L’esprit de Mgr Lefebvre

Quatorze ans après la mort de notre fon­da­teur, nous pou­vons consta­ter que sa socié­té reli­gieuse a pris de l’am­pleur. Son esprit et son action ont mar­qué profondément.

Même ceux qui se sont déso­li­da­ri­sés de lui au moment des sacres – et qui l’ont cri­ti­qué sou­vent assez for­te­ment – lui doivent beau­coup, bien que n’ayant pas vrai­ment com­pris son esprit. D’autres se réclament de son héri­tage, mais tout en croyant le connaître, ils n’ont pris de lui que cer­taines posi­tions doc­tri­nales, effleu­rant à peine sa per­son­na­li­té reli­gieuse ; ils tentent aujourd’­hui d’in­tro­duire une dia­lec­tique entre ce qui serait l’es­prit de Mgr Lefebvre et la manière d’a­gir de ses suc­ces­seurs à la tête de la Fraternité St-​Pie X. Dans les nom­breuses confé­rences spi­ri­tuelles que Mgr Lefebvre a don­nées à Ecône, ils nous a dévoi­lé son véri­table esprit, celui d’un reli­gieux qui a tou­jours consi­dé­ré comme pué­ril ces vaines oppo­si­tions entre le mis­sion­naire et le reli­gieux, entre l’ac­tion et la contemplation.

La formation spirituelle [1]

« Soyons des prêtres saints, car je ne pense pas que le libé­ral puisse par­ve­nir à la sain­te­té. Assainir sa nature pour la retrou­ver intègre et la mieux dis­po­ser à la grâce : ceci c’est l’œuvre de la prière et de la mor­ti­fi­ca­tion, c’est la sain­te­té vécue. Parmi les notes de l’Eglise, la plus convain­cante c’est la sain­te­té (l’u­ni­té, la catho­li­ci­té, l’a­pos­to­li­ci­té ne sont pas si évi­dentes). C’est par la sain­te­té du prêtre que les cam­pagnes sont conquises. Un saint prêtre, c’est le Bon Dieu. L’Eglise ne peut pas se pas­ser de sain­te­té, elle est indispensable.

Il faut faire la conquête de soi. Nous devons lut­ter contre celui qui nous pos­sé­dait avant le bap­tême pour retrou­ver la maî­trise de soi. On se pos­sède lorsque l’on est capable de sou­mettre toutes ses pen­sées, tous nos actes à Notre Seigneur Jésus-​Christ et cela il faut le recher­cher dans les plus petits détails de notre vie. Nous ne sommes que des loca­taires de nous-​mêmes. Notre Seigneur est chez lui chez nous plus que nous-​mêmes puisque c’est Lui qui nous sou­tient dans l’exis­tence. Il faut nous recon­qué­rir tous les jours. Les prières de Prime sont admi­rables. Elles nous mettent entiè­re­ment sous la mou­vance de Notre Seigneur Jésus Christ : « Que notre langue soit réfré­née, que notre vue soit voi­lée aux mon­da­ni­tés… ! » Il faut sur­veiller notre égoïsme, notre édu­ca­tion moderne est lamen­table. Les parents se sont mis au ser­vice de leurs enfants, jamais l’i­dée de faire faire un sacri­fice aux enfants.

Le prêtre mal­heu­reux c’est celui qui n’a jamais ce qui fait le bon­heur du vrai prêtre. Peut-​on faire une équi­va­lence entre l’a­mour de Notre Seigneur et une créa­ture, même sa famille ? On com­prend cela par la médi­ta­tion, petit à petit. C’est pour­quoi vous avez une cel­lule individuelle.

Vous devez être des ermites au moins par un désir inté­rieur. Vous devez être heu­reux de retrou­ver votre cel­lule après les vacances. C’est l’en­sei­gne­ment de l’Imitation de Jésus- Christ (Liv. I ch. XX) : « Je n’ai jamais été par­mi les hommes sans en reve­nir moins homme. Nul ne se montre sans péril s’il n’aime à vivre caché ». Sans cet amour de la cel­lule, un jour vien­dra où vous ne pour­rez plus vous pas­ser des fidèles. La soli­tude vous sera phy­si­que­ment impossible.

