Un prêtre peut-​il refuser le baptême ?

Les parents de l’en­fant à bap­ti­ser, ain­si que les per­sonnes qui vont assu­mer la charge de par­rains, seront dûment ins­truits de la signi­fi­ca­tion de ce sacre­ment et des obli­ga­tions qu’il com­porte … (Can 851, 2°)

Pour qu’un enfant soit bap­ti­sé lici­te­ment, il faut : 1° que les parents y consentent, ou au moins l’un des deux, ou ceux qui tiennent légi­ti­me­ment leur place ; 2° qu’il y ait un espoir fon­dé que l’en­fant sera édu­qué dans la reli­gion catho­lique ; si cet espoir fait tota­le­ment défaut, le bap­tême sera dif­fé­ré, selon les dis­po­si­tions du droit par­ti­cu­lier, et les parents infor­més du motif. (Can 868, §1)

Les faits

Il y a peu, les médias annon­çaient : un prêtre refuse de bap­ti­ser un bébé parce que sa sœur ne va pas au caté­chisme1. Malgré sa briè­ve­té visant à don­ner une impres­sion d’ob­jec­ti­vi­té (on vous donne sim­ple­ment les faits sans com­men­taires ni inter­pré­ta­tions), cette nou­velle péchait par un grand manque d’ob­jec­ti­vi­té. On vou­lait nous pré­sen­ter ce prêtre comme une curé-​fonctionnaire qui aurait méca­ni­que­ment refu­sé de bap­ti­ser un nour­ris­son sur la simple consta­ta­tion de la non-​assistance de sa sœur au caté­chisme. Or, rien n’est moins vrai. Le jour­nal La Croix(1) qui a pris la peine d’in­ter­ro­ger le prêtre mis en cause, le père Gérard Urvoy, nous apprend que la ques­tion n’est pas si simple. Il y a mani­fes­te­ment un désac­cord avec la famille sur la signi­fi­ca­tion du bap­tême. Le père Urvoy, sou­cieux de son devoir de pas­teur d’âme, a cher­ché pen­dant plu­sieurs mois à faire prendre conscience aux parents que la demande de bap­tême pour leur enfant sup­pose de leur part un enga­ge­ment à lui don­ner une édu­ca­tion chré­tienne. Peine per­due, ceux-​ci ne veulent pas for­cer leurs enfants (sic) ; au point de refu­ser d’a­me­ner leur troi­sième enfant de 7 ans « à une petite célé­bra­tion d’é­veil à la foi », seule condi­tion concrète posée par le prêtre. Mais dans ce cas, pour­quoi ne vont-​ils pas jus­qu’au bout de leur démarche en lais­sant leur enfant choi­sir aus­si d’être bap­ti­sé au non ? En le fai­sant bap­ti­ser, ils décident pour lui car le bap­tême fait de lui à jamais un fils de Dieu, signé de la marque indé­lé­bile du carac­tère bap­tis­mal avec les obli­ga­tions que sup­posent une telle condi­tion. Ce n’est pas lui rendre ser­vice que de le pri­ver ensuite de l’é­du­ca­tion chré­tienne qui lui per­met­trait de connaître et rem­plir ces obli­ga­tions contrac­tés au baptême.

Mais, on sent poindre un autre reproche bien plus grave dans cette infor­ma­tion : encore un réflexe com­mu­nau­taire de l’Eglise qui a de plus en plus ten­dance à se replier sur elle-​même. Elle ne sait plus qu’é­loi­gner les gens en s’ac­cro­chant à des exi­gences d’un autre temps qui ne sont plus en phase avec les besoins de l’homme moderne. La Conférence des évêques de France en a bien conscience et cherche à répondre à cette accu­sa­tion en la per­sonne de son secré­taire géné­ral adjoint, Mons. André Dupleix, rédac­teur de la ques­tion du jour dans le jour­nal La Croix(1) (édi­tion du mer­cre­di 25 février) : Un prêtre peut-​il refu­ser le bap­tême d’un enfant ? Qu’on ne s’in­quiète pas, nous rassure-​t-​il, il n’est pas ques­tion de reve­nir à des pra­tiques d” « il y a trente ou qua­rante ans ». Le Droit Canon, il est vrai, pose deux condi­tions pour qu’un enfant soit bap­ti­sé lici­te­ment : le consen­te­ment des parents (ce n’est pas ce qui est en cause ici) et un « espoir fon­dé que l’en­fant sera édu­qué dans la reli­gion catho­lique ». Mais, insiste Mons. Dupleix, pour « dif­fé­rer » le bap­tême, ce même Droit Canon exige que cet espoir fasse « tota­le­ment défaut » ce qui concrè­te­ment n’ar­rive jamais. Le père Urvoy a fait preuve d” « une exi­gence exces­sive avec des per­sonnes qui entrouvrent par­fois la porte. » (.)

