Saint Pie X, « Le champion de la liberté et des droits de l’Eglise »

Pour le cen­te­naire de son entrée au ciel, nous pour­sui­vons notre hom­mage à saint Pie X en consi­dé­rant le troi­sième « grand amour » qui brû­lait dans son âme.

Le pape Pie XII a en effet pu dire que Pie X avait « trois grands amours : l’amour de la pure­té de la doc­trine catho­lique, l’amour de la liber­té de l’Eglise et de la réforme du droit ecclé­sias­tique, l’amour de la vie inté­rieure reli­gieuse du cler­gé et du peuple chré­tien »((Discours du 19 août 1939 aux pèle­rins de Vénétie, pour le 25e anni­ver­saire de la mort de Pie X)). Dans des articles pré­cé­dents nous avons déjà vu deux de ces amours, deux aspects de l’âme de saint Pie X ; il nous reste à voir le troi­sième : « l’amour de la liber­té de l’Eglise et de la réforme du droit ecclé­sias­tique ». Nous par­le­rons briè­ve­ment de la réforme du droit canon, pour nous atta­cher sur­tout à ce qui concerne la liber­té de l’Eglise.

Le droit canon

Dès le début de son pon­ti­fi­cat, saint Pie X conçut le pro­jet de réunir toutes les lois de l’Eglise dans un code unique et clair. Beaucoup voyaient le besoin d’une telle tâche, mais elle était si ardue et colos­sale que per­sonne n’avait osé l’affronter jusque-​là. Pie X l’entreprit. Il consul­ta les évêques du monde entier, et fit appel à de nom­breux experts de divers pays pour les asso­cier aux tra­vaux, que lui-​même super­vi­sait. Le Code de droit cano­nique sera presque ache­vé à sa mort.

Sur cette immense œuvre légis­la­tive, nous nous conten­te­rons de rap­por­ter le juge­ment de Pie XII : « Il tra­vailla à la codi­fi­ca­tion du droit cano­nique, chef‑d’œuvre, on peut le dire, de son pon­ti­fi­cat. (…) Il s’y consa­cra avec une appli­ca­tion infa­ti­gable. S’il ne lui fut pas per­mis de conduire cette œuvre immense jusqu’à son terme, lui seul, pour­tant, a le droit d’être regar­dé comme l’auteur de ce code »((Discours à l’occasion de la béa­ti­fi­ca­tion, le 3 juin 1951.)).

Une telle appré­cia­tion montre comme nous devons être atta­chés au code de droit que nous a lais­sé saint Pie X, d’autant plus en cette crise de l’Eglise où les moder­nistes qui ont le pou­voir ont for­gé, outre une nou­velle doc­trine et un nou­veau culte, éga­le­ment un nou­veau code de lois.

La défense de l’Eglise

De par sa fonc­tion le pape n’est pas seule­ment le défen­seur de la foi et de la doc­trine, il est aus­si celui des droits de l’Eglise, qui sont les droits mêmes de Dieu. Ici encore, on s’aperçoit en lisant les Actes de saint Pie X que la solu­tion à ces ques­tions est don­née à chaque fois magis­tra­le­ment, il nous suf­fit de nous ins­pi­rer des véri­tés immuables qu’il enseigne, et de la sagesse de son gou­ver­ne­ment : il est « le saint pro­vi­den­tiel du temps pré­sent »((Pie XII, dis­cours à l’occasion de la cano­ni­sa­tion, le 29 mai 1954.)).

Saint Pie X se trouve confron­té à un monde où l’homme ne tient aucun compte de la sou­ve­rai­ne­té de Dieu, et fait tout pour le chas­ser de la socié­té et prendre sa place. « Il n’est effort ni arti­fice que l’on ne mette en œuvre pour abo­lir entiè­re­ment son sou­ve­nir et jusqu’à sa notion… L’homme, avec une témé­ri­té sans nom, a usur­pé la place du Créateur en s’élevant au-​dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu », écrit-​il dans sa pre­mière encyclique((Encyclique E supre­mi du 4 octobre 1903.)). Et il donne dès lors ce que sera son pro­gramme : « Restaurer toutes choses dans le Christ ».