On ne peut pas man­quer indé­fi­ni­ment au règle­ment sans por­ter atteinte à sa fer­veur. Le mépris de l’au­to­ri­té, c’est le mépris de Dieu ! Vous faites des indé­li­ca­tesses et vous allez prier Dieu à la cha­pelle. Alors ça ne marche plus, le cou­rant ne passe plus.

Il n’y a pas de sacri­fice sans prêtre. Il n’y a pas de prêtre sans sacrifice.

C’est une grâce par­ti­cu­lière que Dieu demande à chaque membre de la Fraternité de retrou­ver la valeur du Saint Sacrifice. S’il n’y avait pas de Sacrifice, il n’y aurait pas de sacrement.

Sans sacri­fice pro­pi­tia­toire pour les péchés, il n’y a plus de rai­son de sacer­doce. Si le monde va si mal, c’est à cause de l’ab­sence du sacrifice.

Le prêtre qui ne res­pecte pas l’au­tel, qui n’a pas le culte du taber­nacle, ne res­pecte pas son sacerdoce.

Vivez d’es­pé­rance, c’est la ver­tu du pèle­rin. Ce serait natu­rel de pen­ser constam­ment au but vers lequel nous mar­chons. L’espérance, c’est le désir du ciel. Il ne faut pas hési­ter à en par­ler aux fidèles.

La lutte contre les erreurs n’est pas la spi­ri­tua­li­té de la Fraternité, n’ou­blions pas de recher­cher la sainteté.

L’apostolat des prêtres de la Fraternité

Notre apos­to­lat doit être une source de sain­te­té. Il ne faut pas s’at­ta­cher aux per­sonnes, tout doit reve­nir à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Le minis­tère a envi­sa­ger sera celui que fit saint Louis-​Marie Grignion de Montfort : des mis­sions parois­siales, des sou­tiens aux prêtres, des retraites sacer­do­tales. Pour cela, il faut que les prieu­rés soient des mai­sons de prières, le PC de la vie de prière.

Le comble de la cha­ri­té, c’est la misé­ri­corde, ver­tu essen­tielle du prêtre. Il n’y a pas de dis­tinc­tion réelle entre l’a­mour de Dieu et celle du pro­chain car la rai­son d’ai­mer notre pro­chain, c’est Dieu. Ut in Deo sit : voi­là toute la pas­to­rale, je dois aimer mon pro­chain pour ce qu’il y a de Dieu en lui. Je me suis sou­vent ser­vi de ces deux petites phrases pour des ser­mons de mariage.

Quand on se trouve dans une situa­tion telle qu’est celle que connaît l’Eglise, on n’a pas le droit de perdre son temps. Vous man­quez de cha­ri­té envers les âmes qui vous attendent.

Voir – Juger – Agir étaient les prin­cipes des mou­ve­ments de la JOC – JEC – etc. Ils voyaient, ces jeunes, à leur manière ; ils jugeaient, à leur manière. C’est tou­jours l’au­to­ri­té qui avait tort. Tout le monde fait ça : voir, juger, agir ; même les com­mu­nistes, mais à par­tir de quels prin­cipes ? Voir, juger, agir : ça ne veut rien dire ! Saint Pie X disait : prière, étude, action !

Il n’y a pas d’ac­tion mis­sion­naire sans contem­pla­tion, ça n’existe pas. Il n’y a pas de reli­gion sans la Croix : le Sacrifice de la Messe. Tout le reste est diabolique.

Si on écarte la Croix on tombe dans le péché. C’est la loi de Notre Seigneur Jésus-​Christ qui rend heu­reux et la loi de Notre Seigneur, c’est la Croix. Ce n’est pas rien d’être prêtres et vous êtes atten­dus, mais soyez pru­dents, votre apos­to­lat doit tou­jours être surnaturel.

