L’instruction catéchétique

En ce mois de ren­trée sco­laire, il nous faut orga­ni­ser notre nou­velle année et faire des choix pour nos acti­vi­tés. Je vou­drais reve­nir une nou­velle fois sur l’im­por­tance capi­tale de l’ins­truc­tion chré­tienne, et ceci quel que soit notre âge, et sur l’im­por­tance de lui consa­crer une par­tie de notre emploi du temps.

L’instruction caté­ché­tique touche en pre­mier lieu les enfants et les ado­les­cents, qui consacrent leurs jeunes années à apprendre ce qui leur sera néces­saire pour tenir leur place dans la socié­té. Que tous ceux qui n’ont pas la pos­si­bi­li­té de fré­quen­ter une école véri­ta­ble­ment catho­lique suivent un cours sérieux de caté­chisme. L’offre du Prieuré est suf­fi­sam­ment étof­fée et souple pour conve­nir à tous. Il est vrai que si l’on met le vio­lon, le judo et l’é­qui­ta­tion avant le caté­chisme, peu de temps res­te­ra pour ce der­nier. Il faut sim­ple­ment mettre le caté­chisme en pre­mier, car c’est sa place :

« Sans la foi, il est impos­sible de plaire à Dieu » (Hebr. XI, 6). Le Bon Dieu ne nous juge­ra pas sur notre art équestre, mais sur notre foi et notre fidé­li­té à suivre ses com­man­de­ments, bref, sur notre cha­ri­té. Le pape saint Pie X ensei­gnait dans son ency­clique Acerbo nimis, que « là où l’es­prit est enve­lop­pé des ténèbres d’une épaisse igno­rance, il est impos­sible que sub­siste une volon­té droite et de bonnes mœurs ».

Mais cette obli­ga­tion de s’ins­truire dans les véri­tés de la foi touche aus­si les adultes de toute condi­tion. En tant que bap­ti­sés, ils sont tenus de suivre une for­ma­tion conti­nue dans les connais­sances dog­ma­tiques. Et que l’on ne vienne pas m’ob­jec­ter que le ser­mon domi­ni­cal suf­fit à la tâche. Saint Pie X répond dans l’en­cy­clique citée en impo­sant aux prêtres de faire un caté­chisme pour adultes :

Mais sur­tout à notre époque, les adultes n’ont pas moins besoin que la jeu­nesse de l’ins­truc­tion reli­gieuse ; c’est pour­quoi, outre l’ho­mé­lie accou­tu­mée sur l’Evangile qui doit être don­née tous les jours de fête pen­dant la messe parois­siale, à l’heure jugée la plus pro­pice à l’af­fluence du peuple, mais en dehors de l’heure consa­crée à l’ins­truc­tion des enfants, tous les curés et tous ceux qui ont charge d’âmes feront le caté­chisme aux fidèles en un lan­gage facile et adap­té à leur intelligence.

Saint Pie X s’a­dresse aux curés, non aux fidèles : appa­rem­ment, il suf­fi­sait à son époque qu’une telle ins­truc­tion fût déli­vrée dans la paroisse pour que les fidèles y par­ti­ci­passent. De tels cours ont bien lieu à Reims deux mar­dis par mois. Que vos bonnes réso­lu­tions et la grâce de Dieu fassent que l’as­sis­tance y soit plus nombreuse.

Je vou­drais éga­le­ment abor­der la ques­tion de la caté­chèse telle qu’elle est pra­ti­quée dans les paroisses et les ins­ti­tu­tions de l’Eglise conci­liaire et voir à quel point la trans­mis­sion de la foi, et donc l’ac­cès à la vie éter­nelle, a été tou­chée par de telles pra­tiques. Cette ana­lyse met éga­le­ment en relief ce que doit être véri­ta­ble­ment un cours de catéchisme.

Notons tout d’a­bord un chan­ge­ment séman­tique très éclai­rant : le caté­chisme, qui met­tait l’ac­cent sur les véri­tés objec­tives ensei­gnées, a lais­sé la place à la caté­chèse, qui insiste sur l’acte exis­ten­tiel de pro­po­ser la foi. Tout un symbole.

Une ana­lyse suc­cincte de la caté­chèse post-​conciliaire fait appa­raître que les chan­ge­ments ont affec­té d’une part la forme de l’en­sei­gne­ment et d’autre part son contenu.