« Le prêtre est invi­té à dis­cer­ner dans le cœur des parents le sou­hait d’ou­vrir à leurs enfants la pos­si­bi­li­té d’un che­min spi­ri­tuel. » N’était-​ce pas là la démarche des parents reje­tés par le père Urvoy, eux qui consi­dèrent le bap­tême de leur fils comme « un besoin de lui ouvrir une porte ». Assurément, le père Urvoy en est res­té à des pra­tiques d” « il y a trente ou qua­rante ans » et s’est révé­lé inca­pable de dis­cer­ner ce sou­hait non « expri­mé dans les termes pré­cis de la pro­fes­sion de foi ! »

Ainsi, sous la plume de Mons. Dupleix, l” « espoir fon­dé que l’en­fant sera édu­qué dans la reli­gion catho­lique » exi­gé par le Droit Canon est deve­nu en quelques lignes « le sou­hait d’ou­vrir à leurs enfants la pos­si­bi­li­té d’un che­min spi­ri­tuel. » Cette for­mule est tel­le­ment vague qu’on trou­ve­ra tou­jours le moyen de l’ap­pli­quer à tout le monde. Mais n’est-​ce pas là le but de la confé­rence épis­co­pale qu’il repré­sente ? Conclusion : dans la pra­tique, on n’ap­pli­que­ra pas la loi de l’Église mais on conti­nue­ra à bra­der le bap­tême aux moins offrants.

Les principes

Cet épi­sode a le grand mérite d’at­ti­rer notre atten­tion sur un pro­blème pas­to­ral de plus en plus actuel. On constate depuis plu­sieurs années déjà chez de nom­breux catho­liques une dra­ma­tique dimi­nu­tion de la pra­tique reli­gieuse accom­pa­gnée d’un grand obs­cur­cis­se­ment de la foi. Quelques-​uns conti­nuent cepen­dant à sol­li­ci­ter cer­tains sacre­ments, prin­ci­pa­le­ment ceux de bap­tême et de mariage. Il convient alors de s’in­ter­ro­ger sur leur moti­va­tion, leurs dis­po­si­tions et, fina­le­ment, sur l’op­por­tu­ni­té d’ac­cé­der à leur demande.

Les sacre­ments ont été ins­ti­tués par Dieu pour nous confé­rer la grâce. Celle-​ci est sur­na­tu­relle et dépasse abso­lu­ment les capa­ci­tés de notre nature humaine. Seul Dieu peut la pro­duire en notre âme. Elle est un don gra­tuit de son infi­nie misé­ri­corde auquel nous n’a­vons aucun droit.

Nous ne pou­vons pas l’exi­ger de Dieu ; ni elle, ni les sacre­ments qui nous la confèrent. On ne peut donc abso­lu­ment pas par­ler de droit aux sacre­ments. Dieu en est le seul maître avec pleine liber­té de poser des condi­tions à leur octroi. Il le fait par l’in­ter­mé­diaire de l’Église qu’il en a consti­tuée la dépo­si­taire et l’administratrice.

Fidèle à sa mis­sion, celle-​ci demande, avant tout, que les sacre­ments soient trai­tés avec le plus grand respect.

Comme tous les sacre­ments de la Nouvelle Loi, ins­ti­tués par Notre-​Seigneur, sont les prin­ci­paux moyens de sanc­ti­fi­ca­tion et de salut, il faut mettre la plus grande dili­gence et révé­rence à les confé­rer et à les rece­voir d’une façon oppor­tune et digne.

D. C. 1917 : Can 731,1 – D.C. 1983 : Can 840

Les sacre­ments sont des rites sacrés ins­ti­tués par Dieu et doivent donc être admi­nis­trés et reçus avec tout le res­pect dû au sacré. L’Église fait un devoir aux ministres de « suivre avec dili­gence les rites et céré­mo­nies pres­crites dans le rituel pour leur admi­nis­tra­tion » (Rituel, Titre I, Chap. I, 15 ; ain­si que le Droit Canon). Les fidèles, eux, « doivent les rece­voir avec révé­rence et y assis­ter pieu­se­ment et dévo­te­ment en évi­tant les paroles inutiles et les com­por­te­ment inap­pro­priés » (Rituel, Titre I, Chap. I, 16, ain­si que le Droit Canon)

