Entretien avec l’abbé de Cacqueray – Mai et juillet 2007

La pastorale de la messe libérée

Comment agir vis-​à-​vis de prêtres qui, d’eux-​mêmes ou en ver­tu d’un hypo­thé­tique Motu pro­prio à venir, envi­sa­ge­raient de reprendre la messe tra­di­tion­nelle ? Monsieur l’ab­bé de Cacqueray, qui avait consa­cré un texte à cette ques­tion, sous le titre « Un seul rite pour la paix des âmes », a bien vou­lu répondre à nos ques­tions et appor­ter d’u­tiles pré­ci­sions et nuances (texte paru dans Fideliter 177, de mai 2007).

Fideliter : M. l’ab­bé Régis de Cacqueray, on parle depuis de longs mois d’un Motu pro­prio cen­sé recon­naître une plus grande liber­té de célé­bra­tion à la messe tra­di­tion­nelle. Que vous ins­pire une telle rumeur ?

Abbé de Cacqueray : Je m’en réjouis, et j’es­père qu’elle va se concré­ti­ser au plus vite. Bien sûr, nous savons qu’en réa­li­té la messe tra­di­tion­nelle n’a jamais été inter­dite, et ne peut pas l’être. C’est pour­quoi nous la célé­brons en toute tran­quilli­té de conscience, et sans men­dier une pré­ten­due per­mis­sion qui n’a pas lieu d’être. Mais, depuis 35 ans, une pro­pa­gande men­son­gère a tel­le­ment vou­lu faire croire que cette messe était abo­lie, sup­pri­mée, et que son éven­tuelle et rare célé­bra­tion ne pou­vait se faire que dans des réserves d’Indiens, des ghet­tos à l’é­cart, que je sou­haite de tout cour qu’un docu­ment romain vienne dire, et si pos­sible de la façon la plus claire et la plus expli­cite pos­sible, que la messe tra­di­tion­nelle peut être célé­brée sans aucune res­tric­tion par n’im­porte quel prêtre de rite latin. Je ne suis mal­heu­reu­se­ment pas sûr que le pro­jet de Motu pro­prio soit aus­si « large et géné­reux » que le droit de la messe le demande, mais tout pro­grès en ce sens sera le bienvenu.

Fideliter : Au cas où ce décret de libé­ra­li­sa­tion serait publié, avez-​vous l’in­ten­tion d’a­gir, et de quelle manière ?

Abbé de Cacqueray : Bien sûr ! Nous sommes déter­mi­nés à aider le maxi­mum de prêtres pos­sible à reprendre et à réap­prendre la messe tra­di­tion­nelle, afin que des fidèles tou­jours plus nom­breux y aient accès. Il n’est pas ques­tion pour nous de res­ter pas­sifs si les condi­tions deve­naient meilleures. Il serait étrange que la Fraternité Saint-​Pie X, après avoir récla­mé durant 35 ans la réha­bi­li­ta­tion de la messe tra­di­tion­nelle, reste les bras croi­sés au moment où, fût-​ce de manière par­tielle et insa­tis­fai­sante, une porte serait ouverte pour que des prêtres puissent la célé­brer plus faci­le­ment. Mais il faut faire une petite dis­tinc­tion préalable.

Fideliter : Laquelle ?

Abbé de Cacqueray : Nous allons par­ler de prêtres « conci­liaires », insé­rés dans les dio­cèses ou les congré­ga­tions reli­gieuses offi­cielles et qui, libé­rés de leurs craintes grâce à cet hypo­thé­tique Motu pro­prio, pren­draient la déci­sion de célé­brer la messe tra­di­tion­nelle, mais sans quit­ter la struc­ture à laquelle ils appar­tiennent. Je n’en­tends pas par­ler ici des prêtres qui quit­te­raient leur dio­cèse pour rejoindre le monde Ecclesia Dei. Une telle démarche, à mon sens, doit faire l’ob­jet d’une réflexion par­tiel­le­ment dif­fé­rente. Et ceci pour deux raisons.

D’abord, les Ecclesia Dei pos­sèdent les struc­tures aptes à faire, auprès des prêtres qui veulent les rejoindre, le tra­vail que nous allons évo­quer, c’est-​à-​dire leur apprendre à célé­brer la messe, les four­nir en maté­riel litur­gique, etc. Il n’y a évi­dem­ment aucune rai­son que la Fraternité Saint-​Pie X se sub­sti­tue aux Ecclesia Dei pour sou­te­nir les prêtres qui veulent adhé­rer à Ecclesia Dei.

