La sainteté sacerdotale

La fin du sacer­doce, cela n’a jamais fait l’ombre d’un doute pour per­sonne dans la Fraternité, n’est pas la sain­te­té du prêtre, mais la gloire de Dieu par le salut des âmes, ou « le salut des hommes pour la gloire de Dieu.

P. Libermann

Nous savons tous que la meilleure défense est tou­jours l’attaque mais encore faut-​il tirer juste et droit, et ne pas dire qu’il faut tirer sim­ple­ment pour jus­ti­fier son tir. On peut aus­si, hélas, enfon­cer des portes ouvertes en fai­sant croire qu’elles sont fer­mées afin de jus­ti­fier son action.

Je note, en effet, que l’article [1] en ques­tion laisse sup­po­ser que se répand dans la Fraternité (ou par la Fraternité) une concep­tion erro­née de la sain­te­té sacer­do­tale prise comme but du sacre­ment de l’ordre. Je dois confes­ser bête­ment que, pour mon compte, je n’ai jamais lu ou enten­du rien de semblable.

Je note encore que Monseigneur Lefebvre est savam­ment uti­li­sé pour se contre­dire lui-​même, avec l’usage exclu­sif de cita­tions d’ordre spi­ri­tuel ou moral, fort belles et justes, mais toutes emprun­tées aux lettres de Monseigneur lorsqu’il était évêque mis­sion­naire ou à l’Itinéraire spi­ri­tuel. Pas une seule réfé­rence n’est faite à ce docu­ment pour­tant fon­da­men­tal que consti­tuent les Statuts de la Fraternité.

Cela entraîne par voie de consé­quence une sub­tile confu­sion entre les fins, confu­sion propre à embrouiller les âmes simples et à les convaincre du péril que court et fait cou­rir la Fraternité. Donc, essayons de cla­ri­fier en distinguant.

Il y a la finalité du sacerdoce

  • la fina­li­té, ou le but de la Fraternité
  • et la fina­li­té ou la mis­sion du séminaire.

La fin du sacer­doce, cela n’a jamais fait l’ombre d’un doute pour per­sonne dans la Fraternité, n’est pas la sain­te­té du prêtre, mais la gloire de Dieu par le salut des âmes, ou « le salut des hommes pour la gloire de Dieu » (P. Libermann).
La fina­li­té de la Fraternité est clai­re­ment expri­mée dans ses Statuts. Il s’agit bel et bien de la for­ma­tion de saints prêtres et de l’aide aux prêtres pour la pré­ser­va­tion de cette sain­te­té, afin de don­ner à l’Église des prêtres aptes à obte­nir « le salut des hommes pour la gloire de Dieu ».

La fina­li­té du sémi­naire est « la for­ma­tion de prêtres zélés et géné­reux » (décret d’érection de la Fraternité. 1.11.1970), c’est-à-dire de pré­pa­rer des can­di­dats au sacer­doce suf­fi­sam­ment munis des ver­tus néces­saires au sacer­doce, à savoir la science suf­fi­sante et la sain­te­té de vie, ou une ver­tu émi­nente (cf. saint Thomas. Suppl. 35, 1 ad 3 – 35,4 – 36,1 et 2).

Cela dit, tout est dit et tout est clair. La confu­sion et le malaise ne peuvent exis­ter que chez les prêtres qui n’admettent pas ou sup­portent dif­fi­ci­le­ment les contraintes et les condi­tions de vie que leur imposent les Statuts de la Fraternité dans le but de leur conser­ver les ver­tus néces­saires à l’exercice fruc­tueux de leur apostolat.

S’il faut nous appuyer sur le Docteur com­mun, je cite­rai sim­ple­ment ce com­men­taire de l’Épître aux Hébreux (5, 1) : « Le pon­tife est éta­bli pour ce qui regarde le culte de Dieu ; tou­te­fois il doit être l’intermédiaire entre l’homme et Dieu (Dt 5, 5) : « Je fus alors l’entremetteur entre le Seigneur et vous. » De même donc que par la dévo­tion et la prière, le pon­tife doit tou­cher Dieu, comme l’un des extrêmes, ain­si par la com­pas­sion et la misé­ri­corde, il doit tou­cher l’autre extrême, c’est-à-dire l’homme ». »

Nous savons encore com­bien Monseigneur tenait en haute estime le « Traité du minis­tère ecclé­sias­tique » du Père Emmanuel, et com­bien de fois il nous l’a cité dans ses confé­rences spi­ri­tuelles, pour nous ensei­gner à son tour « l’ordre vrai des trois grandes fonc­tions du minis­tère : la prière – la pré­di­ca­tion – l’administration des sacrements ».

