, émou­vant diver­se­ment son âme, attei­gnaient comme dans un reflux son Cœur et en acti­vaient les bat­te­ments. A la ven­té, en cette ques­tion, garde toute sa valeur ce que le Docteur Angélique ins­truit par l’ex­pé­rience com­mune, note à pro­pos de la psy­cho­lo­gie humaine et de ce qui en découle : « L’ébranlement de la colère s’é­tend jus­qu’aux membres exté­rieurs, et sur­tout à ces par­ties du corps où l’in­fluence du cœur se révèle d’une manière plus expres­sive, comme les yeux, la face et la langue ».

27. C’est à bon droit, par consé­quent, que le Cœur du Verbe incar­né est consi­dé­ré comme le signe et le prin­ci­pal sym­bole de ce triple amour dont le divin Rédempteur aime et conti­nue d’ai­mer son Père éter­nel et tous les hommes, car il est le sym­bole de cet amour divin qu’il par­tage avec le Père et l’Esprit-​Saint, mais qui pour­tant, en lui seul, en tant que Verbe fait chair se mani­feste à nous par son corps humain péris­sable et fra­gile, puisque « c’est en lui qu’­ha­bite cor­po­rel­le­ment toute la plé­ni­tude de la divi­ni­té » il est, de plus, le sym­bole de cet amour très ardent qui, répan­du dans son âme, enri­chit la volon­té du Christ, et dont les actes sont éclai­rés et diri­gés par une double science très par­faite, à savoir la science bien­heu­reuse et infuse. Enfin, il est aus­si – et cela d’une manière plus natu­relle et directe – le sym­bole de son amour sen­sible, car le Corps de Jésus-​Christ, for­mé par le Saint-​Esprit dans le sein de la Vierge Marie, jouit d’un pou­voir de sen­tir et de per­ce­voir très par­fait, plus, assu­ré­ment, que tous les autres corps des hommes.

28.L’Écriture Sainte et les sym­boles de la foi catho­lique nous enseignent donc que dans l’âme très sainte de Jésus-​Christ règne la plus haute conso­nance et har­mo­nie, et qu’il a appli­qué mani­fes­te­ment son triple amour à la réa­li­sa­tion de la fin pour­sui­vie dans notre Rédemption. Par consé­quent, il est évident que c’est à très bon droit que nous pou­vons voir et véné­rer le Cœur du divin Rédempteur comme l’i­mage expres­sive de son amour et le témoi­gnage de notre Rédemption, et comme aus­si l’é­chelle mys­tique qui nous élève jus­qu’à embras­ser « Dieu notre Sauveur ». C’est pour­quoi dans ses paroles, ses actes, ses pré­ceptes, ses miracles et par­ti­cu­liè­re­ment dans ses œuvres qui nous témoignent plus clai­re­ment son amour – comme l’Institution de la divine Eucharistie, sa Passion si dou­lou­reuse et sa mort, le don affec­tueux qu’il nous fit de sa très Sainte Mère, l’Église qu’il fon­da pour nous et, enfin, le Saint-​Esprit envoyé à ses apôtres comme à nous – en tout cela, disons-​Nous, nous devons admi­rer comme des preuves de son triple amour.

Nous devons pareille­ment médi­ter avec beau­coup d’a­mour les bat­te­ments de son très saint Cœur, dont il a comme mesu­ré le temps de son pas­sage sur cette terre jus­qu’au moment suprême où, au témoi­gnage des Évangélistes, « pous­sant un grand cri, il dit : “Tout est consom­mé”. Et ayant incli­né la tête, il ren­dit l’es­prit ».

Alors, son Cœur s’ar­rê­ta et ces­sa de battre et son amour sen­sible fut sus­pen­du jus­qu’au jour où, triom­phant de la mort, le Christ res­sus­ci­ta du tom­beau. Depuis que son Corps, revê­tu de l’é­tat de gloire éter­nelle, s’est réuni à l’âme du divin Rédempteur vain­queur de la mort, son Cœur très saint n’a jamais ces­sé et ne ces­se­ra de battre d’un mou­ve­ment pai­sible et imper­tur­bable. Il ne ces­se­ra jamais pareille­ment de signi­fier le triple amour qui lie le Fils de Dieu à son Père céleste et à toute la com­mu­nau­té des hommes, dont il est de plein droit le Chef mystique.

29. Maintenant, Vénérables Frères, afin de recueillir des pieuses consi­dé­ra­tions que Nous venons de faire des fruits abon­dants et salu­taires, il convient de médi­ter un moment sur les nom­breuses mani­fes­ta­tions d’af­fec­tions divines et humaines de notre Sauveur Jésus-​Christ et de les contem­pler, affec­tions que son Cœur a expri­mées pen­dant sa vie mor­telle, qu’il exprime main­te­nant et qu’il expri­me­ra pen­dant toute l’é­ter­ni­té. Des pages de l’Évangile, tout par­ti­cu­liè­re­ment, nous vient une lumière qui nous éclaire et nous récon­forte pour nous per­mettre de péné­trer dans le sanc­tuaire de ce divin Cœur et d’ad­mi­rer avec l’Apôtre des gen­tils « l’in­fi­nie richesse de la grâce (de Dieu) par sa bon­té envers nous en Jésus-​Christ ».

30. C’est un amour à la fois humain et divin qui habite le Cœur de Jésus-​Christ, après que la Vierge Marie eut pro­non­cé son « Fiat » magna­nime et que le Verbe de Dieu, selon les paroles de l’Apôtre : « dit en entrant dans le monde : Vous n’a­vez vou­lu ni sacri­fice ni obla­tion, mais vous m’a­vez for­mé un corps ; vous n’a­vez agréé ni holo­causte ni sacri­fices pour le péché. Alors j’ai dit : “Me voi­ci (car il est ques­tion de moi dans le rou­leau du livre), je viens, ô Dieu, pour faire votre volon­té… C’est en ver­tu de cette volon­té que nous sommes sanc­ti­fiés, par l’o­bla­tion que Jésus-​Christ a faite, une fois pour toutes, de son propre corps.”»

Il était ani­mé du même amour, en par­faite har­mo­nie avec les dési­rs de sa volon­té humaine et l’a­mour divin, lorsque dans la mai­son de Nazareth il s’en­tre­te­nait des choses divines avec sa très douce Mère et Joseph, son père puta­tif, qu’il secon­dait labo­rieu­se­ment et avec obéis­sance dans son métier de charpentier.

Et il était ani­mé de ce triple amour dont Nous avons par­lé dans ses conti­nuelles courses apos­to­liques ; dans les innom­brables miracles qu’il accom­plis­sait, res­sus­ci­tant les morts ou gué­ris­sant des mala­dies de toutes sortes ; dans ses tra­vaux épui­sants ; dans la sueur, la faim, la soif ; dans les veilles au cours des­quelles il priait avec beau­coup d’a­mour son Père céleste ; dans les prières qu’il fai­sait, dans les para­boles qu’il pro­po­sait et expli­quait ; dans celles, par­ti­cu­liè­re­ment, qui ont trait à la misé­ri­corde, celle de la drachme per­due, de la bre­bis éga­rée et du fils pro­digue ; c’est dans ces actes et ces paroles, comme le dit saint Grégoire le Grand, que se mani­feste le Cœur même de Dieu : « Apprends à connaître le Cœur de Dieu par les paroles de Dieu, afin que tu aspires plus ardem­ment aux choses éter­nelles. »

31. Une plus grande cha­ri­té encore rem­plis­sait le Cœur de Jésus-​Christ lors qu’il pro­non­çait des paroles expri­mant l’a­mour le plus ardent. Lorsque, par exemple, il s’ex­cla­mait devant la foule fati­guée et affa­mée : « J’ai com­pas­sion de cette foule » ; et lors­qu’il contem­plait Jérusalem, sa ville qu’il aimait, aveu­glée de ses péchés et à cause de cela des­ti­née à une ruine extrême, il disait : « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les pro­phètes et lapides ceux qui te sont envoyés ! Que de fois j’ai vou­lu ras­sem­bler tes enfants, comme une poule ras­semble ses pous­sins sous ses ailes, et vous n’a­vez pas vou­lu ! »

Son Cœur fré­mis­sait d’a­mour envers son Père et d’une sainte indi­gna­tion lors­qu’il vit le com­merce sacri­lège qui se fai­sait dans le Temple et qu’il adres­sa aux cou­pables ces paroles : “Il est écrit : Ma mai­son sera appe­lée mai­son de prière ; mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs”.

