Sermon de Mgr Lefebvre – Pâques – 3 avril 1988

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Nous sommes encore sous cette influence émou­vante des jour­nées que nous avons vécues au milieu de ces chants ; de ces lec­tures, de ces rap­pels des évé­ne­ments les plus extra­or­di­naires que l’humanité ait vécus par la pré­sence de Dieu en cette terre, pour nous rache­ter de nos péchés.

Nous avons sui­vi pas à pas tous ces évé­ne­ments depuis le Cénacle, nous sommes mon­tés sur la col­line du Calvaire ; nous sommes res­tés au pied de la Croix avec la très Sainte Vierge Marie, saint Jean, les saintes Femmes. Nous avons sui­vi Jésus jusqu’à son tom­beau.
Et voi­ci que nous appre­nons qu’il est res­sus­ci­té : Resurrexit sicut dixit. « Il est res­sus­ci­té comme Il l’a dit ».

Mais que signi­fient, mes bien chers frères, tous ces évé­ne­ments ? Quelle expli­ca­tion don­ner à cette pré­sence de Dieu venant mou­rir et fai­sant de sa mort la source de vie ? Oui, car c’est bien cela : fai­sant de sa mort une source de vie.

Saint Paul par­lant aux Éphésiens, en quelques mots, résume tous ces évé­ne­ments et leur signi­fi­ca­tion (Ep 2, 4–5) :

Deus autem qui clives est in mise­ri­cor­dia (…) et cum esse­mus mor­tui pec­ca­tis : Dieu qui est riche en misé­ri­corde, comme nous étions morts par le péché (…) prop­ter nimiam cari­ta­tem suam qua dilexit nos : à cause de son immense cha­ri­té par laquelle Il nous a aimés (…) et cum esse­mus mor­tui pec­ca­tis (…) et conre­sus­ci­ta­vit et condere fecit in cœles­ti­bus in Christo Jesu (Ep 2,6) : Il nous a fait par­ti­ci­per à sa vie dans le Christ Jésus, alors que nous étions morts par le péché. Il nous a fait res­sus­ci­ter avec Lui spi­ri­tuel­le­ment et Il nous a fait asseoir in cœles­ti­bus, dans le Ciel avec Lui.

Oui, voi­là la grande réa­li­té, mes bien chers frères. Le grand drame qui s’est dérou­lé pen­dant ces jour­nées, concrè­te­ment. Nous aurions pu vivre à cette époque et nous aurions pu consta­ter nous­mêmes ces évé­ne­ments et en avoir la signi­fi­ca­tion par les apôtres, par l’Église, par Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-même.

Vingt siècles, qu’est-ce que cela ! C’est bien peu de choses. Il y a bien peu de temps que Notre Seigneur a fou­lé le sol de la terre, le sol de Jérusalem, le sol de la Palestine. Et la céré­mo­nie de cette nuit, nous a expli­qué d’une manière admi­rable la signi­fi­ca­tion de tous ces événements.

Le feu, le feu de l’Esprit qui a res­sus­ci­té Notre Seigneur, l’Esprit Saint, l’Esprit de Dieu. Et puis, la Lumière, Lumière écla­tante qui a ter­ras­sé les sol­dats qui entou­raient (le tom­beau). Lumière qui va se répandre dans le monde.

Et com­ment va-​t-​elle se répandre dans le monde ? Eh bien, comme Dieu l’a vou­lu ; comme l’a vou­lu Notre Seigneur Lui-​même : par le baptême.

Et c’est pour­quoi la céré­mo­nie de cette nuit nous a si bien expli­qué ce qu’était le bap­tême. Et dans ce magni­fique Exultet, nous a mon­tré le plan de Dieu, le plan divin sur les hommes pécheurs, en disant même : O felix culpa : Ô bien­heu­reuse faute qui nous a valu une si grande Rédemption et une si grande richesse de grâces.

Et les apôtres ont par­cou­ru le monde, bap­ti­sant des mil­liers et des mil­liers de juifs, de païens, de ceux qui étaient atta­chés au culte des idoles ; qui étaient sou­mis à l’empire de Satan.

Bien sûr, ils ont sou­le­vé la colère du démon qui s’est achar­né sur eux, les a per­sé­cu­tés, les a mar­ty­ri­sés. Mais le souffle divin a été plus fort, plus puis­sant, le souffle qui a res­sus­ci­té Notre Seigneur – et qui nous a res­sus­cites aus­si – qui a res­sus­ci­té ces gens morts dans leurs péchés. Et les princes des prêtres eux-​mêmes sont venus deman­der le bap­tême, les rois, les empe­reurs, les chefs d’État sont venus deman­der le baptême.

Et l’Église s’est répan­due par­ti­cu­liè­re­ment dans l’Europe, puisque Pierre avait éta­bli son siège à Rome – et Paul avait évan­gé­li­sé plus par­ti­cu­liè­re­ment ces contrées – s’est répan­du à tra­vers l’Europe. Toute l’Europe est deve­nue catho­lique en défi­ni­tive, jusqu’aux confins de l’immense Russie.

