Une âme de feu

C’est une réa­li­té que la vie quo­ti­dienne nous absorbe tous. Tout comme le frot­te­ment use le relief d’une pièce, l’habitude use et acca­pare notre atten­tion et notre enthousiasme.

Les dif­fi­cul­tés qui appa­raissent à tout moment, la las­si­tude peut-​être de vivre depuis tant d’années dans l’Eglise comme des parias, les échecs, tout cela casse peut-​être nos ardeurs du pre­mier jour.
Pour rani­mer notre zèle, il est bon de reve­nir aux sources pre­mières. Tout au long de l’année, l’Eglise nous apporte tou­jours les moments adé­quats pour nous réac­ti­ver, et je crois qu’en ce mois de juin où nous fêtons le Sacré-​Cœur, nous trou­vons l’occasion de nous péné­trer du zèle apos­to­lique à l’école du Cœur de Notre- Seigneur. C’est là que nos jeunes devraient se tour­ner pour com­prendre l’idéal si beau et si enthou­sias­mant de la voca­tion sacer­do­tale ou reli­gieuse.
Le zèle des âmes est l’école du Sacré-​Cœur de Jésus.

Qu’a pen­sé Notre-​Seigneur sur les âmes ?
Tout maître d’action a en pre­mier lieu une doc­trine. Toute la pen­sée du Cœur de Jésus sur les âmes peut se résu­mer en une seule parole :

« Je suis le Bon Pasteur. Le bon pas­teur donne sa vie pour ses bre­bis […]je connais mes bre­bis et elles me connaissent. »

Voilà l ’image. La para­bole est l’his­toire de cet homme qui perd une bre­bis sur cent. Laissant les quatre-​vingt dix-​neuf, il s’en va à la recherche de la bre­bis per­due. Il la ramène joyeux de l’avoir retrou­vée, et on sent l’accent de cette joie dans ces paroles :

« J’ai retrou­vé de nou­veau ma bre­bis, celle qui était perdue. »

Dans ces deux pas­sages de l’Evangile – l’image et la para­bole – se trouve toute la syn­thèse de la pen­sée du Cœur de Jésus sur les âmes, c’est-à-dire sur vous, chers lec­teurs.
Pour Notre-​Seigneur, l’âme, vos âmes, c’est le tout de l’homme. Le reste (san­té, for­tune) ne compte pas et doit tou­jours lui être sacrifié.

« De quoi sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme ? Ou que pour­ra don­ner l’homme en échange de son âme ? (Mat XVI, 26). »

C’est bien pour cela qu’Il disait :

« Ne crai­gnez pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme ; crai­gnez plu­tôt celui qui peut perdre l’âme et le corps dans la géhenne (Mat X, 28). »

Les vrais tré­sors sont ceux de l ’âme ; quant aux autres tré­sors, qu’en dit Notre-Seigneur ?

« Les vers les rongent et les voleurs les dérobent. »

En un autre pas­sage de l’Evangile, Notre-​Seigneur se com­plaît à dépeindre ce riche pro­prié­taire, tou­jours inquiet de savoir com­ment pré­ser­ver ses récoltes. Il fait de beaux pro­jets de dis­po­si­tions et d’agrandissement :

« Mon âme, tu as de grands biens en réserve pour beau­coup d’années ; repose-​toi, mange, bois, fais bonne chère. Mais Dieu lui dit : insen­sé ! cette nuit-​même on te rede­man­de­ra ton âme ; et ce que tu as mis en réserve, pour qui sera-​t-​il ? Il en est ain­si de l’homme qui amasse des tré­sors pour lui-​même et qui n’est pas riche devant Dieu. »

Voilà donc pour­quoi Notre-​Seigneur aime­ra ten­dre­ment ces âmes pour le salut des­quelles il va jusqu’à don­ner sa vie. D’avance, dans la para­bole de la bre­bis per­due, il nous aver­tit que le trou­peau des âmes est dif­fi­cile à régir.
Plus dif­fi­cile encore que celui de la para­bole. Là il n’y avait que bre­bis et chèvres, peuple inin­tel­li­gent, sot, mais – en somme – facile à domi­ner pour un pas­teur intel­li­gent et fort.
Il n’en est pas de même pour nous, qui sommes à l’égal des apôtres, hommes comme eux, libres et à la mer­ci de toutes les forces mau­vaises qui luttent en nous contre la lumière. Mais au-​delà de la malice et de l’obstination des hommes, Notre-​Seigneur dresse l’image du pas­teur : il a cou­ru le jour et à la fin, il a retrou­vé sa brebis.

« En véri­té, il y aura plus de joie dans le ciel pour un pécheur repen­ti que pour quelques justes qui ne sentent pas la néces­si­té de la pénitence. »

Ainsi Notre-​Seigneur énonce la loi de l’apôtre que nous devons tous être : il ira de pré­fé­rence vers les bre­bis per­dues ou malades. Il sacri­fie­ra tout, même les bre­bis fidèles en vue de cet apos­to­lat, ne regar­dant ni le coût, ni la fatigue pour les retrou­ver.
Tous les sacri­fices de l’apôtre se trouvent dans cette aven­ture du pas­teur à la recherche de la bre­bis per­due. Il lui fau­dra un œil exer­cé à la vigi­lance, un cœur ouvert à tous les par­dons, un cou­rage plus fort que toutes les dif­fi­cul­tés. Il fau­dra qu’il sacri­fie tout ce qu’il a de plus cher : sa famille, sa patrie, ses pré­fé­rences de cœur, tout, pour aller d’abord cher­cher les âmes ingrates, dif­fi­ciles et rebelles.
Dans la para­bole, tout se ter­mine bien, mais Notre-​Seigneur laisse entendre quand même à l’apôtre qu’il n’en sera pas tou­jours ain­si et qu’il se heur­te­ra à des âmes obs­ti­né­ment fer­mées à la lumière : il lui pré­dit les durs refus et les échecs que lui-​même a connus.

