L’église se meurt de la nouvelle messe

Jean-​Paul Il vient de faire paraître une ency­clique sur l’Eucharistie, Ecclesia de Eucharistia, « l’é­glise vit de l’Eucharistie ». On y trouve de belles choses : des médi­ta­tions pieuses, des consi­dé­ra­tions mys­tiques un peu obs­cures mais éle­vées, des affir­ma­tions dog­ma­tiques qui sonnent bien aux oreilles catho­liques. Le pape parle plu­sieurs fois de « sacri­fice », et même reprend le vocable tra­di­tion­nel de « trans­sub­stan­tia­tion », terme insup­por­table aux pro­tes­tants. On y trouve encore des réfé­rences aux saints et en par­ti­cu­lier à saint Thomas d’Aquin, le « chantre admi­rable du Saint-​Sacrement ». Il y a encore quelques bons sau­pou­drages de louanges du concile de Trente, une répro­ba­tion assez géné­rale d’a­bus dans la célé­bra­tion des saints mys­tères, et le rap­pel fon­da­men­tal de ne pas rece­voir la com­mu­nion si l’on est pas en état de grâce.

Mais beau­coup d’ex­pres­sions en faveur de la doc­trine tra­di­tion­nelle s’in­tègrent mal à la pen­sée domi­nante, qui se veut moderne. On ne sent pas un vrai souffle de convic­tion pour la pure Tradition cela res­semble bien sou­vent à du « copier-​coller ». Que peut-​on dire alors ?

Emanant du pape actuel, cette ency­clique donne l’im­pres­sion d’une pous­sée de fièvre tra­di­tio­na­liste. C’est assez clas­sique en fin de pon­ti­fi­cat et, si les ultra-​progressistes s’en plaignent, ils ne s’y trompent pas : Jean-​Paul II, pensent-​ils, s’ex­prime ain­si parce qu’il est un peu malade, il n’a plus tous ses moyens… peut-​être a‑t-​il quelques scrupules.

Y a‑t-​il pour autant un retour réflé­chi et déci­sif du pon­tife à la pure doc­trine apostolique ?

Rien ne laisse vrai­ment entre­voir une telle chose. Le pape est trop enga­gé dans le tobog­gan des réformes du concile (œcu­mé­nisme, en par­ti­cu­lier), et cette décla­ra­tion doc­tri­nale res­semble plu­tôt à une cris­pa­tion pour frei­ner la glis­sade iné­luc­table dans la spi­rale infer­nale du « n’im­porte quoi », où la reli­gion conci­liaire se pré­ci­pite chaque jour plus mani­fes­te­ment. En fait, le pape suit tou­jours sa ligne il veut tout sim­ple­ment rendre les réformes conci­liaires plus cré­dibles en res­ser­rant cer­tains bou­lons, sur­tout dans le domaine litur­gique qui fait un peu désordre.

Ce que l’on peut dire, avec cer­ti­tude, c’est que le docu­ment tel qu’il est en lui-​même n’ap­porte aucune solu­tion au pro­blème essen­tiel concer­nant l’Eucharistie, celui de la nou­velle messe de 1969.

Cette messe reste la réfé­rence de base pour Jean-​Paul Il et l’en­semble du cler­gé conci­liaire. On peut pen­ser que, après avoir signé l’en­cy­clique, Jean-​Paul Il est retour­né sans le moindre remords la célé­brer dévo­te­ment dans sa cha­pelle. Or, c’est elle qui est en cause.

Dire que l’é­glise vit de l’Eucharistie, c’est très joli et c’est même vrai en soi, mais in concre­to, dans la réa­li­té pré­sente et qua­si per­ma­nente depuis trente ans, l’é­glise se meurt de l’o­bli­ga­tion impo­sée à tous de la nou­velle messe, comme elle se meurt des réformes du concile. Cette messe objec­ti­ve­ment bâtarde, digne fruit de Vatican Il, agit comme un poi­son lent mais effi­cace, et fait dis­pa­raître le sacri­fice, le sacer­doce, les sémi­naires, les voca­tions, la foi. Même digne­ment célé­brée, « elle s’é­loigne dans l’en­semble comme dans le détail de la théo­lo­gie catho­lique du saint sacri­fice tel que l’a défi­nie le concile de Trente » (Bref exa­men cri­tique des car­di­naux Ottaviani et Bacci). Donc, en pro­fes­sant la foi de tou­jours dans l’Eucharistie et en ne réha­bi­li­tant pas le rite mul­ti­sé­cu­laire de saint Pie V, Jean-​Paul Il ne fait en défi­ni­tive qu’en­tre­te­nir la confu­sion et la contra­dic­tion. Il dit que l’on peut en même temps gar­der la vraie foi et pra­ti­quer un rite néfaste pour la foi (celui de Paul VI).

La consé­quence immé­diate de cette ency­clique est que les catho­liques vont croire qu’on peut se sanc­ti­fier dans la nou­velle litur­gie bien dite. Les catho­liques pen­se­ront que Dieu y trouve son tri­but de louange, d’a­do­ra­tion, alors que cette messe – sans être pour autant tou­jours inva­lide – n’est plus inté­gra­le­ment bonne, ni clai­re­ment propitiatoire.

Le pape ne manque certes pas de bonne volon­té pour com­battre cer­tains pro­blèmes, mais les véri­tables pro­blèmes sont moins à l’ex­té­rieur des per­sonnes que dans les âmes dépour­vues des repères clas­siques. Le pro­blème de l’é­glise est dans les hommes d’é­glise qui sont ou per­vers, ou aveugles, ou irré­so­lus. Nous atten­dons tou­jours les signes d’un début de retour au sen­sus fidei (au sens de la foi).

Quant les chré­tiens étaient per­sé­cu­tés par les lois romaines des empe­reurs païens, ils se sont féli­ci­tés de l’é­dit de Milan (313) qui leur don­nait la liber­té de pra­ti­quer publi­que­ment leur culte. C’était la fin des per­sé­cu­tions san­glantes, il y avait de quoi se réjouir. Mais ce n’é­tait que le début du chris­tia­nisme, non encore son triomphe, car tout était à faire dans un monde empli d’erreurs.

La fin des per­sé­cu­tions contre la Tradition de la part des auto­ri­tés ecclé­sias­tiques ne fera que mar­quer le com­men­ce­ment d’un début de redres­se­ment. Nous n’en sommes pas encore arri­vés là, il s’en faut de beau­coup, même si la messe de saint Pie V était ren­due libre uni­la­té­ra­le­ment par un décret de Rome. Après cette étape néces­saire, tout res­te­rait encore à faire.

(Fideliter juin-​juillet 2003 /​nº154)