Notre différend avec Rome : l’abîme du modernisme (conférence du 26 mars 1976)

Comment expli­quer l’at­ti­tude de Mgr Benelli vis-​à-​vis du sémi­naire ? Il est évi­dem­ment dif­fi­cile et déli­cat de défi­nir l’at­ti­tude intime de ceux qui occupent des places de res­pon­sa­bi­li­tés à Rome. Il semble qu’ils soient au ser­vice d’une idéo­lo­gie. L’Eglise a pris une nou­velle orien­ta­tion depuis le concile et ils se sentent res­pon­sables de cette orien­ta­tion vis-​à-​vis de tous ceux qui l’ont prise, vis-​à-​vis des Pères du concile. Il s’a­git non seule­ment de l’i­déo­lo­gie du concile, mais de toute l’i­déo­lo­gie post-​conciliaire, com­pre­nant toutes les appli­ca­tions du concile ; ils nous demandent même de nous sou­mettre à toutes les direc­tives venant de Rome. Il est évident que nous sommes en face de tout un ensemble impré­gné de moder­nisme, et le moder­nisme est une idéo­lo­gie très sub­tile, dif­fi­cile à décou­vrir ; la simple lec­ture de Pascendi nous montre cette dif­fi­cul­té à le défi­nir, en tous cas, elle nous montre com­ment le prendre. C’est le propre du moder­nisme que de se pré­sen­ter sous un aspect de véri­té et de foi, mais dans un lan­gage tel­le­ment équi­voque, voire contra­dic­toire, que pour finir on ne sait plus com­ment le prendre ou le condam­ner. Un exemple est celui de Mgr Benelli me disant : « Mais l’i­dée de sacri­fice est dans la messe, regar­dez le pro­logue de Missale roma­num ! ». Certes, c’est mar­qué là – il faut cepen­dant dire qu’ils l’ont rajou­té par la suite sous la pres­sion des récla­ma­tions – mais dans la messe elle-​même, ils n’ont rien chan­gé. S’ils avaient vou­lu redon­ner la notion de sacri­fice à la messe, il aurait fal­lu remettre les textes qui en parlent de façon expli­cite. Ils arrivent tou­jours à défendre la théo­rie, mais les direc­tives pra­tiques détruisent cette propre théo­rie dont ils font soi-​disant profession.

C’est ce qui rend notre com­bat dif­fi­cile, car bien des per­sonnes peuvent nous repro­cher : « Vous exa­gé­rez en disant que la crise de l’Eglise est une crise de la foi, qu’elle com­mence avec le concile, voyez ce qu’a dit le pape à tel sujet, voyez son Credo ! » Evidemment, il y a des choses qui sont exactes, mais quand on regarde toute la réforme litur­gique, la réforme des caté­chismes, des congré­ga­tions reli­gieuses, la réforme pra­tique des ins­ti­tu­tions de l’Eglise avec les confé­rences épis­co­pales, les conseils pres­by­té­raux, on se rend compte qu’entre les paroles qui sont dites et la réa­li­té, il y a un monde. Autre chose est la thèse, autre chose l’hy­po­thèse ; et quand on passe à l’ac­tion, on applique des prin­cipes tout à fait subversifs.

J’ai très bien sen­ti que nous fai­sons obs­tacles à l’ap­pli­ca­tion du concile et disons-​le, à l’ap­pli­ca­tion d’une nou­velle reli­gion, reli­gion moder­niste, appa­ren­tée au pro­tes­tan­tisme, au col­lec­ti­visme, appa­ren­tée même au mar­xisme, au thei­lar­disme, c’est tout un ensemble !

L’attitude du St-​Siège influencée par les idées maçonniques

De plus en plus, on découvre les des­sous de la nou­velle poli­tique du St-​Siège, et on est stu­pé­fait d’ap­prendre par exemple l’ap­par­te­nance du car­di­nal Liénart à la maçon­ne­rie (citée dans la revue Chiesa viva), on y donne sa date d’en­trée, les dif­fé­rents degrés dont il a fait par­tie. Heureusement que j’ai saint Pie V dans ma généa­lo­gie ! – et dans la vôtre aus­si pour ceux qui reçoivent les ordi­na­tions. Le bruit court aus­si à Rome, et main­te­nant c’est assez public, que le départ de Rome de Mgr Bugnini est du à des indis­cré­tions de sa part au sujet de la maçon­ne­rie dont il fait par­tie. (.) Je me rap­pelle encore être allé voir Mgr Cicognani pour lui faire part de mes doléances concer­nant la messe nor­ma­tive ; je le vois encore se pre­nant la tête et me dire : « Tout cela, c’est Mgr Bugnini, il peut entrer à n’im­porte quelle heure dans le bureau du pape et lui faire signer n’im­porte quoi ! ». Si main­te­nant on apprend qu’il est franc-​maçon, tout cela est d’une gra­vi­té incroyable !

