Sainte Jeanne d’Arc, modèle de sainteté politique

L’histoire et la mis­sion de Sainte Jeanne d’Arc com­portent tous les élé­ments éclai­rant notre com­bat poli­tique, elles suivent l’ordre natu­rel et l’ordre sur­na­tu­rel, les croi­sant dans la devise célèbre de notre héroïne natio­nale : « Messire Dieu pre­mier ser­vi ».

Cet ordre, c’est d’abord la nais­sance dans une famille chré­tienne, dans l’éducation mater­nelle, avec l’appui d’une paroisse chré­tienne, de la doc­trine et des sacre­ments. Tel est l’ordre éta­bli par Dieu, dans sa créa­tion et dans sa grâce.

Le deuxième miracle, si l’on peut dire, c’est le recours aux ins­ti­tu­tions légi­times de la nation fran­çaise, la monar­chie avec sa loi de suc­ces­sion, son carac­tère sur­na­tu­rel conti­nué dans le sacre. Enfin le prix de cette res­tau­ra­tion de l’ordre tem­po­rel, c’est le sacri­fice rédemp­teur de Jeanne, l’amour de Dieu l’emporte défi­ni­ti­ve­ment sur l’amour d’elle-même dans les flammes du bûcher de Rouen.

Nous pou­vons être fiers et dis­ciples de notre héroïne natio­nale, nous avons à apprendre d’elle la sain­te­té, elle éclate dans la lim­pi­di­té d’une âme aimant Dieu sans retour sur elle-​même dans l’obéissance et la doci­li­té jusqu’à la fin de sa vie. Elle est l’instrument dans les mains de Dieu pour le salut de la France occu­pée par les Anglais, réduite à l’autorité d’un Dauphin en déroute et dou­tant de lui-​même. La réponse vient d’un cœur de vingt ans réso­lu de tout souf­frir pour accom­plir la tâche assi­gnée à sa fai­blesse par le Bon Dieu. Son audace et son cou­rage, Jeanne les puisent dans un renon­ce­ment à toutes les choses ter­restres, dans son atta­che­ment à Dieu seul : « Je m’en remets de tout à Dieu pour créa­teur, dira-​t-​elle à ses juges, je l’aime de tout mon cœur, je m’en remets à mon juge, c’est le roi du ciel et de la terre ». Elle-​même dans ses paroles défi­nit sa sain­te­té. Don total de Jeanne parce qu’elle a enten­du dans son cœur et sur son pays souf­fler la voix de Dieu.

En ce XVème siècle trou­blé, Dieu vou­lait une vierge ins­pi­rée pour redres­ser les voies de la Chrétienté en péril. Il se choi­sit une petite pay­sanne pour triom­pher au mépris des diplo­mates, des savants et des grands de ce monde. La marque divine est assu­rée. Une jeune pay­sanne de dix-​sept ans pouvait-​elle sans la volon­té d’en haut affron­ter les hommes de guerre et ceux du pou­voir ? Traverser les com­bats et les bandes de pillards, aller sur les grands che­mins, les rivières, for­cer les ponts-​levis et aller jusqu’au Roi ? Combattante, elle se jette sur les bas­tides anglaises, elle entraîne les hommes d’armes pour­ris par les can­ton­ne­ments des arrières. Elle ren­verse les intrigues, les iner­ties, les tra­hi­sons pour conduire à Reims un pauvre prince et en faire un roi. Puis, à 19 ans, elle se retrouve en pri­son les fers aux pieds, pri­vée de la Sainte Eucharistie, un an de cachot, trois mois de pro­cès, puis ce sup­plice l’horrifiant, le feu où elle va mou­rir, s’écriant entre deux invo­ca­tions du nom de Jésus « Mes voix étaient bien de Dieu ». Elle per­siste jusque dans la mort par le témoi­gnage de sa foi.

Telle est l’épopée de Jeanne, ses vic­toires, sa pri­son et sa mort. Le lien entre l’obéissance et la cha­ri­té res­plen­dit dans sa doci­li­té et son humi­li­té. « Sans la grâce de Dieu, déclare-​t-​elle, je ne sau­rais rien faire, tout ce que j’ai fait, je l’ai fait par com­man­de­ment de Notre-​Seigneur ». Nous décou­vri­rons ensemble Jeanne comme modèle de per­fec­tion chré­tienne et comme sainte politique.

