La messe, unique raison de notre résistance ?

Le rejet de la nou­velle messe, à saveur pro­tes­tante, et la fidé­li­té à la messe tra­di­tion­nelle ont tou­jours été des points cru­ciaux de la résis­tance aux chan­ge­ments opé­rés dans l’Eglise suite au der­nier concile. Et il est cer­tain qu’une véri­table res­tau­ra­tion dans l’Eglise ne pour­ra pas se faire sans le retour à la litur­gie tra­di­tion­nelle qui exprime la Foi catho­lique. On peut cepen­dant se deman­der si le but essen­tiel et unique de notre résis­tance est d’ob­te­nir l’au­to­ri­sa­tion de célé­brer la messe selon l’an­cien rite.

Si un jour Benoît XVI accor­dait une libé­ra­li­sa­tion géné­rale du rite tri­den­tin, pourrait-​on pen­ser légi­ti­me­ment que tout est ren­tré dans l’ordre, que la crise est finie et que nous sommes fina­le­ment par­ve­nus à un retour à la Tradition ? Pourrait-​on pen­ser que toute résis­tance à l’au­to­ri­té est deve­nue inutile et même injus­ti­fiée ? Je pense qu’il n’est pas inutile de nous poser la ques­tion, étant don­né qu’à maintes reprises, en son temps, le car­di­nal Ratzinger a fait des décla­ra­tions publiques dans le sens d’une recon­nais­sance du droit à l’an­cienne litur­gie. [1] Si cela se fai­sait, pourrions-​nous conti­nuer à résis­ter à une Eglise offi­cielle qui laisse enfin des droits à la Tradition. sans pas­ser pour des per­sonnes impos­sibles, éter­nel­le­ment mécon­tentes et des­quelles on ne peut rien espérer ?

Vatican II

Lorsqu’on se pose cette ques­tion, une pre­mière consi­dé­ra­tion s’im­pose très vite : au Concile Vatican II, seule la messe tra­di­tion­nelle était en usage. Cela n’a pas empê­ché la pro­mul­ga­tion de la doc­trine sur la liber­té reli­gieuse, qui, en affir­mant que l’Etat doit don­ner indif­fé­rem­ment à toutes les reli­gions le droit de se répandre, a signé le décret de mort des quelques Etats catho­liques qui exis­taient encore pour en faire des Etats laïcs et donc athées. [2] Cela n’a pas empê­ché non plus l’ap­pro­ba­tion de la doc­trine œcu­mé­nique selon laquelle l’Eglise du Christ serait une enti­té plus vaste que l’Eglise catho­lique, et les autres com­mu­nau­tés chré­tiennes ne seraient pas « entiè­re­ment dépour­vues de signi­fi­ca­tion et de valeur dans le mys­tère du salut. » [3] Les textes de Vatican II affirment même que les reli­gions non chré­tiennes doivent aus­si être consi­dé­rées avec res­pect, comme pou­vant appor­ter « un plus » à l’Eglise catho­lique, par le dia­logue [4].

La nou­velle messe n’a été que l’a­bou­tis­se­ment, au point de vue litur­gique, de cette volon­té d’œ­cu­mé­nisme, mani­fes­tée maintes fois dans les dif­fé­rentes réunions inter­re­li­gieuses, à com­men­cer par celle d’Assise, en octobre 1986, qui a vu mal­heu­reu­se­ment la célé­bra­tion de rites indiens et boud­dhistes dans les églises mêmes.

