Le pape François qualifie la corédemption de la Vierge de « sottise »

Crédit : Antoine Mekary / Godong

Lors de l’homélie pour la célé­bra­tion de la fête de Notre-​Dame de Guadalupe dans la basi­lique Saint-​Pierre, le 12 décembre 2019, le pape François a eu des paroles mépri­santes envers un titre don­né à Marie par la Tradition de l’Eglise.

Même s’il ne s’agit pas d’un ensei­gne­ment solen­nel, ni même ordi­naire, la chose est pro­pre­ment scan­da­leuse : avec une légè­re­té sidé­rante, le vicaire du Christ a balayé d’un revers de main le titre de Marie Corédemptrice. Ce rejet est impie puisqu’il s’agit d’une tra­di­tion bien ancrée et qui a été reprise et déve­lop­pée par plu­sieurs papes ses pré­dé­ces­seurs, du moins jus­qu’à Vatican II.

Une homélie papale

François s’exprime sans papier, mais selon un plan bien déter­mi­né, pour expli­quer plu­sieurs titres décer­nés à Marie. Il en donne trois : femme – ou dame –, mère et dis­ciple. Il ajou­te­ra à la fin celui de « métisse », en réfé­rence au fait que l’image de Notre Dame de Guadalupe se pré­sente, selon l’interprétation habi­tuelle, sous les traits d’une jeune métisse.

Pour le pape, seuls ces titres touchent à l’essentiel, tan­dis que beau­coup d’autres, tels ceux don­nés dans les Litanies de Lorette, sont davan­tage le reflet de la pié­té popu­laire. En revanche, il écarte réso­lu­ment le titre de coré­demp­trice : « Fidèle à son Maître, qui est son Fils, l’unique Rédempteur, elle n’a jamais vou­lu prendre pour elle quelque chose de son Fils. Elle ne s’est jamais pré­sen­tée comme corédemptrice ».

A la fin de cette homé­lie, pro­non­cée la veille du cin­quan­tième anni­ver­saire de son ordi­na­tion sacer­do­tale, il ajoute : « Lorsque l’on vient avec des his­toires selon les­quelles il fau­drait la décla­rer ceci, ou faire cet autre dogme ou cela, ne nous per­dons pas dans un non-​sens ». Telle est la tra­duc­tion de Zenit, agence de presse proche du Saint-​Siège. Un autre site de langue anglaise et de même ten­dance tra­duit : « ne nous éga­rons pas dans une folie (foo­li­sh­ness) ». L’original, en espa­gnol – ne nos per­da­mos en ton­te­ras – se tra­duit exac­te­ment : ne nous per­dons dans ces bêtises, ces sot­tises.

Ainsi donc, il est clair que pour le pape, vou­loir décla­rer la Très Sainte Vierge coré­demp­trice, relè­ve­rait de la « sot­tise », terme qui tra­duit adé­qua­te­ment sa pensée.

La corédemption de la Vierge Marie

Il suf­fit de consul­ter n’importe quel trai­té de mario­lo­gie anté-​conciliaire, pour se rendre compte de l’importance que la notion de coré­demp­tion, appli­qué à la Vierge Marie, avait pris dans la pen­sée théo­lo­gique depuis cinq siècles. Les papes eux-​mêmes avaient encou­ra­gé les théo­lo­giens, ain­si que les fidèles, à mieux com­prendre ce titre de notre Mère du ciel. Il suf­fit pour s’en convaincre de rap­pe­ler les paroles des papes, depuis Pie IX, le pape de l’Immaculée concep­tion, jusqu’à Pie XII, le pape de l’Assomption glo­rieuse de Notre Dame.

Pie IX

Dans la bulle Ineffabilis Deus, qui pro­clame le dogme de l’Immaculée concep­tion en 1854, le pape Pie IX écrit : « C’est pour­quoi, de même que le Christ, Médiateur de Dieu et des hommes, ayant pris la nature humaine, efface le sceau de la sen­tence qui était contre nous, et l’attache en vain­queur à la croix, de même la très sainte Vierge, unie à lui par un lien étroit et indis­so­luble, avec lui et par lui exer­çant des hos­ti­li­tés éter­nelles contre le ser­pent veni­meux, et triom­phant plei­ne­ment de cet enne­mi, a écra­sé sa tête de son pied imma­cu­lé ». Si le mot de coré­demp­trice ne figure pas, l’idée et sa réa­li­té y sont bien exprimées.