Faut-​il citer encore les Lettres Pastorales de Monseigneur ?

« Vous êtes prêtres d’un sacer­doce de prière, de louange, d’adoration en pre­mier lieu. Vous êtes prêtres en second lieu d’un sacer­doce sanc­ti­fi­ca­teur de vos âmes et de celles de votre pro­chain, et par­ti­cu­liè­re­ment de ceux vers les­quels vous êtes envoyés. »
« Vous êtes prêtres en consé­quence d’un sacer­doce d’immolation, de sacri­fice de vous-mêmes. »

Monseigneur écri­vait cela à ses prêtres mis­sion­naires le 26.10.1958, au « com­men­ce­ment d’une nou­velle cam­pagne apos­to­lique » (Lettres pas­to­rales, pp. 95–102, L’esprit sacer­do­tal). Il n’ignorait rien de la fina­li­té du sacer­doce en écri­vant cela, bien au contraire, et, dans la ligne de l’Épître aux Hébreux, de saint Thomas d’Aquin, du Père Libermann, fon­da­teur de la congré­ga­tion mis­sion­naire dont il avait été le Supérieur géné­ral, et du Père Emmanuel, il éta­blis­sait sim­ple­ment les condi­tions néces­saires à un exer­cice fruc­tueux du sacer­doce. La Fraternité conti­nue sur cette même ligne, ce qui n’engendre ni malaise, ni inter­ro­ga­tion chez ses membres dési­reux d’enraciner leur sacer­doce dans l’esprit de Notre-​Seigneur et de l’Église.

Michel Simoulin †

Appendice

Quelques extraits des réunions ecclé­sias­tiques tenues à Paris par le P. Libermann, fon­da­teur de la Congrégation du Saint-​Esprit et du Saint Cœur de Marie, en 1849–1850.

On note­ra que la Congrégation fon­dée par le véné­rable Libermann est une congré­ga­tion mis­sion­naire. Ce qu’il dit sur le sacer­doce n’ignore donc rien des néces­si­tés de l’esprit mis­sion­naire, bien au contraire.

On pour­ra éga­le­ment trou­ver dans ces lignes la dis­tinc­tion entre le but du sacer­doce et le but de ces réunions ecclé­sias­tiques, qui pour­rait être assi­mi­lé au but de la Fraternité.

M. Libermann a expo­sé ses pen­sées sur le pre­mier objet de la confé­rence, de la manière suivante :

1. But de nos réunions

Nous nous réunis­sons pour nous renou­ve­ler dans l’esprit de notre sacer­doce reçu dans l’ordination ; en cela, nous sui­vons le conseil de l’Apôtre à son dis­ciple : Admoneo te ut res­sus­cites gra­tiam Dei quæ est in te per impo­si­tio­nem manuum mea­rum (2 Tm 1, 6) nous cher­chons à repro­duire, à aug­men­ter cette grâce en nous, à lui don­ner tout le déve­lop­pe­ment qui est dans les des­seins de Dieu, pour notre sanc­ti­fi­ca­tion. Nous cher­chons d’abord notre propre sanc­ti­fi­ca­tion, sachant bien qu’en nous sanc­ti­fiant nous-​même, nous nous ren­dons des ins­tru­ments utiles dans les mains de Dieu pour la sanc­ti­fi­ca­tion des autres. Nous avons un modèle dans Marie ; pleine de grâce, elle est le vase d’élection par lequel la grâce divine se com­mu­nique aux hommes ; Dieu lui a don­né la mater­ni­té divine, et bien qu’elle n’ait pas le carac­tère sacer­do­tal, elle a, par cette mater­ni­té, pour ain­si dire, la som­mi­té du Sacerdoce. Jésus vou­lant se don­ner aux hommes par elle, a vou­lu d’abord être en elle, vivre en elle, la rem­plir de lui-​même. Tel doit être le prêtre, rem­pli des dons de Dieu avec sur­abon­dance, il répan­dra cette sur­abon­dance sur les âmes. Pour opé­rer cette com­mu­ni­ca­tion, les sacre­ments et la parole de Dieu lui sont don­nés. Les sacre­ments, il est vrai, opèrent par une ver­tu qui leur est propre, mais la manière dont ils sont admi­nis­trés influe beau­coup sur la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes, sur les dis­po­si­tions qu’elles apportent à s’approcher des sources de la grâce. II en est de même de la parole de Dieu, soit dans la chaire, soit dans le sacre­ment de péni­tence : si celui qui l’administre en est péné­tré pro­fon­dé­ment, il agi­ra par elle beau­coup plus faci­le­ment sur ceux qui l’entendent ; et s’il est saint, il admi­nis­tre­ra sain­te­ment les choses saintes et sera le fidèle et zélé rap­por­teur de la parole de Dieu. Notre but doit donc être notre propre sanc­ti­fi­ca­tion, et par elle, la sanc­ti­fi­ca­tion du monde.