La tactique révolutionnaire

Une deuxième consi­dé­ra­tion, plus prag­ma­tique , nous amène à évoque la tac­tique des enne­mis de l’Eglise et du genre humain qui impriment suc­ces­si­ve­ment au mou­ve­ment révo­lu­tion­naire deux vitesses. L’une rapide, qui pousse les prin­cipes révo­lu­tion­naires jus­qu’à leurs plus extrêmes consé­quences. Elle engendre par la force des choses des résis­tances et est géné­ra­le­ment vouée à l’é­chec. Mais cette pre­mière phase est loin d’être inutile. Elle fait pas­ser des mes­sages, essaie de gagner le plus de ter­rain pos­sible de façon à per­mettre un cer­tain retour en arrière qui ne soit pas un retour à la situa­tion anté­rieure, mais qui puisse avoir des appa­rences de « res­tau­ra­tion ». Cette deuxième phase, de recul rela­tif, plus lente, a pour but de faire assi­mi­ler les prin­cipes révo­lu­tion­naires tout en stop­pant les oppo­si­tions, qui paraissent injus­ti­fiées dès lors que les excès de la révo­lu­tion ont pris fin. Qu’on songe à Napoléon, qui sem­bla rendre à l’Eglise de France ses droits après les per­sé­cu­tions san­glantes de la Terreur mais qui, dans son Concordat, ne recon­nut la reli­gion catho­lique que comme reli­gion « de la majo­ri­té des Français », impo­sa une cer­taine tutelle gou­ver­ne­men­tale sur les ecclé­sias­tiques et répan­dit dans toute l’Europe les prin­cipes révolutionnaires.

La pseudo-​Restauration de 1815, elle-​même, ne revint pas sur ces prin­cipes repris dans la Charte constitutionnelle.

Rome face à la résistance des traditionalistes

Après la révo­lu­tion du concile qui a vidé et trans­for­mé nos églises, nous assis­tons à un retour à cer­taines valeurs tra­di­tion­nelles : un nou­veau caté­chisme, cer­taines ency­cliques rap­pellent des véri­tés oubliées de la Foi. Çà et là les excès conci­liaires sont mêmes dénon­cés. [5] Mais cela se fait, en for­mant le car­ré autour du Concile, en défen­dant les prin­cipes qui ont été à l’o­ri­gine de ces excès. Tout cela rap­pelle sin­gu­liè­re­ment la vieille tac­tique révo­lu­tion­naire que nous venons d’é­vo­quer : on avance de deux pas pour recu­ler d’un et soli­di­fier les conquêtes de la pre­mière phase.

Cette tac­tique a été employée plu­sieurs fois face à la résis­tance des tra­di­tio­na­listes : le Vatican a concé­dé l’au­to­ri­sa­tion de célé­brer la messe de saint Pie V, mais tou­jours à la condi­tion qu’on veuille bien accep­ter le Concile, ses erreurs libé­rales et la légi­ti­mi­té du nou­veau rite.

L’indult de 1984

Le 3 octobre 1984, le Souverain Pontife, consta­tant que « le pro­blème des prêtres et des fidèles atta­chés à ce qu’on appelle le rite tri­den­tin n’é­tait pas encore réglé », don­na aux évêques dio­cé­sains la facul­té d’u­ser d’un indult pour per­mettre à ces prêtres et fidèles de célé­brer la messe en uti­li­sant le mis­sel romain de 1962. Cette auto­ri­sa­tion n’é­tait cepen­dant pas don­née sans condi­tion. Il fal­lait, avant tout, que ces prêtres et ces fidèles n’aient « rien à voir avec ceux qui mettent en doute la légi­ti­mi­té et la rec­ti­tude doc­tri­nale du mis­sel romain pro­mul­gué par le pape Paul VI en 1970 et que leur posi­tion soit sans aucune ambi­guï­té et publi­que­ment recon­nue. » [6]

On ne pou­vait obte­nir l’au­to­ri­sa­tion de célé­brer la messe selon le rite de saint Pie V qu’en accep­tant publi­que­ment la réforme litur­gique du Concile. Le but final de cet indult était donc bien de réab­sor­ber les résis­tances. Un exemple : en arri­vant dans son dio­cèse, l’é­vêque de Metz, Mgr Rafin, avait accor­dé cette messe de l’in­dult, trois dimanches par mois, à cer­tains fidèles qui le lui deman­daient. Mais, le qua­trième dimanche les fidèles étaient invi­tés à par­ti­ci­per à la messe nou­velle célé­brée en latin dans la cathédrale.