Léon XIII

Plusieurs texte du pape Léon XIII expriment même­ment cette doc­trine. Ainsi dans l’encyclique Supremi apos­to­la­tus offi­cio (1883) : « En effet, la Vierge exempte de la souillure ori­gi­nelle, choi­sie pour être la Mère de Dieu, et par cela même asso­ciée à lui dans l’œuvre du salut du genre humain, jouit auprès de son Fils d’une telle faveur et d’une telle puis­sance que jamais la nature humaine et la nature angé­lique n’ont pu et ne peuvent les obtenir ».

Dans une ency­clique sur le rosaire, Jucunda sem­per (1894), le même pape enseigne : « Auprès de la croix de Jésus se tenait debout Marie, sa mère, laquelle, émue pour nous d’une immense cha­ri­té, afin de nous rece­voir pour fils, offrit elle-​même volon­tai­re­ment son Fils à la jus­tice divine, mou­rant en son cœur avec lui, trans­per­cée d’un glaive de dou­leur ».

Dans la consti­tu­tion apos­to­lique Ubi pri­mum (1898), sur la confré­rie du Rosaire : « Dès que, par le plan secret de la divine Providence, nous avons été éle­vés à la chaire suprême de Pierre…, spon­ta­né­ment la pen­sée nous est allée à la grande Mère de Dieu et son asso­ciée à la répa­ra­tion du genre humain ».

Enfin, dans l’encyclique Adjutricem popu­li (1895), Léon XIII donne l’expression la plus com­plète de cette coré­demp­tion, en l’associant à la Médiation uni­ver­selle de Marie : « Car de là, selon les des­seins de Dieu, Elle a com­men­cé à veiller sur l’Eglise, à nous assis­ter et à nous pro­té­ger comme une Mère, de sorte qu’après avoir été coopé­ra­trice de la Rédemption humaine, Elle est deve­nue aus­si, par le pou­voir presque immense qui lui a été accor­dé, la dis­pen­sa­trice de la grâce qui découle de cette Rédemption pour tous les temps ».

Saint Pie X

Ce saint pape a éga­le­ment évo­qué la doc­trine de la coré­demp­tion dans sa célèbre ency­clique Ad diem illum (1904), pour le cin­quan­te­naire de la pro­cla­ma­tion du dogme de l’Immaculée concep­tion : « La consé­quence de cette com­mu­nau­té de sen­ti­ments et de souf­frances entre Marie et Jésus, c’est que Marie « méri­ta très légi­ti­me­ment de deve­nir la répa­ra­trice de l’humanité déchue » (De Excellentia Virginis Mariæ, c. IX), et, par­tant, la dis­pen­sa­trice de tous les tré­sors que Jésus nous a acquis par sa mort et par son sang ». Le saint pape sou­ligne à son tour le lien entre la coré­demp­tion et la média­tion universelle.

Durant le pon­ti­fi­cat de ce glo­rieux pape, un décret du Saint-​Office du 26 juin 1913 a loué « l’habitude d’ajouter au nom de Jésus, celui de sa Mère, notre coré­demp­trice, la bien­heu­reuse Vierge Marie ». La même congré­ga­tion a accor­dé une indul­gence pour la réci­ta­tion de l’oraison dans laquelle Marie est appe­lée « coré­demp­trice du genre humain », le 22 jan­vier 1914.

Benoît XV

A son tour, il a clai­re­ment par­lé de cette doc­trine, dans sa Lettre Inter soli­da­cia : « En s’associant à la Passion et à la mort de son Fils, elle a souf­fert comme à en mou­rir (…) pour apai­ser la jus­tice divine ; autant qu’elle le pou­vait, elle a immo­lé son Fils, de telle façon qu’on peut dire avec rai­son qu’avec lui elle a rache­té le genre humain. Et, pour cette rai­son, toutes les sortes de grâces que nous pui­sons dans le tré­sor de la rédemp­tion viennent à nous, pour ain­si dire, des mains de la Vierge douloureuse ».