32. Son Cœur était par­ti­cu­liè­re­ment affec­té par l’a­mour et la crainte lorsque devant l’im­mi­nence de son atroce pas­sion et la répul­sion natu­relle que lui cau­saient ses immenses souf­frances et la mort, il s’é­cria : « Mon Père, s’il est pos­sible, que ce calice s’é­loigne de moi ! » c’est avec un amour invin­cible et une pro­fonde tris­tesse, qu’a­près avoir reçu le bai­ser du traître, il lui adres­sa ces paroles qui appa­raissent comme le suprême appel adres­sé par son Cœur très misé­ri­cor­dieux à l’a­mi qui, impré­gné avec une obs­ti­na­tion extrême de sen­ti­ments impies et infi­dèles, devait le livrer à ses bour­reaux : “Ami, tu es là pour cela ? C’est par un bai­ser que tu livres le Fils de l’homme !” ; au moment de subir le sup­plice immé­ri­té de la croix, il dit, avec une com­mi­sé­ra­tion et un amour très pro­fonds, aux saintes femmes qui pleu­raient sur lui : “Filles de Jérusalem, ne pleu­rez pas sur moi, mais pleu­rez sur vous-​mêmes et sur vos enfants… ; car, si l’on traite ain­si le bois vert, qu’en sera-​t-​il du sec ?”

33. Enfin, lors­qu’il fut sus­pen­du à la croix, notre divin Rédempteur sen­tit son Cœur bouillon­ner de sen­ti­ments divers et impé­tueux, d’un amour intense, d’é­pou­vante, de misé­ri­corde, de violent désir et de paix sereine, sen­ti­ments qui sont expri­més d’une façon signi­fi­ca­tive par ces paroles : « Père, pardonnez-​leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » ; « Mon Dieu, mon Dieu, pour­quoi m’avez-​vous aban­don­né ? » ; « Je te le dis en véri­té, aujourd’­hui tu seras avec moi dans le para­dis » ; « J’ai soif » ; « Père, je remets mon esprit entre vos mains. »

34. Qui pour­rait décrire digne­ment les sen­ti­ments dont était impré­gné le Cœur divin, indices de son amour infi­ni, aux moments où il se don­nait lui-​même aux hommes dans le sacre­ment de l’Eucharistie, où il leur don­nait sa Mère très Sainte et nous fai­sait par­ti­ci­per à la charge sacerdotale ?

35. Avant de par­ta­ger la der­nière Cène avec ses dis­ciples, le Christ Notre-​Seigneur, qui savait qu’il devait ins­ti­tuer le sacre­ment de son corps et de son sang, par l’ef­fu­sion duquel une nou­velle alliance devait être scel­lée, sen­tit son Cœur s’a­ni­mer de sen­ti­ments ardents, qu’il expri­ma à ses apôtres par ces paroles : « J’ai ardem­ment dési­ré man­ger cette Pâque avec vous avant de souf­frir. » Ces sen­ti­ments ont, sans aucun doute, été plus ardents lorsque « Il prit du pain et, après avoir ren­du grâces, il le rom­pit et le leur don­na, en disant : “Ceci est mon corps, don­né pour vous. Faites ceci en mémoire de moi.” Et pareille­ment pour la coupe, après qu’ils eurent sou­pé, en disant : “Cette coupe est la nou­velle alliance en mon sang, répan­du pour vous.”»

36. On peut donc affir­mer que la divine Eucharistie, en tant que sacre­ment par lequel il se donne aux hommes et sacri­fice par lequel il s’im­mole per­pé­tuel­le­ment « du lever jus­qu’au cou­cher du soleil », ain­si que le sacer­doce, sont des dons du Cœur très sacré de Jésus.

37. Un don très pré­cieux éga­le­ment de ce Cœur très sacré est comme Nous l’a­vons dit, Marie, la Mère de Dieu et aus­si notre Mère très aimante à tous. Elle a été la Mère de notre Rédempteur selon la chair et son Associée pour rame­ner les fils d’Ève à la vie de la grâce, ce qui lui valut d’être appe­lée la Mère spi­ri­tuelle de tout le genre humain.

Saint Augustin a écrit à ce sujet : « Elle est la Mère des membres du Sauveur que nous sommes, parce qu’elle a coopé­ré par sa cha­ri­té à ce que naissent à l’Église des fidèles qui sont membres de cette tête. »

38. Au don non san­glant de lui-​même, sous les espèces du pain et du vin, notre Sauveur Jésus-​Christ a vou­lu ajou­ter comme témoi­gnage prin­ci­pal de son intime et infi­ni amour, le sacri­fice cruel de la croix. Il a ain­si don­né un exemple de cette cha­ri­té suprême qu’il a pro­po­sée à ses dis­ciples comme le plus haut point d’a­mour, lors­qu’il leur a dit : « Nul ne peut avoir d’a­mour plus grand que de don­ner sa vie pour ses amis. » C’est pour­quoi l’a­mour de Jésus-​Christ, Fils de Dieu, par le sacri­fice du Golgotha, révèle excel­lem­ment et d’une façon signi­fi­ca­tive l’a­mour de Dieu lui-​même : « À ceci nous avons connu l’a­mour, c’est que lui a don­né sa vie pour nous. Nous aus­si, nous devons don­ner notre vie pour nos frères. » C’est pour­quoi notre Rédempteur a été cloué sur la croix par ses bour­reaux plus par amour que par force ; et son sacri­fice volon­taire est le don suprême qu’il a fait à tous les hommes, selon cette phrase concise de l’Apôtre : « Il m’a aimé et il s’est livré lui-​même pour moi. »

39. Il ne peut y avoir aucun doute que le Cœur très sacré de Jésus, puis­qu’il par­ti­cipe inti­me­ment à la vie du Verbe incar­né et que par là il est deve­nu comme un ins­tru­ment de la divi­ni­té, non moins que les autres membres de la nature humaine, pour accom­plir les œuvres de la grâce et de la toute-​puissance divine, est le sym­bole légi­time de cette immense cha­ri­té dont était ani­mé notre Sauveur en contrac­tant son union mys­tique avec l’Église par son sang : « Il a souf­fert par amour, pour faire de l’Église son épouse. » C’est donc du Cœur bles­sé de notre Rédempteur qu’est née l’Église, comme dis­pen­sa­trice du sang de la Rédemption, et c’est aus­si de lui que coule avec abon­dance la grâce des sacre­ments où les fils de l’Église puisent la vie suprême, comme nous le lisons dans la sainte litur­gie ; « C’est du Cœur trans­per­cé que l’Église, épouse du Christ, prend nais­sance…, qui de ton Cœur donne la grâce. »

De ce sym­bole, qui n’é­tait pas incon­nu des anciens Pères de l’Église et des anciens auteurs, le Docteur com­mun écrit, comme fai­sant écho à leurs voix : « Du côté du Christ a cou­lé l’eau pour nous laver, le sang pour nous rache­ter. C’est pour­quoi le sang concerne le sacre­ment de l’Eucharistie, et l’eau le sacre­ment du Baptême ; lequel cepen­dant, a le pou­voir de laver par la ver­tu du sang du Christ. » Ce qui est écrit ici du côté du Christ, ouvert par le sol­dat, doit éga­le­ment être dit de son Cœur qui a été atteint par le coup de lance don­né par lui pour s’as­su­rer de la mort de Jésus-​Christ cru­ci­fié. C’est pour­quoi la bles­sure du Cœur très sacré de Jésus, qu’a­vait déjà quit­té cette vie mor­telle, res­te­ra pen­dant le cours des siècles l’i­mage vivante de cet amour, mani­fes­té de plein gré, par lequel Dieu a don­né son Fils unique pour rache­ter les hommes ; amour dont le Christ nous a tous aimés si for­te­ment qu’il s’est immo­lé pour nous sur le cal­vaire en hos­tie san­glante : « Le Christ nous a aimés et s’est livré lui-​même à Dieu, pour nous, comme une obla­tion et un sacri­fice d’a­gréable odeur. »

40. Après que notre Sauveur fut mon­té au ciel, avec son corps, orné des splen­deurs de la gloire éter­nelle, et qu’il se fut assis à la droite du Père, il n’a pas ces­sé d’en­tou­rer l’Église, son épouse, de cet amour très ardent dont brûle son Cœur.