Les âmes sont tel­le­ment chères à Notre-​Seigneur qu’il n’a pas d’autres enne­mis que les enne­mis des âmes : le monde et les pha­ri­siens.
• Le monde, parce qu’il est le mal et donc ce qui perd les âmes
• les pha­ri­siens parce qu’ils sont ces aveugles qui conduisent à l’abîme ceux qui mettent en eux leur confiance. En une seule parole, Notre-​Seigneur déteste le scan­dale pro­vo­qué par ceux qui entraînent les âmes au mal, le scan­dale fait aux petits et aux faibles.

Et que pense Notre-​Seigneur d’une âme pure ? Elle est le reflet de Dieu, et elle est chose si belle, si pré­cieuse, que la salir est un crime que l’homme doit fuir : mieux vaut­la mort que cela :

« Et si l’homme s’y risque, qu’on le noie ‚dit Notre-Seigneur. »

On trouve là le prin­cipe jus­ti­fi­ca­teur de la sainte Inquisition qui met­tait les héré­tiques hors d’état de nuire aux âmes. Et ain­si se ter­mine la doc­trine de Notre-​Seigneur sur les âmes. L’âme est « créa­ture » et fille de Dieu par la grâce. Faite pour lui, son bon­heur sera la future ren­contre éter­nelle avec lui dans le royaume des cieux.

Qu’a fait Notre-​Seigneur pour les âmes ?

Il a ché­ri les âmes. Il s’est fait chair pour être leur sau­veur, voi­là l’acte d’amour infi­ni pour les âmes. Il a eu pour elles une condes­cen­dance décon­cer­tante. Il a vou­lu vivre notre vie, et de la manière la plus dure, pour que nous ne puis­sions pas dire qu’il ne connais­sait pas nos misères.
Après une telle condes­cen­dance, rien ne nous étonne de lui, et son apos­to­lat a toutes les audaces. Ces audaces, sûres d’elles-mêmes, cas­se­ront pour tou­jours l’étroit par­ti­cu­la­risme juif et pro­cla­me­ront devant Dieu, que toutes les âmes sont, non pas d’un mérite égal, mais d’une ori­gine com­mune et vont vers le même but.

Son apos­to­lat est mar­qué par la patience envers ses apôtres. En effet, ils pas­sèrent trois ans sans com­prendre presque rien de ce qu’il leur ensei­gnait. Patience dans son oppo­si­tion à la haine coriace des scribes et des pha­ri­siens, patience avec les malades, les foules curieuses devant les miracles et qui, ver­sa­tiles, impres­sion­nables, se retour­ne­ront un jour avec haine contre lui. Son zèle est pré­voyant : il apporte la véri­té et fixe les limites de la misé­ri­corde divine, en disant qu’elle n’en a pas. Et fina­le­ment il fixe­ra le signe de son gran­da­mour : il don­ne­ra sa vie.

Il nous revient à nous de pen­ser et d’agir comme lui. Voilà l’école et le modèle. A des degrés divers, mais sans aucune excep­tion, nous devons être apôtres, avoir ce zèle pour les âmes, et comme celui de Notre-​Seigneur, il faut qu’il s’enflamme d’amour.

Le prix d’une âme vaut tous les tra­vaux, toutes les souf­frances, tout le sang du Christ. C’est notre amour pour les âmes qui unit notre amour pour Notre-​Seigneur : là est le foyer du zèle.

Je ne peux pas dire sérieu­se­ment que je l’aime si je n’ai pas la pré­oc­cu­pa­tion du salut des âmes. Il est dif­fi­cile d’échapper à un égoïsme sub­til ou gros­sier, même au milieu de nos œuvres les plus apos­to­liques.
Un échec nous abat sou­vent parce que nous ne vou­lons pas d’humiliation, mais le suc­cès peut aus­si nous enivrer. Notre zèle, sous peine de demeu­rer très dimi­nué dans son effi­ca­ci­té, doit être bai­gné du sur­na­tu­rel et de la prière. Si nous n’y fai­sons pas atten­tion, ins­tinc­ti­ve­ment nous sui­vrons la pente de nos pré­fé­rences dans notre apos­to­lat de laïcs.

Nos choix et nos exclu­sions seront influen­cés non pas par les néces­si­tés des âmes et la pré­oc­cu­pa­tion de leur plus grand bien, mais par des attrac­tions ou des répul­sions trop humaines.
La ten­dance à la sécu­la­ri­sa­tion nous guette là aussi.

Cœur sacré de Jésus, envoyez-​nous des âmes de feu qui brûlent de cha­ri­té pour sau­ver les âmes.

Abbé Xavier BEAUVAIS †

Source : Le Chardonnet n° 208 de juin 2005