I – Jeanne, modèle de perfection chrétienne

Dieu est à l’œuvre. Jeanne a 12 ans, elle garde les trou­peaux fami­liaux. Une voix du ciel l’avertit : « Jeanne, tu es celle que le Roi du Ciel a choi­si pour le relè­ve­ment du Royaume de France. Le Roi du Ciel l’ordonne et le veut, la volon­té qui s’accomplit dans le ciel, s’accomplira sur la terre ». Il en résulte chez Jeanne une plus grande pié­té prou­vant que le ciel lui donne son édu­ca­tion spi­ri­tuelle. De Saint Michel, elle apprend la grande pitié du Royaume de France, en même temps elle reçoit une pré­pa­ra­tion aux objec­tifs poli­tiques et mili­taires. Si bien que lorsque vient le moment de par­tir, elle ne s’étonne de rien, elle sait comme elle doit agir dans les conseils poli­tiques comme sur les champs de batailles. « Je suis née pour cela », elle l’affirme : « Il faut que j’aille vers le Gentil Dauphin, c’est la volon­té du Seigneur, le roi du ciel, que j’aille vers lui, dussé-​je m’user les jambes jusqu’aux genoux ». A l’heure du départ, elle dit clai­re­ment à Jean de Metz : « Il n’est per­sonne au monde, ni roi, ni duc, ni fille du roi d’Ecosse, ni autres qui puissent secou­rir le royaume de France. Il n’y a de secours à espé­rer que de moi ».

Sa mis­sion poli­tique lui est dic­tée d’en haut, elle la reçoit dans l’humilité, la Providence indique tout. Les obs­tacles ne l’effrayent point. « Quand j’eusse eu cent pères et cent mères et que je fusse fille de Roi, je serai par­tie ». Elle en témoigne lors au pro­cès car « mes dits et mes faits sont de la part de Dieu ». Dans cette sou­mis­sion à la volon­té divine, elle puise la force de pas­ser outre aux ten­dresses fami­liales. Pour suivre ses voix, elle s’arrache aux siens « Va, fille de France ». Elle va, pas­sant outre les dires des juristes, des conseillers et des poli­ti­ciens à l’affût des trêves, « Vous avez été à votre conseil, leur rétorque-​t-​elle, j’ai été au mien qui vaut mieux que le vôtre ». Il lui fau­dra par­ler devant les grands, ne rien céder à l’opposition des puis­sants, à l’inertie du Roi. Elle affronte les auto­ri­tés prêtes aux com­pro­mis, elle menace le roi étran­ger, remonte le moral des popu­la­tions abat­tues et impose à l’armée le res­pect de Dieu.

La foi de Jeanne emporte tout, com­mu­ni­ca­tive elle devient irré­sis­tible. Elle a par­fai­te­ment com­pris que c’est le péché mor­tel qui fait perdre les batailles. Aux hommes d’armes déjà sur­pris d’avoir à s’enrôler sous la ban­nière d’une jeune fille, elle impose « qu’ils se missent en état d’entrer en la grâce de Dieu et que s’ils sont en bon état avec l’aide de Dieu, ils obtien­dront la vic­toire ». La veille du grand com­bat d’Orléans, elle fit publier que « nul n’alla le len­de­main à l’assaut s’en s’être pré­sen­té à confesse ». Aussitôt, la vic­toire rem­por­tée, elle envoie son cha­pe­lain « aver­tir publi­que­ment tous les hommes d’armes de confes­ser leurs péchés et de rendre grâce à Dieu de leur vic­toire. Sans quoi, elle ne res­te­rait pas par­mi eux, et les lais­se­rait là ». Devant Paris, c’est la retraite imbé­cile, « la ville eut été prise » sou­tient Jeanne mais l’archevêque de Reims est là, il prêche la modé­ra­tion : « Composons, com­po­sons, la paix, la paix ». Le len­de­main, Jeanne sen­tant la tra­hi­son, sa mis­sion change de forme. Ses enne­mis la disent sor­cière, la volon­té royale s’embrouille dans les com­po­si­tions diplo­ma­tiques. Sous les rem­parts de Melun, une voix lui souffle « Il faut que tu sois prise ». Dans la pers­pec­tive du pro­cès deve­nu le mémo­rial de ses vic­toires et de sa pas­sion, le témoi­gnage de cette cha­ri­té supé­rieure suprême où la vie s’offre à l’exemple du Christ au calvaire.

Elle sera brû­lée vive pour n’avoir pas vou­lu renier cette mis­sion sur­na­tu­relle dans le temps. Cette jeune fille sans ins­truc­tion va tout de même tenir tête à cin­quante huit juges. Elle triomphe des pièges des théo­lo­giens, des cano­nistes. L’un de ses juges s’en aper­çut « Je pense que ce n’est pas elle qui par­lait, mais qu’en elle par­lait l’Esprit ». Elle admo­neste vive­ment Cauchon : « Evêque, vous dites que vous êtes bon juge, pre­nez garde à ce que vous faites, car en véri­té je suis envoyée de Dieu et vous vous met­tez en grand dan­ger ». Au moment de par­tir au bûcher, elle s’écrie à nou­veau : « Si je ne disais que Dieu m’a envoyé, je me dam­ne­rai, Dieu aidant, j’espère aller en para­dis ».