D’autant qu’il existe un pro­blème spé­ci­fique en ce qui les concerne, qui pro­vient d’un fait his­to­rique : les ins­ti­tuts Ecclesia Dei existent en ver­tu d’un docu­ment dont le but prin­ci­pal est de condam­ner Mgr Lefebvre, Mgr de Castro Mayer, et leurs fils dans l’é­pis­co­pat. Le simple hon­neur nous oblige à nous tenir éloi­gnés de prêtres qui, le vou­lant ou non, adhèrent publi­que­ment et de façon conti­nue à cette condam­na­tion infa­mante. Donc, notre pro­pos porte aujourd’­hui exclu­si­ve­ment sur des prêtres « conci­liaires » qui repren­draient la messe tra­di­tion­nelle en res­tant au sein des struc­tures officielles.

Fideliter : Ceci est fort clair. Quels types d’ac­tion envisagez-​vous donc dans le cadre pré­cis de cette « aide au retour » à la messe traditionnelle ?

Abbé de Cacqueray : Parlons d’a­bord, si vous le vou­lez bien, de la Fraternité Saint-​Pie X elle-​même, en tant que congré­ga­tion sacer­do­tale. Il me semble que nous sommes en mesure d’ap­por­ter un cadre pour une éven­tuelle reprise de la célé­bra­tion de la messe tra­di­tion­nelle. Et tout d’a­bord, nos prêtres, nos prieu­rés, nos cha­pelles sont évi­dem­ment par nature des points de réfé­rence. Le prêtre qui envi­sage de célé­brer cette messe risque d’a­voir des craintes : Est-​ce que cela est pos­sible ? Est-​ce que cela est facile ? Quels en sont les fruits sur le prêtre lui-​même, sur ses fidèles ? Eh bien ! très fra­ter­nel­le­ment, il peut ren­con­trer nos prêtres, nos fidèles, séjour­ner dans nos mai­sons, et consta­ter par lui-​même l’es­prit de force dans la foi, de sanc­ti­fi­ca­tion, de joie, de paix que pro­duit cette messe. Et cela va le ras­su­rer et l’encourager.

Fideliter : Ces prieu­rés existent depuis de longues années, ils ne sont pas un élé­ment inédit, alors que la paru­tion du Motu pro­prio consti­tue­rait un chan­ge­ment. Avez-​vous l’in­ten­tion de pro­po­ser des élé­ments nouveaux ?

Abbé de Cacqueray : Évidemment, et dans la mesure de nos pos­si­bi­li­tés. Il serait bon de rédi­ger et de dif­fu­ser une bro­chure simple pré­sen­tant la messe tra­di­tion­nelle dans son his­toire, sa théo­lo­gie et sa célé­bra­tion. Nous avons édi­té d’ex­cel­lents ouvrages (La messe expli­quée de l’ab­bé Joly, La messe de tou­jours de Mgr Lefebvre), mais ces livres sont volu­mi­neux et rela­ti­ve­ment coû­teux. J’espère qu’un tel pro­jet pour­ra être mis en ouvre par un confrère zélé de la Fraternité.

Fideliter : En revanche, vous avez déjà pro­duit un DVD pour aider les prêtres à apprendre à célé­brer la messe ?

Abbé de Cacqueray : J’en remer­cie l’ab­bé de La Rocque qui a réa­li­sé ce pro­jet avec une qua­li­té excep­tion­nelle, mal­gré le délai très bref qui lui a été lais­sé. Ce DVD devrait être sui­vi d’un deuxième, qui pré­sen­te­ra, et cette fois-​ci plu­tôt à des­ti­na­tion des fidèles, la théo­lo­gie et la sym­bo­lique de la messe. Car ce pre­mier DVD est réser­vé aux prêtres, puis­qu’il consti­tue une intro­duc­tion tech­nique à l’ap­pren­tis­sage de la célé­bra­tion. Il a d’ailleurs déjà connu un vif suc­cès, et se dif­fuse très lar­ge­ment dans le cler­gé fran­çais, mais aus­si à l’é­tran­ger, puis­qu’il est pré­sen­té en sept langues.

Fideliter : Un livre, un film, ce sont de très bons ins­tru­ments. Mais, à un moment, pour bien entrer dans la célé­bra­tion et l’es­prit de la messe tra­di­tion­nelle, il est néces­saire d’a­voir un pro­fes­seur vivant, un maître à ses côtés. Envisagez-​vous d’a­gir en ce sens ?

