La communion dans la bouche

« Proposer la com­mu­nion uni­que­ment dans les mains des fidèles et refu­ser de la don­ner dans la bouche » : c’est la consigne don­née dans de nom­breux dio­cèses de France pour pré­ve­nir l’expansion du coro­na­vi­rus. Le dio­cèse de Paris l’accompagne d’une vidéo expli­ca­tive. On nous y explique que « jusqu’au Haut Moyen-​Âge dans l’Église, on a tou­jours com­mu­nié dans la main », que c’est cela la tra­di­tion de l’Église et qu’un tel débat (com­mu­nion dans la main ou dans la bouche) n’a aucun sens. 

Quelques pré­ci­sions pour lut­ter contre la dif­fu­sion de fausses nouvelles … 

L’histoire nous apprend que les rites de com­mu­nion ont évo­lué au cours du temps, et qu’ils varient aujourd’hui selon les lieux et les cou­tumes. Il convient donc de ne pas de taxer la com­mu­nion dans la main de pra­tique indigne en soi, puisque les sources his­to­riques nous enseignent qu’elle a été usi­tée en cer­taines par­ties de l’Église jusqu’au IXe siècle.

Cette consi­dé­ra­tion his­to­rique n’est tou­te­fois pas suf­fi­sante pour vali­der la pra­tique actuelle de la com­mu­nion dans la main : ce serait tom­ber dans « ce retour exces­sif à l’archéo­lo­gisme en matière litur­gique » que dénon­çait le pape Pie XII en 1947, dans Mediator Dei. Depuis plus d’un mil­lé­naire, en effet, l’Église a modi­fié sa façon de dis­tri­buer la com­mu­nion. Il y a là un fait mas­sif, qui doit nous faire réfléchir.

L’apparition de la communion dans la bouche

Pour com­prendre ce pas­sage de la com­mu­nion dans la main à la com­mu­nion dans la bouche, il faut d’abord faire une petite dis­tinc­tion, sachant que la com­mu­nion était géné­ra­le­ment don­née sous les deux espèces. Au départ, le fidèle pas­sait devant le prêtre et rece­vait dans la main l’espèce du pain, puis il pas­sait devant le diacre et com­mu­niait en buvant au calice.

Mais, « en plu­sieurs endroits, aus­si bien en Occident qu’en Orient, et dès le VIIe siècle, par sou­ci de com­mo­di­té, de pro­pre­té, on pra­tique le rite de l’intinc­tion. C’est-à-dire que, pour sup­pri­mer l’usage com­mun de la coupe, on trempe dans le calice la par­celle de pain consa­cré avant de la don­ner au fidèle. Cet usage entraîne du même coup la néces­si­té de dépo­ser le pain dans la bouche du com­mu­niant et non plus dans la main droite » (Adrien Nocent,op. cit., p. 77). Là où la com­mu­nion est don­née par intinc­tion (et notam­ment en Orient), c’est donc dès le VIIe siècle que la tran­si­tion de la main à la bouche se réalise.

Là où per­siste la cou­tume plus ancienne de la com­mu­nion en deux phases (et notam­ment en Occident), la dis­tri­bu­tion dans la main se main­tient un peu plus long­temps. « Malgré quelques indi­ca­tions iso­lées datant d’époques anté­rieures, le prin­cipe [de la com­mu­nion dans la bouche dans le rite latin] ne s’affirme qu’au IXe siècle. Il est posé en règle géné­rale par le concile de Rouen (vers 878) : « Qu’on ne pose pas l’Eucharistie dans les mains des laïcs ou des femmes, mais uni­que­ment dans leur bouche ». Des repro­duc­tions [artis­tiques] de ce rite appa­raissent dès les IXe-​Xe siècles » (Joseph-​André Jungmann, Missarum sol­lem­nia, Aubier, 1956, III, p. 314).