Inlassablement, rame­ner les hommes à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Dans le domaine poli­tique, cela veut dire la recon­nais­sance publique du Rédempteur par les gou­ver­ne­ments des hommes, qui est la clef de voûte de la civi­li­sa­tion chrétienne.

Pour savoir ce que sera saint Pie X dans ses rap­ports avec les Etats, emprun­tons à un homme poli­tique son juge­ment sur le nou­veau pape. Voici com­ment Emile Ollivier, ancien ministre du Second Empire, livre ses impres­sions d’audience dès la pre­mière année du pon­ti­fi­cat : « A mon sens, il pos­sède beau­coup plus que Léon XIII les véri­tables qua­li­tés d’un homme d’Etat. Il ne s’abandonne point à la rêve­rie ni aux hypo­thèses pro­blé­ma­tiques, mais conserve le sen­ti­ment de la réa­li­té immé­diate pour juger d’un coup d’œil ce qui est pos­sible ou ce qui ne l’est pas. (…) Si les cir­cons­tances deve­naient dif­fi­ciles, attendez-​vous de sa part à de grandes choses. Il sera, à l’occasion, un héros et un saint »((Cité dans Pie X et la France par Hary Mitchell, NEL, p. 190.)).

Cette sain­te­té héroïque, saint Pie X la mon­tra spé­cia­le­ment quand il s’est agi de la défense de l’Eglise et de sa liber­té. Son zèle fut alors intré­pide. Il « appa­rut sur le trône de Pierre comme le cham­pion de la liber­té et des droits de l’Eglise », dira Pie XII((Discours du 19 août 1939 aux pèle­rins de Vénétie.)). Pie X aimait citer cette pen­sée fami­lière à saint Anselme : « Dieu n’a rien de plus cher au monde que la liber­té de son Eglise »((Lettre de saint Anselme au roi Baudouin de Jérusalem.)). Surmontant toutes les contra­dic­tions, il a su défendre les droits de l’Eglise avec fer­me­té et ne crai­gnait pas de dire leurs véri­tés aux puis­sants de ce monde.

La séparation de l’Eglise et de l’Etat

Le cœur du pape était déchi­ré par les per­sé­cu­tions cruelles que l’Eglise subit sous son pon­ti­fi­cat en un cer­tain nombre de pays. Les témoins ocu­laires racontent que lors des audiences, quand il fai­sait allu­sion à ces dou­leurs, il ne réus­sis­sait pas à rete­nir ses larmes. En effet en de nom­breux Etats les enne­mis de Dieu œuvraient à l’apostasie de la socié­té, en éloi­gnant tou­jours plus les lois civiles des prin­cipes de la foi et de la morale catho­liques. C’était le cas en Espagne, au Mexique, en Equateur, en Bolivie. Le som­met de la vio­lence fut atteint au Portugal ; avec une cha­ri­té évan­gé­lique, saint Pie X vint au secours des vic­times de la per­sé­cu­tion, accueillant au Vatican les prêtres et évêques portugais.

Le cadre de cet article nous obli­geant à nous limi­ter, nous étu­die­rons spé­cia­le­ment l’attitude de saint Pie X à l’égard de ce qui se pas­sa en France, car c’est la plus riche d’enseignements. Dans ce pays, les gou­ver­ne­ments sous influence maçon­nique était déchaî­nés ouver­te­ment contre Dieu et contre l’Eglise. Cette lutte impla­cable s’était tra­duite depuis 1879 par toute une série de lois : rap­pe­lons l’instauration de l’école laïque, la per­sé­cu­tion des congré­ga­tions reli­gieuses, la laï­ci­sa­tion des tri­bu­naux, des hôpi­taux, des cime­tières et de l’armée, la loi sur le divorce… En 1904 c’était l’interdiction à toute congré­ga­tion reli­gieuse d’enseigner ; plus de 2500 écoles catho­liques sont alors fermées.