Abbé de Cacqueray : Chacun de nos prêtres est tou­jours dis­po­sé, si un prêtre « conci­liaire » le lui demande, à prendre tout le temps néces­saire pour lui ensei­gner les règles litur­giques, ain­si que la théo­lo­gie qui consti­tue l’es­sence de la messe traditionnelle.
La Fraternité Saint-​Pie X ayant été consti­tuée pour « le sacer­doce, et tout ce qui s’y rap­porte, et rien que ce qui le concerne », cette aide per­son­na­li­sée à un prêtre est au cour de notre voca­tion. On peut aus­si envi­sa­ger des stages géné­raux d’ap­pren­tis­sage de la messe tra­di­tion­nelle, un peu à l’i­mage des « retraites d’or­di­na­tion » de saint Vincent de Paul, où il ensei­gnait à de futurs prêtres le mini­mum indis­pen­sable au minis­tère sacerdotal.
Pour le moment, le District de France n’a pas encore lan­cé une telle ini­tia­tive, mais je crois que nos confrères amé­ri­cains dis­posent déjà d’une mai­son consa­crée à cet apostolat.

Fideliter : Il y a tout de même un pro­blème, puis­qu’une rumeur pré­tend que les nou­veaux rites d’or­di­na­tion ne sont pas valides, et que donc ces pré­ten­dus prêtres à qui vous ensei­gne­riez la messe tra­di­tion­nelle ne sont pas prêtres, en réalité !

Abbé de Cacqueray : Je vous rap­pelle que la posi­tion de la Fraternité Saint-​Pie X concer­nant la vali­di­té des nou­veaux rites, posi­tion prise après exa­men sérieux et mûre réflexion, a été résu­mée de la façon sui­vante par Mgr Lefebvre :

« Nous décla­rons recon­naître la vali­di­té du sacri­fice de la messe et des sacre­ments célé­brés avec l’in­ten­tion de faire ce que fait l’Église et selon les rites indi­qués dans les édi­tions typiques du Missel romain et des Rituels des sacre­ments pro­mul­gués par les papes Paul VI et Jean-​Paul II. » 

La Fraternité Saint-​Pie X récuse donc abso­lu­ment les affir­ma­tions infon­dées concer­nant l’in­va­li­di­té en soi des ordi­na­tions sacer­do­tales et épis­co­pales célé­brées dans le nou­veau rite. Seules, des cir­cons­tances pré­cises pour une ordi­na­tion concrète, dans la mesure où le rite aurait été gra­ve­ment alté­ré ou dévié par le célé­brant, peuvent éven­tuel­le­ment sus­ci­ter ce pru­dens dubium, ce « doute pru­dent » sur la vali­di­té dont par­lait Mgr Lefebvre (Mgr Lefebvre et le Saint-​Office, 1979, pp. 148–149). A ce moment seule­ment, il fau­drait envi­sa­ger une réor­di­na­tion sous condi­tion. Mais ce cas n’est pas le plus fré­quent, et cette hypo­thèse extrême ne doit pas nous empê­cher de faire redé­cou­vrir la vraie messe au maxi­mum de prêtres, pour que le sang du Christ coule en plus grande abon­dance dans l’Église.

Fideliter :Nous venons de par­ler de l’ac­tion des prêtres de la Tradition auprès des prêtres « conci­liaires ». Envisagez-​vous aus­si une action des fidèles ?

Abbé de Cacqueray : Bien sûr ! D’abord, il faut se sou­ve­nir que le pas­sage de la messe nou­velle à la messe tra­di­tion­nelle repré­sente comme une sorte de « conver­sion », qu’il s’a­git d’une réa­li­té sur­na­tu­relle, fruit de la grâce, donc essen­tiel­le­ment de la prière. Nous aurons besoin, dans cet apos­to­lat, du ren­fort puis­sant de la prière des fidèles. Ils ont déjà par­ti­ci­pé avec zèle à la croi­sade du rosaire lan­cée après le Chapitre géné­ral, et je les en remer­cie vive­ment. Mais ils seront encore sol­li­ci­tés, et ils le sont dès main­te­nant. Par ailleurs, accueillir des prêtres pour les for­mer à la messe tra­di­tion­nelle, ou aller les voir, leur remettre de la docu­men­ta­tion écrite ou audio­vi­suelle, leur écrire ou leur envoyer des bul­le­tins et des revues, tout cela demande du temps, des bonnes volon­tés et de l’argent. Là aus­si, l’aide de tous les laïcs sera fort précieuse.