« L’Ordo roma­nus VI, qui est du Xe-​XIe siècle, dis­tingue deux manières de rece­voir la com­mu­nion sous l’espèce du pain : les prêtres et les diacres reçoivent de l’évêque le corps du Christ dans leurs mains, les sous-​diacres le reçoivent dans leur bouche. On peut infé­rer que les clercs moindres et les fidèles rece­vaient, comme les sous-​diacres, la sainte hos­tie sur les lèvres, à cette époque » (Pierre Batiffol, Leçons sur la messe, Lecoffre, 1927, p. 288).

Motifs de cette évolution

Pour quelles rai­sons cette évo­lu­tion se produisit-​elle aus­si dans le cadre de la cou­tume plus ancienne ? Elle n’était pas fon­dée, comme pour l’intinction, sur d’immédiates rai­sons pratiques.

Ce fut tout d’abord la crainte des abus, moti­vée appa­rem­ment par des désordres réels et en nombre crois­sant : « Les hommes rece­vaient l’hostie dans la paume de la main droite sou­te­nue par la main gauche et la por­taient eux-​mêmes à leur bouche. (…) Ainsi en fut-​il en Orient comme en Occident durant les six ou sept pre­miers siècles. Des abus s’étant pro­duits, on en vint à la pra­tique actuelle : le prêtre dépo­se­rait lui-​même le pain consa­cré dans la bouche des com­mu­niants » (Liturgia,op. cit., p. 718). « A dis­pen­ser ain­si l’Eucharistie dans les mains des fidèles, on ris­quait que des abus ne fussent com­mis. Des synodes d’Espagne se virent dans le cas de décré­ter que qui­conque reçoit l’Eucharistie et ne la consomme pas est à consi­dé­rer comme sacri­lège » (Joseph-​André Jungmann,op. cit., III, p. 314). « En effet, la récep­tion de la sainte com­mu­nion sur la main n’allait pas sans dan­ger : des par­celles pou­vaient se perdre ; la pro­fa­na­tion de la sainte Eucharistie n’était pas impos­sible » (August Croegaert,op. cit., III, p. 278).

Ce fut ensuite un res­pect crois­sant pour le Saint-​Sacrement : « Plus encore que la crainte d’abus éven­tuels, ce dut être le res­pect crois­sant à l’égard du Sacrement qui condui­sit à pla­cer l’hostie sur les lèvres » (Joseph-​André Jungmann,op. cit., III, p. 314).

Ce fut encore l’évolution maté­rielle des pains eucha­ris­tiques : « La forme du pain eucha­ris­tique était allée se rédui­sant, et l’usage des petites hos­ties se répan­dait de plus en plus » (August Croegaert,op. cit., III, p. 278). Or, « quand les pains [eucha­ris­tiques] devinrent très minces, ils furent dépo­sés dans la bouche des com­mu­niants et non dans leur main droite » (François Amiot, Histoire de la messe, Fayard, 1956, p. 113).

Ce fut enfin la fin de l’oblation per­son­nelle des fidèles. Dans la pri­mi­tive Église, chaque chré­tien devait offrir en mains propres au moins un pain qui serait pré­sen­té à l’autel (même si tous ces pains n’étaient pas for­cé­ment consa­crés), et l’on consi­dé­rait qu’en retour il était logique et sym­bo­lique qu’il reçoive le pain eucha­ris­tié en mains propres. Lorsque cette cou­tume de l’offrande per­son­nelle tom­ba en désué­tude, la réci­proque devint elle aus­si caduque. « Le rite de l’oblation du pain par les fidèles eux-​mêmes était tom­bé en désué­tude, cor­ré­la­ti­ve­ment celui de la récep­tion en mains propres du pain consa­cré. Ainsi, vers le IXe siècle, les fidèles rece­vaient presque par­tout la sainte com­mu­nion, non sur la main, mais sur la langue » (August Croegaert,op. cit., III, p. 278).

Un débat qui n’a aucun sens ?

Le rite a chan­gé pour des rai­sons objec­tives, fon­dées et tou­jours valables qui expliquent pour­quoi, depuis plus d’un mil­lé­naire, l’Église a opté défi­ni­ti­ve­ment pour une cer­taine façon de dis­tri­buer la com­mu­nion, la sainte Eucharistie n’étant plus tou­chée que par les mains des ministres consacrés.