La République fran­çaise se vou­lait « laïque », la sépa­ra­tion de l’Eglise et de l’Etat figu­rait au pre­mier plan du pro­gramme des francs-​maçons. Il fal­lait donc rompre le concor­dat avec l’Eglise, tout en cher­chant à rendre l’Eglise res­pon­sable de la rup­ture. Le 9 décembre 1905 est pro­mul­guée la loi de sépa­ra­tion entre l’Eglise et l’Etat votée par le Parlement fran­çais : « une loi non de sépa­ra­tion mais d’oppression », dira saint Pie X1, pro­mul­guée en haine de l’Eglise et contre toute jus­tice. C’était l’apostasie offi­cielle de la France, et les francs-​maçons chan­taient victoire.

La condamnation de la loi

Comme chaque fois que les droits de Dieu étaient en cause, Pie X, entiè­re­ment domi­né par la pen­sée de sa res­pon­sa­bi­li­té de vicaire du Christ, va rem­plir son devoir apos­to­lique, avec gra­vi­té. Le grand pon­tife « pro­tes­ta solen­nel­le­ment et de toutes ses forces » contre cette abo­mi­na­tion com­mise par « les sectes impies ». Le 11 février 1906 il condam­nait, devant Dieu et devant les hommes, la loi de sépa­ra­tion par son ency­clique Vehementer. Dans cette lettre, il condamne « la loi votée en France sur la sépa­ra­tion de l’Eglise et de l’Etat comme pro­fon­dé­ment inju­rieuse vis-​à-​vis de Dieu, qu’elle renie offi­ciel­le­ment, en posant le prin­cipe que la République ne recon­naît aucun culte ; comme vio­lant le droit natu­rel, le droit des gens et la fidé­li­té publique due aux trai­tés ; comme contraire à la consti­tu­tion divine de l’Eglise, à ses droits et à sa liber­té ; comme ren­ver­sant la jus­tice et fou­lant aux pieds les droits de pro­prié­té que l’Eglise a acquis à des titres mul­tiples, et, en outre, en ver­tu du concor­dat ; comme gra­ve­ment offen­sante pour la digni­té de ce Siège apos­to­lique, pour Notre per­sonne, pour l’épiscopat, pour le cler­gé et pour tous les catho­liques français ».

Le pape disait qu’il indi­que­rait en temps oppor­tun ce qui lui paraî­trait devoir être fait pour défendre et conser­ver la reli­gion en France. Au déchaî­ne­ment des pas­sions, il oppo­sa le calme. Il réflé­chit et pria, et atten­dit pour pré­pa­rer les esprits et éta­blir l’accord néces­saire entre l’épiscopat et le Saint-​Siège. Quand les évêques et les fidèles furent prêts à écou­ter le pape, il publia à quelques mois d’intervalle deux ency­cliques sur la per­sé­cu­tion contre l’Eglise en France : Gravissimo offi­cii le 10 août 1906, et Une fois encore le 6 jan­vier 1907. Comme ces deux ency­cliques sont proches, nous allons syn­thé­ti­ser leur contenu.

Le refus des associations cultuelles

« On a décla­ré la guerre à tout ce qui est sur­na­tu­rel, parce que der­rière le sur­na­tu­rel Dieu se trouve, et que ce qu’on veut rayer du cœur et de l’esprit de l’homme, c’est Dieu. »

« Après avoir condam­né, comme c’était Notre devoir, cette loi inique, Nous avons exa­mi­né avec le plus grand soin si les articles de ladite loi Nous lais­se­raient quelque moyen d’organiser la vie reli­gieuse en France de façon à mettre hors d’atteinte les prin­cipes sacrés sur les­quels repose la Sainte Eglise. »

Les auteurs de la loi vou­laient impo­ser à l’Eglise un sta­tut qui impli­quait le prin­cipe d’une ingé­rence laïque, du moins ils espé­raient l’y obli­ger. Le moyen choi­si consis­tait à attri­buer la res­pon­sa­bi­li­té du culte à des asso­cia­tions de per­sonnes laïques, indé­pen­dantes de la hié­rar­chie ecclé­sias­tique, et sou­mises au pou­voir civil. Ces asso­cia­tions appe­lées cultuelles avaient seules des droits aux yeux de l’Etat pour pos­sé­der et admi­nis­trer des biens comme les églises, gérer les paroisses, etc.