Et les mis­sion­naires sont par­tis à tra­vers le monde, l’Extrême-Orient, l’Afrique, l’Amérique et par­tout le même feu, par­tout le même Esprit Saint, par­tout le même bap­tême, par­tout la même foi, la même espé­rance : espé­rance de l’éternité, espé­rance du Ciel. Alors sous l’effet de cette espé­rance, les âmes se trans­for­maient, en pen­sant qu’elles n’étaient plus seule­ment des­ti­nées à mou­rir misé­ra­ble­ment sur cette terre, dans leurs péchés, dans la haine, dans les divi­sions, dans l’attachement aux misé­rables biens de ce monde, dans la luxure.

Espérance, espé­rance du Ciel. Alors, on voyait – les mis­sion­naires le disent et moi-​même j’en ai fait l’expérience – on voyait même phy­si­que­ment ces gens se trans­for­mer, ces visages s’épanouir. Les familles chré­tiennes se mul­ti­pliaient, la sain­te­té du mariage ren­dant ces familles chré­tiennes heu­reuses, vivant dans la paix, dans la séré­ni­té, dans la joie spi­ri­tuelle. Et les voca­tions se mul­ti­pliaient. Et le céli­bat des prêtres et la vir­gi­ni­té des vierges – et les cou­vents se mul­ti­pliaient par­tout – mer­veilles des mer­veilles. Merveilles de la grâce de Notre Seigneur. Merveilles de cette mort qui appor­tait la vie, qui nous appor­tait la résur­rec­tion de nos âmes.

Alors nous devons gar­der cette foi pro­fonde, dans la néces­si­té que nous avons de nous rat­ta­cher à Notre Seigneur Jésus-​Christ, dans sa vie et dans sa mort pour avoir sa vie. Dans sa Croix, pour res­sus­ci­ter avec Lui, aban­don­nant le péché.

Nous qui étions, comme dit saint Paul, des fils de colère, nous sommes deve­nus des enfants de Dieu, des­ti­nés à par­ta­ger sa gloire dans le Ciel.

Mais bien sûr, le démon n’est pas res­té inac­tif. Et tout au cours des siècles et tout au cours de la trans­mis­sion de cette vie de Notre Seigneur Jésus-​Christ dans le monde entier, il a sus­ci­té des schismes, des haines contre ces chré­tiens, les per­sé­cu­tant de toutes les manières.

Et voi­ci que main­te­nant, nous-​mêmes nous vivons un drame, un drame incroyable, peut-​être le plus dur, le plus pénible que l’Histoire de l’Église ait connu. Ceux qui devraient don­ner la Vérité ; ceux qui devraient don­ner la vie ; ceux qui devraient conti­nuer à por­ter le flam­beau et le feu de l’amour de Notre Seigneur Jésus-​Christ, s’unissent à ceux qui sont les per­sé­cu­teurs de Jésus-​Christ, leur prê­tant la main pour la des­truc­tion de l’Église, pour l’apostasie, pour lut­ter contre le règne social de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Incroyable ! Inimaginable !

Que s’est-il donc pas­sé ? Le démon, Satan, a juré de lut­ter contre Notre Seigneur jusqu’à la fin des temps. Alors nous nous trou­vons, vous mes bien chers frères et nous, mes bien chers amis, comme sur une île, comme iso­lés, voyant le désastre par­tout ; voyant l’ouragan détruire les églises, les cou­vents, les écoles catho­liques, les pres­by­tères, les familles chré­tiennes. L’ouragan emporte tout. Nous en sommes là, témoins de cette catas­trophe incroyable, inimaginable.

Qu’allons-nous faire ? Allons-​nous don­ner nous aus­si la main, à ceux qui soufflent cet oura­gan et qui le pro­voquent pour la des­truc­tion du règne de Notre Seigneur ?

Non ! Jamais ! Nous sommes fidèles aux pro­messes de notre bap­tême. Nous avons redit durant cette nuit les pro­messes de notre bap­tême : fidé­li­té à Jésus-​Christ et pour tou­jours, jusqu’à la mort, pour l’éternité.

Pratiquement, cela se tra­dui­ra com­ment ? Pour vous, mes bien chers frères, qui avez des res­pon­sa­bi­li­tés de famille, par le main­tien de la foi dans vos foyers, par le main­tien de la foi, comme vous le faites et comme vous en mon­trez l’exemple par les écoles chré­tiennes. Vous faites des sacri­fices impor­tants pour que vos enfants soient édu­qués chré­tien­ne­ment ; pour qu’ils gardent ce feu de l’Esprit Saint, dont nous avons été les témoins au cours de cette nuit. Ce feu de l’Esprit Saint doit res­ter en eux.

Alors vivent tous les moyens qui peuvent gar­der en eux cette cha­ri­té de l’Esprit qui vivi­fie leur cœur et leur âme. Mouvement de jeu­nesse comme la Croisade Eucharistique, mou­ve­ments de jeu­nesse qui pro­tègent les jeunes et qui enseignent les jeunes dans la foi catho­lique. Ces écoles catho­liques que vous construi­sez et ces cha­pelles que vous construi­sez pour pou­voir conti­nuer à rece­voir ce qui suit le bap­tême : le sacre­ment de péni­tence, l’Eucharistie, la très Sainte Messe de tou­jours. Vous vous atta­chez à la Croix afin de gar­der vos âmes prêtes au jour où Jésus vous appel­le­ra pour l’éternité.