Il porte dans ses mains, ses pieds et son côté les signes mani­festes de ses bles­sures, qui repré­sentent sa triple vic­toire sur le démon, le péché et la mort. Il a de même dans son Cœur, comme dans un écrin très pré­cieux, les immenses tré­sors de ses mérites, fruits de son triple triomphe, qu’il dis­pense lar­ge­ment au genre humain rache­té. C’est là la véri­té très conso­lante que l’Apôtre exprime par ces paroles : « Il est mon­té dans les hau­teurs, il a emme­né des cap­tifs et il a fait des lar­gesses aux hommes… Celui qui est des­cen­du est celui-​là même qui est mon­té au-​dessus de tous les cieux, afin de tout rem­plir. »

41. Le don du Saint-​Esprit, envoyé aux apôtres, a été la pre­mière mani­fes­ta­tion de sa géné­reuse cha­ri­té, après sa triom­phale ascen­sion à la droite du Père. Dix jours après, l’Esprit-​Saint, envoyé par le Père, est des­cen­du sur eux, qui étaient réunis au Cénacle, selon qu’il le leur avait pro­mis à la der­nière Cène : « Et moi, je prie­rai le Père, et il vous don­ne­ra un autre inter­ces­seur pour qu’il soit avec vous tou­jours. » Le Saint-​Esprit, étant amour per­son­nel mutuel, c’est-​à-​dire du Père à l’é­gard du Fils et du Fils à l’é­gard du Père, est envoyé par l’un et l’autre, sous forme de langues de feu, et il a infu­sé dans leurs âmes l’a­bon­dance de la cha­ri­té divine et des autres dons célestes. Cette infu­sion de l’a­mour divin est éga­le­ment née du Cœur de notre Sauveur « dans lequel sont cachés tous les tré­sors de la sagesse et de la science ».

Cet amour est, en effet, un don du Cœur de Jésus et de son Esprit, lequel est l’Esprit du Père et du Fils ; c’est lui qui explique la nais­sance de l’Église et son admi­rable pro­pa­ga­tion dans toutes les nations qui étaient livrées au culte des idoles, à la haine fra­ter­nelle, à la cor­rup­tion des mœurs et à la violence.

Cet amour divin est le don très pré­cieux du Cœur de Jésus et de son Esprit ; c’est lui qui a don­né aux apôtres et aux mar­tyrs ce cou­rage qui leur a per­mis de lut­ter jus­qu’à leur mort héroïque, afin de prê­cher la véri­té de l’Évangile et d’en témoi­gner par leur sang ; c’est lui qui a fait gran­dir les ver­tus des confes­seurs et les a inci­tés à faire des œuvres très utiles et remar­quables qui devaient pro­fi­ter pour leur propre salut tem­po­rel et éter­nel et celui des autres ; c’est lui, enfin, qui a ame­né des vierges à renon­cer spon­ta­né­ment et joyeu­se­ment aux volup­tés des sens et à se consa­crer com­plè­te­ment au céleste Époux. Pour célé­brer cet amour divin qui coule du Cœur du Verbe incar­né et qui est infu­sé par le Saint-​Esprit dans les âmes de tous les croyants, l’Apôtre des gen­tils a écrit cet hymne vic­to­rieux qui pré­di­sait le triomphe de Jésus-​Christ et des membres du Corps mys­tique, dont il est la tête, sur tous ceux qui entra­ve­raient de quelque manière l’ins­tau­ra­tion par­mi les hommes du divin royaume de l’a­mour : « Qui nous sépa­re­ra de l’a­mour du Christ ? Sera-​ce la tri­bu­la­tion, ou l’an­goisse, ou la per­sé­cu­tion, ou la faim, ou la nudi­té, ou le péril, ou l’é­pée ?… Mais dans toutes ces épreuves, nous sommes plus que vain­queurs, par Celui qui nous a aimés. Car j’ai l’as­su­rance que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les prin­ci­pau­tés, ni les choses pré­sentes, ni les choses à venir, ni les puis­sances, ni la hau­teur, ni la pro­fon­deur, ni aucune créa­ture ne pour­ra nous sépa­rer de l’a­mour de Dieu dans le Christ Jésus Notre-​Seigneur. »

42. Rien par consé­quent ne s’op­pose à ce que nous ado­rions le Cœur très sacré de Jésus-​Christ en tant que par­ti­ci­pa­tion et sym­bole natu­rel et très expres­sif de cet amour inépui­sable que notre divin Rédempteur ne cesse d’é­prou­ver à l’é­gard du genre humain. Bien qu’il ne soit plus sou­mis aux vicis­si­tudes de cette vie mor­telle, il n’en conti­nue pas moins de vivre et de battre, il est uni d’une façon indis­so­luble à la Personne du Verbe divin, et, en elle et par elle, à la volon­té divine.

C’est pour­quoi, puisque le Cœur du Christ déborde d’a­mour divin et humain, et qu’il est rem­pli des tré­sors de toutes les grâces que notre Rédempteur a acquis durant sa vie par ses souf­frances et par sa mort, il est la source éter­nelle de cet amour que son Esprit répand dans tous les membres de son Corps mystique.

43. Le Cœur de notre Sauveur reflète donc d’une cer­taine façon l’i­mage de la divine Personne du Verbe et de sa double nature humaine et divine, et en lui nous pou­vons consi­dé­rer non seule­ment le sym­bole, mais comme la somme de tout le mys­tère de notre Rédemption. Lorsque nous ado­rons le Cœur très sacré de Jésus-​Christ, nous ado­rons en lui et par lui tant l’a­mour incréé du Verbe divin que son amour humain, ses autres sen­ti­ments et ses autres ver­tus, puisque c’est l’un et l’autre amours qui ont pous­sé notre Rédempteur à s’im­mo­ler pour nous et pour toute l’Église son épouse, selon les paroles de l’Apôtre : « Le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-​même pour elle, afin de la sanc­ti­fier, après l’a­voir puri­fiée dans l’eau bap­tis­male, avec la parole, pour la faire paraître devant lui, cette Église, glo­rieuse, sans tache, sans ride ni rien de sem­blable, mais sainte et imma­cu­lée. »

44. Le Christ a aimé l’Église d’un triple amour, comme Nous l’a­vons dit, et il conti­nue à l’ai­mer ardem­ment, lui qui se fait comme notre Avocat pour nous conci­lier la grâce et la misé­ri­corde du Père, « tou­jours vivant pour inter­cé­der en notre faveur ». Les prières qui naissent de son amour inépui­sable et sont adres­sées au Père ne cessent jamais. Comme « dans les jours de sa chair », aujourd’­hui, triom­phant dans le ciel, il prie son Père céleste avec non moins d’ef­fi­ca­ci­té, et à Celui qui « a tel­le­ment aimé le monde qu’il a don­né son Fils unique, afin que qui­conque croit en lui ne périsse point, mais ait la vie éter­nelle », il montre son Cœur vivant et comme bles­sé, brû­lant d’un amour plus intense que lorsque, inani­mé, il fut bles­sé par la lance du sol­dat romain : « (ton Cœur), a été bles­sé afin que, par la bles­sure visible, nous voyions la bles­sure de l’a­mour invi­sible »…

45. Il ne fait donc aucun doute que le Père céleste, « qui n’a pas épar­gné son propre Fils, mais l’a livré à la mort pour nous tous », lorsque des prières lui sont adres­sées par un tel avo­cat, avec un amour si ardent, ne refu­se­ra jamais de faire des­cendre par lui sur tous les hommes l’a­bon­dance de ses grâces divines.