Telle est l’âme de Jeanne, en elle reten­tit le Fiat de la Sainte Vierge, tout y est rela­tif à Dieu.

II – Jeanne, Sainte politique

Dieu a fait d’elle la grande sainte de la cha­ri­té poli­tique, pour appe­ler à sa suite toutes nos nations à reprendre le che­min du bien com­mun ouvrant sur le bon­heur du ciel. « Tu es phare de civi­li­sa­tion, pro­clame Pie XII, et l’Europe civi­li­sée et le monde te doivent ce qu’il y a de plus sacré et de plus sain ; de plus sage et de plus hon­nête chez tous les peuples, ce qui exalte et fait la beau­té de leur his­toire ». Nous le croyons et l’espérons comme une extrême néces­si­té. « J’eus cette volon­té de croire » avoue Jeanne. Sa poli­tique pro­cède d’en haut, elle a la marque divine, par là elle est pré­sente à toute poli­tique dési­reuse de la réa­li­sa­tion d’un bien com­mun tem­po­rel s’entrecroisant avec la mis­sion de l’Eglise. Le pre­mier regarde la terre mais il n’oublie pas avec le second : orien­ter nos âmes vers le juge­ment de Dieu. Toute la mis­sion de Jeanne le crie, elle est l’artisan d’un ordre chré­tien où se conjugue la nature et la grâce, cette pax don­née par le Christ, vain­queur de la mort. La pré­sence de Jeanne nous invite au com­bat poli­tique, fon­dé sur la fidé­li­té aux ver­tus théo­lo­gales de foi, d’espérance et de charité.

N’oublions pas sa bra­voure mili­taire, elle frappe tout le monde, son cou­rage et sa science mili­taire sur­prennent. Suivant son mot d’ordre « har­di­ment », elle accourt et se bat là où est le péril, elle per­siste lorsque les autres aban­donnent. Jamais elle ne com­mande la retraite, jamais elle n’envisage la défaite. Blessée au siège de Paris, il faut l’arracher de force du fos­sé où elle com­bat. La force de tenir puis de pas­ser à l’attaque, dans sa cer­ti­tude inébran­lable du secours divin avec lequel elle bous­cule des obs­tacles humai­ne­ment insur­mon­tables. La flamme du bûcher, consu­mant son corps, ins­crit dans le ciel que Dieu seul a sau­vé la France.

Jeanne est pour nous un modèle, mais aus­si un aver­tis­se­ment face à trop de com­plai­sance envers les com­por­te­ments du monde, elle balaye de son épée nos propres théo­ries et nos recettes poli­tiques. La poli­tique de Jeanne est le contraire de la laï­ci­té excluant la foi et le sur­na­tu­rel de la cité. Au milieu de nos géné­ra­tions ébran­lées par le doute, ten­tées par le déses­poir, Jeanne est l’expression de notre iden­ti­té fran­çaise, d’une his­toire façon­née par l’ordre natu­rel et divin. La puis­sance du mal ne l’empêche pas d’agir, de sorte que Jésus-​Christ seul assu­re­ra la défaite finale de l’ennemi.

L’objet de la mis­sion tem­po­relle de Jeanne est poli­tique, réta­blir l’autorité dans la cité, car d’elle vient la rela­tion du bien pri­vé au bien com­mun. Cette visée poli­tique se place dans le sens de la réa­li­té, nous sommes des êtres dépen­dants de Dieu. Cette vision de la poli­tique écarte les obs­tacles humains, elle ne se déter­mine ni par l’esprit de par­ti, ni pour des inté­rêts par­ti­cu­liers mais pour l’ordre réel. « Celui, dit le pape Pie XI, de la bonne, de la vraie, de la grande poli­tique, celle diri­gée vers le plus haut bien et le bien com­mun… Tel est ce domaine où la poli­tique qui regarde les inté­rêts de la socié­té toute entière et qui sous ce rap­port est le champ de la plus vaste cha­ri­té, de la cha­ri­té poli­tique dont on peut dire qu’aucune autre ne lui est supé­rieure, sauf celui de la reli­gion ».

Jeanne est là pour le sacre, pour l’intégrité du ter­ri­toire, elle sai­sit le pro­blème concrè­te­ment. Ce fai­sant, elle réa­lise l’union indis­pen­sable de la poli­tique natio­nale et de la reli­gion dans l’unique réa­li­té fran­çaise. Elle la pro­clame, elle la défend et la fait émer­ger d’un immense chaos. Ce n’est pas une sain­te­té dans les nuages, son sens aigu du bien com­mun ne se perd pas dans un océan de reli­gio­si­té huma­ni­taire. Sa foi et son civisme, gref­fés l’un sur l’autre, sont plan­tés dans la même terre de France. Pas d’abstraction, pas de « double véri­té », la sotte concep­tion de la sépa­ra­tion du reli­gieux et du poli­tique ne l’affleure même pas. Inspirée de Dieu, elle sait que les deux sont insé­pa­rables, se com­pé­nètrent car ils s’adressent aux mêmes hommes, tout en conser­vant leur fina­li­té propre en rap­port néan­moins avec notre fin ultime.

