Reportage à Ecône dans le fief des intégristes – Tribune de Genève


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Reportage à Ecône dans le fief des intégristes

Entre Riddes et Saxon, sur une col­line visible loin à la ronde, impos­sible de man­quer Ecône avec son Eglise, Notre-​Dame des Champs et son sémi­naire. Lové entre vignes et ver­ger, voi­là donc le cour, le refuge des inté­gristes catho­liques. Des inté­gristes qui se défi­nissent sim­ple­ment comme des traditionalistes.

En semaine, Ecône vit au ralen­ti avec une soixante de sémi­na­ristes. Loin en tout cas de la foule des céré­mo­nies des dimanches de fêtes. Lors d’une messe basse à la crypte à 17?h?30 le soir et à 7?h?15 le matin, une tren­taine de fidèles accourent pour­tant des vil­lages envi­ron­nants. Ils sont jeunes et vieux, les femmes portent une man­tille et tous par­tagent la même fer­veur pour la tra­di­tion catho­lique, dont la messe en latin. Tous ont appris la nou­velle de la levée de l’ex­com­mu­ni­ca­tion de leurs évêques par un simple com­mu­ni­qué lu par un prêtre lors de la messe du dimanche. Un com­mu­ni­qué ensuite sim­ple­ment affi­ché à l’en­trée de Notre-​Dame des Champs. Lors du ser­mon qui por­tait ce jour-​là, sur la conver­sion de Saint-​Paul, il n’en a même pas été question.

« C’était dur : on a refu­sé des enterrements ! »

« C’est vrai, l’annonce a été dis­crète. Elle nous réjouit. Deo gra­tias, on est catho­lique. Si l’on peut être dans l’Eglise sans être reje­té, c’est très bien.» Romain Loup, 43 ans, infor­ma­ti­cien et père de 4 enfants qui vont à l’école catho­lique de Riddes, avoue venir à la messe à Ecône tous les jours car « la reli­gion, c’est ma vie ». Cet habi­tant de Fully espère aus­si que la levée de ces excom­mu­ni­ca­tions va faire avan­cer les choses. « C’était dur. Il y a des gens à qui on a refu­sé des mariages, des enter­re­ments. Ce n’est pas nor­mal, les portes étaient alors grandes ouvertes pour les autres reli­gions. »

Rémy Borgeat, de Riddes, 74 ans, porte un juge­ment encore plus dur. « J’ai beau­coup de joie. Mais ma plus grande joie a eu lieu lorsque le Vatican a annon­cé que la messe en latin n’était plus inter­dite. Il a fal­lu attendre qua­rante ans. Trois papes nous ont men­ti. Maintenant on annule ces excom­mu­ni­ca­tions. A nou­veau vingt ans pour rien. Il faut dire mer­ci au Saint-​Père et sur­tout à la Vierge.»

Rémy Borgeat a été pen­dant vingt ans le chauf­feur de Mgr Lefebvre et, avec lui, il a pris plu­sieurs fois le che­min du Vatican. « Mgr Lefebvre était humble et simple. Il est venu plu­sieurs fois à la mai­son. Il me disait que s’il était pape, il com­men­ce­rait par pla­cer des hommes sûrs pour écar­ter les bre­bis galeuses. Il y avait une telle pagaille à Rome. Rendez-​vous compte, dans cer­tains bureaux du Vatican, il n’y avait même pas de cru­ci­fix !»

« Je lutte contre l’invasion »

Avant de par­tir jouer une par­tie de ten­nis à Martigny, Rémy Borgeat parle aus­si en riant de ses 5 enfants, de ses 22 petits-​enfants. « C’est ma manière de lut­ter contre l’invasion. Cela a été dur pour eux. Ils étaient mépri­sés à l’école. On se sen­tait exclu. Il a fal­lu apprendre à souf­frir. Mais on a reçu tel­le­ment de grâces. Mes enfants ont ain­si réus­si à conver­tir leurs conjoints. Avec cette longue lutte, on a aus­si redé­cou­vert la messe. J’y vais main­te­nant tous les jours. Si vous repas­sez par Riddes, venez boire une bou­teille de blanc à la mai­son. »

Ecône, c’est aus­si un sémi­naire où sont for­més durant cinq ans les futurs prêtres de la Fraternité St Pie X. A l’instar du futur abbé Gobard, un sémi­na­riste d’Angers, qui affiche une grande séré­ni­té. « La levée de ces excom­mu­ni­ca­tions, c’est un bel évé­ne­ment. Nos évêques sont déli­vrés d’un grand poids. Mais on ne s’est jamais consi­dé­ré hors de l’Eglise. On est dedans même si beau­coup de gens nous ont col­lé une image de schis­ma­tiques. C’est par­fois dou­lou­reux. »