46. Nous avons vou­lu, Vénérables Frères, vous expo­ser, à vous et au peuple chré­tien, dans ses grands traits, la nature intime du culte du Cœur très sacré de Jésus et les éter­nelles richesses qui en découlent, telles qu’elles résultent, comme de leur source pre­mière, de la doc­trine révé­lée. Nous pen­sons cepen­dant que Nos consi­dé­ra­tions, éclai­rées de la lumière de l’Évangile, ont fait res­sor­tir que ce culte n’est rien d’autre en sub­stance que le culte de l’a­mour divin et humain du Verbe incar­né, et même que le culte de cet amour dont éga­le­ment le Père et l’Esprit-​Saint entourent les pécheurs ; car, comme l’en­seigne le Docteur Angélique, l’a­mour de la Sainte Trinité est le prin­cipe de la Rédemption humaine, puis­qu’il débor­dait sur la volon­té humaine de Jésus-​Christ et son Cœur ado­rable, et que c’est ce même amour qui l’a conduit à répandre son Sang pour nous déli­vrer de la cap­ti­vi­té du péché : « J’ai à rece­voir un bap­tême, et comme je suis dans l’an­goisse jus­qu’à ce qu’il soit accom­pli ! »

47. Nous sommes donc per­sua­dés que le culte par lequel nous hono­rons l’a­mour de Dieu et de Jésus-​Christ envers le genre humain, à tra­vers le signe auguste du Cœur trans­per­cé du Rédempteur cru­ci­fié, n’a jamais été com­plè­te­ment étran­ger à la pié­té des fidèles, bien qu’il ait été mis en pleine lumière et qu’il ait été répan­du uni­ver­sel­le­ment d’une façon remar­quable dans l’Église à une époque qui n’est pas si éloi­gnée de la nôtre, par­ti­cu­liè­re­ment après que le Seigneur eut lui-​même révé­lé en pri­vé ce mys­tère divin à cer­tains de ses fils pri­vi­lé­giés qu’il avait choi­sis pour être ses mes­sa­gers et ses hérauts.

48. À la véri­té, il y eut tou­jours des hommes spé­cia­le­ment dévoués à Dieu, qui, sui­vant l’exemple de la Mère de Dieu, des apôtres et des illustres Pères de l’Église, ont ren­du un culte d’a­do­ra­tion, d’ac­tion de grâce et d’a­mour à la nature humaine très sainte du Christ, et par­ti­cu­liè­re­ment aux bles­sures dont son Corps a été déchi­ré lors de ses salu­taires tourments.

49. Ces paroles de l’a­pôtre Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » qui expriment que de l’in­cré­dule qu’il était il est deve­nu un héraut de la foi, ne contiennent-​elles pas, sans aucun doute, une pro­fes­sion de foi, d’a­do­ra­tion et d’a­mour qui, au delà de la nature humaine bles­sée du Seigneur, s’é­lève à la majes­té de la Personne divine ?

50. Si, par le Cœur trans­per­cé du Sauveur, les hommes sont tou­jours plus ardem­ment por­tés à hono­rer son amour infi­ni qui embrasse le genre humain – les paroles du pro­phète Zacharie, appli­quées par saint Jean l’Évangéliste à Jésus cru­ci­fié : « Ils regar­de­ront Celui qu’ils ont trans­per­cé », s’a­dressent aux chré­tiens de tous les temps – il faut cepen­dant recon­naître que ce n’est que peu à peu et pro­gres­si­ve­ment que ce même Cœur a fait l’ob­jet d’un culte par­ti­cu­lier, en tant qu’i­mage de l’a­mour divin et humain du Verbe incarné.

51. Si Nous vou­lons évo­quer les étapes glo­rieuses par­cou­rues par ce culte au cours de l’his­toire de la pié­té chré­tienne, nous voyons tout de suite se pré­sen­ter à nous les noms de cer­tains de ceux qui ont acquis une célé­bri­té par­ti­cu­lière dans ce domaine et qui doivent être tenus pour les pion­niers d’une forme de reli­gion qui se répan­dait de plus en plus pri­vé­ment et pro­gres­si­ve­ment dans les com­mu­nau­tés reli­gieuses. Nous citons par exemple, par­mi ceux qui ont affer­mi ce culte du Cœur très sacré de Jésus, l’ont fait pro­gres­si­ve­ment se déve­lop­per et ont, ain­si, bien méri­té de lui : saint Bonaventure, saint Albert le Grand, sainte Gertrude, sainte Catherine de Sienne, le bien­heu­reux Henri Suso, saint Pierre Canisius, saint François de Sales. Saint Jean Eudes fut l’au­teur du pre­mier office litur­gique célé­bré en l’hon­neur du Cœur très sacré de Jésus, dont la fête solen­nelle, avec l’ap­pro­ba­tion de nom­breux évêques de France, fut célé­brée pour la pre­mière fois le 20 octobre 1672. Mais, par­mi ceux qui ont pro­mu ce mode très noble de reli­gion, il faut assu­ré­ment faire une place spé­ciale à sainte Marguerite-​Marie Alacoque, qui, avec le bien­heu­reux Claude de la Colombière, son direc­teur spi­ri­tuel, réus­sit, par son zèle remar­quable, à ce que soit éta­blit ce culte, qui prit tant d’ex­ten­sion, à la grande admi­ra­tion des fidèles, et que, à cause de ses pro­prié­tés d’a­mour et de répa­ra­tion, il soit dis­tin­gué des autres formes de la pié­té chrétienne.

52. Il suf­fit d’é­vo­quer cette époque où se déve­lop­pait le culte du Cœur très sacré de Jésus pour com­prendre par­fai­te­ment que son admi­rable pro­gres­sion tenait à ce qu’il conve­nait par­fai­te­ment à la nature de la reli­gion chré­tienne, qui est une reli­gion d’a­mour. On ne doit donc pas dire que ce culte tire son ori­gine d’une révé­la­tion pri­vée faite par Dieu ni qu’il est appa­ru sou­dai­ne­ment dans l’Église, mais qu’il a fleu­ri spon­ta­né­ment de la foi vivante et de la pié­té fer­vente dont étaient ani­mées des per­sonnes pri­vi­lé­giées à l’é­gard du Rédempteur ado­rable et de ses glo­rieuses bles­sures, témoi­gnages les plus élo­quents de son immense amour.

Ainsi, comme on le voit, ce qui a été révé­lé à sainte Marguerite-​Marie n’a rien appor­té de nou­veau à la doc­trine catho­lique. Son impor­tance vient de ce que le Christ Notre-​Seigneur, en mon­trant son Cœur très sacré, a vou­lu rete­nir d’une façon extra­or­di­naire et sin­gu­lière les esprits des hommes pour qu’ils contemplent et honorent le mys­tère de l’a­mour misé­ri­cor­dieux de Dieu à l’é­gard du genre humain. Par cette mani­fes­ta­tion par­ti­cu­lière, le Christ, en des paroles expresses et réité­rées, a mon­tré son Cœur comme le sym­bole qui atti­re­rait les hommes à la connais­sance de son amour ; en même temps, il en a fait comme le signe et le gage de sa misé­ri­corde et de sa grâce pour les besoins de l’Église de notre temps.

