Parution officielle – décembre 2004

Editorial, par l’abbé Régis de Cacqueray

Chers amis et fidèles de la Fraternité Saint-​Pie X,

L’année mariale s’achève, riche en grâces et en épreuves (mais les épreuves ne sont-​elles pas aus­si des grâces et des meilleures ?). Nous vou­lons donc en pre­mier lieu expri­mer à la Très Sainte Vierge notre pro­fonde recon­nais­sance pour tous les bien­faits – même les plus dou­lou­reux – que nous avons reçus de ses mains. Parmi les plus iden­ti­fiables, citons les pèle­ri­nages de Montmartre et de Lourdes, le dos­sier sur l’Immaculée Conception éla­bo­ré par les domi­ni­caines de Brignoles, dos­sier que nous conser­ve­rons, et le col­loque orga­ni­sé par le prieu­ré de Lyon, Cité fran­çaise de Notre-​Dame, en l’honneur de ce cent cin­quan­tième anni­ver­saire de la Bulle Ineffabilis Deus . Innombrables ont été les grâces répan­dues à ces occa­sions, mais tout au long de l’année éga­le­ment, pour ame­ner les âmes au Bon Dieu. Des signes bien conso­lants en sont l’afflux des élèves vers nos écoles et des voca­tions dans l’ensemble des com­mu­nau­tés reli­gieuses de la Tradition en France.

Les épreuves ont aus­si été bien pré­sentes éga­le­ment. Nous devons essayer de ne pas pas­ser à côté des ensei­gne­ments salu­taires qu’elles nous pro­curent. C’est pour cette rai­son prin­ci­pale, et peut-​être unique, que nous cite­rons l’affaire de la muti­ne­rie bor­de­laise. Elle appa­raît en effet comme la plus lourde des croix ren­con­trées par le dis­trict de France cette année et, aux dires des plus anciens de la Tradition, depuis sa fon­da­tion. Elle peut donc appor­ter aus­si avec elle les plus belles grâces. Comme l’a jus­te­ment écrit dans une lettre du 28 novembre 2004 Monsieur l’abbé Aulagnier, qui fut le pre­mier Supérieur de ce dis­trict, la Fraternité sor­ti­ra de cette crise « plus fraîche et plus allante que jamais ». Il a rai­son. Nous ne sau­rions, nous autres prêtres et fidèles de la Fraternité, ver­ser dans la moro­si­té. Le Bon Dieu veut tirer un bien d’autant plus impor­tant du mal sur­ve­nu que celui-​ci a été profond.

Il était sans doute salu­taire pour « le plus grand dis­trict de la Fraternité » de subir cette humi­lia­tion publique, magis­tra­le­ment média­ti­sée. Tâchons d’en tirer les leçons pour nos âmes et de reve­nir à quelques dis­po­si­tions par­ti­cu­liè­re­ment chères au Sacré-​Cœur de Jésus.

Nous pen­sons devoir évo­quer ici les ver­tus évan­gé­liques d’obéissance, de pau­vre­té et de chas­te­té. Certes, ni les prêtres de la Tradition, ni les fidèles, ne pro­noncent les vœux qui cor­res­pondent aux deux pre­mières mais ne doivent-​ils pas riva­li­ser d’autant plus avec les socié­tés reli­gieuses pour en pos­sé­der l’esprit encore mieux qu’elles ? La Fraternité Saint-​Pie X ne doit-​elle pas mettre son ambi­tion à dis­pu­ter aux capu­cins le pre­mier prix de l’esprit de pau­vre­té ou aux jésuites celui de l’obéissance ? Comme nous le savons d’ailleurs fort bien, prêtres et bap­ti­sés ne seront fidèles à la ver­tu de chas­te­té propre à leur état que dans l’estime et la pra­tique de ces deux ver­tus d’obéissance et de pauvreté .

A l’encontre de l’esprit prô­né par le monde, la recherche du luxe, du confort, de nos aises et de la faci­li­té ne doit pas ter­nir notre âme rache­tée à un si grand prix.

« Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids, mais le Fils de l’Homme n’a pas où repo­ser sa tête ( Lc IX, 58 ). »

Du dénue­ment de la crèche au dépouille­ment de la Croix, Notre-​Seigneur, après nous en avoir don­né l’exemple, nous engage réso­lu­ment à embras­ser une véri­table pau­vre­té. Pour la conser­ver, il nous est néces­saire de réagir contre les sol­li­ci­ta­tions nom­breuses de la socié­té de consom­ma­tion dans laquelle nous vivons. Les fidèles peuvent prendre exemple sur le prêtre dont le sacer­doce est une école de renon­ce­ment. Réciproquement, le prêtre doit d’autant plus ché­rir la pau­vre­té qu’il est le témoin pri­vi­lé­gié des sacri­fices aux­quels se sou­mettent beau­coup de familles par­mi ses fidèles pour régler les sco­la­ri­tés de leurs enfants et qu’il ne faut pas qu’il les scan­da­lise par des habi­tudes mon­daines et coûteuses.

Contre ce même esprit du monde, éman­ci­pé et reven­di­ca­teur, nous nous fai­sons un devoir spé­cial de por­ter le joug de l’obéissance. Nous refu­sons de tom­ber dans cet esprit humain rem­pli de morgue et d’insolence, qui se fait fort de pas­ser au crible de son juge­ment tout ce que demande l’autorité. Notre modèle est Celui qui « s’est fait obéis­sant jusqu’à la mort et à la mort de la croix » ( Phil. II,8) et c’est bien cet esprit-​là et nul autre que nous recher­chons pour la fécon­di­té de l’apostolat de la Fraternité au ser­vice de l’Eglise. Et nous avons conscience que cette humble dépen­dance est d’autant plus néces­saire que les idéo­lo­gies modernes soufflent un esprit opposé.

C’est pré­ci­sé­ment notre soif de la gloire de Dieu et du salut des âmes qui nous amène à dési­rer cette vie inté­rieure plus pauvre, plus obéis­sante et plus chaste. Lorsque les conquêtes apos­to­liques ne se suc­cèdent pas au rythme où nous les sou­hai­tons, reve­nons à cette vie inté­rieure et sur­na­tu­relle comme à la source de notre fécon­di­té spirituelle.

La réponse à nos dif­fi­cul­tés ne consis­te­ra cer­tai­ne­ment pas à retom­ber dans les erreurs de l’américanisme et à envi­sa­ger l’apostolat en lui-​même comme le moyen unique de notre sanc­ti­fi­ca­tion. Il peut certes y contri­buer for­te­ment mais dans la mesure où il est bien comme un débor­de­ment de notre vie inté­rieure. Autrement, il est mal­heu­reu­se­ment pos­sible de ren­con­trer des apôtres qui se des­sèchent dans un apos­to­lat deve­nu très humain. D’où ce rap­pel inces­sant de la vie inté­rieure chez tant de bons auteurs au pre­mier rang des­quels se trouve Dom Chautard. Vous trou­ve­rez les textes écrits par deux des plus anciens prêtres de la Fraternité Saint-​Pie X, Messieurs les abbés Bonneterre (1) et Simoulin, qui ont réagi à un récent essai sur la sain­te­té sacer­do­tale dont l’orientation oublieuse de toute vie spi­ri­tuelle ne peut conduire qu’à un désastre.

Non, chers amis, ce n’est pas par l’escamotage de la vie inté­rieure que nous obtien­drons un apos­to­lat plus fécond mais c’est dans la pra­tique d’une per­fec­tion évan­gé­lique supé­rieure que se forment les plus géné­reux apôtres de Jésus-​Christ. Si l’année mariale se trouve déjà par­ve­nue à son terme, puissions-​nous en conser­ver cette cer­ti­tude intime que la solu­tion à toutes nos misères se trouve en Notre-​Dame. Ce n’est que grâce à Elle que l’obscurité de la nuit n’est pas totale et que ceux qui suivent Son étoile arrivent aux ravis­se­ments de la crèche auprès de laquelle ils pour­ront dépo­ser leurs far­deaux et leurs supplications.

Je vous pré­sente, chers amis et fidèles de la Fraternité Saint-​Pie X, tous mes vœux pour cette année 2005. Qu’en ce cen­tième anni­ver­saire de la nais­sance de notre fon­da­teur, nous obte­nions ces ver­tus de Foi et de Force qui lui don­nèrent une telle constance dans l’adversité.

Abbé Régis de Cacqueray-Valménier †
Supérieur du dis­trict de France

Note de La Porte latine

(1) auquel nous avons rajou­té une magni­fique « Prière à Jésus Prêtre éternel »