L’apostolat, fruit de la vie surnaturelle (Conférence du 24 novembre 1975)

Je vou­drais pré­ci­ser les pen­sées qui m’ont orien­té dans la rédac­tion des sta­tuts ; beau­coup des anciens les connaissent, mais je ne vou­drais pas qu’il y ait pas par la suite des diver­gences pro­fondes entre les membres de la Fraternité dans la com­pré­hen­sion des sta­tuts. (.)
Tout apos­to­lat, s’il veut être fruc­tueux, doit être basé sur la contem­pla­tion. Les apôtres étaient des contem­pla­tifs. Tous les apôtres devraient être des contem­pla­tifs.
Je pense que les curé d’Ars, les Padre Pio ou saint Jean Bosco, qui étaient très actifs, étaient pour­tant des hommes de contem­pla­tion, des gens qui pas­saient aisé­ment de la vie active à la vie d’o­rai­son, qui aspi­raient au cours de leur vie à pas­ser quelques jours d’exer­cices spi­ri­tuels pour se retrou­ver plus proches de Notre Seigneur, pour pen­ser davan­tage à Notre Seigneur et vivre mieux avec Lui.

C’est là un peu le test de l’es­prit contem­pla­tif d’un apôtre : avons-​nous ce désir de pas­ser quelques jours dans la contem­pla­tion, dans la prière ? Ou bien au contraire, dès qu’on nous parle d’une retraite à faire ou d’une récol­lec­tion, cela nous pèse, on se dit qu’on perd son temps, on ferait mieux de conti­nuer à tra­vailler à son apos­to­lat, on est atten­du à droite, à gauche. C’est clair que si on veut tra­vailler, on en trou­ve­ra tou­jours. Mais c’est là qu’on voit qu’on est pris par l’ac­tion et qu’on n’est plus capable de se recueillir pen­dant quelques jours pour recher­cher la vraie vie spirituelle.

Le véri­table apôtre a ce désir de contem­pla­tion, tout en ayant aus­si le désir du bien des âmes. Si on a une vie active, cela ne veut pas dire qu’on n’est fait que pour l’ac­tion ; d’ailleurs l’ac­tion serait pure­ment sté­rile, ne signi­fie­rait rien si nous étions de purs fonc­tion­naires de l’a­pos­to­lat, si on n’a pas l’es­prit d’a­pos­to­lat qui est l’es­prit d’u­nion à Notre Seigneur. Par nous-​mêmes, nous ne sommes pas capables de faire de l’a­pos­to­lat ; si on consi­dère que l’a­pos­to­lat est une série de recettes et de méthodes pour arri­ver à conver­tir les âmes, c’est abso­lu­ment faux !

L’apostolat n’est pas une ques­tion de recettes ou de méthodes ; sans doute, il y a des ini­tia­tives à prendre, mais elles ne sont bonnes que si elles sont prises dans un esprit sur­na­tu­rel, dans un esprit de prière et d’u­nion à Notre Seigneur, d’hu­mi­li­té vis-​à-​vis de Notre Seigneur, comp­tant uni­que­ment sur la grâce pour conver­tir les âmes.
C’est dans ce sens que nous devons abso­lu­ment avoir l’es­prit contem­pla­tif, d’où l’im­por­tance de la vie spi­ri­tuelle et de l’es­prit de pié­té. Malheureusement, il faut le recon­naître, même quand on insiste sur l’im­por­tance des exer­cices de pié­té, ils sont encore négli­gés. C’est une des choses sur les­quelles on insis­tait le plus dans les novi­ciats et dans toute la for­ma­tion des reli­gieux, on nous disait : « Vous ne ferez du bien que si vous accom­plis­sez vos exer­cices de pié­té ; vous ne ferez du bien que si vous êtes exacts à réci­ter votre cha­pe­let, à faire votre lec­ture spi­ri­tuelle, si vous main­te­nez au cours de votre vie apos­to­lique tout ce que vous avez fait et appris dans vos mai­sons de for­ma­tion ».