Pie XI

Il faut citer d’abord sa lettre Explorata res (2 février 1923), dans laquelle il livre cette belle louange à la Mère du ciel : « Celui-​là n’encourra pas la mort éter­nelle, qui joui­ra sur­tout à son der­nier moment de l’assistance de la Très Sainte Vierge. Cette opi­nion des doc­teurs de l’Eglise, confir­mée par le sen­ti­ment du peuple chré­tien et par une longue expé­rience, s’appuie sur­tout sur ce fait que la Vierge dou­lou­reuse fut asso­ciée à Jésus-​Christ dans l’œuvre de la Rédemption ».

Mais sur­tout, il est le pre­mier pape à uti­li­ser le terme de coré­demp­trice. Dans son radio­mes­sage aux pèle­rins de Lourdes pour le Jubilé de la Rédemption, il fait cette prière : « O Mère de pié­té et de misé­ri­corde, qui assis­tiez votre doux Fils tan­dis qu’Il accom­plis­sait sur l’autel de la Croix la Rédemption du genre humain, comme coré­demp­trice et asso­ciée de ses dou­leurs, conser­vez en nous, et accrois­sez chaque jour, nous vous en prions, les pré­cieux fruits de sa rédemp­tion et de votre com­pas­sion » (29 avril 1935).

Et dans l’Allocution aux pèle­rins de Vicenza (30.11.1933), il affir­mait clai­re­ment : « Le Rédempteur se devait, par la force des choses, d’associer sa Mère à son œuvre. C’est pour­quoi nous l’invoquons sous le titre de coré­demp­trice ».

Pie XII

Le pas­teur angé­lique a plu­sieurs fois décrit le fait de la coré­demp­tion de Marie, même s’il n’emploie pas le mot. Dans l’encyclique Mystici cor­po­ris (1947) par exemple : « Ce fut Marie enfin qui, en sup­por­tant ses immenses dou­leurs d’une âme pleine de force et de confiance, plus que tous les chré­tiens, vraie Reine des mar­tyrs, com­plé­ta ce qui man­quait aux souf­frances du Christ… « pour son Corps qui est l’Eglise » (Col 1, 24) ».

Si le terme de coré­demp­trice ne se trouve pas sous la plume de ce pape, la doc­trine s’y trouve avec toute la net­te­té et le déve­lop­pe­ment pos­sibles. Que l’on en juge par cette cita­tion de l’encyclique Ad cae­li Reginam (1954), sur la royau­té de Marie :

« Dans l’accomplissement de la Rédemption, la très Sainte Vierge fut étroi­te­ment asso­ciée au Christ (…) En effet « Comme le Christ pour nous avoir rache­tés, est notre Seigneur et notre Roi à un titre par­ti­cu­lier, ain­si la Bienheureuse Vierge est aus­si notre Reine et Souveraine à cause de la manière unique dont elle contri­bua à notre Rédemption, en don­nant sa chair à son Fils et en l’offrant volon­tai­re­ment pour nous, dési­rant, deman­dant et pro­cu­rant notre salut d’une manière toute spé­ciale » ».

Une impiété scandaleuse

Le rejet des titres de la Sainte Vierge, spé­cia­le­ment ceux de Corédemptrice et de Médiatrice, trouve son ori­gine dans l’œcuménisme moderne. Déjà, lors de la pro­cla­ma­tion du dogme de l’Assomption de la Très Sainte Vierge en 1950, les moder­nistes s’étaient émus, y voyant un nou­vel obs­tacle posé au rap­pro­che­ment avec les protestants.

Au concile Vatican II, les Pères sup­pri­mèrent pure­ment et sim­ple­ment le sché­ma pré­pa­ré sur la Sainte Vierge, pour ne pas lui don­ner trop d’importance, et en firent un simple cha­pitre de la consti­tu­tion Lumen gen­tium sur l’Eglise. Le Concile recon­naît des titres à Marie tels Avocate, Auxiliatrice, Secourable et même Médiatrice, il la pro­clame Mère de l’Eglise, mais la ten­dance est au minimalisme.

Cette ten­dance sera celle de tous les papes post­con­ci­liaires. Toutefois, l’homélie de François est sans doute la mani­fes­ta­tion la plus nette de ce refus de la Tradition et de ce mépris qui se disait tout bas chez les théo­lo­giens moder­nistes, tels le père Yves Congar, mais qui peut désor­mais se dire tout haut sous la cou­pole de Saint-Pierre.

Source : Fsspx.Actualités