Les pro­tes­tants et les juifs acce­ptèrent les dis­po­si­tions de la loi et consti­tuèrent ces asso­cia­tions qui leur per­mirent de conser­ver leurs biens.

Beaucoup en France, dans l’Eglise comme par­mi les hommes poli­tiques, espé­raient voir le pape entrer dans une voie d’accommodement avec la loi. A l’Assemblée plé­nière des évêques de France, un bon nombre s’était pro­non­cé en faveur d’associations qui auraient eu un pré­sident laïque res­pon­sable devant le pou­voir civil, et un direc­teur ecclé­sias­tique qui serait res­té, pensait-​on, maître de la situa­tion. Après avoir enten­du les dif­fé­rents avis, Pie X refu­sa éner­gi­que­ment cette pro­po­si­tion : « Relativement aux asso­cia­tions cultuelles telles que la loi les impose, Nous décré­tons qu’elles ne peuvent abso­lu­ment pas être for­mées sans vio­ler les droits sacrés qui tiennent à la vie elle-​même de l’Eglise. » Les dis­po­si­tions de la loi « vont direc­te­ment à l’encontre de droits qui, décou­lant de sa consti­tu­tion, sont essen­tiels à l’Eglise », car cette loi confère aux asso­cia­tions « des attri­bu­tions qui sont de la com­pé­tence exclu­sive de l’autorité ecclé­sias­tique », c’est pour­quoi l’Eglise ne peut faire autre­ment que les repous­ser. « C’est per­fi­de­ment mise en demeure de choi­sir entre la ruine maté­rielle et une atteinte consen­tie à sa consti­tu­tion, qui est d’origine divine, qu’elle a refu­sé, au prix même de la pau­vre­té, de lais­ser tou­cher en elle à l’œuvre de Dieu. (…) Au point de vue des biens ecclé­sias­tiques, cette loi est une loi de spo­lia­tion, une loi de confis­ca­tion. »
Repousser le sta­tut pro­po­sé par la loi signi­fiait subir la spo­lia­tion des édi­fices catho­liques et la pau­vre­té du cler­gé. Mais le pape pré­fé­rait voir l’Eglise de France perdre ses biens plu­tôt que de la voir sou­mise aux pres­sions de l’Etat. Pour défendre l’Eglise, il choi­sit pour elle la pau­vre­té plu­tôt que de por­ter atteinte à sa liberté.

A ce moment d’angoisse, il sut ins­pi­rer à l’Eglise de France une confiance inébran­lable dans la Providence : « Ce far­deau que Nous vous impo­sons, sous l’inspiration de Notre amour pour l’Eglise et pour votre patrie, prenez-​le cou­ra­geu­se­ment et confiez tout le reste à la bon­té pré­voyante de Dieu, dont le secours, au moment vou­lu, Nous en avons la ferme confiance, ne man­que­ra pas à la France. »

Il insiste pour finir sur l’union de tous les catho­liques sou­mis au pape : que les catho­liques de France « com­prennent bien que leurs efforts seront inutiles s’ils ne s’unissent pas dans une par­faite entente pour la défense de la reli­gion. » Ils doivent être « unis entre eux, avec leurs évêques et Nous-même ».

Par ailleurs, tirant les consé­quences de la rup­ture uni­la­té­rale du concor­dat par la République, Pie X dési­gna désor­mais les évêques sans aucune concer­ta­tion préa­lable avec le pou­voir civil. Le 25 février 1906, il consa­crait lui-​même à Saint-​Pierre qua­torze évêques fran­çais sans rien deman­der au gou­ver­ne­ment. C’était sa réponse à la maçon­ne­rie. Il adres­sa à ces évêques « une allo­cu­tion sublime, aux accents si fermes et si pro­fon­dé­ment évan­gé­liques qu’ils rap­pe­laient l’héroïsme d’un Jean Chrysostome et d’un Grégoire VII »((Cardinal Elia Della Costa, in car­di­nal Merry del Val, Pie X, Œuvre Saint-​Augustin, 1951.)).

