Éditorial de la Lettre à nos Amis et Bienfaiteurs n° 66

« J’avais cru, en entrant dans la vie reli­gieuse, que j’aurais sur­tout à conseiller la dou­ceur et l’humilité ; avec le temps, je vois que ce qui manque le plus sou­vent, c’est la digni­té et la fierté ! »

Nous le savons bien, c’est au terme d’une fidé­li­té inté­gra­le­ment conser­vée à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ que la cou­ronne de vie est obte­nue. Parmi les actes requis par cette orien­ta­tion réso­lu­ment catho­lique de l’existence, il importe de comp­ter le témoi­gnage. Le bap­ti­sé est ame­né à rendre compte de sa Foi ici-​bas et il s’agit là d’un devoir grave. Saint Luc nous a lais­sé une for­mule bien claire à ce sujet :« Celui qui rou­gi­ra de Moi devant les hommes, je rou­gi­rai de lui devant mon Père. Celui qui me confes­se­ra devant les hommes, je le confes­se­rai devant mon Père. »

De cette sen­tence, il res­sort bien qu’il y aurait péché à avoir honte de notre Dieu et de notre reli­gion et qu’il existe donc un devoir de fier­té pour les catho­liques, devoir qui s’impose à eux davan­tage dans une socié­té déchris­tia­ni­sée deve­nue indif­fé­rente ou hos­tile à la religion.

Cette exi­gence de fier­té peut sur­prendre et peut même en cho­quer quelques-​uns. Ne paraît-​elle pas contre­dire la ver­tu d’humilité que saint Thomas d’Aquin nous montre pré­ci­sé­ment comme le socle de toutes les autres ver­tus ? Et, en admet­tant que l’on puisse concé­der à la fier­té une légi­ti­mi­té, est-​il oppor­tun d’en dres­ser l’éloge alors qu’elle voi­sine de si près avec l’orgueil ? D’aucuns ajou­te­ront encore que les « tra­di­tio­na­listes » sont déjà bien assez fiers de leurs cer­ti­tudes ou du déve­lop­pe­ment de leurs œuvres. Inutile donc de les confor­ter dans cette attitude !

Pour répondre à ces mur­mures, com­men­çons par pré­ci­ser ce que l’on entend par le mot « fier­té ». Il pro­vient du latin effe­ro qui signi­fie « por­ter, empor­ter ». Au sens figu­ré, ce verbe peut dési­gner le sou­lè­ve­ment que pro­voquent dans le cœur les émo­tions et les sen­ti­ments. En proie à une pas­sion, celui-​ci connaît ain­si de véri­tables trans­ports inté­rieurs. L’âme se trouve alors comme sou­le­vée hors d’elle-même. Bien que mal dis­tin­guée de l’orgueil par les auteurs païens, la fier­té joue un rôle déter­mi­nant pour expli­quer la puis­sance à laquelle s’est éle­vée Rome. Si Cicéron s’est lais­sé allé à com­mettre le vers, O for­tu­na­tam me consule Romam, qui dévoile une cer­taine satis­fac­tion de lui-​même, c’est aus­si la fier­té de leur sol et de leur race qui ins­pi­ra aux Romains leurs actes de bra­voure et d’héroïsme déci­sifs dans tant de conquêtes de Rome.

C’est donc sans éton­ne­ment par­ti­cu­lier que nous décou­vrons ces sen­ti­ments de nos anciens loués dans l’ancien Testament. On y retrouve par exemple avec joie que le père est la fier­té de ses enfants (Pr 17, 6), que la ver­tu est un motif de fier­té (Pr 19, 11) et cette belle véri­té que Dieu Lui-​même est fier­té pour tous Ses Amis Ps 103).

Notons que les motifs de fier­té recon­nus légi­times sont tous exté­rieurs à l’homme ; la ver­tu elle-​même, bien qu’elle demande à l’homme tant d’efforts sur lui-​même, est aus­si un don de Dieu selon la parole de saint Paul :

« Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pour­quoi te glorifies-​tu, comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Co 4, 7). »

Il appar­tient cepen­dant à Notre-​Seigneur lui-​même d’avoir mani­fes­té aux hommes les fon­de­ments ultimes de l’humilité et de la fier­té ain­si que leur heu­reuse har­mo­nie. La pure­té de son exemple et de sa doc­trine suf­fit à dénon­cer la malice et la per­ver­si­té du cœur de l’homme. Et c’est par ses souf­frances et sa mort expia­trices qu’il va démon­trer la gra­vi­té du péché : confron­té à l’acte rédemp­teur du Calvaire, cha­cun est obli­gé de décou­vrir les mille tur­pi­tudes dont sa conscience est char­gée et doit alors s’abîmer dans une pro­fonde com­ponc­tion et humi­li­té de cœur. Coupables de la Passion de Jésus-​Christ par nos péchés, nous n’aurons pas trop de nos jour­nées pas­sées sur cette terre pour en deman­der pardon.