Bien sûr, il ne s’a­git pas seule­ment de se rendre à la cha­pelle et de se dire : j’ai obéi au règle­ment ; cela ne suf­fit pas. S’il n’y a pas l’es­prit de prière, un jour ou l’autre on risque d’a­ban­don­ner ces exer­cices de pié­té. C’est cet esprit qui nous dit : si je ne prie pas, si je ne suis pas uni à Notre Seigneur, si je ne passe pas une par­tie de ma jour­née en union avec Notre Seigneur, union grande et pro­fonde, je vide­rai ma vie spi­ri­tuelle de la vie de la grâce et je ne pour­rai plus rien don­ner aux autres, mon action sera inefficace.

L’attitude vis-​à-​vis de la nouvelle messe (Conférence du 21 mars 1977)

Quelle doit être notre atti­tude vis-​à-​vis de ces messes nou­velles ? Je crois que nous devons être de plus en plus sévères. Notre atti­tude se conforme à l’é­vo­lu­tion qui se pro­duit peu à peu dans les esprits et sur­tout ceux des prêtres (modernes). A force de vivre dans une ambiance d’er­reur, dans une ambiance contraire à la foi, les inten­tions peuvent chan­ger, le juge­ment que les prêtres peuvent se faire de leur propre messe peut finir par se modi­fier et je crois que ce n’est pas du tout illu­soire, même pour des prêtres qui étaient très proches de nous, qui aimaient la Tradition mais qui, à force de se trou­ver dans cette ambiance qu’a créé la réforme litur­gique, finissent len­te­ment, mais sûre­ment par perdre la foi, du moins par chan­ger leur foi sur cer­tains points de la sainte messe, et cela peut, à la longue, influen­cer leur inten­tion. Etant don­né cette évo­lu­tion de plus en plus grave et dan­ge­reuse pour la foi, nous devons aus­si évi­ter de plus en plus, et presque de manière radi­cale, toute assis­tance à la nou­velle messe.

Il est évident que si nous étions convain­cus que toutes ces messes sont inva­lides, on ne devrait pas y aller, c’est clair, on ne va pas à une messe inva­lide, ce serait faire un sacri­lège. Mais je ne crois pas qu’on puisse affir­mer cela d’une manière abso­lue. Ce qui est requis pour la vali­di­té du sacre­ment sont la matière, la forme et l’in­ten­tion du ministre. Quant à la matière, c’est la plu­part du temps du pain ; pour le vin, le prêtre doit s’as­su­rer que ce soit du vin natu­rel ; tous les prêtres ne s’as­surent plus de cela. Pour la forme, c’est sur­tout dans les tra­duc­tions qu’on peut avoir des doutes, car la forme en latin telle qu’elle a été don­née par Rome porte encore le terme « pro mul­tis » ; mais la tra­duc­tion pour la plu­part des langues est tout à fait fausse, puisque, que ce soit en anglais, en ita­lien, en espa­gnol, en alle­mand, en fran­çais, c’est tou­jours « pour tous », ce qui est abso­lu­ment contraire à ce que l’Eglise et donc Notre Seigneur lui-​même a vou­lu lors­qu’il a pro­non­cé ces paroles. Le caté­chisme du concile de Trente explique sur une page et demie pour­quoi l’Eglise dit « pro mul­tis » et non « pro omni­bus ».

Parce que en réa­li­té, dans l’ap­pli­ca­tion de la Rédemption, tout le monde n’est pas sau­vé ; non pas dans le but de la rédemp­tion, mais dans son appli­ca­tion. Malheureusement, elle ne pro­fite pas à tous les hommes, par la faute des hommes qui ne veulent pas rece­voir les grâces de la rédemp­tion. Est-​ce que ce chan­ge­ment dans les langues ver­na­cu­laires atteint la vali­di­té de la forme ? On trouve des ouvrages à ce sujet qui concluent à l’in­va­li­di­té. Selon saint Thomas, les paroles essen­tielles de la forme sont : « Hoc est cor­pus meum – Hic est calix san­gui­nis mei, novi et aeter­ni tes­ta­men­ti ». Il semble que ces paroles viennent de Notre Seigneur lui-​même, même l’in­cise « mys­te­rium fidei ». Pendant les 40 jours que Notre Seigneur a pas­sé avec les apôtres, il a du leur don­ner des indi­ca­tions pré­cises sur la chose qui est la plus impor­tante, la plus essen­tielle de sa rédemp­tion, son sacrifice.

