Les deux ans de l’IBP : un bilan, par Christian MARIN

Il y a deux ans, le car­di­nal Dario Castrillon Hoyos créait ad expe­ri­men­tum au nom de la com­mis­sion Ecclesia Dei l’Institut bor­de­lais du Bon Pasteur (IBP), diri­gé par l’abbé Philippe Laguérie. Les médias s’étaient empa­rés de la nou­velle. France Info, les télé­vi­sions d’information, les quo­ti­diens natio­naux avaient relayé média­ti­que­ment la nou­velle. Après des mois de lutte fra­tri­cide, les tra­di­tio­na­listes de Paris et de Bordeaux se sépa­raient osten­si­ble­ment. Le Figaro regar­dait avec amu­se­ment l’embarquement des « ton­tons flin­gueurs de la Tradition ». Quant à la Fraternité Saint-​Pie X, elle publiait un com­mu­ni­qué sobre, indi­quant que de telles struc­tures, à l’instar de l’oratoire alle­mand Saint-​Philippe Néri, avaient déjà été créées par le pas­sé. « L’avenir dira ce qui dis­tingue le nou­vel ins­ti­tut des ini­tia­tives pré­cé­dentes » terminait-​elle assez laco­ni­que­ment. Deux ans se sont écou­lés. Le nou­vel ins­ti­tut avait annon­cé sa conquête tous azi­muts et sa réus­site sur le point de litige d’avec son ancienne for­ma­tion : les sémi­naires. Entretemps, le pape a publié le Motu Proprio Summorum pon­ti­fi­cum. Le recul de ces deux années peut désor­mais per­mettre de tirer un bilan pro­vi­soire de cet institut.

Echec de la conquête des diocèses

Il y a deux ans, l’IBP tenait ses ouailles en haleine. Sous le regard amu­sé des prêtres de la Fraternité Saint-​Pierre échau­dés par le ter­rain, les nou­veaux conqué­rants pré­di­saient un vent nou­veau. Des dizaines de dio­cèses devaient s’ouvrir à la nou­velle socié­té reli­gieuse. Les jours se sont sui­vis et se res­sem­blaient. « Dans les mois à venir, je compte prendre des R.V. avec les évêques, disait l’abbé Philippe Laguérie, pour nous faire connaître et étu­dier avec eux la pos­si­bi­li­té de paroisse per­son­nelle sur le modèle de saint Eloi. » De nou­veau Saint-​Éloi, il n’y en eut pas. D’accord avec les évêques de France, si l’on excepte les faits accom­plis de Bordeaux et de Courtalain, il n’y eut que le cas iso­lé et par­tiel de Rolleboise. A Avignon, ce fut même un inter­dit qui pèse tou­jours sur l’Institut qui fut signé par l’archevêque Cattenoz. Ailleurs, la plu­part des évêques qui voient dans les abbés Laguérie et de Tanoüarn l’homme des « occu­pa­tions » et celui des jour­naux natio­na­listes, n’ont pas même dai­gné rece­voir le supé­rieur géné­ral de l’IBP. A Paris et Marseille, mal­gré l’allégeance des prêtres de l’IBP, leurs des­sertes du Centre Saint-​Paul ou du Bon Jésus ont le sta­tut de « cha­pelles sauvages ».

La situa­tion étran­gère n’est pas meilleure. A Rome, le car­di­nal Castrillon Hoyos a du moins éten­du sa pro­tec­tion pour main­te­nir l’appartement qu’occupent les sémi­na­ristes de l’Institut se for­mant dans les uni­ver­si­tés théo­lo­giques romaines, aux canons des tenants de Vatican II leur ensei­gnant. Même dans sa patrie, en Colombie, l’IBP a reçu une inter­dic­tion for­melle de s’implanter signée par le pri­mat. Au Chili, le supé­rieur Navas a dû s’éclipser, per­dant son vicaire qui quit­tait l’Institut. Quant au Brésil, les conquêtes qui devaient por­ter des « cen­taines » de sémi­na­ristes se sont sol­dées par la fer­me­ture – au bout de six mois – d’une mai­son qui s’est cas­sée les dents sur une asso­cia­tion liée à la TFP.