Par ailleurs, il n’est pas rare du tout que, lors des messes de l’in­dult, les prêtres enseignent en chaire la doc­trine du concile et donnent même la com­mu­nion dans la main.

Le motu proprio Ecclesia Dei afflicta

Après le sacre de quatre évêques par Mgr Lefebvre et sa condam­na­tion de la part de Rome, une com­mis­sion spé­ciale est créée « dans le but de faci­li­ter la pleine com­mu­nion ecclé­siale des prêtres, des sémi­na­ristes, des com­mu­nau­tés reli­gieuses ou des reli­gieux indi­vi­duels ayant eu jus­qu’à pré­sent des liens avec la Fraternité fon­dée par Mgr Lefebvre ». [7] Ce docu­ment pré­voit une « appli­ca­tion large et géné­reuse » de l’in­dult de 1984. Mais le but pour­sui­vi est tou­jours le même : faire accep­ter aux dis­si­dents, avec le temps, d’une part le concile, d’autre part le nou­veau rite.

Une fois offi­ciel­le­ment recon­nues, les dif­fé­rentes fra­ter­ni­tés accueillies dans le sein de l’Eglise conci­liaire ne pou­vaient plus que gar­der le silence sur les déviances de Vatican II. Et de fait, elles ont ces­sé de dénon­cer ces erreurs. Quant à la litur­gie, le pre­mier à faire une conces­sion publique – après le monas­tère de Dom Augustin à Flavigny – fut Dom Gérard, abbé du Barroux qui concé­lé­bra la nou­velle messe avec le pape. Ce fut ensuite le tour, en 1999, de la Fraternité Saint-​Pierre inté­rieu­re­ment déchi­rée entre cer­tains de ses membres qui vou­laient célé­brer la nou­velle messe aus­si bien que l’an­cienne et d’autres qui sou­hai­taient res­ter fidèles au seul rite tri­den­tin. Le recours à l’au­to­ri­té romaine se tra­dui­sit par l’au­to­ri­sa­tion don­née à tous les membres de la Fraternité Saint-​Pierre de célé­brer selon le nou­vel ordo. Celui-​ci fut éga­le­ment impo­sé à tout prêtre de cette com­mu­nau­té dans les cas sui­vants : lors­qu’un membre de la Fraternité Saint-​Pierre se trouve dans une com­mu­nau­té qui suit le rite romain actuel [8] et le Jeudi saint, lors de la messe chris­male concé­lé­brée avec l’é­vêque du diocèse.

Dernière réin­té­gra­tion en date : celle de Mgr Rifan qui a concé­lé­bré la nou­velle messe le 8 sep­tembre 2004 à Aparecida au Brésil. Récemment, d’ailleurs, le Cardinal Cottier, théo­lo­gien du pape, disait à pro­pos du sta­tut d’Administration apos­to­lique accor­dé à Mgr Rifan et aux fidèles de Campos : « Il y a une dyna­mique qui s’en­gage qui va le conduire à la nou­velle messe ». [9]

Le devoir de témoigner

Si les textes du concile contiennent des erreurs en contra­dic­tion avec l’en­sei­gne­ment tra­di­tion­nel de l’Eglise – ce qui a été maintes fois démon­tré – il s’en­suit le devoir pour tout pas­teur de mettre en garde les fidèles qui lui sont confiés. Se taire sur un sujet si impor­tant serait une omis­sion grave. Si la nou­velle litur­gie « s’é­loigne de façon impres­sion­nante, dans l’en­semble comme dans le détail, de la théo­lo­gie catho­lique de la sainte messe » comme le disaient les car­di­naux Bacci et Ottaviani, on ne peut sans com­pro­mis­sion accep­ter sa légi­ti­mi­té, même uni­que­ment dans le principe.

