Deux articles intéressants

(15 octobre 2003)

L’euthanasie et le droit naturel

Chers amis !

eux affaires récentes ont été créées média­ti­que­ment, de toute pièce, pour ame­ner l’o­pi­nion fran­çaise farou­che­ment contre, à l’euthanasie.
La pre­mière, l’af­faire Christine Malèvre a fait « flop ». Cette infir­mière de 33 ans, aimait à ce point ses vieux patients qu’elle les a envoyés de l’autre côté sans leur deman­der leur avis, ni celui de la famille. Seule pour­sui­vie pour 7 crimes, dont six ont été rete­nus par la jus­tice, elle a éco­pé de 10 ans de réclu­sion cri­mi­nelle. Cependant l’ap­pel est en cours et l’on ver­ra ce qui reste d’une peine nor­ma­le­ment pré­vue par le droit fran­çais à 30 ans.
« Flop » disons-​nous, parce que, d’une part, elle en a fait trop (le côté « sérial killer » appelle un super flic du type Bruce Willis ou Harrison Ford…) et d’autre part parce qu’il manque tota­le­ment l’élé­ment sentimental-​violon : aucun lien affec­tif patent entre les vic­times et l’as­sas­sin. Bref l’hor­reur sur toute la ligne et l’on a pris les médias en défaut ; mon­ter cette affaire en exergue était une erreur gros­sière. Il y en a tel­le­ment d’autres.
La deuxième est la bonne, avec tous les ingré­dients :un fils deman­deur (Vincent Humbert) ayant écrit au Président de la République – je vous le disais dans le der­nier Mascaret, on le prend pour Dieu celui-​là – tétra­plé­gique, sourd, aveugle et ne com­mu­ni­cant plus que par un pouce… Une mère éplo­rée de l’é­tat de son fils et de ses demandes répé­tées de mou­rir. Quoique de mieux qu’une mère… l’in­fir­mière s’oc­cupe des clients, la maman gère le fruit de ses entrailles. Bref, elle a fait ingur­gi­ter à son fils une dose de bar­bi­tu­rique à assom­mer un bouf, comas immédiat.
Mais le pire du mon­tage n’est pas là. Et là, vous allez voir, c’est très très fort. En soins inten­sifs de réani­ma­tion, Vincent aurait pu être arti­fi­ciel­le­ment main­te­nu en vie : le doc­teur Chaussoy décide alors – de lui-​même – de cou­per les machines et Vincent meure. A l’heure de ces lignes le doc­teur (qui s’est dénon­cé lui-​même pour dis­cul­per la mère !) est le seul tra­duit devant la jus­tice. Fort, vous disais-​je, très, très fort. Car selon les prin­cipes du droit natu­rel (qui existe tou­jours, n’en déplaise aux modernes « théo­lo­giens ») et non pas seule­ment de la doc­trine catho­lique (mais de fait, seule l’Eglise de Jésus-​Christ défend encore le droit natu­rel) « on n’est tenu qu’aux moyens ordi­naires de pré­ser­ver la vie ». Cette courte phrase, aux mille appli­ca­tions devrait quand même être rete­nue par cour, aujourd’­hui par tout catho­lique de bon aloi. Et voi­là le cocasse de l’af­faire : le seul pré­ve­nu, le doc­teur Chaussoy n’a com­mis aucun crime, aucune faute, aucun péché. Débrancher un coma­teux dépas­sé qui n’a aucune chance de sur­vie sans arti­fice est un acte mora­le­ment neutre.
Cette accu­sa­tion et cet acte de Chaussoy couvre celui de la mère qui, lui, est un crime pur et simple, une des quatre mons­truo­si­tés qui crient vers le ciel d’a­près l’Ecriture Sainte (pour rap­pel avec : 1) la tyran­nie, 2) l’ho­mo­sexua­li­té, 3) la réten­tion du salaire des ouvriers).