Echec des séminaires

Si l’on s’en sou­vient bien, on se rap­pel­le­ra que l’affaire de Bordeaux est née d’un rap­port sus­ci­té par l’abbé Laguérie pour dénon­cer une ges­tion trop sélec­tive des sémi­na­ristes de la Fraternité Saint-​Pie X. L’IBP était cen­sé faire mieux pour prou­ver sa rai­son même d’exister et la pro­cé­dure de récu­pé­ra­tion des res­sor­tis­sants d’Écône et de Wigratzbad mar­cha un temps. Avec les recrues bré­si­liennes, Courtalain devait appro­cher la qua­ran­taine à la ren­trée 2007. La valse des direc­teurs – trois en moins de deux ans – les accro­chages du corps pro­fes­so­ral, les dif­fé­rends des deux diri­geants, le renon­ce­ment au pro­jet de sémi­naire latino-​américain, l’incapacité à confier de nou­veaux apos­to­lats et l’érosion for­cée des sémi­na­ristes retom­bant à moins de vingt affai­blit consi­dé­ra­ble­ment l’Institut cou­rant 2008. L’abbé Laguérie inter­rom­pit la poli­tique des sta­tis­tiques à laquelle il s’était ini­tia­le­ment tant adonné.

Du côté des prêtres, les « ton­tons flin­gueurs » ne se sont pas envoyés que des fleurs. Les dis­tances tacites ou contraintes prises par les abbés Aulagnier et Héry, le retrait de l’abbé Cecchin, la mise au vert de l’abbé Prieur ne sont pas for­cé­ment des signes pro­met­teurs pour une équipe unie de dirigeants.

Echec du pont entre Rome et la Fraternité

« J’aurais sans doute pré­fé­ré com­men­cer l’année 2008 par des pro­pos plus amènes. » disait sur son blog l’abbé Laguérie pour légi­ti­mer une dia­tribe de plus. Deux mille huit comme les années pré­cé­dentes s’est révé­lée être un temps de des­truc­tion sys­té­ma­tique de tout pro­pos pou­vant pro­ve­nir des évêques de la Fraternité comme des autres prêtres la diri­geant, sous cou­vert d’amour pour elle. A l’aide de leurs blogs res­pec­tifs, il semble que les abbés Philippe Laguérie et Guillaume de Tanoüarn ont sys­té­ma­ti­que­ment détruit toute la sym­pa­thie que pou­vaient nour­rir les prêtres et fidèles de la FSSPX à leur égard. Des appel­la­tions fami­lières et usant à l’envie d’amalgame du pre­mier au « flic hel­vé­tique » dénon­cé par le second, les diri­geants de l’IBP ont per­du leur temps en som­brant dans la ran­cœur encore déver­sée dans l’éloge funèbre d’Yves Amiot. A défaut des résul­tats annon­cés, des sta­tis­tiques pro­mises, il faut se rési­gner à se replier sur les fon­da­men­taux, sur ce qui fit le suc­cès de l’affaire de Bordeaux : réunir toutes les ran­cœurs contre la Fraternité pour créer un front com­mun : « Elle dérive, elle gère mal sa poli­tique, elle vit en vase-​clos », tels sont les genres de conseils de deux prêtres média­tiques à leurs cinq-​cents anciens confrères pour mas­quer les misères de leur déroute.

Echec de la critique constructive de Vatican II

Le 8 sep­tembre 2006, l’abbé de Tanoüarn publiait un com­mu­ni­qué affir­mant que l’Institut était invi­té à for­mu­ler une « cri­tique construc­tive de Vatican II. » Cette sen­tence – en l’état – consti­tuait un bou­clier doc­tri­nal pour tous ceux qui pen­saient que le com­bat de la Tradition dépas­sait la ques­tion litur­gique. Etonnamment, les sta­tuts de l’Institut sont res­tés mécon­nus. Passés inaper­çus, les détails appor­tés par le car­di­nal Ricard mon­trèrent six mois plus tard que les fon­da­teurs de l’IBP avaient signé une for­mule qui com­por­tait aus­si une par­tie prin­ci­pale beau­coup moins exi­geante : « A pro­pos de cer­tains points ensei­gnés par le Concile Vatican II ou concer­nant les réformes pos­té­rieures de la litur­gie et du droit, et qui nous paraissent dif­fi­ci­le­ment conci­liables avec la Tradition, nous nous enga­geons à avoir une atti­tude posi­tive d’étude et de com­mu­ni­ca­tion avec le Siège Apostolique, en évi­tant toute polémique. »