Allons-​nous chan­ger parce que les autres ont changé ?

Allons-​nous aban­don­ner ces voies qui ont été celles que l’Église a employées pen­dant des siècles pour conver­tir les peuples et qui ont fait les peuples chré­tiens ? Allons-​nous prendre un autre chemin ?

Et pour vous de même, mes bien chers amis, vous êtes venus ici avec la pen­sée d’être prêtres comme l’ont été tous vos pré­dé­ces­seurs, saints Prédécesseurs qui ont évan­gé­li­sé le monde, les apôtres et tous les prêtres qui les ont sui­vis, qui leur ont suc­cé­dé. Et tous ces monas­tères qui sont un exemple de sainteté.

Alors nous sommes bien déci­dé à gar­der ces tra­di­tions mer­veilleuses qui pro­duisent les mêmes effets par­tout. Les mêmes causes pro­duisent les mêmes effets. Que ce soit en Chine, que ce soit au Japon, que ce soit en Afrique, ou en Amérique, ou en Europe, l’Esprit Saint pro­duit les mêmes effets.

La grâce de Jésus trans­forme les cœurs, leur donne les mêmes ver­tus. Nous retrou­vons les mêmes ver­tus chré­tiennes, dans les familles afri­caines chré­tiennes, les familles chi­noises chré­tiennes, il n’y en a qu’une : celle que pro­duit Notre Seigneur Jésus-​Christ dans nos âmes. Nous nous retrou­vons tous, en Notre Seigneur Jésus-​Christ, dans la même foi. Et c’est pour­quoi nous serions ten­té de dire avec saint Paul, à ceux qui ont pris un autre che­min, qui ont trou­vé une autre manière de trans­for­mer le monde et de lui por­ter l’Évangile : O insen­sa­ti Galatæ (Ga 3,1) : Ô Galates insen­sés, dit saint Paul, com­ment est-​il pos­sible qu’en si peu de temps vous ayez chan­gé votre Évangile et que vous ayez sui­vi un autre évan­gile que celui que je vous ai prêché.

Voilà ce que dit déjà saint Paul aux Galates : O insen­sa­ti Galatæ. Oui, mes bien chers frères, nous sommes ten­té de dire cela à ceux qui ont choi­si un autre che­min. Ô Galates, insen­sés êtes-​vous (Ga 3,1). Pourquoi avez-​vous donc vou­lu chan­ger l’Évangile (Ga 1,6) Pourquoi voulez-​vous prendre un autre évan­gile que celui qui vous a été prê­ché pen­dant vingt siècles ?

Et c’est alors qu’il pro­nonce ces paroles extra­or­di­naires : « Si un ange du Ciel ou moi-​même je vous prê­chais une autre doc­trine que celle que je vous ai prê­chée pri­mi­ti­ve­ment, que je sois ana­thème » (Ga 1, 8–9). Il le répète deux fois.

Eh bien, nous dirions volon­tiers la même chose, mes bien chers frères, mes bien chers amis. Si nous, ou un ange du Ciel venait prê­cher un autre évan­gile que celui que nous prê­chons, que nous avons prê­ché, que nos pré­dé­ces­seurs ont prê­ché, que nous soyons anathème.

Voilà la conclu­sion de toutes ces médi­ta­tions que nous avons pu faire au cours de ces der­nières jour­nées, jour­nées mer­veilleuses qui nous rem­plissent du véri­table esprit chré­tien, du véri­table esprit de l’Évangile, du véri­table esprit de l’Église.

Alors demeu­rons bien unis à la Croix de Jésus, bien unis aus­si, par consé­quent, à sa Résurrection pour arri­ver un jour à son Ascension. Et deman­dons à notre bonne Mère du Ciel de nous aider à com­prendre ces mys­tères ; de nous aider à les gar­der fidè­le­ment, elle qui a sui­vi Notre Seigneur et qui a été tel­le­ment illu­mi­née dans son intel­li­gence, dans son âme, dans son cœur, par tous ces grands mys­tères de son divin Fils. Demandons-​lui qu’elle nous aide à main­te­nir notre foi et mettons-​nous sous son man­teau, comme cette image qui, je crois, est à la cathé­drale d’Oviedo et qui montre la Vierge ayant sous son man­teau tous les membres de l’Église.

Eh bien, nous ne vou­lons pas quit­ter le man­teau de la Vierge Marie ; nous ne vou­lons pas sor­tir de ce man­teau. Nous vou­lons gar­der la Tradition avec elle, res­ter avec elle et ne pas nous éloi­gner d’elle pour aller cher­cher d’autres sen­tiers, pour prê­cher notre Évangile ou pour nous conver­tir. Restons avec la Vierge Marie. Restons-​lui fidèles et elle nous sera fidèle.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.