« Jésus-​Christ premier-​né de toute créature » (1 Col.1–15)

Abbé Pierre Barrère – Mars 2010

La céré­mo­nie des cendres marque l’entrée en carême. Le prêtre après avoir béni les cendres qui sont faites à par­tir des rameaux bénis de l’année pré­cé­dente les impose sur le front des chré­tiens en disant à cha­cun « Memento homo quia pul­vis es et in pul­ve­rem rever­te­ris » « souviens-​toi, homme, que tu es pous­sière et que tu retour­ne­ras en pous­sière ». Ces paroles sont un rap­pel de la créa­tion d’Adam : « Dieu for­ma l’homme de la pous­sière du sol, et il souf­fla dans ses narines un souffle de vie, et l’homme devint un être vivant » (gen. 2.7). C’est un rap­pel sur­tout du pre­mier péché qui devait avoir pour consé­quence la souf­france, la mort et la cor­rup­tion du tom­beau : « Tu peux man­ger de tous les arbres du jar­din ; mais tu ne man­ge­ras pas de l’arbre de la connais­sance du bien et du mal, car le jour où tu en man­ge­ras, tu mour­ras cer­tai­ne­ment » (gen.2.17)

Ainsi l’homme est deve­nu mor­tel à par­tir de sa rébel­lion contre le pré­cepte de Dieu, sous l’instigation du démon, le ser­pent infernal.

Saint Paul, le pha­ri­sien conver­ti du judaïsme, confirme cet ensei­gne­ment en disant : « par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort » (Rom.5.12) Donc, s’il n’y avait pas eu de péché il n’y aurait pas eu non plus de mort pour l’homme. Sans doute la mort est natu­relle à l’homme car tout ce qui est com­po­sé peut se détruire mais Dieu avait accor­dé à Adam le don d’immortalité et il devait le trans­mettre à la condi­tion de conser­ver la grâce.

Saint Paul dit encore que le péché et ses consé­quences ne sont pas uni­que­ment pour Adam mais pour tous ses des­cen­dants : « par la déso­béis­sance d’un seul, tous ont été consti­tués pécheurs. » (Rom. 5.19) et ailleurs il confirme dans sa lettre aux Ephésiens cet ensei­gne­ment « nous étions par nature (nature humaine reçue d’Adam pécheur) enfants de colère » (Eph 2.3). Or qu’est-ce qui peut faire que l’on soit en nais­sant « enfant de colère » si ce n’est le péché ori­gi­nel, péché mys­té­rieux mais réel, qui devient nôtre en rece­vant la nature humaine de nos parents ?

Ce que la Bible fait connaître de manière épar­pillée dans l’Ancien et le Nouveau Testament, l’Eglise le résume bien dans son caté­chisme afin de nous don­ner une meilleure intel­li­gence des Ecritures. Ainsi nous savons que Dieu a tiré tout le genre humain d’un seul homme qui fut créé avec la grâce sanc­ti­fiante et doté des quatre dons pré­ter­na­tu­rels ( immor­ta­li­té, impas­si­bi­li­té, science et inté­gri­té). La grâce per­due par le péché du pre­mier homme entraîne un état de péché pour tous sauf la sainte Vierge (pri­vi­lège de l’immaculée concep­tion) et la pri­va­tion des quatre dons. Le désordre dans le monde com­mence alors à s’installer et à se dif­fu­ser (ex : Caïn tue son frère Abel) et l’homme s’il ne meurt immé­dia­te­ment va connaître la vieillesse, la mort et la décom­po­si­tion : « tu es pous­sière et tu retour­ne­ras en pous­sière. » (gen.3.19)

Souvent les athées objectent : si Dieu exis­tait il n’y aurait pas toute cette souf­france, le monde serait plus har­mo­nieux, plus juste, le sort de beau­coup de misé­rables n’existerait pas et les hommes seraient cer­tai­ne­ment moins méchants. Donc tous les mal­heurs que nous consta­tons ne font que démon­trer que Dieu n’existe pas. Ou alors cer­tains ajoutent que le Créateur n’est pas doté d’une sagesse divine très pous­sée car s’il avait pu pré­voir ce qui allait suivre il n’aurait cer­tai­ne­ment pas créé de la sorte un monde si chao­tique où le péché abonde et où la dam­na­tion éter­nelle est le lot de tant d’individus.

La Bible semble don­ner quelque peu rai­son à la der­nière objec­tion puisqu’elle dit « Dieu, voyant que la malice des hommes qui vivaient sur la terre était extrême, et que toutes les pen­sées de leur cœur étaient en tout appli­quées au mal, Il se repen­ti d’avoir créé l’homme sur la terre ». (gen.6–6) Si Dieu se repend c’est qu’il s’est trom­pé et s’il s’est trom­pé c’est qu’il n’est pas infi­ni­ment sage.

La réponse à cette objec­tion est connue. En fait, Dieu ne se trompe pas. Le lan­gage de la Bible prête à Dieu des sen­ti­ments humains pour expri­mer quelque chose de Dieu comme le mécon­ten­te­ment qu’il a de l’homme pécheur, mais il n’y a pas d’erreur en Dieu.

La souf­france, la mort et tous les désordres comme la guerre, la peste et la famine, on l’a vu, sont le résul­tat du pre­mier péché. Or le péché est impu­table à l’homme qui a abu­sé de sa liber­té et non à Dieu. Au com­men­ce­ment il n’en était pas ain­si. Il est vrai que Dieu a pré­vu que l’homme abu­se­rait de sa liber­té et que les consé­quences seraient désas­treuses pour beau­coup. Dieu devait-​il pour autant s’interdire de créer ? Mais on ne voit pas pour­quoi la dam­na­tion de beau­coup limi­te­rait la liber­té divine. On ne voit pas non plus pour­quoi, à cause des dam­nés, Dieu pri­ve­rait les élus du bon­heur éter­nel en inter­di­sant la création.