Mais, en même temps qu’il nous découvre notre misère spi­ri­tuelle si pro­fonde, Notre-​Seigneur nous prouve com­bien il nous aime par le prix dont il a payé notre rédemption :

« Car vous avez été rache­tés à grand prix » (1 Co 6, 20). »

Ce prix, c’est celui du sang divin que Notre-​Seigneur a vou­lu ver­ser pour nous jusqu’à la der­nière goutte. C’est lui qui nous révèle tout l’amour de Dieu pour nos âmes et nous amène à reprendre l’exclamation admi­ra­tive de saint Léon : Agnosce, o Christiane, digni­ta­tem tuam ! Voilà le mot lâché. Notre émi­nente digni­té de chré­tiens, c’est celle qui est expri­mée par l’apôtre saint Paul :

« L’Esprit lui-​même rend témoi­gnage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Et si nous sommes enfants, nous sommes aus­si héri­tiers, héri­tiers de Dieu et cohé­ri­tiers du Christ, pour­vu tou­te­fois que nous souf­frions avec Lui, afin d’être glo­ri­fiés avec lui (Rm 8,19 ). »

La com­pas­sion de Dieu opé­rant par le sacri­fice de la croix amène tous les hommes qui en sont béné­fi­ciaires à une « par­ti­ci­pa­tion de la nature divine » ( 2 P 1, 4). La fier­té chré­tienne est donc cette recon­nais­sance admi­ra­tive de l’immensité des dons reçus de Dieu, des tré­sors dont le génie de son amour a su com­bler le cœur de l’homme. Cette fierté-​là va sou­vent tour­ner à l’orgueil car elle démontre à l’homme qu’il n’a en propre que sa misère. Elle l’engage en revanche à vivre désor­mais digne­ment, en sa qua­li­té insigne de chrétien.

Peut-​être la conci­lia­tion de l’humilité et de la fier­té est-​elle jugée dif­fi­cile ou peut-​être une cer­taine concep­tion de l’humilité constitue‑t’elle un paravent pra­tique pour se dis­pen­ser de s’engager ? Toujours est-​il que ce juste et fécond sen­ti­ment de notre digni­té d’enfants de Dieu est sou­vent igno­ré ou bou­dé par les chré­tiens. J’en veux comme témoi­gnage cette remarque extraite d’une lettre du père de Foucauld au géné­ral Laperrine :

« J’avais cru, en entrant dans la vie reli­gieuse, que j’aurais sur­tout à conseiller la dou­ceur et l’humilité ; avec le temps, je vois que ce qui manque le plus sou­vent, c’est la digni­té et la fierté ! »

Tant que le cœur catho­lique n’a pas com­men­cé à tres­saillir de l’honneur et de la joie d’être mar­qué du sceau chré­tien, l’humilité risque fort d’être pour lui le masque de bien des lâche­tés et des déro­bades. C’est en obser­va­teur cri­tique mais lucide de son époque que Drumont a illus­tré d’une bou­tade cette fai­blesse des catholiques :

« Si les pré­fets convo­quaient tous les catho­liques sur la place, pour midi pré­cis à cette fin de rece­voir des coups de pied quelque part, ils arri­ve­raient tous à midi moins un quart pour être sûrs de ne pas le faire attendre. »

Si cette séance publique de dis­tri­bu­tion de coups de pieds ne s’est pas encore pro­duite, le catho­li­cisme est cer­tai­ne­ment dans les pays d’Europe Occidentale la reli­gion que l’on tourne le plus faci­le­ment en déri­sion. Tandis que se mul­ti­plient les spec­tacles, publi­ci­tés ou livres blas­phé­ma­toires, le cler­gé paraît comme pros­tré, hébé­té, inca­pable de réagir. Les lois se suc­cé­dant toutes plus mons­trueuses les unes que les autres, jusqu’à pro­mou­voir l’homophilie ou l’adoption d’enfants par les homo­sexuels, on attend encore que les évêques, retrou­vant pour l’occasion leurs mitres et leurs crosses, des­cendent enfin dans la rue, entraî­nant der­rière eux tout ce que la France compte encore de catho­lique. Pendant ce temps, notre reli­gion sombre dans une sorte d’avachissement mor­tel dont plus rien ne paraît capable de la sor­tir pen­dant que ses détrac­teurs, enhar­dis par ce silence, poussent tou­jours plus loin leur audace. Bien plus, il n’est pas jusqu’au dis­cours pon­ti­fi­cal lui-​même qui par la suc­ces­sion de ses repen­tances sur le pas­sé de l’Église, semble don­ner rai­son à cette curée impitoyable.

Nous ne devons pas bais­ser la tête à notre tour, acca­blés par les sar­casmes du monde ou par les mea culpa frap­pés sur la poi­trine de notre mère l’Église. On recon­naît la ver­tu d’un enfant dont la mère est humi­liée à la déter­mi­na­tion avec laquelle il la défend tou­jours contre tous. La mis­sion des catho­liques de Tradition consiste pré­ci­sé­ment à assu­rer la pro­tec­tion rap­pro­chée d’une Église dont on a son­né l’hallali : ils doivent mon­trer par une indomp­table volon­té qu’ils n’accepteront pas de la lais­ser pié­ti­ner. Quelle noble entre­prise et quelle âme vrai­ment chré­tienne pour­rait la décli­ner ? C’est à ce signe qu’on pour­ra recon­naître notre iden­ti­té de catho­liques tel­le­ment contes­tée ? Lorsque l’Église était conspuée, ce furent les catho­liques de Tradition qui se ran­gèrent tou­jours les pre­miers pour la défendre. C’est à vous, chers Amis et Bienfaiteurs, que je m’adresse pour vous com­mu­ni­quer mes encou­ra­ge­ments, dans la pour­suite de ce grand com­bat.
Que Notre Dame vous garde.

Abbé Régis de Cacqueray †
Supérieur du District de France

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.