Et l’af­faire est jouée. Les médias font tour­ner les vio­lons sur cette mère déses­pé­rée, pas même incul­pée, tan­dis qu’ils suivent par­tout dans les bureaux de police et les pré­toires l’in­no­cent Chaussoy.
Innocent ? Sur l’acte, oui évi­dem­ment. Mais sur la reven­di­ca­tion comme sienne de l’i­ni­tia­tive de la mort de Vincent : une fief­fée cra­pule. Car si les méde­cins devaient être inquié­tés à chaque fois que la science doit recon­naître ses limites, ce ne sont plus des pri­sons qu’il fau­drait construire pour eux, mais des ghettos !
On note­ra pour reve­nir à la morale, que la science fait recu­ler nota­ble­ment ces « moyens ordi­naires », est très heu­reux. Ce qui était extra­or­di­naire il y a 30 ans a pu deve­nir chose ordi­naire. On aurait pu refu­ser, par exemple, il n’y a pas si long­temps cer­taines opé­ra­tions du cour, comme les pon­tages coro­na­riens comme extra­or­di­naires. Aujourd’hui ce serait glo­ba­le­ment immo­ral et sui­ci­daire, vu les pro­grès de la méde­cine. C’est dire que la morale catho­lique (=natu­relle) est tout à fait contre l’a­char­ne­ment thé­ra­peu­tique. Ce n’est pas l’ar­rêt des soins inten­sifs déses­pé­rés qui est pec­ca­mi­neux, c’est l’a­char­ne­ment lui-​même, mélange d’or­gueil, de vani­té de la science, de révolte contre la Providence…
Alors, faut-​il légi­fé­rer ? Car telle est la ques­tion ter­rible aujourd’­hui. Vieux reste de la morale natu­relle dans le droit fran­çais : toute atteinte directe et volon­taire à la vie est clas­sée comme crime et mérite les 30 ans. Oui, mais fina­le­ment, non. Oui en soi. Le droit se devrait de pré­ci­ser les limites médi­cales où s’ar­rêtent des soins ordi­naires (y com­pris les doses de « cal­mants » admises en les dis­tin­guant du cock­tail léthal) et où com­mence l’a­char­ne­ment thérapeutique.
Mais mieux vaut pour l’heure en res­ter à la posi­tion du 1er ministre : (qui peut chan­ger à tous moments… on vient d’ou­vrir une com­mis­sion par­le­men­taire) sta­tu quo de la loi sur cet argu­ment très vrai et très beau « la vie n’ap­par­tient pas aux poli­tiques ». Car ce pro­jet de l’eu­tha­na­sie inau­gu­ré par le 3ème Reich, est en éla­bo­ra­tion constante dans les loges depuis 25 ans. Ce n’est donc pas une pré­ci­sion du per­mis ou de l’in­ter­dit moral qui en sor­ti­rait mais une libé­ra­li­sa­tion du crime aus­si odieuse dans la vieillesse que l’a­vor­te­ment en la gestation.
Et qui, réflé­chis­sons bien avant de jouer aux appren­tis sor­ciers et aux scé­na­rios de poli­ciers sor­dides, va néces­sai­re­ment camou­fler une foule de « faux » vrais crimes en « vrais » faux atten­tats. Une des épreuves les plus ter­ribles de la vie d’un homme est de s’oc­cu­per de vieux parents dif­fi­ciles au phy­sique comme au moral. Ouvrir la moindre brèche dans cette dis­po­si­tion légi­time mais oné­reuse du droit natu­rel qui peut « man­ger » lit­té­ra­le­ment la vie d’un bien por­tant, c’est s’ex­po­ser au crime habi­tuel sinon tou­jours en acte, à coup sûr en pensée…
Le crime le plus odieux pour­ra tou­jours trou­ver un amé­na­ge­ment dans une telle loi. Les condi­tions exactes n’au­ront peut-​être pas été res­pec­tées… mais le fond même de la chose sera légal…
C’est pour­quoi, et vu la per­ver­si­té des hommes, tant déci­deurs qu’ad­mi­nis­trés, il est urgent de ne rien faire.