53. En outre, le fait que le Siège apos­to­lique ait approu­vé cette litur­gie solen­nelle avant les écrits de sainte Marguerite-​Marie montre mani­fes­te­ment que ce culte découle des prin­cipes mêmes de la doc­trine chré­tienne ; ce n’est pas pro­pre­ment à cause d’une révé­la­tion divine pri­vée, mais pour répondre aux vœux des fidèles que la Sacrée Congrégation des Rites, par un décret du 25 jan­vier 1765, approu­vé par Notre Prédécesseur Clément XIII le 6 février de la même année, a auto­ri­sé les évêques de Pologne et l’Archiconfrérie romaine, dite du Cœur très sacré de Jésus, à célé­brer la fête litur­gique ; ce fai­sant, le Siège apos­to­lique a vou­lu déve­lop­per un culte déjà en vigueur dont le sym­bole était de « rap­pe­ler le sou­ve­nir de ce divin amour », qui a conduit notre Sauveur à s’of­frir comme vic­time pour expier les crimes des hommes.

54. Cette pre­mière appro­ba­tion, qui était un pri­vi­lège et se restrei­gnait à cer­taines fins, fut sui­vie, presque un siècle plus tard, d’une autre beau­coup plus impor­tante et expri­mée en paroles plus solen­nelles. Nous vou­lons par­ler du décret que nous avons rap­pe­lé plus haut, de la Sacrée Congrégation des Rites, du 23 août 1856, par lequel Notre pré­dé­ces­seur d’im­mor­telle mémoire, Pie IX, répon­dant aux prières des évêques de France et de presque tout le monde catho­lique, a ordon­né que la fête du Cœur très sacré de Jésus fût éten­due à l’Église entière et fût célé­brée par elle comme il convient. Ce fait, doit être avec juste rai­son recom­man­dé au sou­ve­nir éter­nel des fidèles car, comme nous le lisons dans la litur­gie de cette fête : “Le culte du Cœur très sacré de Jésus, comme un fleuve débor­dant, ren­ver­sant tous les obs­tacles, se répand dans le monde entier”.

55. Après ce que Nous venons d’ex­po­ser, Vénérables Frères, il res­sort avec évi­dence de la Sainte Écriture, de la Tradition, de la Liturgie sacrée, comme d’une source claire et pro­fonde, que les fidèles doivent reve­nir au culte du Cœur très sacré de Jésus s’ils dési­rent péné­trer dans son inti­mi­té et y trou­ver dans la médi­ta­tion un ali­ment pour entre­te­nir et aug­men­ter leur ardeur reli­gieuse. Si ce culte est pra­ti­qué assi­dû­ment, avec un esprit éclai­ré et des vues éle­vées, il est impos­sible qu’une âme fidèle ne par­vienne pas à cette douce connais­sance de l’a­mour du Christ, qui est la somme de vie chré­tienne, comme l’en­seigne l’Apôtre, se réfé­rant à son expé­rience per­son­nelle : « À cause de cela, je flé­chis le genou devant le Père…, afin qu’il vous donne, selon les tré­sors de sa gloire, d’être puis­sam­ment for­ti­fiés par son Esprit en vue de l’homme inté­rieur et que le Christ habite dans vos cœurs par la foi, de sorte que, étant enra­ci­nés et fon­dés dans la cha­ri­té vous deve­niez capables de… connaître l’a­mour du Christ, qui sur­passe toute connais­sance, en sorte que vous soyez rem­plis de toute la plé­ni­tude de Dieu. »

Le Cœur du Christ Jésus est lui-​même une image très claire de cette plé­ni­tude uni­ver­selle de Dieu : plé­ni­tude de misé­ri­corde, voulons-​Nous dire, qui est propre au Nouveau Testament, dans lequel « se sont mani­fes­tés la bon­té de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes » : « Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condam­ner le monde, mais pour que le monde soit sau­vé par lui. »

56. Ce fut tou­jours la convic­tion de l’Église, à qui il revient d’en­sei­gner les hommes dès les pre­miers docu­ments offi­ciels concer­nant le culte du Cœur très sacré de Jésus, que les rai­sons qui en sont à la base, c’est-​à-​dire l’acte d’a­mour et de répa­ra­tion par lequel on honore l’a­mour infi­ni de Dieu envers le genre humain, ne sont pas du tout enta­chées de super­sti­tion et de ce que l’on appelle « maté­ria­lisme », mais que ce culte est une forme de pié­té qui par­fait plei­ne­ment la reli­gion du point de vue spi­ri­tuel et que le Sauveur lui-​même avait annon­cée lors­qu’il disait à la Samaritaine : « Mais l’heure vient, et c’est main­te­nant, où les vrais ado­ra­teurs ado­re­ront le Père en esprit et en véri­té ; aus­si bien, le Père désire que soient tels ceux qui l’a­dorent ; Dieu est esprit, et ceux qui l’a­dorent doivent l’a­do­rer en esprit et en véri­té. »

57- Il est donc faux de dire que la contem­pla­tion du Cœur phy­sique de Jésus empêche de par­ve­nir à l’a­mour intime de Dieu et qu’elle retarde l’âme dans le che­min qui conduit aux plus hautes ver­tus. L’Église rejette com­plè­te­ment cette fausse doc­trine mys­tique, comme par la voix de Notre Prédécesseur d’heu­reuse mémoire, Innocent XI, elle a reje­té les asser­tions de ceux qui disaient : « Elles (les âmes de cette voie inté­rieure) ne doivent pas expri­mer des mou­ve­ments d’a­mour à l’é­gard de la Sainte Vierge, des saints ou de l’hu­ma­ni­té du Christ, parce que ces objets étant sen­sibles, il en est de même de l’a­mour à leur égard. Aucune créa­ture, ni la Sainte Vierge, ni les saints, ne doivent avoir de place dans notre cœur, parce que seul Dieu veut l’oc­cu­per et le pos­sé­der. »

Il est mani­feste que ceux qui pensent ain­si estiment que l’i­mage du Cœur du Christ ne signi­fie rien de plus éle­vé que son amour sen­sible, et même qu’il n’y a rien en elle qui puisse consti­tuer le nou­veau fon­de­ment d’un culte de latrie, ce culte ne conve­nant qu’à ce qui est divin de nature. Mais il n’est per­sonne qui ne voie que cette façon d’in­ter­pré­ter les saintes images est abso­lu­ment fausse, puis­qu’elle cir­cons­crit dans des limites trop étroites leur signi­fi­ca­tion trans­cen­dante. Les théo­lo­giens catho­liques ne pensent ni n’en­seignent ain­si. Saint Thomas écrit : « Il n’est pas ren­du de culte reli­gieux aux images consi­dé­rées en elles-​mêmes comme des choses, mais en tant qu’elles sont des images condui­sant au Dieu incar­né. Le sen­ti­ment qui est lié à l’i­mage en tant qu’i­mage ne se limite pas à elle, mais il tend vers Celui dont elle est l’i­mage. C’est pour­quoi, lorsque l’on rend un culte reli­gieux aux images du Christ il n’y a pas de dévia­tion du culte de latrie ni de la ver­tu de reli­gion. » C’est donc à la Personne même du Verbe incar­né en tant que fin que s’a­dresse le culte rela­tif qui est ren­du aux images, soit aux reliques se rap­por­tant aux affreux tour­ments que notre Sauveur a sup­por­tés pour nous, soit à cette image dont la puis­sance et la signi­fi­ca­tion dépassent tout le reste, le Cœur du Christ qui a été trans­per­cé sur la croix.