2. Moyens

Les moyens doivent être conformes à la fin ; aus­si, vou­lant la fin qui est double, notre propre sanc­ti­fi­ca­tion et la sanc­ti­fi­ca­tion de nos frères, nous avons été ame­nés tout natu­rel­le­ment à prendre les deux moyens suivants :

I – nous entre­te­nir ensemble des ver­tus sacer­do­tales, pour rani­mer en nous l’esprit sacerdotal

II – trai­ter ensemble une ques­tion de pas­to­rale. Dans cette deuxième par­tie de nos confé­rences, nous trou­ve­rons à la fois, d’une part le moyen d’être utiles aux âmes des fidèles, et d’autre part notre propre sanc­ti­fi­ca­tion, puisque nous nous appli­quons en même temps à consi­dé­rer les dis­po­si­tions de sain­te­té avec les­quelles nous devons agir dans nos saintes fonctions.

3. Esprit dans lequel nous devons les faire

Ce doit être un esprit de sain­te­té, par un désir ardent de nous sanc­ti­fier et de deve­nir des ins­tru­ments dociles entre les mains de Dieu pour la sanc­ti­fi­ca­tion du prochain.

L’esprit sacer­do­tal est au-​dedans de nous ; Notre-​Seigneur en est la source ; par notre ordi­na­tion, il met dans nos âmes la grâce sacer­do­tale qui est le prin­cipe de toute sain­te­té qui doit être déve­lop­pée dans le prêtre. Ce déve­lop­pe­ment se fait par notre union à Notre-​Seigneur qui attire en nous de nou­velles grâces et aus­si par notre fidé­li­té à y correspondre.

En quoi consiste cette sain­te­té sacer­do­tale ? C’est en Notre-​Seigneur que nous en trou­vons le modèle. Notre-​Seigneur, des­cen­du sur la terre pour nous et pour notre salut, s’est entiè­re­ment livré et consa­cré et aban­don­né à son Père pour être immo­lé à sa gloire et nous sau­ver. Le salut des hommes pour la gloire de Dieu est le but direct du sacer­doce, comme le but de la venue et de l’im­mo­la­tion de Jésus-​Christ. De là le prêtre, se mode­lant sur Jésus-​Christ, doit se livrer et s’a­ban­don­ner entiè­re­ment à Dieu, renon­çant à toute recherche de son propre inté­rêt, pour pro­cu­rer la gloire de Dieu en tra­vaillant au salut de ses frères. C’est pour cela que l’Église le séquestre du monde et lui inter­dit toute occu­pa­tion sécu­lière. Il doit se regar­der comme un vase consa­cré a Dieu et qui ne peut être employé à aucun usage pro­fane, comme une vic­time qui doit être immo­lée avec Jésus-​Christ à la gloire de Dieu pour le salut des âmes, qui est la fin de son sacer­doce. L’essence de l’es­prit sacer­do­tal consiste donc dans le dévoue­ment, dans le renon­ce­ment par­fait a toute créa­ture, dans l’ab­né­ga­tion totale de soi-​même et de tout inté­rêt propre, dans le sacri­fice de tout son être pour le salut des âmes. Sans doute, le fidèle doit aus­si renon­cer à lui-​même pour suivre Jésus-​Christ ; mais il y a cette dif­fé­rence entre le prêtre et le fidèle, que ce der­nier peut et doit géné­ra­le­ment avoir sur la terre cer­taines affec­tions natu­relles, cer­tains liens qui le rat­tachent aux inté­rêts de ce monde, pour­vu que ces liens ne le détachent pas de Dieu et que ces affec­tions ne nuisent pas à l’a­mour pré­do­mi­nant qu’il doit conser­ver à Dieu, tan­dis que le prêtre, iso­lé de cœur de toute affec­tion ter­restre, libre de tout lien natu­rel est exclu­si­ve­ment homme spi­ri­tuel, l’homme de Dieu, homo Dei.

