Entretien avec abbé P. de La Rocque

La Porte latine : Voici main­te­nant cinq ans, vous avez, au nom du dis­trict de France, lan­cé la Lettre à nos frères prêtres. Avant de nous dres­ser un bilan, pourriez-​vous nous rap­pe­ler ce que signi­fie cette initiative ?

Abbé Patrick de La Rocque : La Fraternité Saint-​Pie X est une fra­ter­ni­té sacer­do­tale. Cela veut certes dire qu’elle est prin­ci­pa­le­ment com­po­sée de prêtres, mais éga­le­ment que son apos­to­lat se dirige prin­ci­pa­le­ment vers les prêtres. Or, comme l’expliquait un jour Mgr Fellay,

« le sacer­doce, ce n’est pas seule­ment le sacer­doce dans la Fraternité, mais aus­si dans l’Eglise. On doit avoir le sou­ci de tout prêtre dans l’Eglise catho­lique. Telle est la fin de notre socié­té, telle est aus­si sa grâce. »

La Lettre à nos frères prêtres entend donc venir en aide aux prêtres dio­cé­sains, en leur appor­tant les éclai­rages doc­tri­naux, litur­giques et pas­to­raux qu’ils n’ont pas reçu au cours de leur sémi­naire. En pré­tex­tant de l’actualité reli­gieuse ou des thèmes débat­tus, elle pré­sente la Tradition catho­lique, afin de rame­ner les prêtres dans la fidé­li­té totale à l’Eglise.

La Porte latine : Près de 18 000 prêtres fran­çais reçoivent la Lettre à nos frères prêtres. Quelle est leur réceptivité ?

Abbé Patrick de La Rocque : Il est dif­fi­cile de la mesu­rer pré­ci­sé­ment. Si j’en juge aux lettres que je reçois, plus de 1800 prêtres m’ont écrit, tan­dis que 1600 ont mani­fes­té leur rejet par un retour à l’envoyeur. Mais ce n’est là que la par­tie visible de l’iceberg. Il est cer­tain que beau­coup ne la lisent pas du tout, cer­tain éga­le­ment que d’autres, s’ils ne m’ont encore jamais écrit, n’en sont pas moins atten­tifs. Au delà du nombre, c’est sur­tout l’influence pro­fonde exer­cé sur cer­tains qui est à retenir.

La Porte latine : Pourriez-​vous expli­ci­ter quelque peu ?

Abbé Patrick de La Rocque : Voici cinq ans, je me disais : « n’y aurait-​il qu’un seul prêtre à retrou­ver inté­gra­le­ment la Tradition, le jeu en vaut la chan­delle ». A l’heure qu’il est, ce prêtre n’existe pas. aucun prêtre dio­cé­sain n’a rejoint la Fraternité ou une com­mu­nau­té amie entiè­re­ment fidèle à la Tradition. Cependant, plus d’un y a réflé­chi ou y réflé­chit sérieu­se­ment. Et puis sur­tout, tout en res­tant à leur poste dio­cé­sain, nom­breux sont ceux qui ont renoué sur plus d’un point avec la Tradition. Je pour­rais par exemple en citer une quin­zaine qui ont pris ou repris, ne serait-​ce que de manière épi­so­dique, la célé­bra­tion de la Messe selon le rite de tou­jours. Nombreux éga­le­ment – plus d’une cin­quan­taine – sont ceux qui, après un numé­ro sur la caté­chèse actuelle, nous ont com­man­dé le caté­chisme de saint Pie X pour le décou­vrir et s’en ins­pi­rer dans leurs cours heb­do­ma­daires. Dernier exemple, l’envoi de la bro­chure « de l’œcuménisme à l’apostasie silen­cieuse » : il est indé­niable qu’elle ouvre des brèches cer­taines dans le prêt à pen­ser que les ins­tances dio­cé­saines dif­fusent quo­ti­dien­ne­ment auprès du clergé.

La Porte latine : Vous arrive-​t-​il de ren­con­trer ces prêtres ?

Abbé Patrick de La Rocque : Certains le demandent expres­sé­ment, d’autres sont ravis de me voir arri­ver lorsque je fais le pre­mier pas. L’accueil est excellent, et la dis­cus­sion va vite à l’essentiel. Je dois vous avouer que je vois des choses éton­nantes : tel jeune curé de paroisse se faire un hon­neur de me ser­vir lui-​même la messe au maître-​autel de son église ; tel direc­teur de sémi­naire m’avoue célé­brer la messe tra­di­tion­nelle en cachette lorsque vrai­ment il veut prier ; ou encore ce curé de paroisse qui me dit tout de go :

« Du concile Vatican II, l’histoire retien­dra que c’est un concile dis­ci­pli­naire qui, au lieu de mettre de l’ordre, a per­tur­bé pro­fon­dé­ment l’Eglise pen­dant un demi-siècle . »

D’autres fois, cela ne va pas jusque là, mais, de contact en contact, on sent les posi­tions évo­luer quelque peu.