58. C’est pour­quoi, de cette chose cor­po­relle qu’est le Cœur de Jésus-​Christ et de sa signi­fi­ca­tion natu­relle, nous pou­vons et nous devons, sou­te­nus par la foi chré­tienne, nous éle­ver non seule­ment jus­qu’à la contem­pla­tion de son amour, qui est per­çu par les sens, mais encore plus haut, jus­qu’à la contem­pla­tion et l’a­do­ra­tion de son suprême amour infus ; et enfin, dans une cer­taine dis­po­si­tion d’âme à la fois douce et sublime, jus­qu’à la médi­ta­tion et l’a­do­ra­tion de l’a­mour divin du Verbe incar­né. À la lumière donc de la foi, par laquelle nous croyons que les deux natures, humaine et divine, sont unies dans la per­sonne du Christ, nous pou­vons conce­voir les liens très étroits qui existent entre l’a­mour sen­sible du Cœur phy­sique de Jésus et son double amour spi­ri­tuel humain et divin. On ne doit pas dire seule­ment de ces amours qu’ils existent ensemble dans la per­sonne ado­rable du divin Rédempteur, mais qu’ils sont liés entre eux par un lien natu­rel, l’a­mour humain et l’a­mour sen­sible sont subor­don­nés à l’a­mour divin et ils reflètent en eux la res­sem­blance ana­lo­gique de ce dernier.

Nous ne pré­ten­dons pas qu’il faille pen­ser que dans le Cœur de Jésus l’on doive voir et ado­rer l’i­mage dite for­melle, c’est-​à-​dire le signe par­fait et abso­lu de son amour divin, puis­qu’il n’est pas pos­sible d’en repré­sen­ter l’es­sence intime d’une façon adé­quate par une quel­conque image créée ; mais le fidèle, en ren­dant un culte au Cœur de Jésus, adore avec l’Église un signe et comme un mémo­rial de l’a­mour divin qui a été jus­qu’à aimer, éga­le­ment avec le Cœur du Verbe incar­né, le genre humain cou­pable de tant de fautes.

59. Il est donc néces­saire, dans ce cha­pitre de doc­trine si impor­tant et si déli­cat, que cha­cun ait tou­jours pré­sent à l’es­prit que la véri­té du sym­bole natu­rel en ver­tu duquel le Cœur phy­sique de Jésus est rat­ta­ché à la Personne du Verbe, repose tout entière sur la véri­té fon­da­men­tale de l’u­nion hypo­sta­tique ; si quel­qu’un nie cela, il renou­velle les erreurs plu­sieurs fois condam­nées par l’Église, parce que contraires à l’u­ni­té de per­sonne dans le Christ ain­si qu’à la dis­tinc­tion et à l’in­té­gri­té des deux natures.

60. Cette véri­té fon­da­men­tale fait com­prendre que le Cœur de Jésus est le Cœur de la Personne divine, c’est-​à-​dire du Verbe incar­né et qu’il repré­sente et, pour ain­si dire, met sous nos yeux tout l’a­mour qu’il a eu et qu’il conti­nue d’a­voir pour nous. C’est pour­quoi il faut atta­cher une telle impor­tance au culte que l’on doit rendre au Cœur très sacré de Jésus, comme cela serait de la pro­fes­sion pra­tique de toute la reli­gion chré­tienne. La reli­gion de Jésus repose en effet entiè­re­ment sur l’homme-​Dieu média­teur, de sorte que l’on ne peut atteindre le Cœur de Dieu que par le Cœur du Christ, comme lui-​même l’a dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; per­sonne ne va au Père que par moi. » Nous pou­vons ain­si faci­le­ment conclure que le culte du Cœur très sacré de Jésus est en sub­stance le culte de l’a­mour que Dieu a pour nous en Jésus et en même temps la pra­tique de notre amour envers Dieu et les autres hommes ; ou, en d’autres termes, ce culte se pro­pose l’a­mour de Dieu envers nous comme objet d’a­do­ra­tion, d’ac­tion de grâce et d’i­mi­ta­tion ; il a pour fin de nous conduire à la per­fec­tion et à la plé­ni­tude de l’a­mour qui nous unit à Dieu et aux autres hommes, en sui­vant tou­jours plus allè­gre­ment le com­man­de­ment nou­veau que le divin Maître a lais­sé aux apôtres comme un héri­tage sacré, lors­qu’il leur a dit : « Je vous donne un com­man­de­ment nou­veau : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés… Ceci est mon com­man­de­ment : que vous vous aimiez les uns les autres. » Ce com­man­de­ment est vrai­ment nou­veau et propre au Christ, car, comme l’é­crit saint Thomas d’Aquin : « La dif­fé­rence entre le Nouveau et l’Ancien Testament se résume à peu de chose ; le pro­phète Jérémie dit en effet : “Je conclu­rai avec la mai­son d’Israël une alliance nou­velle.”» L’accomplissement de ce com­man­de­ment dans l’Ancien Testament, sous l’ef­fet de la crainte et d’un amour saint, relève du Nouveau Testament : c’est pour­quoi ce com­man­de­ment était dans l’an­cienne Loi, non comme lui étant propre, mais comme une pré­pa­ra­tion à la nou­velle Loi.

61. Avant de mettre fin à ces réflexions si belles et si conso­lantes sur l’au­then­tique nature et la richesse chré­tienne de ce culte, conscient des devoirs de Notre charge apos­to­lique qui a été confiée en pre­mier à saint Pierre après sa triple pro­fes­sion d’a­mour envers le Christ Notre-​Seigneur, Nous croyons oppor­tun de vous renou­ve­ler, Vénérables Frères, à vous et par votre inter­mé­diaire à tous Nos chers fils dans le Christ, Nos exhor­ta­tions à pro­mou­voir acti­ve­ment cette forme très suave de dévo­tion ; Nous espé­rons en effet, qu’il en naî­tra pour notre époque éga­le­ment de nom­breux bienfaits.

62. En réa­li­té, si l’on exa­mine comme il faut les argu­ments sur les­quels se fonde le culte ren­du au Cœur trans­per­cé de Jésus, il est mani­feste pour tout le monde qu’il ne s’a­git pas d’une forme com­mune de pié­té que cha­cun peut arbi­trai­re­ment faire pas­ser en second rang ou dépré­cier, mais d’une dis­ci­pline qui conduit excel­lem­ment à la per­fec­tion chré­tienne. Car si, selon le concept théo­lo­gique tra­di­tion­nel ensei­gné par le Docteur Angélique « la dévo­tion appa­raît comme n’é­tant rien d’autre que la volon­té de se don­ner avec empres­se­ment aux choses qui concernent le ser­vice de Dieu », peut-​il y avoir un ser­vice de Dieu plus obli­ga­toire et plus néces­saire, plus noble et plus doux que celui qui est ren­du à son amour ? Quel ser­vice peut être plus agréable à Dieu que celui qui est ren­du par amour à son divin amour, puisque tout ser­vice ren­du libé­ra­le­ment est en quelque sorte un don et que l’a­mour « consti­tue le pre­mier don, source de tout don gra­tuit » ? Il faut donc avoir en très grand hon­neur cette forme de culte qui per­met à l’homme de mieux hono­rer et aimer Dieu et de se consa­crer avec plus de faci­li­té et de promp­ti­tude à l’a­mour divin ; notre Rédempteur lui-​même a dai­gné nous la pro­po­ser et la recom­man­der au peuple chré­tien, et les Souverains Pontifes, dans des docu­ments mémo­rables, l’ont pro­té­gée et l’ont cou­verte de louanges éle­vées. Par consé­quent, celui qui mani­fes­te­ment sous-​estimerait ce bien­fait don­né par Jésus-​Christ à l’Église agi­rait mal et témé­rai­re­ment, et offen­se­rait Dieu lui-même.

63. Il ne fait ain­si aucun doute que les fidèles qui rendent hom­mage au Cœur très sacré du Rédempteur satis­font à l’o­bli­ga­tion très impor­tante qu’ils ont de ser­vir Dieu, de consa­crer au Créateur et Rédempteur leurs per­sonnes, leurs sen­ti­ments intimes et leurs acti­vi­tés, et ils obéissent par là au com­man­de­ment divin : « Tu aime­ras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. » Ils ont de plus la ferme cer­ti­tude que ce ne sont pas des avan­tages per­son­nels, cor­po­rels ou spi­ri­tuels, tem­po­rels ou éter­nels, qui sont leur prin­ci­pal motif de ser­vir Dieu, mais la bon­té de Dieu lui-​même auquel ils cherchent à rendre hom­mage en l’ai­mant, en l’a­do­rant et en lui ren­dant les grâces qui lui sont dues.