Le jugement de la postérité

A cause des refus du pape, le gou­ver­ne­ment fran­çais éla­bo­ra des mou­tures suc­ces­sives de sa loi, et fina­le­ment pro­cé­da à la dévo­lu­tion des biens de l’Eglise (évê­chés, sémi­naires, pres­by­tères…), sans avoir pu résoudre la ques­tion capi­tale de l’existence légale de l’Eglise en France. La fer­me­té du pape sur­prit les répu­bli­cains et pro­vo­qua l’échec total de leur plan. Pie X avait diri­gé les opé­ra­tions et, par son refus répé­té trois fois, avait accu­lé l’adversaire, au départ maître du ter­rain. « On vit se dres­ser aux yeux du monde moderne cette grande image de doc­teur, de père, de chef. Ce saint monarque éton­na par l’extrême vigueur qu’il mit à sou­te­nir les droits de la véri­té et de la jus­tice, par la gran­deur d’âme qui lui per­mit d’affronter la haine des hommes pour res­ter fidèle à Dieu, par la force qui s’unissait, chez lui, à la dou­ceur d’une cha­ri­té inex­tin­guible »((Nello Vian, Pie X, p. 166.)).

Pie X avait vu clair dans le jeu des per­sé­cu­teurs, dis­cer­né le schisme que cette loi por­tait en germe. L’Eglise de France per­dait ses biens, mais il avait sau­vé l’âme de cette Eglise. Par ce magni­fique exemple il rap­pe­la au monde « que l’homme doit nour­rir ici-​bas des pré­oc­cu­pa­tions plus hautes que celles des contin­gences péris­sables de cette vie, et que la joie suprême, l’inviolable joie de l’âme humaine sur cette terre, c’est le devoir sur­na­tu­rel­le­ment accom­pli coûte que coûte, et, par là même, Dieu hono­ré, ser­vi et aimé par-​dessus tout »((Encyclique Une fois encore.)).

Nous pou­vons admi­rer le grand esprit de foi, carac­té­ris­tique de toute sa vie, qui ins­pi­ra sa conduite en cette affaire. C’est dans sa foi lumi­neuse et sereine qu’il trou­vait les lumières lui indi­quant la conduite à tenir. Les ins­pi­ra­tions divines lui dic­taient des réso­lu­tions qui tour­naient le dos à la pru­dence humaine, mais très fécondes. Les déci­sions de saint Pie X lui acquirent à l’époque l’admiration et la ten­dresse filiale des fidèles de France et de leurs pas­teurs, qui se ser­rèrent plus que jamais autour du pape. Et l’Eglise de France, pauvre mais libre, reprit des forces et se raffermit.

Dans son dis­cours pour la béa­ti­fi­ca­tion, le 3 juin 1951, Pie XII décla­re­ra : « Même dans les périodes les plus dif­fi­ciles, les plus dures, les plus lourdes de res­pon­sa­bi­li­tés, Pie X don­na la preuve de cette pru­dence éclai­rée qui ne manque jamais aux saints. (…) Avec son regard d’aigle plus pers­pi­cace et plus sûr que la courte vue des myopes rai­son­neurs, il voyait le monde tel qu’il était ; il voyait la mis­sion de l’Eglise dans le monde, il voyait avec des yeux de pas­teur saint quel était son devoir (…). L’humble « curé de cam­pagne », comme il vou­lut par­fois se qua­li­fier lui-​même, face aux atten­tats per­pé­trés contre les droits sacrés de Dieu et de l’Eglise, savait se dres­ser, géant, dans toute la majes­té de sa sou­ve­raine auto­ri­té. Alors son non pos­su­mus fai­sait trem­bler et par­fois recu­ler les puis­sants de la terre, en même temps qu’il encou­ra­geait les hési­tants et gal­va­ni­sait les gens timorés. »