Bien plus impor­tantes encore sont les dis­po­si­tions inté­rieures de ceux qui demandent à rece­voir les sacre­ments. Ils doivent avoir la droite inten­tion, c’est à dire vou­loir les rece­voir avec l’in­ten­tion de par­ti­ci­per à un rite sacré pour y rece­voir les grâces de Dieu. Les sacre­ments ne sont pas des rites super­sti­tieux ou des cou­tumes folk­lo­riques, voire même des occa­sions de faire la fête et ne peuvent être admi­nis­trés à qui­conque ne les consi­dé­re­raient que comme tel. Il fau­dra d’a­bord aider cette per­sonne à com­prendre qu’ils sont bien plus que cela et ne peuvent être confé­ré qu’à ceux qui ont la foi catho­lique et les dis­po­si­tions requises pour les rece­voir. Le code de Droit Canon de 1983 demande aux pas­teurs d’âmes « de veiller à ce que les per­sonnes qui demandent les sacre­ments soient pré­pa­rées à les rece­voir par l’é­van­gé­li­sa­tion vou­lue et la for­ma­tion caté­ché­tique ». S’il s’a­vère impos­sible d’a­me­ner le deman­deur à embras­ser ces dis­po­si­tions, il fau­dra, alors, dou­ce­ment mais fer­me­ment dif­fé­rer l’ad­mi­nis­tra­tion du sacrement.

Le cas du bap­tême, qui nous inté­resse ici, est un peu dif­fé­rent, car il est géné­ra­le­ment admi­nis­tré à des enfants n’ayant pas encore atteint l’âge de rai­son. Ils ne peuvent donc pas y être pré­pa­rés. Cependant, sa récep­tion, en fai­sant d’eux des membres de l’Église, leur confère cer­taines obli­ga­tions qu’ils devront assu­mer plus tard. Les parents qui demandent pour eux le bap­tême devront donc leur don­ner les moyens de le faire. Le code de Droit Canon de 1983 demande que « les parents de l’en­fant à bap­ti­ser, ain­si que les per­sonnes qui vont assu­mer la charge de par­rains, soient dûment ins­truits de la signi­fi­ca­tion de ce sacre­ment et des obli­ga­tions qu’il com­porte ».

Il pré­cise ensuite ces obli­ga­tions en deman­dant que « l’en­fant soit édu­qué dans la reli­gion catho­lique » (D. C. 1917 : Can 750, §2 – D.C. 1983 : Can 868, §2). Cela est tel­le­ment impor­tant pour l’Église que, s’il n’y a pas d’es­poir fon­dé qu’une édu­ca­tion catho­lique soit dis­pen­sée au bap­ti­sé, elle demande que le bap­tême soit dif­fé­ré jus­qu’à ce que celle-​ci soit assu­rée. Comme toute bonne mère, elle ne peut, en effet, se résoudre à don­ner la vie – ici la vie sur­na­tu­relle de l’âme – sans pou­voir ensuite assu­rer sa conser­va­tion et son déve­lop­pe­ment. Or ceux-​ci sont impos­sibles chez le bap­ti­sé sans une édu­ca­tion catho­lique. Aussi l’Église n’é­pargne aucune peine pour la pro­cu­rer à ses enfants. Elle en exige la pro­messe écrite lors du mariage d’un de ses enfants avec un non-​catholique. Elle s’en assure auprès des parents avant de confé­rer le bap­tême et pré­fé­re­ra renon­cer à admi­nis­trer celui-​ci si un espoir fon­dé de cette édu­ca­tion fait défaut.

On ne man­que­ra pas de nous objec­ter que la néces­si­té de rece­voir le bap­tême pour être sau­vé devrait prendre le pas sur toute autre consi­dé­ra­tion et faire, au contraire, une obli­ga­tion à l’Église de confé­rer le bap­tême au plus grand nombre pos­sible. Ce serait oublier que les sacre­ments , pour être effi­caces, requièrent un mini­mum de dis­po­si­tions chez le réci­pien­daire. En l’ab­sence de celles-​ci, leur récep­tion ne pour­rait être que nui­sible. Ainsi, saint Paul nous dit du sacre­ment de l’Eucharistie que « celui qui mange et boit [indi­gne­ment], sans dis­cer­ner le corps du Seigneur, mange et boit son propre juge­ment » (I Cor, XI, 29).