S’il n’en était pas ain­si, le culte au Cœur très sacré de Jésus ne répon­drait pas au carac­tère authen­tique de la reli­gion chré­tienne, car alors l’homme n’au­rait pas en vue dans ce culte avant tout l’a­mour divin ; ce serait alors à bon droit que l’on par­le­rait de l’ex­cès d’a­mour ou de sol­li­ci­tude pour soi-​même que mani­festent quel­que­fois ceux qui com­prennent ou pra­tiquent mal cette très noble dévo­tion. Tous doivent donc avoir la ferme per­sua­sion que le culte très auguste du Cœur de Jésus ne consiste pas avant tout dans des mani­fes­ta­tions exté­rieures de pié­té, ni prin­ci­pa­le­ment dans la demande d’a­van­tages dont le Christ Notre-​Seigneur a par­lé dans des pro­messes pri­vées pour que les hommes s’ac­quittent avec plus de fer­veur des prin­ci­pales obli­ga­tions de la reli­gion catho­lique, l’a­mour et l’ex­pia­tion, et par là pour­voient au mieux à leurs avan­tages spirituels.

64. C’est pour­quoi Nous exhor­tons tous Nos fils dans le Christ à pra­ti­quer avec fer­veur cette forme de dévo­tion, ceux qui ont déjà l’ha­bi­tude de pui­ser aux eaux salu­taires qui coulent du Cœur du Rédempteur, ceux sur­tout qui la regardent de loin, en spec­ta­teurs, avec curio­si­té et hési­ta­tion. Qu’ils voient bien qu’il s’a­git, comme Nous l’a­vons déjà dit, d’un culte déjà très ancien dans l’Église, soli­de­ment fon­dé sur l’Écriture, qui est en accord avec la tra­di­tion et la litur­gie, et que les Pontifes romains ont cou­vert de très nom­breuses et très hautes louanges ; non seule­ment ils ont ins­ti­tué une fête en l’hon­neur du Cœur très auguste du Rédempteur qu’ils ont éten­due à toute l’Église, mais ils lui ont consa­cré solen­nel­le­ment tout le genre humain. L’Église en a reçu des fruits abon­dants et très récon­for­tants ; de nom­breux retours à la reli­gion chré­tienne, un renou­veau de foi chez beau­coup, une union plus étroite des fidèles avec notre Rédempteur très aimant : tous ces fruits se sont mon­trés être par­ti­cu­liè­re­ment nom­breux et impor­tants au cours de ces der­rières décennies.

65. En regar­dant le si mer­veilleux spec­tacle de la pié­té à l’é­gard du Cœur très sacré de Jésus si lar­ge­ment répan­due dans tous les groupes de fidèles, et si ardente, Nous Nous sen­tons rem­pli de conso­la­tion, de recon­nais­sance et de joie ; et après avoir ren­du à notre Rédempteur, qui est un tré­sor infi­ni de bon­té, les grâces qui lui sont dues, Nous ne pou­vons que remer­cier pater­nel­le­ment tous ceux, clercs et laïcs, qui ont col­la­bo­ré acti­ve­ment à pro­mou­voir ce culte.

66. Mais, Vénérables Frères, mal­gré les fruits abon­dants de vie chré­tienne qu’a pro­duits par­tout la dévo­tion au Cœur très sacré de Jésus, il n’é­chappe à per­sonne que l’Église mili­tante et sur­tout la socié­té civile des hommes n’ont pas encore atteint cette pleine et abso­lue mesure de per­fec­tion qui répond aux vœux de Jésus-​Christ, Époux de l’Église mys­tique et Rédempteur du genre humain. Beaucoup de fils de l’Église, en effet, défi­gurent par de nom­breuses taches et de nom­breuses rides le visage de leur Mère qu’ils reflètent en eux ; tous les fidèles, n’ont pas cette sain­te­té de mœurs à laquelle Dieu les a appe­lés ; tous les pécheurs ne sont pas reve­nus à la mai­son du Père qu’ils ont fau­ti­ve­ment quit­tée pour y revê­tir la plus belle robe et rece­voir à leur doigt l’an­neau, sym­bole de la fidé­li­té à l’Époux de leur âme ; tous les infi­dèles ne font pas encore par­tie du Corps mys­tique du Christ.

Il y a encore plus. Si Nous éprou­vons une dou­leur amère à voir la foi lan­guis­sante des bons qui, séduits par les faux attraits des choses ter­restres, voient dimi­nuer et pro­gres­si­ve­ment s’é­teindre l’ar­deur de l’a­mour divin dans leurs âmes, Nous souf­frons encore bien davan­tage des actes des hommes impies qui, aujourd’­hui plus que jamais, comme exci­tés par l’en­ne­mi infer­nal, pour­suivent d’une haine impla­cable et ouverte Dieu, l’Église, et sur­tout le repré­sen­tant sur la terre du divin Rédempteur et de son amour envers les hommes, selon cette phrase bien connue du doc­teur mila­nais : « (Pierre) est inter­ro­gé sur ce dont on doute, mais le Seigneur qui inter­roge ne doute pas il inter­roge non pour apprendre, mais pour ensei­gner celui que, avant de s’é­le­ver au ciel, il nous lais­sait comme repré­sen­tant de son amour. »

67. En véri­té, la haine à l’é­gard de Dieu et ceux qui le repré­sentent légi­ti­me­ment est une faute comme il ne peut pas en être com­mis de plus grande par les hommes qui ont été créés à l’i­mage et à la res­sem­blance de Dieu et des­ti­nés à jouir per­pé­tuel­le­ment de sa par­faite ami­tié dans le ciel ; la haine de Dieu sépare au plus haut point l’homme du Bien suprême, elle le conduit à écar­ter de lui et de ses proches tout ce qui vient de Dieu, tout ce qui unit à Dieu, tout ce qui mène à la joie de Dieu : la véri­té, la ver­tu, la paix, la justice.

68. On doit mal­heu­reu­se­ment voir que le nombre des enne­mis de Dieu croit en cer­tains pays, que les erreurs du maté­ria­lisme se répandent dans l’o­pi­nion, que la licence effré­née des plai­sirs aug­mente çà et là ; pour­quoi s’étonnerait-​on si dans les âmes de beau­coup dimi­nue la cha­ri­té qui est la loi suprême de la reli­gion chré­tienne, le fon­de­ment solide de la vraie et par­faite jus­tice, la prin­ci­pale source de la paix et des chastes délices ? Comme nous en aver­tit, en effet, notre Sauveur : « À cause des pro­grès crois­sants de l’i­ni­qui­té, la cha­ri­té d’un grand nombre se refroi­di­ra. »

69. Devant le spec­tacle de tant de maux qui, aujourd’­hui plus que jamais, atteignent si vive­ment les indi­vi­dus, les familles, les nations et le monde entier, où devons-​nous, Vénérables Frères, cher­cher le remède ? Peut-​on trou­ver une forme de pié­té supé­rieure au culte du Cœur de Jésus, qui réponde mieux au carac­tère propre de la foi catho­lique, qui sub­vienne mieux aux besoins actuels de l’Église et du genre humain ? Quel culte est plus noble, plus doux, plus salu­taire que celui-​là, tout entier diri­gé vers l’a­mour même de Dieu ? Enfin, quel sti­mu­lant plus effi­cace que l’a­mour du Christ – avi­vé et aug­men­té sans cesse par la dévo­tion au Cœur très sacré de Jésus – pour ame­ner les fidèles à mettre en pra­tique, dans leur vie, la loi évan­gé­lique, sans laquelle – comme nous en aver­tissent les paroles du Saint-​Esprit : « l’œuvre de la jus­tice sera la paix » – il ne peut pas y avoir entre les hommes de paix digne de ce nom ?