On vit dans la suite comme la noble atti­tude de saint Pie X acquit à lui-​même et à l’Eglise un immense pres­tige. Un des plus beaux hom­mages ren­dus à Pie X pour son com­bat pour la liber­té de l’Eglise fut celui d’Aristide Briand, lui-​même franc-​maçon notoire. A l’abbé Renaud char­gé de négo­cier avec lui après la guerre de 1914–1918 la recon­nais­sance des asso­cia­tions diocésaines((Après cette guerre le gou­ver­ne­ment fran­çais assou­plit ses posi­tions, et le conflit avec l’Eglise a eu ten­dance à s’apaiser. )), Briand décla­ra au sujet de Pie X : « C’est le seul qui ait vu clair. (…) Il n’y avait qu’un seul homme qui y voyait clair, un seul qui avait la poli­tique cohé­rente et qui tra­vaillait pour l’avenir : le pape ! »2

La lettre des évêques français

Nous avons dit qu’en 1906 Pie X avait sacré qua­torze évêques fran­çais. En 1923, les dix sur­vi­vants de ces évêques écri­virent au pape Pie XI pour deman­der l’introduction de la cause de béa­ti­fi­ca­tion de Pie X. Dans cette lettre ils disaient :

« A des évêques fran­çais, à ceux spé­cia­le­ment qui furent les « évêques de la Séparation », il convient d’insister sur l’attitude du véné­ré pon­tife en cette conjonc­ture où Pie X fut vrai­ment le Sauveur de l’Eglise de France.

Comprenant que des prin­cipes essen­tiels étaient en cause et qu’en une telle occur­rence, ce serait les com­pro­mettre que de recou­rir aux com­bi­nai­sons, même appa­rem­ment oppor­tunes, de la poli­tique humaine, Pie X se mon­tra uni­que­ment pré­oc­cu­pé de mettre hors d’atteinte, non seule­ment les droits sacrés de l’Eglise, mais l’intégrité même de sa consti­tu­tion. Avec une sûre­té de vue que l’avenir jus­ti­fie­rait, avec une promp­ti­tude, une déci­sion et une fer­me­té qui devaient décon­cer­ter les adver­saires de l’Eglise, pré­voyant bien à quels sacri­fices il vouait, pour de longues années, les catho­liques de France, mais sûr que rien ne leur paraî­trait payer trop cher la liber­té de l’Eglise, Pie X fit écho à la voix du pre­mier pape, en for­mu­lant un Non pos­su­mus sans équi­voque ni réplique. Les évé­ne­ments ont don­né rai­son à la sur­na­tu­relle clair­voyance du pontife. (…)

A la veille d’une grave déci­sion, mon­trant à l’un de nous son cru­ci­fix, il lui confia que c’est au Christ seul qu’il deman­de­rait ses ins­pi­ra­tions : « Je dirai ce qu’il me dira ». Et l’écho résonne encore en nos cœurs de la leçon d’abnégation et de cou­rage qu’à notre pre­mière audience il don­nait à quelques-​uns d’entre nous et qu’il résu­mait lui-​même en ces termes : « Je vous ai appe­lés non à l’honneur et à la gloire, mais aux per­sé­cu­tions et au Calvaire, à la croix et à une lourde croix. » »

Cette très belle lettre nous montre l’ascendant exer­cé par saint Pie X sur les catho­liques de France, depuis les fidèles jusqu’aux évêques : presque tous ont admi­ré son com­por­te­ment en ce moment déci­sif, ont eu le sen­ti­ment d’être diri­gés par un saint, et ont été entraî­nés par lui sur des voies qui les ont fait gran­dir eux-​mêmes dans la sain­te­té. Là aus­si, dans ce domaine plus tem­po­rel de son action pon­ti­fi­cale, Pie X n’a pas été saint seule­ment pour lui-​même, il a été saint en tant que pape, il a été un pas­teur qui a entraî­né son trou­peau à sa suite, et il mérite une immense gratitude.

Abbé Hervé Gresland, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

  1. Encyclique Gravissimo offi­cii. []
  2. Abbé Ferdinand Renaud, Pie X et la sépa­ra­tion, dans Ecclesia de mars 1951. []