Ailleurs, les études qui devaient naître, des caté­chismes du dio­cèse de Bordeaux aux tra­vaux de l’abbé Héry, en pas­sant par la cri­tique en ligne du Concile par l’abbé Laguérie sont demeu­rées lettre morte. Au milieu du silence pru­dent qu’observaient les lea­ders des autres com­mu­nau­tés Ecclesia Dei, les abbés Laguérie et de Tanoüarn se firent les uniques chantres de la modi­fi­ca­tion contro­ver­sée de la prière sur les Juifs du Vendredi Saint. Sur le site du Forum catho­lique, le second est deve­nu le légi­ti­ma­teur sys­té­ma­tique, à la vie à la mort, de toute décla­ra­tion en pro­ve­nance de Rome. Sur le ter­rain, il est deve­nu celui de la nou­velle messe, en prê­chant aux obsèques selon le rite de Paul VI de Pierre Pujo ou en assis­tant à la messe chris­male du Jeudi Saint, et ceci sans réac­tion de son supé­rieur. A de nom­breux égards, l’IBP appa­raît désor­mais comme l’aile la plus modé­rée de la mou­vance Ecclesia Dei.

Réussite d’une politique spectacle

Le contrôle des médias par l’abbé Laguérie qui s’est assu­ré le sou­tien de quelques familles pari­siennes, et par l’abbé de Tanoüarn qui a engran­gé celui des jour­na­listes de Minute, du Choc du Mois et de Monde et Vie, fut une excel­lente rampe de lan­ce­ment pour le nou­vel ins­ti­tut. Radio Courtoisie appa­rut comme un excellent vec­teur pour démon­trer publi­que­ment que la Fraternité déri­vait et que le salut n’existait que dans la nou­velle enti­té. Encore der­niè­re­ment, l’abbé Philippe Laguérie n’hésitait pas à affir­mer que : « le com­bat pari­sien pour la liber­té de la tra­di­tion litur­gique s’était trans­por­té à Bordeaux », ni plus ni moins. La dis­pa­ri­tion de Serge de Beketch, l’éviction d’Olivier Pichon et le main­tien de l’abbé Lorans, porte-​parole de la FSSPX ont, semble-​t-​il, mis à mal le lea­der­ship de l’IBP sur la tri­bune radio­pho­nique. Même sur le net, l’IBP a calé, ses sites per­dant peu à peu leur énergie.

Une sur­vie momen­ta­née a été osée par les effets de com­mu­ni­ca­tion de l’IBP, à l’instar de l’interview du baron Seillière à la sor­tie de Saint-​Éloi. Mais, les paillettes se sont par­fois trans­for­mées en pous­sière lorsqu’il s’agissait de média­ti­ser une missive-​type de l’Élysée ou pour annon­cer le bap­tême de Plume, la fille de Dieudonné. Dès lors, même cette réus­site prend des allures de fiasco.

En Allemagne, en 2001, le car­di­nal Castrillon Hoyos avait récu­pé­ré les décep­tions d’un prêtre pour créer l’oratoire Saint-​Philippe-​Néri. Après monts et mer­veilles pro­mises au pays de Luther, il se trouve désor­mais tota­le­ment isolé.

La média­ti­sa­tion de l’IBP n’a eu qu’un temps. A l’heure où le rythme de croi­sière doit être pris, il semble que la nou­velle for­ma­tion pèche là où elle a prê­ché. Les pêches mira­cu­leuses semblent hélas sans lendemain.

A cela s’ajoute le fait que l’IBP souffre d’un vice de fabri­ca­tion puisqu’il a pris des moyens par­ti­cu­liers pour se construire. Ce cler­gé a hier pous­sé ses fidèles à s’exprimer contre leurs propres prêtres, à inter­ve­nir sur inter­net contre eux, à créer des asso­cia­tions de pres­sion. Ne leur ont-​ils pas pla­cé entre les mains les dan­ge­reuses armes d’une auto­des­truc­tion programmée ?

Christian MARIN