70. C’est pour­quoi, sui­vant l’exemple de Notre Prédécesseur immé­diat, il Nous plaît d’a­dres­ser de nou­veau à tous nos fils dans le Christ ces paroles d’a­ver­tis­se­ment que Léon XIII, d’im­mor­telle mémoire, adres­sait à la fin du siècle der­nier à tous les fidèles et à tous ceux qui se pré­oc­cupent sin­cè­re­ment de leur salut et de celui de la socié­té civile : « Aujourd’hui, un autre sym­bole divin, pré­sage très heu­reux, appa­raît à nos yeux : c’est le Cœur très sacré de Jésus… res­plen­dis­sant d’un éclat incom­pa­rable au milieu des flammes. Nous devons pla­cer en lui toutes nos espé­rances ; c’est à lui que nous devons deman­der le salut des hommes, et c’est de lui qu’il faut l’es­pé­rer. »

71. C’est Notre vif désir que tous ceux qui se glo­ri­fient du nom de chré­tiens et qui luttent acti­ve­ment pour éta­blir le Royaume du Christ dans le monde trouvent dans la dévo­tion au Cœur de Jésus comme un éten­dard et une source d’u­ni­té, de salut et de paix. Cependant, per­sonne ne doit pen­ser que ce culte porte pré­ju­dice aux autres formes de dévo­tion dont le peuple chré­tien, sous la conduite de l’Église, honore le divin Rédempteur. Au contraire, une dévo­tion fer­vente envers le Cœur de Jésus ali­men­te­ra et accroî­tra sans aucun doute, par­ti­cu­liè­re­ment, le culte de la sainte croix et l’a­mour envers le très auguste Sacrement de l’autel.

Nous pou­vons en effet affir­mer – ce qui est mer­veilleu­se­ment illus­tré par les révé­la­tions faites par Jésus-​Christ à sainte Gertrude et à sainte Marguerite-​Marie – que nul ne peut vrai­ment bien com­prendre Jésus cru­ci­fié s’il n’a d’a­bord péné­tré dans le mys­té­rieux sanc­tuaire de son Cœur. Et on ne sai­si­ra bien la force de l’a­mour qui pous­sa le Christ à se don­ner à nous comme ali­ment spi­ri­tuel, qu’en hono­rant d’un culte par­ti­cu­lier le Cœur eucha­ris­tique de Jésus, qui a pour but de nous rap­pe­ler, selon les termes de Notre pré­dé­ces­seur d’heu­reuse mémoire Léon XIII, « l’acte d’a­mour suprême par lequel notre Rédempteur, répan­dant toutes les richesses de son Cœur, afin de demeu­rer avec nous jus­qu’à la fin des siècles, ins­ti­tua l’a­do­rable Sacrement de l’Eucharistie ». Et certes « ce n’est pas une part minime de son Cœur que l’Eucharistie, qu’il a tirée pour nous de la si grande cha­ri­té de son Cœur ».

72. Enfin, pous­sés par le désir ardent d’op­po­ser de solides bar­rières aux machi­na­tions impies des enne­mis de Dieu et de l’Église, et de rame­ner dans le sen­tier de l’a­mour de Dieu et du pro­chain les familles et les nations, Nous n’hé­si­tons pas à pré­sen­ter le culte du Cœur très sacré de Jésus comme l’é­cole la plus effi­cace de l’a­mour divin ; Nous par­lons de l’a­mour divin qui doit être le fon­de­ment du Royaume de Dieu dans toutes les âmes, dans les familles et les nations, pour les affer­mir, comme le disait avec beau­coup de sagesse Notre Prédécesseur de pieuse mémoire : “Le Royaume de Jésus-​Christ trouve sa force et sa beau­té dans l’a­mour divin : son fon­de­ment et son som­met sont d’ai­mer sain­te­ment et dans l’ordre. De là résultent néces­sai­re­ment les prin­cipes sui­vants : rem­plir ses devoirs invio­la­ble­ment ; ne pas com­mettre d’in­jus­tice envers son pro­chain ; faire pas­ser les biens humains après les biens célestes ; mettre l’a­mour de Dieu au-​dessus de toutes choses”.

73. Pour que des fruits plus abon­dants découlent dans la famille chré­tienne et dans tout le genre humain du culte du Cœur très sacré de Jésus, les fidèles doivent veiller à l’as­so­cier étroi­te­ment au culte envers le Cœur imma­cu­lé de Marie. Puisque, de par la volon­té de Dieu, la Bienheureuse Vierge Marie a été indis­so­lu­ble­ment unie au Christ dans l’œuvre de la Rédemption humaine, afin que notre salut vienne de l’a­mour de Jésus-​Christ et de ses souf­frances inti­me­ment unis à l’a­mour et aux dou­leurs de sa Mère, il convient par­fai­te­ment que le peuple chré­tien qui a reçu la vie divine du Christ par Marie, après avoir ren­du le culte qui lui est dû au Cœur très sacré de Jésus, rende aus­si au Cœur très aimant de sa céleste Mère de sem­blables hom­mages de pié­té, d’a­mour, de gra­ti­tude et de répa­ra­tion. C’est en par­fait accord avec ce des­sein très sage et très suave de la Providence divine que Nous avons, par un acte mémo­rable, solen­nel­le­ment consa­cré la sainte Église et le monde entier au Cœur imma­cu­lé de la Bienheureuse Vierge Marie.

74. Il y aura un siècle cette année, comme Nous le disions plus haut, qu’en ver­tu d’une déci­sion de Notre Prédécesseur d’heu­reuse mémoire Pie IX, la fête du Sacré-​Cœur de Jésus est célé­brée dans l’Église Universelle. Nous dési­rons vive­ment, Vénérables Frères, que le peuple chré­tien fête par­tout solen­nel­le­ment ce Centenaire en ren­dant au divin Cœur de Jésus des hom­mages publics d’a­do­ra­tion, d’ac­tion de grâces et d’ex­pia­tion. Ces fêtes de la joie et de la pié­té chré­tiennes se célé­bre­ront avec une fer­veur par­ti­cu­lière – en union de cha­ri­té et de prière avec les fidèles du monde entier – dans la Nation où Dieu vou­lut que naquit la Vierge consa­crée qui fut l’a­ni­ma­trice et l’in­fa­ti­gable pro­mo­trice de ce culte.

75. Réconforté d’une très douce espé­rance et Nous réjouis­sant à l’a­vance des fruits spi­ri­tuels qui, Nous en avons confiance, résul­te­ront pour l’Église du culte du Cœur très sacré de Jésus – si du moins il est bien com­pris et pra­ti­qué avec fer­veur confor­mé­ment à ce que Nous avons expo­sé, – Nous prions Dieu pour qu’il veuille bien, avec le puis­sant secours de sa grâce, secon­der Nos vœux ardents ; que, par la grâce du Très-​Haut, la pié­té des fidèles à l’é­gard du Cœur très sacré de Jésus trouve dans les solen­ni­tés de cette année un accrois­se­ment conti­nuel, et que s’é­tende davan­tage pour tous dans le monde entier sa sou­ve­rai­ne­té et son royaume très doux : royaume « de véri­té et de vie, royaume de sain­te­té et de grâce ; royaume de jus­tice, d’a­mour et de paix « .

76. En gage de ces bien­faits, à cha­cun de vous, Vénérables Frères, au cler­gé et aux fidèles qui vous sont confiés, par­ti­cu­liè­re­ment à ceux qui se consacrent à pro­mou­voir et à accroître le culte du Cœur très sacré de Jésus, Nous accor­dons avec toute l’ef­fu­sion de Notre cœur la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, auprès de Saint-​Pierre, le 15 mai de l’an 1956, de Notre pon­ti­fi­cat le dix-huitième.

Pie PXII, Pape.