Alors, serait-​il éton­nant que Notre Seigneur en parle aux apôtres, leur léguant la forme qu’ils devaient employer pour réa­li­ser à nou­veau ce sacri­fice sur nos autels ? Quand on dit que cela remonte aux temps apos­to­liques, comme l’af­firme le concile de Trente à la suite des Pères de l’Eglise, on peut pen­ser que les apôtres ont reçu des indi­ca­tions pré­cises de Notre Seigneur lui-même. (.)

L’intention œcuménique de la réforme liturgique

Plus on exa­mine cette réforme litur­gique, plus on se demande quelles ont pu être les inten­tions des auteurs. Quelle avan­tage ont-​ils pen­sé acqué­rir en chan­geant ces paroles de la forme sacra­men­telle qui ont été dit pen­dant des siècles et des siècles par l’Eglise ? Pourquoi enle­ver « mys­te­rium fidei » ? Pourquoi avoir ajou­té « quod pro vobis tra­de­tur » dans la forme de la consé­cra­tion du pain ? C’est incroyable ! Quelle rai­son si ce n’est une rai­son œcu­mé­nique, parce que les pro­tes­tants ont rajou­té le « quod pro vobis tra­de­tur », parce que les pro­tes­tants ont sup­pri­mé « mys­te­rium fidei », parce que les pro­tes­tants ont vou­lu repro­duire exac­te­ment la Cène, qui pour eux n’est pas un sacri­fice. N’oubliez jamais que le concile de Trente a dit de manière expli­cite : « Celui qui dit qu’il n’y a pas eu de sacri­fice à la Cène, lorsque Notre Seigneur Jésus-​Christ a ins­ti­tué l’eu­cha­ris­tie, qu’il soit anathème ! »

Donc il y a bien déjà un sacri­fice à la cène qui est en rap­port avec le sacri­fice de la croix. On ne voit donc pas d’autre expli­ca­tion pos­sible au chan­ge­ments de la réforme litur­gique si ce n’est celle de l’œ­cu­mé­nisme qui nous rap­proche des pro­tes­tants. Comment est-​il pos­sible que l’on trans­forme la messe catho­lique pour la rendre sem­blable à celle des pro­tes­tants qui ne croient pas au sacri­fice de la messe, qui ont chan­gé les paroles de la consé­cra­tion pré­ci­sé­ment parce qu’ils ne croient pas au sacri­fice de la messe ? C’est inouïe ! On peut donc se poser la ques­tion : la forme telle qu’elle est dite dans les langues ver­na­cu­laires, est-​elle vrai­ment valide ? Oui, on peut se la poser.

La corruption de l’intention

Enfin, troi­sième élé­ment, l’in­ten­tion, celle de faire ce que fait l’Eglise. Certains disent, ce que fait l’Eglise aujourd’­hui, c’est la nou­velle messe. Non, quand on dit « avoir l’in­ten­tion de faire ce que fait l’Eglise », il s’a­git de l’Eglise de tou­jours, depuis les apôtres. Et donc il faut avoir cette inten­tion de faire ce que l’Eglise a tou­jours fait, c’est-​à-​dire un véri­table sacri­fice et non pas sim­ple­ment faire mémoire, pas sim­ple­ment faire un repas. Or, il est clair que les jeunes prêtres, vu l’en­sei­gne­ment qu’ils reçoivent, n’ont pas l’in­ten­tion de faire ce qu’en­seigne le concile de Trente ; comme on a rom­pu avec le concile de Trente et la doc­trine sacri­fi­cielle, ces prêtres, en vou­lant expli­ci­te­ment la nou­velle doc­trine et en refu­sant l’an­cienne, créent une rup­ture dans l’Eglise. Ils n’ont pas le droit de faire cela, car il n’y a pas une Eglise d’au­jourd’­hui et une Eglise d’hier, c’est l’Eglise de tou­jours, il n’y en a qu’une, sinon il y aurait une Eglise tous les jours ! Cette inten­tion risque de deve­nir celle des prêtres qui disent constam­ment la nou­velle messe.