La par­tie qui se joue devant Jeanne n’est pas dif­fé­rente des défis actuels, inva­sions étran­gères, tra­hi­son des princes et des clercs, démis­sion des corps consti­tués. En célé­brant Sainte Jeanne d’Arc, nous réunis­sons le natio­nal et le reli­gieux, sans nous inquié­ter des bons apôtres tou­jours prêts à s’entendre avec l’ennemi. Nos adver­saires sont bien sem­blables à ceux qui traitent Jeanne de sor­cière, de ribaude, d’hérétique, d’invocatrice du démon. Lors de son pro­cès, on l’accuse de « s’opposer à tous les trai­tés de paix, d’inciter les hommes d’armes à la guerre, au meurtre, de faire répandre le sang humain… » Mais pour Jeanne, la pre­mière exi­gence de la vie natio­nale, c’est l’existence et l’intégrité du ter­ri­toire, la res­tau­ra­tion de l’autorité. Elle appelle cela « la bonne que­relle du royaume de France ». Pas de détours, elle va direc­te­ment au but, ce qu’il faut c’est la déli­vrance d’Orléans, le sacre du Roi, le départ des Anglais. « Je suis venue pour bou­ter l’ennemi hors de notre France ». S’ils ne veulent pas en conve­nir, « elle leur entre­ra dedans » et elle le fait. Elle offre la paix, mais dans l’honneur, sans ques­tion de flé­chir sur le pres­tige et les droits de la patrie. Aux illu­sion­nés de la paix, elle déclare : « la paix nous ne l’aurons qu’ au bout de la lance ». La paix n’existe pas en dehors de la jus­tice, sans l’ordre et sans l’unité. Cette uni­té repose pour Jeanne dans le par­tage una­nime d’une même foi reli­gieuse et nationale.

Elle appelle tous les Français de son temps et du nôtre à cette soli­da­ri­té pour la patrie. « Plus il y aura ensemble de sang de France, mieux cela vau­dra » et tous se mobi­lisent. Le pays est là tout entier : miracle bien fran­çais et tou­jours pos­sible si la France veut retrou­ver en Jeanne, son âme, sa foi et son œuvre, si en face des idéo­logues mal­fai­sants et des traîtres, la foi rend aux Français la fer­veur des heures glo­rieuses de son his­toire.

Nous l’avons vu la poli­tique de Jeanne, c’est d’abord la subor­di­na­tion de l’autorité humaine à l’autorité divine. La fidé­li­té de la nation à elle-​même, à son inté­gra­li­té morale et maté­rielle. C’est la jus­tice sociale, l’amour du peuple dans l’accord har­mo­nieux des liber­tés natu­relles garan­ties par l’autorité.

La recon­quête com­mence dans nos familles capables de faire jaillir d’autres Jeanne, dans les com­mu­nau­tés, bases de la réa­li­sa­tion du bien com­mun, dans la res­tau­ra­tion à tous les niveaux , familles, métiers, cités, de la notion de Bien Commun.

La mis­sion de Jeanne conti­nue, ses voix ne nous disent pas autre chose, elles nous dictent d’aller har­di­ment au com­bat que Dieu réclame de nous. Avec des cœurs dépouillés des péchés, des cœurs « doux et humbles » à l’image du Cœur Sacré de Jésus mais en même temps magna­nimes –« les hommes d’armes bataille­ront, Dieu don­ne­ra la vic­toire », le mes­sage est tou­jours actuel « Je veux régner, révèle Jésus à Sainte Marguerite-​Marie, et je régne­rai mal­gré Satan et tous ceux qui vou­draient s’y opposer ».

A la suite de Jeanne, Dieu attend notre géné­ro­si­té, l’élan de notre cha­ri­té et Il nous donne gra­tui­te­ment la grâce d’accomplir, non ce qui vient uni­que­ment de nous, mais ce qui naît direc­te­ment de lui. Sainte Jeanne d’Arc et la cohorte de nos héros natio­naux, en tous temps de notre his­toire nous en four­nissent la preuve et la convic­tion d’un com­bat utile et à l’heure de Dieu victorieux.

Le 9 mai 2010, tous à Paris pour hono­rer Sainte Jeanne d’Arc !

Abbé Bruno Schaeffer