25 février

9e apparition – 1er mystère douloureux : l’agonie de Jésus

Il n’est guère d’his­to­riens de Lourdes qui, en décri­vant cette Apparition où la source com­mence de cou­ler, n’aient été comme contraints d’é­vo­quer le mys­tère de l’Agonie, qui consti­tue le pre­mier acte de la dou­lou­reuse Passion, tant le paral­lèle se dé­roule mani­feste et lumineux.

Les inci­dents qui se passent aujourd’­hui à la Grotte de Massabielle ne sont expli­cables que s’ils se réfèrent au drame de la Grotte de Gethsémani.

Ecoutons les témoins nous décrire l’as­pect de la voyante. Non seule­ment elle n’entre pas en extase et son visage n’est pas trans­fi­gu­ré, mais il appa­raît « comme décom­po­sé, triste et mal­heu­reux… on au­rait dit qu’elle était acca­blée sous le poids de quel­que chose, qu’elle avait sur elle toutes les peines du monde… On crai­gnait qu’elle ne mou­rût ». Ces dé­positions des témoins ne sont que la reprise à peine retou­chée des textes de la Sainte Ecriture rela­tifs à la Passion du Christ. « Il n’a­vait ni beau­té ni éclat, pour atti­rer nos regards, et son aspect n’a­vait rien pour nous plaire… Il com­men­ça à être enva­hi par la tris­tesse et l’a­bat­te­ment… Il a pris sur lui nos infir­mi­tés. Il s’est char­gé de nos dou­leurs. L’Eternel a fait retom­ber sur lui l’i­ni­qui­té de nous tous… Il dit à ses dis­ciples : « Mon âme est triste jus­qu’à en mourir ».

Il n’est pas moins émou­vant de consi­dé­rer la voyante allant et venant, acca­blée sous le poids de sa tris­tesse ; tom­bant fina­le­ment « presque à plat ventre », dit un témoin, là où la terre « était d’un rouge sang », et se rele­vant le visage bar­bouillé d’eau boueuse. Image sai­sis­sante de l’autre visage qui ruis­se­la des sueurs de sang de l’Agonie. Sa tante, telle l’ange du Ciel qui vint récon­for­ter le Christ, dut la sou­te­nir, « de peur qu’elle ne tombât ».

Egalement poi­gnante appa­raît notre petite sœur Bernadette, quand il lui faut par obéis­sance à la Dame, goû­ter elle aus­si à l’a­mer­tume d’un calice qui lui répugne. La Vision lui deman­da d’al­ler boire à l’eau de la fon­taine et de s’y laver. Elle y va, se traî­nant sur ses genoux. Elle gratte la terre. Il vient un peu d’eau boueuse qu’elle recueille dans la coupe de ses mains. L’on com­prend certes ses hési­ta­tions et ses reculs. La Dame l’en­cou­rage. Mais l’en­fant la regarde, implo­rant sa compassion.

Elle a l’air de dire : « Si c’est pos­sible, que ce calice s’é­loigne de moi sans que je le boive ». De même que le Christ avait répé­té trois fois cette prière d’an­goisse et de sou­mis­sion, de même à trois reprises Bernadette rejette cette eau sale qui lui cause des nausées.

Elle finit pour­tant par boire, puisque telle est la volon­té d’En-Haut…

Il est lamen­table, notre Christ Sauveur à la suite de son Agonie, aban­don­né de ses dis­ciples qui ont pris la fuite, livré aux mains des sol­dats qui se jouent de lui, et en font l’ob­jet de leurs déri­sions blas­phé­ma­toires. Il avait pro­phé­ti­sé son délaisse­ment : « Vous tous, avait-​il dit à ses apôtres durant la Cène, vous serez démo­ra­li­sés à son sujet cette nuit, car il est écrit : « Je frap­pe­rai le Pasteur, et les bre­bis du trou­peau seront dispersées ».

Et Bernadette va par­ta­ger, sa vision ter­mi­née, le sort de Celui dont elle mime aujourd’­hui le dra­matique mys­tère. « Un mot poi­gnant, ter­rible, cir­cula de bouche en bouche : « Cette enfant est folle ».

« On jetait encore le regard sur elle, mais le pres­tige était tom­bé. On ne la regar­dait que pour la plaindre ». « La Grotte, ce jour-​là, désem­plit de bonne heure ». Les uns – l’on pour­rait dire, les dis­ciples – rega­gnèrent Lourdes « décon­cer­té », « décou­ra­gés », « dérou­tés dans leur foi ». – Les autres riaient et se moquaient, « comme s’ils reve­naient d’une comédie ».

Pour nous qui savons, nous bai­se­rons la terre sainte de Massabielle, et pour nous rem­plir d’es­poir, nous contem­ple­rons la source que Bernadette a fait jaillir, en grat­tant le sol de ses doigts, cette source qui va gros­sir et qui au jour où se joue­ra le mys­tère de la Pentecôte se met­tra à cou­ler vers le Gave, cette source qui sort du côté droit de la Grotte (de latere dex­tro), et que nous montre la Céleste Médiatrice : « Allez boire à la fon­taine et vous y laver », cette source inta­ris­sable aux eaux pures et abon­dantes, à laquelle s’a­breuvent les pè­lerins, comme à un talis­man régé­né­ra­teur de vie. Et nous ver­rons dans cette onde qui coule de l’ou­verture de la roche, le Cœur entrou­vert du Christ (Petra autem erat Christus) d’où le fleuve de vie a com­men­cé de sourdre pour les hommes, à l’heure de son Agonie, et dont le flot inépui­sable, depuis le jour de la Pentecôte des­cend sur le monde pour le laver, le gué­rir et le sauver.

« Dans la soi­rée de ce jour plein d’obs­cu­ri­tés, raconte Estrade, je fis appe­ler Bernadette chez moi. Je la fis cau­ser. Je lui cher­chai des que­relles de mots, des sur­prises et des contra­dic­tions de récits.

Rien dans les réponses et dans les réflexions de l’en­fant ne pou­vait faire soup­çon­ner l’exis­tence d’une dévia­tion intel­lec­tuelle quelconque ».

Et ceci a été per­mis sans doute par la Sagesse divine pour qu’on se rap­pe­lât ce qu’il advint durant le pro­cès qui sui­vit l’Agonie. « Cependant les prin­ces des prêtres et tout le Conseil cher­chaient un faux témoi­gnage contre Jésus et ils n’en trou­vaient point… »

10ème appa­ri­tion