Dans l’Eglise d’Ecône, le jour com­mence à se lever. La messe vient de se ter­mi­ner. Les 60 sémi­na­ristes et la tren­taine de fidèles res­tent age­nouillés durant de longues minutes dans un grand silence. Sans doute prient-​ils pour que le Vatican conti­nue, les confor­tant encore plus dans leurs cer­ti­tudes, à faire des grands pas dans leur direction.

« Nous n’allons pas transiger »

L’abbé de Jorna,direc­teur du Séminaire, n’entend pas tran­si­ger sur l’œcuménisme ou le concile Vatican II.

Le Vatican a fait des ouver­tures. Comment allez-​vous réagir ?

On ne va pas tran­si­ger, on ne va pas céder ni sur Vatican II, ni sur l’œcuménisme. Ni sur la col­lé­gia­li­té. L’Eglise n’est pas une démo­cra­tie. Le seul chef, c’est le suc­ces­seur de Pierre, le pape. Mais le plus impor­tant pour nous, c’est que nous refu­sons la liber­té reli­gieuse, la liber­té de conscience. Il n’y a qu’une reli­gion, le catho­li­cisme romain.

Vous considérez-​vous comme des intégristes ?

Dans inté­griste, il y a intègre. Mais le mot est péjo­ra­tif. Nous sommes consi­dé­rés comme les musul­mans fana­tiques. C’est un amalgame.

Un de vos évêques a pour­tant tenu des pro­pos néga­tion­nistes. Approuvez-vous ?

Encore une fois, on mélange tout. On fait des amal­games. Il y a sur­tout une volon­té de nous nuire, dans les médias notamment.

Quelle est fina­le­ment votre réac­tion face à cette levée des excommunications ?

C’est un bien­fait, c’est sur­tout la recon­nais­sance de ce que nous sommes. Cela se com­prend. L’Eglise du concile est dans un très mau­vais état, les fidèles dis­pa­raissent et la crise n’est pas près de se résor­ber. Durant des années, ils ont cher­ché des motifs pour contrer cette crise. On regrette sim­ple­ment d’avoir été mis au banc de l’Eglise pour cela alors que l’on défend la véri­té. C’était une injus­tice. Jusqu’ici, c’est le Vatican qui a fait toutes les concessions !

Les évêques suisses contre-attaquent

Face à l’émoi sus­ci­té par la levée de l’excommunication des évêques d’Ecône et face sur­tout aux pro­pos ouver­te­ment néga­tion­nistes tenus par l’un d’entre eux, Mgr Williamson, les évêques suisses ont déci­dé de mettre les points sur les i. 

Ils relèvent ain­si que la levée de l’excommunication n’est pas une réha­bi­li­ta­tion mais seule­ment le point de départ d’un dia­logue. Les quatre évêques demeurent donc sus­pen­dus (sus­pens a divi­nis). Ils ne peuvent pas exer­cer léga­le­ment leur minis­tère épiscopal.

Un geste insuffisant

Les évêques font aus­si leur la condam­na­tion par le Vatican des pro­pos néga­tion­nistes de Mgr Williamson et « prient les membres des com­mu­nau­tés juives de Suisse d’excuser les irri­ta­tions sur­ve­nues » ces jours.

Ces mêmes évêques annoncent certes avoir pris bonne note du fait que Mgr Fellay, supé­rieur géné­ral de la Fraternité Saint Pie X, ait pris ses dis­tances avec les pro­pos de Mgr Williamson. Un geste insuf­fi­sant à leurs yeux.

La barre très haut

Avant le réta­blis­se­ment de la com­mu­nion et la levée des sus­pen­sions, ils attendent que les quatre évêques d’Ecône déclarent de « manière cré­dible » qu’ils acceptent le concile Vatican II, plus par­ti­cu­liè­re­ment la décla­ra­tion « Nostra Aetate » sur les rela­tions avec le judaïsme et les reli­gions non chré­tiennes. Manifestement, les évêques suisses ont choi­si de pla­cer la barre très haut. Le che­min de la récon­ci­lia­tion avec Ecône pour­rait s’avérer encore long, très long.

Philippe Dumartheray la Tribune de Genève