Nous savons que Dieu ne refuse sa grâce à per­sonne, il donne à tous les moyens d’adhérer au Christ par l’Eglise et de se sau­ver. De plus s’il a choi­si de créer c’est pour sa gloire et parce que « tout pro­fite à ceux qui aiment Dieu ». L’homme n’est quelque chose de valable aux yeux de Dieu que dans la mesure où il est fidèle prin­ci­pa­le­ment au pre­mier com­man­de­ment « tu ado­re­ras Dieu seul et l’aimeras plus que tout » autre­ment sa vie est inutile, vaine et elle outrage Celui qui l’a fait. Les dam­nés ne font que démon­trer que l’homme n’est rien et moins que rien s’il se détourne de Dieu et s’il ne vit pas pour Dieu : « sans moi vous ne pou­vez rien faire a dit Jésus ». Si l’on ne peut rien faire c’est que l’on est rien sans Dieu « sans moi vous n’êtes rien ».

Le concile Vatican II se trompe gros­siè­re­ment lorsqu’il déclare au n°24 de Gaudium et Spes l’homme « seule créa­ture sur terre que Dieu a vou­lue pour elle-​même ». Auparavant au n°12 une erreur sem­blable a été pro­cla­mée avec beau­coup d’emphase « Croyants et incroyants sont géné­ra­le­ment d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordon­né à l’homme comme à son centre et à son som­met ». Ces ensei­gne­ments sont évi­dem­ment faux pour un catho­lique (lire le texte de Romano Amério qui dénonce l’erreur anthro­po­cen­trique) car l’Ecriture Sainte dit expres­sé­ment le contraire du n° 24 : « Le Seigneur a fait toutes choses pour Lui-​même. » (Proverbe 16.4). Quant au n°12 nous savons tous que tout doit être ordon­né non pas à l’homme mais au Dieu fait homme, à Jésus-​Christ, « Tout res­tau­rer dans le Christ » , « Il faut qu’Il règne » dit st Paul. L’explication de cela ? « C’est lui qui est l’image du Dieu invi­sible, le premier-​né de toute créa­ture » (Col.1.16) Lorsque Dieu a créé Adam (qui est le pre­mier homme tiré de la terre) il avait en vue prin­ci­pa­le­ment le nou­vel Adam, le Christ (engen­dré de toute éter­ni­té dans le sein du Père avant les siècles) et toute son œuvre Rédemptrice.

Retenons que la sagesse et la bon­té de Dieu ne sont pas mis en cause par le désordre qui suit le péché d’Adam ni même par la dam­na­tion de beau­coup d’hommes infi­dèles à la grâce. Dieu est assez puis­sant pour tirer un plus grand bien du mal occa­sion­né par le péché. Ce plus grand bien c’est la venue de Jésus-​Christ qui ‚à lui seul, rend plus de gloire à Dieu par sa vie et sa Passion que tous les saints réunis et ima­gi­nables. Connaître et aimer le Christ c’est décou­vrir la rai­son et la sagesse de la créa­tion ; voi­là pour­quoi la mis­sion prin­ci­pale de l’Eglise et de don­ner le Christ aux hommes et de les écar­ter des fausses reli­gions comme de la peste. Si le péché a abon­dé par la faute d’un seul, avec le Christ la grâce a sur­abon­dé. A Pâques l’Eglise exprime sa joie d’avoir un tel Rédempteur, le Fils de Dieu fait homme venu nous sau­ver par sa Croix : « O heu­reuse faute, chante-​t-​elle, qui nous a valu un tel Rédempteur. »

L’erreur anthropocentrique (faire de l’homme le centre de tout) du concile Vatican II.

« La place cen­trale de l’homme dans la fina­li­té du monde par­mi les choses créées est exclue par la théo­lo­gie. La thèse fai­sant de l’homme la seule créa­ture que Dieu ait vou­lu faire pour elle-​même, semble démen­tir le pas­sage, bref mais solen­nel, de Proverbe, 16.4 : « Le Seigneur a fait toutes choses pour Lui-​même ». Il est en effet impos­sible que la volon­té divine ait pour objet autre chose que sa propre bon­té, puisque toutes les bon­tés finies n’existent que grâce à la bon­té infi­nie, et que l’infini (Dieu) ne peut sor­tir de lui-​même en s’aliénant et en recher­chant le fini. En réa­li­té, comme l’enseigne saint Thomas, Dieu veut les choses finies en tant qu’Il se veut Lui-​même créa­teur des choses finies. Les choses finies qu’Il veut, Il les veut donc pour Lui-​même et non pour elles-​mêmes, le fini ne pou­vant être la fin de l’infini, ni la divine volon­té être atti­rée et pas­sive à l’égard du fini.

Les choses finies ne sont pas créées par Dieu parce qu’aimables, mais elles sont aimables parce que vou­lues par Dieu avec leur amabilité. …

L’idée de l’homme centre et fin est donc conforme à l’esprit de l’homme contem­po­rain, mais n’a aucun fon­de­ment dans la reli­gion, qui ordonne tout vers Dieu et non vers l’homme. L’homme n’est pas une fin en soi, mais une fin secon­daire et ad aliud (c’est-à-dire elle-​même orien­té vers autre que soi), qui est subor­don­née à la domi­na­tion de Dieu, fin uni­ver­selle de la création.

( tiré de Iota Unum, études des varia­tions de l’Eglise catho­lique au XXième siècle. Romano Amério. N.E.L)

Abbé Pierre Barrère

Extrait du Sainte Anne n° 217 de mars 2010