Le Père Gollnisch et sa quête

Texte de l’abbé Guillaume de Tanoüarn

e vou­drais racon­ter ici une his­toire qui n’ar­rive peut-​être que dans le dio­cèse de Paris, parce qu’il est bien géré. Comme tous les habi­tants du quar­tier, j’ai reçu à mon nom, au bureau de Certitudes dans le Quinzième arron­dis­se­ment, un appel à ver­ser le denier de l’Eglise. Il est signé du curé de la paroisse sur laquelle je me trouve, le Père Pascal Gollnisch, qui se trouve être le propre frère d’un cer­tain Bruno, dont on a beau­coup enten­du par­ler ces der­niers temps. C’est donc plein de curio­si­té que, comme chaque année, je me suis pré­ci­pi­té sur son laïus, en essayant de voir com­ment le Père Gollnisch incite ses parois­siens à l’obole.
Autant le dire tout de suite : l’an­née 2003 est un bon crû pour une antho­lo­gie de la reli­gion conci­liaire. Tout en dénon­çant for­mel­le­ment ce genre d’ar­gu­men­ta­tion, je n’ai donc pas été déçu…
Le Père Gollnisch a opté pour une cible large. On le com­prend : il n’est pas néces­saire d’être un fidèle paten­té pour don­ner à la quête : « Au delà des catho­liques, beau­coup d’hommes et de femmes de bonne volon­té s’in­té­ressent à la vie de l’Eglise ». Comment explique-​t-​il cette mer­veilleuse fas­ci­na­tion ? la rai­son qu’il donne peut sur­prendre : « les chré­tiens s’ef­forcent d’être au ser­vice de la paix, du res­pect de cha­cun et du bien com­mun ». Si l’on suit le Père Gollnisch, aider l’Eglise catho­lique maté­riel­le­ment, c’est contri­buer à ce que des gens se mobi­lisent pour vivre de ces valeurs laïques que sont la paix, le res­pect de l’autre et le bien com­mun. L’Eglise ferait ici figure d’ONG, oui d’Organisation Non Gouvernementale, spé­cia­li­sée dans la pro­mo­tion de l’har­mo­nie sociale. Le Père répète d’ailleurs une deuxième fois sous une autre forme ce miri­fique pro­gramme, peut-​être à l’at­ten­tion de ceux qui n’au­raient pas com­pris : « Au sein de notre socié­té, par­ti­ci­pant aux grands débats contem­po­rains, les chré­tiens s’ef­forcent de témoi­gner des valeurs qui per­mettent de mener une exis­tence humaine ». Quelle joie d’a­li­men­ter ain­si le débat démo­cra­tique, en contri­buant à l’é­la­bo­ra­tion d’une jus­tice vrai­ment dia­lo­gale au ser­vice de tous les hommes sans dis­tinc­tion. Cette par­ti­ci­pa­tion de l’Eglise au vivre ensemble de la com­mu­nau­té natio­nale est facile en réa­li­té car « les valeurs qui per­mettent de mener une exis­tence humaine » sont inti­tu­lées « valeurs chré­tiennes » : elles sont ensuite car­ré­ment assi­mi­lées aux « valeurs de l’Evangile ». Le texte marque une sorte d’é­qui­va­lence entre « les valeurs qui per­mettent de mener une exis­tence humaine », les « valeurs chré­tiennes » et les « valeurs de l’Evangile ». Pour qui­conque lit rapi­de­ment et exac­te­ment la prose goll­ni­schienne, l’é­qua­tion est claire : l’Evangile nous apprend d’a­bord à bien faire l’homme comme aurait dit Aristote.