Quant au bap­tême, A. Chanson affirme dans un livre qui fait réfé­rence (Pour mieux admi­nis­trer, p. 74) qu » « il vaut mieux lais­ser [un enfant] sans bap­tême que d’en faire un apos­tat de demain ». Saint Thomas d’Aquin ne dit pas autre chose dans sa Somme Théologique (IIa IIae, q. 10, a. 12) pour jus­ti­fier la cou­tume immé­mo­riale de l’Église de ne pas bap­ti­ser les enfants des infidèles :

« C’est à cause du péril de la foi. Car, si ces enfants n’ayant pas encore l’âge de rai­son rece­vaient le bap­tême, par la suite, lors­qu’ils par­vien­draient à l’âge par­fait, ils pour­raient faci­le­ment être entraî­nés par leurs parents à aban­don­ner ce qu’ils ont reçu sans savoir. »

Il est vrai qu’i­ci Saint Thomas envi­sage le cas où l’en­fant serait bap­ti­sé contre l’a­vis de ses parents ce qui explique que ceux-​ci seraient enclins à les éloi­gner de la foi. Cependant, on peut rete­nir son inquié­tude légi­time pour la perte de la foi chez ces enfants. Cette inquié­tude est cer­tai­ne­ment aus­si légi­time dans le cas d’en­fants qui, en rai­son de l’in­dif­fé­rence de leurs parents, ne rece­vraient aucune édu­ca­tion catho­lique tout en étant constam­ment expo­sés à l’in­fluence contraire de notre socié­té déchristianisée.

Notons aus­si que le bap­ti­sé, étant deve­nu membre de l’Église, est sou­mis à ses lois ce qui serait très dom­ma­geable à ces enfants bap­ti­sés sans être éle­vés chré­tien­ne­ment et donc igno­rants ces lois aux­quelles leur bap­tême les sou­met. Par exemple, le mariage d’un bap­ti­sé n’est valide que s’il est contrac­té selon les lois de l’Église, tan­dis qu’un mariage civil d’un non-​baptisé est recon­nu valide.

Enfin, il nous reste à pré­ci­ser, tou­jours avec saint Thomas, que si il y a, pour ces enfants, péril de dam­na­tion par manque de bap­tême, la res­pon­sa­bi­li­té en incombe aux parents car nous dit-​il : « pro­cu­rer aux enfants … les sacre­ments du salut, c’est l’af­faire de leurs parents » (IIa IIae, q. 10, a. 12, ad 5). En effet, l’Église se doit ici de res­pec­ter la loi natu­relle ins­tau­ré par Dieu qui donne aux parents un droit invio­lable sur l’é­du­ca­tion de leurs enfants.

En effet, bien que l’Église, consciente, comme elle l’est, de sa mis­sion divine uni­ver­selle et de l’o­bli­ga­tion qu’ont tous les hommes de pra­ti­quer l’u­nique et vraie reli­gion, ne se lasse pas de reven­di­quer pour elle le droit et de rap­pe­ler aux parents leur devoir de faire bap­ti­ser et d’é­le­ver chré­tien­ne­ment les enfants de parents catho­liques, elle reste, cepen­dant, si jalouse de l’in­vio­la­bi­li­té du droit natu­rel de la famille en matière d’é­du­ca­tion, qu’elle ne consent pas, sinon sous des condi­tions et garan­ties déter­mi­nées, à bap­ti­ser les enfants des infi­dèles ou à dis­po­ser de leur édu­ca­tion de quelque manière que ce soit contre la volon­té de leurs parents, aus­si long­temps que les enfants ne peuvent se déter­mi­ner d’eux-​mêmes à embras­ser libre­ment la foi.

Pie XI, Divini Illius Magistri

Dans la pra­tique, il revient au prêtre d’é­tu­dier chaque cas en par­ti­cu­lier avec le sou­cis de mettre à pro­fit la démarche des parents pour éveiller leur foi.

Pour les fidèles, il n’est pas tou­jours pru­dent de pro­po­ser le bap­tême aux familles qui ne le demandent pas, car il serait regret­table de les expo­ser ensuite à un refus ou de les pous­ser à une démarche qui man­que­rait de sincérité.

On rap­pel­le­ra aux reli­gieuses et aux mili­tants d’ac­tion catho­lique qu’ils ne doivent pas, pour obte­nir de tels bap­têmes, faire des pres­sions indis­crètes qui pour­raient entraî­ner un défaut de sincérité.

Directoire Episcopal sur la Pastorale des Sacrements, 3 avril 1951

Abbé François Castel

Extrait de La Sainte Ampoule n° 173 d’a­vril 2009

  1. Journal La Croix du mer­cre­di 25 février 2009, article Le refus d’un bap­tême secoue le dio­cèse de Nantes. []