Fideliter : Je pen­sais, outre ce pre­mier aspect, à une inter­ven­tion plus directe des fidèles. Ils ont plus de mobi­li­té (la sou­tane n’est guère dis­crète), sou­vent plus de temps, sont plus nom­breux, peuvent être à cer­tains égards mieux accep­tés par un prêtre méfiant, au moins au départ.

Abbé de Cacqueray : Vous avez rai­son : une par­tie du retour des prêtres à la messe tra­di­tion­nelle sera l’ouvre des laïcs, des fidèles chré­tiens, c’est une évi­dence. D’ailleurs, les fidèles de la Tradition ont tou­jours agi en ce sens auprès des prêtres « conci­liaires », par des conver­sa­tions, des cour­riers, l’en­voi de docu­men­ta­tion, etc. La dif­fi­cul­té, si l’aide devient plus immé­diate (pour aider un prêtre à reprendre la messe tra­di­tion­nelle, on ne peut se conten­ter de lui écrire), c’est le mélange inévi­table de bon et de mau­vais qui va se pré­sen­ter devant le fidèle. Mélange doc­tri­nal (ce prêtre sera encore imbu pour par­tie des erreurs du Concile) et mélange litur­gique (la messe tra­di­tion­nelle ne sera peut-​être pas immé­dia­te­ment intègre et par­faite, ou encore ce prêtre se fera rem­pla­cer lors de ses absences par un prêtre qui célé­bre­ra la nou­velle messe).

Fideliter : Quels sont vos conseils à ce propos ?

Abbé de Cacqueray : Il faut incon­tes­ta­ble­ment une réflexion de pru­dence, dans les deux sens du terme. Prudence au sens tho­miste, qui éva­lue les cir­cons­tances pour poser l’ac­tion vrai­ment ver­tueuse et droite. Prudence au sens plus moderne, c’est-​à-​dire cir­cons­pec­tion, méfiance pour ne pas être entraî­né sur une pente glis­sante. Je dirais que si un fidèle veut effec­tuer un tel apos­to­lat, il doit d’a­bord être bien armé inté­rieu­re­ment, par une connais­sance solide de la doc­trine chré­tienne, une habi­tude enra­ci­née de la prière, une pra­tique régu­lière des sacre­ments. Il doit spé­cia­le­ment recou­rir aux puis­sants moyens de pré­ser­va­tion spi­ri­tuelle que sont, par exemple, les retraites, notam­ment les exer­cices de saint Ignace. Il faut, de plus, que ce fidèle pos­sède une « base arrière » (prieu­ré, cha­pelle tra­di­tion­nelle) où il conti­nue à se rendre régu­liè­re­ment pour se nour­rir doc­tri­na­le­ment et spi­ri­tuel­le­ment. Il serait impru­dent, sous pré­texte d’ai­der autrui, de ris­quer soi-​même de s’é­tio­ler, de se diluer. Enfin, parce qu’un tel apos­to­lat est dif­fi­cile et pose des pro­blèmes sou­vent plus com­plexes qu’on ne le croit au départ, il est néces­saire de se faire suivre et conseiller par un prêtre de doc­trine sûre et de juge­ment droit.

Fideliter : Si un fidèle de la Tradition s’ins­crit dans la pru­dence dont vous venez de don­ner les élé­ments prin­ci­paux, que pourra-​t-​il faire concrètement ?

Abbé de Cacqueray : En réa­li­té, il pour­ra faire beau­coup, et de mul­tiples façons. Il pour­ra four­nir docu­men­ta­tion écrite et audio­vi­suelle. Il pour­ra essayer de mettre à dis­po­si­tion du prêtre tous les objets néces­saires pour célé­brer dans le rite tra­di­tion­nel, depuis la sou­tane jus­qu’à la cha­suble en pas­sant par les canons d’au­tel : ceci en les ache­tant, en les récu­pé­rant ou en les emprun­tant. Il pour­ra ména­ger à ce prêtre des ren­contres avec des prêtres de la Fraternité Saint-​Pie X. Actuellement, en plu­sieurs endroits de France, nos récol­lec­tions sacer­do­tales accueillent régu­liè­re­ment des prêtres « conci­liaires » qui viennent à la fois y rece­voir une nour­ri­ture doc­tri­nale et litur­gique, et s’en­cou­ra­ger par le récon­fort de l’a­mi­tié sacer­do­tale. Nous sommes là au cour de la voca­tion de notre institut.

Fideliter : Cette pré­sence d’un ou plu­sieurs fidèles de la Tradition auprès d’un prêtre qui se dis­pose à reprendre la messe tra­di­tion­nelle serait pour lui un vrai encouragement.