Je pense qu’au bout d’un an, deux ans, à force de dire cette messe, à la fin, ils ont vrai­ment l’in­ten­tion de faire la nou­velle messe, une nou­velle messe, et non plus la messe d’au­tre­fois. Et donc ils n’ont plus l’in­ten­tion de faire la messe de tou­jours. Je pense qu’il y a aus­si un cer­tain nombre, mais peu, ceux qui font par­tie de cer­taines asso­cia­tions, qui résistent et qui ont une inten­tion contraire à ce qu’ils font. C’est incroyable de faire une chose pareille, mais parce qu’ils se croient obli­gés de prendre le nou­veau rite à cause de leur évêque, ils ont peur de se faire chas­ser ou pour toute autre rai­son – à mon avis, ces rai­sons ne valent rien, mais les faits sont là – ces prêtres ont l’in­ten­tion de célé­brer la messe de leur ordi­na­tion et conti­nuent à avoir l’in­ten­tion qu’ils ont tou­jours eu pen­dant leur vie sacer­do­tale. Il est pos­sible que ces messes soient valides. Mais ce n’est pas une rai­son pour se mettre dans une situa­tion de perdre la foi au sacri­fice de la messe et de le faire perdre à leurs fidèles. C’est inad­mis­sible pour un prêtre quand il se rend compte de cela. Et puis peu à peu, cela devient une ques­tion d’ha­bi­tude, on se déforme la conscience et puis on devient aveugle.

Ne pas aller à ces messes

C’est pour­quoi je pense que nous devons évi­ter d’al­ler à ces messes et même s’il faut res­ter sans messe pen­dant un mois, eh bien on reste sans messe pen­dant un mois !
Les parents expliquent à leurs enfants pour­quoi ils ne vont pas à la messe et puis ils font un long che­min pour aller à la messe une fois par mois. Dans nos mis­sions, nous visi­tions nos fidèles une fois tous les trois mois ; la plu­part de nos fidèles avaient une messe tous les trois mois.
En Amérique du sud, j’ai eu l’oc­ca­sion, en tant que Supérieur géné­ral, de fon­der une mis­sion au Paraguay, et avant que nous ne fon­dions la mis­sion, ces gens étaient visi­tés par un prêtre une fois par an ; en Amazonie, cer­tains vil­lages n’a­vaient de visite du père mis­sion­naire que tous les trois ans ! Evidemment, ce n’est pas l’i­déal, mais mal­gré cela ces gens conser­vaient la foi ; le dimanche ils se réunis­saient, le caté­chiste ou le chef du vil­lage les fai­sait prier, non pas comme ils font main­te­nant pour rem­pla­cer le prêtre par un laïc, mais parce qu’il n’y a pas de prêtre. Alors le prêtre leur don­nait les prières à réci­ter, les textes à lire et ils priaient et com­mu­niaient spi­ri­tuel­le­ment, s’u­nis­sant aux messes célé­brées dans le monde au même moment.

C’est autre chose que ce qu’ils font main­te­nant pour sup­pri­mer les prêtres et les rem­pla­cer par des laïcs parce qu’ils ne croient plus à la messe ! Si bien qu’on peut gar­der la foi même si on ne peut aller à la messe tous les dimanches, plu­tôt que d’al­ler à une messe plus ou moins empoi­son­née et qui risque de faire perdre la foi. Il y a aus­si cer­tains cas comme la mort d’un parent proche où l’on va à ces messes par pié­té filiale ; de même qu’on peut aller dans ces cas à un enter­re­ment ortho­doxe, dans le cadre d’un évé­ne­ment extraordinaire.

Je pense que nous devons deve­nir de plus en plus sévère et de plus en plus radi­cal, parce que les messes se dégradent tou­jours, la foi dimi­nue, et donc on est de plus en plus sus­cep­tible de se trou­ver devant une messe qui n’est pas valide. »

Le Chardonnet n° 212 de novembre 2005

Notes de bas de page
  1. Cette pre­mière par­tie est un conden­sé de l’en­sei­gne­ment de Mgr Lefebvre au sujet de la sain­te­té sacer­do­tale, pui­sé dans les confé­rences spi­ri­tuelles don­nées à Ecône. Nous remer­cions M. l’ab­bé Pineau qui a publié ces lignes et plus encore dans son bul­le­tin Le don­jon.[]