Voici toute la dif­fé­rence (et elle est de taille) entre, d’une part, le com­bat mené par la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie‑X et toutes les com­mu­nau­tés tra­di­tion­nelles qui s’op­posent publi­que­ment aux erreurs du concile et à la nou­velle litur­gie, et, d’autre part, celui des groupes de prêtres et fidèles consti­tués selon les dis­po­si­tions du motu pro­prio « Ecclesia Dei afflic­ta ». Ce n’est pas pour rien que ces der­niers ont été appe­lés « ral­liés ». Comme nous l’a­vons vu, ils se sont bel et bien ral­liés au Concile et à l’ac­cep­ta­tion de prin­cipe de la nou­velle liturgie.

Parmi nos fidèles, d’au­cuns semblent ne pas com­prendre le fond du pro­blème et par­ti­cipent indif­fé­rem­ment aux offices de l’une ou l’autre com­mu­nau­té en se disant : « de toute façon, c’est la messe tra­di­tion­nelle. » Je vou­drais rap­pe­ler à ces per­sonnes que la messe n’est pas tout. Elle est célé­brée dans un contexte : la posi­tion du prêtre par rap­port à la crise de l’Eglise va inévi­ta­ble­ment orien­ter ses ser­mons et influen­cer son auditoire.

Pendant la Révolution fran­çaise les prêtres qui avaient prê­té le ser­ment à la Constitution civile du cler­gé (ceux qu’on appe­lait les prêtres jureurs ou asser­men­tés) célé­braient, comme les prêtres réfrac­taires, la messe de saint Pie V. Pourtant ils avaient accep­té l’es­prit de la révo­lu­tion et les fidèles catho­liques (par exemple les parents du saint Curé d’Ars) pré­fé­raient man­quer la messe plu­tôt que d’al­ler à celle d’un prêtre jureur, atten­dant que la divine Providence leur per­mette d’as­sis­ter dans la clan­des­ti­ni­té à la messe d’un abbé réfrac­taire. C’est qu’ils avaient com­pris que le rite n’est pas tout ; ils ne vou­laient pas s’as­so­cier à des céré­mo­nies , valides certes, mais célé­brées dans un esprit d’ac­cep­ta­tion des idées révolutionnaires.

C’est la rai­son pour laquelle quand le pape Benoît XVI a dit à Mgr Fellay lors de l’au­dience du 29 août : « qu’il n’y avait qu’une manière d’être dans l’Eglise catho­lique : c’est d’a­voir l’es­prit de Vatican II inter­pré­té à la lumière de la Tradition, c’est-​à-​dire dans l’in­ten­tion des pères du concile et selon la lettre des textes », cela l’a « effrayé pas­sa­ble­ment. » [10]

Notre devoir aujourd’­hui consiste donc à conti­nuer à prê­cher la foi et à condam­ner les erreurs qui s’y opposent. Nous ne pour­rons accep­ter aucun accord qui vou­drait nous faire renon­cer à ce devoir si impor­tant pour la vie de l’Eglise et qui est la rai­son même de notre existence.

Abbé P. – M. Petrucci †

Notes de bas de page

  1. « Il est impor­tant de ces­ser de ban­nir la forme de la litur­gie en vigueur jus­qu’en 1970. » (Cardinal Ratzinger, Voici quel est notre Dieu, Plon- Mame, sep­tembre 2001, cité dans Bref exa­men cri­tique du nou­vel ordo mis­sae, Renaissance catho­lique, 2005, p. 114).[]
  2. Ce fut le cas de l’Italie et de l “Espagne. Cf Dignitatis huma­nae n°2[]
  3. Unitatis redin­te­gra­tio n° 3.[]
  4. Nostra Aetate, n°2[]
  5. Voir l’ou­vrage du Cardinal Ratzinger, Rapport sur la Foi, 1985.[]
  6. Indult Quattuor abhinc annos du 3 octobre 1984.[]
  7. Motu pro­prio Ecclesia Dei afflic­ta du 2 juillet 1988.[]
  8. Protocole 1411/​99 du 3 juillet 1999 de la Congrégation pour le Culte divin inti­tu­lé « Réponses offi­cielles ».[]
  9. Cité par Mgr Fellay, dans un entre­tien accor­dé à DICI (2005).[]
  10. DICI, n°120, 17 sep­tembre 2005.[]