En ce qui concerne la forme, le bou­le­ver­se­ment le plus évident est le pas­sage d’une forme didac­tique à une forme heu­ris­tique. Je m’ex­plique. Enseigner de manière didac­tique, c’est pré­sen­ter de manière claire et pré­cise les véri­tés que l’on veut trans­mettre, seule manière adé­quate lors­qu’il s’a­git de la Révélation divine trans­cen­dante à laquelle adhère l’in­tel­li­gence humaine par l’o­béis­sance de la foi. D’où des défi­ni­tions, des pro­po­si­tions claires, des affir­ma­tions pré­cises et cer­taines pré­sen­tées sous forme d’une suc­ces­sion de ques­tions et de réponses. Tout cela est bien oublié, ou plu­tôt sciem­ment reje­té . L’enfant devra trou­ver lui-​même ses véri­tés de foi en inter­ro­geant sa propre expé­rience ou en exer­çant son libre exa­men sur des extraits scrip­tu­raires : c’est la méthode heu­ris­tique. Les cita­tions abondent dans ce domaine, notam­ment lors du synode de 1977 consa­cré à la nou­velle caté­chèse. Le Père Arrupe, pré­po­sé géné­ral des jésuites, y com­bat­tit les « défi­ni­tions com­plètes, strictes, ortho­doxes, car elles pour­raient abou­tir à une forme aris­to­cra­tique et enve­lop­pante ». Pour l’é­vêque de Saragosse, la caté­chèse « doit pro­mou­voir la créa­ti­vi­té des élèves, le dia­logue, la par­ti­ci­pa­tion active, sans oublier qu’elle est action d’Eglise ». Le Père Hardy, des Missions Africaines, affir­ma que « la caté­chèse [devait] por­ter à faire l’ex­pé­rience du Christ ». Il y a ici une confu­sion typi­que­ment moder­niste qui rabaisse la foi sur­na­tu­relle au niveau d’une expé­rience sen­sible. Le caté­chisme est, de soi, for­mel­le­ment, connais­sance et non expé­rience, bien qu’il débouche sur une vie conforme aux exemples du Christ. Le caté­chisme Pierres vivantes, impo­sé en France à l’ex­clu­sion de tout autre caté­chisme en 1982, se contente de pro­po­ser des textes bibliques éclai­rés selon la méthode historico-​critique et confie à l’exa­men du caté­chi­sé le choix d’y croire ou non. L’instruction a fait place à la recherche, les réponses exis­ten­tielles ont rem­pla­cé les convic­tions intellectuelles.

De la même manière, la méthode de mémo­ri­sa­tion tra­di­tion­nelle, qui fait apprendre par cœur des défi­ni­tions tech­niques, est vili­pen­dée et dis­qua­li­fiée : il ne s’a­git pour nos péda­gogues modernes que de psit­ta­cisme, alors que c’est le prin­cipe de toute culture. La plu­part des enfants ayant subi de nom­breuses années de caté­chèse ne connaissent ni le Notre Père, ni le Je vous salue Marie et sont bien inca­pables de vous citer le moindre article du Credo.

Avec ces chan­ge­ments de forme, ce sont aus­si des chan­ge­ments en pro­fon­deur du conte­nu qui affectent la nou­velle caté­chèse, selon trois direc­tions dif­fé­rentes : la dilu­tion des véri­tés de foi, qui sans être niées ne sont plus expo­sées clai­re­ment, des affir­ma­tions hété­ro­doxes, qui sont en contra­dic­tion avec les véri­tés de foi, et l’in­tro­duc­tion de tout un fatras social et poli­tique étran­ger à la trans­mis­sion de la foi. La dilu­tion des véri­tés vient du chan­ge­ment même du mode d’ex­po­si­tion : si c’est à l’en­fant de se for­ger une idée de la foi à par­tir de son vécu et de textes épars, aucune défi­ni­tion pré­cise ne lui sera pro­po­sée. C’est aus­si une manière de taire la foi sans s’op­po­ser aux défi­ni­tions dog­ma­tiques. Ainsi, dans Pierres vivantes, l’Immaculée Conception, l’en­fan­te­ment vir­gi­nal ou la Maternité divine de Marie sont éclip­sés : Marie est sim­ple­ment « une jeune fille de Palestine, que Dieu a choi­sie pour être la mère de Jésus ». Les pro­po­si­tions héré­tiques se retrouvent prin­ci­pa­le­ment dans le fumeux Catéchisme hol­lan­dais, qui va jus­qu’à la néga­tion des anges, du diable, du sacer­doce sacra­men­tel, de la pré­sence réel ou de l’u­nion dans la per­sonne du Verbe de la nature divine et de la nature humaine.