Quel apla­tis­se­ment du mes­sage du Christ ! On peut évi­dem­ment sou­li­gner, à la décharge du Père Gollnisch, qu’il est dif­fi­cile de s’a­dres­ser à tout le monde. On peut noter qu’il n’est pas aisé de deman­der de l’argent à des per­sonnes qui, a prio­ri, ne sont pas catho­liques. Mais enfin il n’empêche. Il me semble qu’il faut com­plè­te­ment revoir la stra­té­gie mar­ke­ting de la paroisse Saint Jean Baptiste de Grenelle. Réfléchissons : lors­qu’un homme adulte et vac­ci­né au XXIème siècle fait un don, il lui importe que l’ouvre pour laquelle il dis­trait quelque chose de ses res­sources ordi­naires appa­raisse comme par­ti­cu­liè­re­ment per­for­mante, ou impor­tante, qu’elle ait quelque chose d’ir­rem­pla­çable. Si, pour défi­nir les chré­tiens, on se contente de dire : ce sont des gens qui ont la médaille d’or du débat démo­cra­tique, il est clair qu’on n’est pas for­cé­ment très attrac­tif. D’autant qu’entre Hollande et Raffarin, le débat démo­cra­tique est actuel­le­ment au plus bas.
Qu’est-​ce donc qu’être chré­tien ? S’agit-​il seule­ment de rendre un témoi­gnage de bonne conduite humaine ? Les apôtres saint Pierre et saint Paul insistent effec­ti­ve­ment sur le « bon renom » des fidèles : il ne faut pas qu’on puisse se moquer de l’Eglise du Christ à cause des fan­tai­sies de tel ou tel. Mais jamais les apôtres n’au­raient osé dire que l’i­den­ti­té chré­tienne consiste à « témoi­gner des valeurs qui per­mettent de rendre une exis­tence humaine ».Cette théo­rie de la plus grande huma­ni­sa­tion de l’homme se trouve dans Vatican II. Pas dans l’Evangile.
Mais de quoi aurait pu par­ler le père Gollnisch, direz-​vous ? Une publi­ci­té récente pour un véhi­cule tout ter­rain de marque Jeep paraît en ce moment ici ou là avec le slo­gan « Laissez par­ler votre âme ». C’est de l’âme qu’il faut par­ler, c’est l’âme qu’il faut lais­ser par­ler. Les grandes ques­tions de notre des­ti­née res­tent aus­si cru­ciales aujourd’­hui qu’­hier. Ce n’est pas parce qu’au der­nier moment trop sou­vent le méde­cin vole aux gens leur mort en four­nis­sant toute la mor­phine néces­saire que l’âme, la résur­rec­tion, la vie éter­nelle ne repré­sentent pas des enjeux consi­dé­rables que cha­cun, croyant ou non, est capable de com­prendre. « Il importe à toute vie de savoir si l’âme est mor­telle ou immor­telle » déclare Pascal. Pourquoi les hommes d’au­jourd’­hui ne pourraient-​ils plus entendre ce lan­gage ? Pourquoi les chré­tiens sont-​ils condam­nés « oppor­tune impor­tune » à cette bouillie huma­ni­taire de bons sen­ti­ments, plus répul­sive qu’at­trac­tive ? Pourquoi l’Eglise oublie-​t-​elle qu’elle rayonne d’a­bord parce qu’elle a les paroles de la vie éternelle ?
On finit par prendre l’ha­bi­tude de cette rhé­to­rique huma­niste, au point de ne plus nous rendre compte à quel point elle est dépla­cée et com­bien elle tra­hit un pro­fond défi­cit d’i­den­ti­té de la part des digni­taires de l’Eglise catho­lique qui l’emploient soir et matin.
Déficit d’i­den­ti­té ? C’est bien cela. A la fin de son cour­rier, le Père Gollnisch, comme n’en pou­vant plus, finit par une sorte d’ap­pel déses­pé­ré : « Nous aime­rions que vous par­ta­giez notre réflexion. Que pen­sez vous de l’Eglise catho­lique ? Que devrait faire la paroisse ? N’hésitez pas à nous le faire savoir ».
On com­prend ce genre de SOS dans la bouche de Marie Georges Buffet suc­cé­dant à Robert Hue à la tête du bateau ivre et se deman­dant à quoi peut bien ser­vir le Parti Communiste Français au XXIème siècle. Cela fait mal dans la bouche d’un curé de paroisse, qui a l’é­ter­ni­té pour lui…