La Porte latine : A vous entendre, l’hostilité est inexistante !

Abbé Patrick de La Rocque : Que si ! Mais je vous avoue n’y prê­ter guère d’attention. Pour un prêtre qui m’encourage, je reçois dix insultes. Nombre de lettres témoignent d’ailleurs de la pro­fonde déchéance du cler­gé, et les héré­sies n’y sont pas rares. Mais tout cela, nous le savions avant de com­men­cer. Ce qui importe, c’est de bâtir ; c’est d’encourager et for­ti­fier ceux qui veulent demeu­rer catho­liques ; c’est de ne pas écra­ser la mèche qui en par­fois fume encore ; c’est enfin de ne pas se lais­ser effrayer par les cris de rage qui par­fois fusent : ils sont presque bon signes !

La Porte latine : Dans vos contacts plus posi­tifs, quelles sont les prin­ci­pales dif­fi­cul­tés rencontrées ?

Abbé Patrick de La Rocque : Elles sont au nombre de deux : l’ignorance, et une pru­dence qui ne semble pas de mise. Quant à l’ignorance, un prêtre dio­cé­sain d’une qua­ran­taine d’années me l’a récem­ment rappelé :

« Je vous écris au sujet de votre docu­ment sur l’œcuménisme, reçu ces jours der­niers. Non pas sur le fond, qui est excellent, argu­men­té, nuan­cé ; mais sur la forme. J’ai peur que cela ne vole un peu haut. Comprenez ce que je veux dire. Nous avons fait peu d’études ; même si elles sont inter­mi­nables, on ne nous a pas appris grand chose, et beau­coup de confrères auront du mal à com­prendre ce que vous poin­tez du doigt. On ne nous a jamais cité de textes pon­ti­fi­caux anté­rieurs à Vatican II. Léon XIII et Pie XI nous sont incon­nus. Je crois que vous avez des dif­fi­cul­tés à appré­cier (et com­ment le pourriez-​vous ?) notre misère intel­lec­tuelle : on a pro­gram­mé notre appauvrissement. »

La Porte latine : Et la pru­dence que vous esti­mez exagérée ?

Abbé Patrick de La Rocque : L’un d’eux m’écrit :

« Nous vivons constam­ment dans le com­pro­mis, pas dans la com­pro­mis­sion j’espère. »

En un mot, ils ne sont pas d’accord, mais ils obéissent à chaque fois qu’une oppo­si­tion pour­rait por­ter à consé­quence. Ils vivent, me semble-​t-​il, dans une crainte exa­gé­rée de leur supé­rieur ecclé­sias­tique, de leurs confrères. Il faut à ces prêtres un véri­table héroïsme pour, à la place que Dieu leur a don­né, oppo­ser au moder­nisme une résis­tance sans failles. Cet héroïsme, c’est à nous, prêtres et fidèles de la Tradition, de le méri­ter pour eux, par nos prières et nos sacri­fices. Il est urgent de prier pour le cler­gé de France, pour tous ces prêtres, pleins de bonne volon­té, qui ont été trom­pés, qui chaque jour ren­contrent des obs­tacles capable de leur faire lâcher prise. Il faut implo­rer l’Esprit Saint, qu’Il les éclaire, qu’Il les for­ti­fie, qu’Il les vivi­fie de sa grâce toute puis­sante. J’en appelle pour cela à tous nos fidèles.

La Porte latine : Précisément, en tant que fidèles, pouvons-​nous par­ti­ci­per à ce débat ?

Abbé Patrick de La Rocque : Bien sûr. L’abonnement à la Lettre à nos frères prêtres est ouvert à tous. Plus encore : il est don­né à cha­cun de par­rai­ner des prêtres, sans même les connaître d’ailleurs. Cela consiste à assu­mer le prix de leur abon­ne­ment annuel tout en priant pour eux. Seuls ces par­rai­nages nous per­mettent de conti­nuer notre action. Aussi, permettez-​moi de finir en remer­ciant tout ceux qui, depuis cinq ans, ont sou­te­nu cette œuvre aus­si fidè­le­ment que géné­reu­se­ment. Sans eux, rien de ce qui a été entre­pris n’aurait pu être mené à bien.

Patrick de La Rocque †

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.