Peu ou prou, tous les caté­chismes modernes vont dans le même sens. Je vous recom­mande la lec­ture ins­truc­tive d’une petite pla­quette de l’Action Familiale et Scolaire : Le sacri­fice de la messe dans la nou­velle caté­chèse et dans le nou­vel ordo, qui montre qu’il y a une par­faite symé­trie entre les manques de la nou­velle messe et les erreurs ensei­gnées dans les nou­veaux caté­chismes. Enfin, les caté­chismes, vidées de leur sub­stance doc­tri­nale, se sont rem­plis des bruits du monde et de la bien-​pensance d’ins­pi­ra­tion mar­xiste. Comme le disait un évêque du Kenya au synode de 1977, « la caté­chèse doit s’employer à dénon­cer les injus­tices sociales. et à défendre les ini­tia­tives de libé­ra­tion sociale des pauvres ».

De tels chan­ge­ments ont entraî­né une dis­pa­ri­tion qua­si com­plète de la foi catho­lique dans les jeunes géné­ra­tions et une désaf­fec­tion gran­dis­sante des cours de caté­chisme. De 80% d’en­fants fré­quen­tant le caté­chisme en 1970, nous sommes pas­sés à moins de 40% en moyenne. Les évêques ne savent plus quoi faire pour enrayer la chute. A défaut de reve­nir sur les méthodes et le conte­nu, les évêques de l’Ouest se sont lan­cés dans d’o­né­reuses cam­pagnes de publi­ci­té : « Fais la pause Caté ». Oui, sauf qu’a­vec un caté « déca­téi­né », pri­vé de toute sub­stance doc­tri­nale, cela n’a plus aucun goût. Halte aux ersatz.

Signalons, pour la simple curio­si­té, la « ryth­mo­ca­té­chèse » : un ensei­gne­ment qui passe par la parole, la mélo­die et le geste. Il s’a­git de mimer en chan­tant les textes sacrés. Le Journal des Paroisses de Reims en parle, avec une pho­to à l’ap­pui : une groupe de caté­chistes à plat ventre en cercle. Ils doivent être en train de mimer l’his­toire de Jonas.

Face à ce désordre pan­dé­mique, les auto­ri­tés romaines tentent bien de réagir, mais sans vrai résul­tat. Le car­di­nal Ratzinger, alors Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, s’é­tait ren­du en France en 1983 pour faire deux confé­rences reten­tis­santes dans les­quelles il dénon­ça les « misères de la caté­chèse actuelle », cri­tique non dis­si­mu­lée de Pierres vivantes. Mais le tol­lé fut tel chez les évêques de France, que le car­di­nal dut se rétrac­ter dans un texte conve­nu avec l’épiscopat.

La publi­ca­tion du Catéchisme de l’Eglise Catholique (1992) puis de son Abrégé (2005), de nou­veau dis­po­sé sous forme de ques­tions et de réponses, mani­feste la volon­té de pro­po­ser un texte de réfé­rence pré­cis à la foi des fidèles. Hélas, ces textes réa­lisent une syn­thèse dia­lec­tique entre la foi catho­lique tra­di­tion­nelle et les erreurs du Concile Vatican II. Leur forme plus clas­sique ne les rend que plus insidieux.

Face à ce constat, n’a­ban­don­nons pas le com­bat du caté­chisme, tenons à nos bons caté­chismes exempts de toute erreur, comme celui du Concile de Trente ou celui de saint Pie X, et fai­sons tous nos efforts pour nous for­mer d’a­bord, puis pour atti­rer toutes les âmes de bonne volon­té à l’en­sei­gne­ment de la foi.

Abbé Ludovic GIROD

Note : de nom­breuses cita­tions de cet édi­to­rial sont tirées du cha­pitre consa­cré à la caté­chèse du maître livre de Romano Amerio, Iota Unum (Nouvelles Editions Latines, Paris, 1987).

Extrait de La Sainte Ampoule n° 166 – Septembre 2008