Cette sain­te­té sacer­do­tale appli­quée au but du sacer­doce, qui est le salut des âmes devient cha­ri­té et zèle ; toutes les ver­tus que le prêtre doit exer­cer envers le pro­chain se résument dans le zèle et l’exercice de ces ver­tus, l’action sacer­do­tale doit être le résul­tat de la sain­te­té inté­rieure du prêtre, selon cette parole de Notre-​Seigneur : Ego sanc­ti­fi­co meip­sum ut sint et ipsi sanctificati.

On peut donc résu­mer ain­si ce qui a été dit de l’esprit sacer­do­tal. Notre-​Seigneur en est la source ; le prin­cipe, c’est la grâce sacra­men­telle de l’ordination ; le but, le salut des âmes ; le modèle, Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. L’essence de l’esprit du sacer­doce, c’est le dévoue­ment et le sacri­fice ; et le zèle en est l’application dans le minis­tère sacerdotal.

Ensuite le Président a expli­qué une dif­fi­cul­té qui avait été expo­sée par l’un des membres de la réunion. On est embar­ras­sé, avait-​il dit, de spé­ci­fier en quoi consiste l’esprit sacer­do­tal, car, en lisant la vie des saints prêtres et en exa­mi­nant aus­si ceux qui vivent de nos jours, on voit que cet esprit se mani­feste de mille manières dif­fé­rentes ; ain­si l’esprit de saint François de Sales ne semble pas le même que celui de M. Olier, que celui de saint Vincent de Paul, etc. – M. le Président a répon­du que l’esprit sacer­do­tal était le même en tous, car tous les saints prêtres ont pui­sé en Notre-​Seigneur l’esprit de renon­ce­ment, de dévoue­ment et de zèle ; mais Notre-​Seigneur source de l’esprit sacer­do­tal, adapte la grâce des­ti­née à le déve­lop­per aux carac­tères variés des dif­fé­rents prêtres ; la grâce ne détruit pas ces carac­tères, mais elle se sert de ce qu’ils ont de bon pour l’appliquer à la sanc­ti­fi­ca­tion de chaque âme et au bien géné­ral de l’Église. De plus, il faut tenir compte de la des­ti­na­tion spé­ciale que Dieu donne a cha­cun de ses ser­vi­teurs ; l’un, dans les des­seins de Dieu, est appe­lé à prê­cher, l’autre a secou­rir les pauvres, un troi­sième à s’occuper des enfants, etc, varié­té de voca­tions spé­ciales qui appellent aus­si une varié­té de grâces cor­res­pon­dantes. Pour nous, qui lisons ou qui exa­mi­nons la vie des Saints, morts ou vivants, nous devons étu­dier, cher­cher à imi­ter en eux, non ce qui est dis­tinc­tion et varié­té, mais ce qui fait l’essence de l’es­prit sacer­do­tal et qui est com­mun à tous, l’esprit d’abnégation et de cha­ri­té ; et ensuite, pour l’application de cet esprit de cha­ri­té, nous devons cher­cher à nous conduire de la manière la plus conve­nable et la plus utile au salut des âmes, sui­vant notre posi­tion, les cir­cons­tances dans les­quelles nous vivons et l’esprit des per­sonnes avec les­quelles nous sommes en rap­port, et ain­si nous pren­drons nous-​mêmes, sous l’influence de la grâce, la forme spé­ciale que Dieu veut que nous ayons et qu’il nous a des­ti­née de toute éternité.

Notes de bas de page

  1. Un der­nier bul­le­tin parois­sial lar­ge­ment répan­du pré­tend qu’il existe dans la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X une « vision sur­na­tu­ra­liste du sacer­doce qui ins­taure un cli­vage entre la fina­li­té réelle de la voca­tion , le minis­tère auprès des âmes et le but qu’on vou­drait lui sub­sti­tuer : la sain­te­té (qui n’est plus) sacer­do­tale. »[]