Abbé de Cacqueray : C’est évident. Il ne faut pas sous-​estimer le sen­ti­ment d’i­so­le­ment qui peut étreindre le prêtre dio­cé­sain qui doit des­ser­vir cinq, dix, vingt, trente clo­chers, voire plus, et qui, pous­sé par la grâce, envi­sage de renouer ou, plus cou­ram­ment aujourd’­hui, de décou­vrir la litur­gie tra­di­tion­nelle. A ce moment, les encou­ra­ge­ments res­pec­tueux et ami­caux de fidèles soli­de­ment enra­ci­nés dans la Tradition peuvent être abso­lu­ment déterminants.

Fideliter :Mais vient le moment où le prêtre prend sa déci­sion : « Je vais célé­brer la messe tra­di­tion­nelle. » Le tra­vail du fidèle à ses côtés ne cesse cepen­dant pas ?

Abbé de Cacqueray : Il se ren­force, au contraire. Car ce prêtre va cer­tai­ne­ment ren­con­trer quelques dif­fi­cul­tés dans son appren­tis­sage : for­mules incon­nues, gestes inusi­tés, petit obs­tacle de la langue latine, etc. Le fidèle pour­ra l’ai­der à sur­mon­ter ces embar­ras, ce qui implique qu’il ait lui-​même tra­vaillé en amont pour bien connaître l’or­di­naire de la messe et ses rubriques. Puis, au moment des pre­mières messes dans le rite tra­di­tion­nel (rite « nou­veau », en quelque sorte, pour ce prêtre), il sera récon­for­tant d’a­voir à ses côtés un ser­vant d’au­tel qui connaît son texte, qui connaît les rites, et même qui, éven­tuel­le­ment, peut « souf­fler » dis­crè­te­ment sa par­tie au célé­brant lorsque celui-​ci a un trou de mémoire.

Fideliter : Lorsque ce prêtre connaît enfin bien sa messe, le fidèle peut-​il alors se retirer ?

Abbé de Cacqueray : Pas for­cé­ment : il faut voir selon les cas, et évi­dem­ment en lien avec son père spi­ri­tuel, dont je rap­pelle qu’il doit être fré­quem­ment consul­té. S’il existe des fidèles locaux qui peuvent prendre immé­dia­te­ment le relais, le fidèle qui a fait le pre­mier tra­vail peut dis­crè­te­ment leur pas­ser la main et se reti­rer. Mais tant qu’une com­mu­nau­té atta­chée à la Tradition n’en­tou­re­ra pas ce prêtre reve­nu à la vraie litur­gie, il fau­dra sans doute conti­nuer à venir le sou­te­nir, l’en­cou­ra­ger à per­sé­vé­rer dans sa belle déci­sion. Parfois, ce prêtre pour­ra ren­con­trer des tra­verses, des contra­dic­tions voire des per­sé­cu­tions. Il fau­dra alors savoir le pro­té­ger, le défendre, le conso­ler. En même temps, cette messe retrou­vée sera la joie et la force de ce prêtre, fera jaillir la foi et la vie chré­tienne autour de lui, sus­ci­te­ra des fidèles fer­vents, et des voca­tions reli­gieuses et sacer­do­tales. Vous connais­sez la parole éton­nante et ima­gée du Curé d’Ars : « Laissez une paroisse vingt ans sans prêtre (donc sans messe), et l’on y ado­re­ra les bêtes. »

Fideliter : « Remettez le prêtre et la messe dans une paroisse, et les ado­ra­teurs des bêtes y rede­vien­dront fils de Dieu », voulez-​vous dire ?

Abbé de Cacqueray :C’est à peu près cela. On a peine à s’i­ma­gi­ner le flot de grâces qui cou­le­rait sur une paroisse où la messe tra­di­tion­nelle serait enfin retrou­vée et reprise, pour la gloire de Dieu. Mgr Lefebvre l’a expri­mé de belle façon le 23 sep­tembre 1979, lors­qu’il nous a lan­cé sa magni­fique et poi­gnante adjuration :

« Gardez le sacri­fice de Notre Seigneur Jésus-​Christ ! Gardez la messe de tou­jours ! » Il ajou­tait alors : « Et vous ver­rez la civi­li­sa­tion chré­tienne refleu­rir, civi­li­sa­tion qui n’est pas pour ce monde, mais civi­li­sa­tion qui mène à la cité catho­lique, et cette cité catho­lique, c’est la cité catho­lique du Ciel. »

Suresnes, mai 2007

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.