Assurer le respect du Saint-Sacrement

La pre­mière moti­va­tion que l’on peut attri­buer à l’établissement de cette forme de dis­tri­bu­tion de la com­mu­nion est d’ordre pra­tique, à savoir assu­rer le res­pect du Saint-Sacrement.

Les textes des Pères, des conciles et des écri­vains ecclé­sias­tiques, à l’époque où la com­mu­nion pou­vait encore être don­née dans la main, insistent très for­te­ment sur la néces­si­té de veiller à la moindre par­celle (comme des pépites d’or, selon une image com­mune), d’éviter tous les sacri­lèges invo­lon­taires (par une dévo­tion mal éclai­rée) et plus encore les sacri­lèges volontaires.

Veiller à la moindre parcelle

Si, comme l’enseigne la foi de l’Église, et en repre­nant les mots de saint Thomas d’Aquin dans le Lauda Sion, « le Christ est tout entier sous chaque frag­ment comme sous l’hostie entière », il est néces­saire de veiller avec soin, autant que le peuvent les forces humaines, à ce qu’aucune par­celle, aucun frag­ment ne se perde, ne tombe à terre, ne soit fou­lé aux pieds.

Or, la remise de l’hostie dans la main de chaque fidèle, avec toutes les mani­pu­la­tions affé­rentes, mul­ti­plie à l’évidence les risques de perte invo­lon­taire de frag­ments d’hostie. D’autant que le fidèle n’est pas for­cé­ment adroit, n’a pas obli­ga­toi­re­ment les mains propres, n’est pas tou­jours suf­fi­sam­ment for­mé pour manier avec res­pect et atten­tion le Saint-Sacrement.

Pour réduire le plus pos­sible ces risques dans la pra­tique, l’Église a fini par opter pour un rite qui éli­mine la source même des dif­fi­cul­tés, en sup­pri­mant la mani­pu­la­tion des saintes espèces par le fidèle. Désormais, la sainte Eucharistie passe direc­te­ment de la main du ministre sacré à la bouche du com­mu­niant. Le res­pect de la moindre par­celle est mise sous la res­pon­sa­bi­li­té immé­diate du ministre sacré, lequel est for­mé et man­da­té pour cela.

Évidemment, la mise en place pro­gres­sive, en Orient, de la pra­tique de la com­mu­nion par intinc­tion (l’hostie étant trem­pée dans le pré­cieux Sang) ren­dait rigou­reu­se­ment obli­ga­toire cette évo­lu­tion, le risque de perte d’un frag­ment par écou­le­ment étant deve­nu extrê­me­ment important.

Éviter toute profanation

Le deuxième dan­ger que pointent les textes antiques est le sacri­lège, soit invo­lon­taire par l’effet d’une dévo­tion mal ins­pi­rée, soit volontaire.

Il existe, en effet, un risque non ima­gi­naire que le com­mu­niant emporte les saintes espèces pour en faire un usage incon­trô­lé, depuis la véné­ra­tion per­son­nelle dans sa mai­son, l’utilisation comme amu­lette, jusqu’à la pro­fa­na­tion sacri­lège et sata­nique. Les textes de l’époque abondent en mises en garde insis­tantes sur ce point, preuve que, mal­heu­reu­se­ment, de telles pra­tiques étaient nom­breuses. Surtout après la fin des per­sé­cu­tions, lorsque les chré­tiens, dont cer­tains n’étaient qu’imparfaitement conver­tis des rites païens, furent deve­nus extrê­me­ment nombreux.

Ce risque de sacri­lège est aujourd’hui tou­jours d’actualité, et même plus que jamais, dans la socié­té mul­ti­cul­tu­relle où nous vivons. La décla­ra­tion toute récente du père José Marie de Antonio, res­pon­sable de la pas­to­rale des migrants des Hautes-​Pyrénées, en est la preuve tan­gible (Libération du 15 août 2009, p. 13) : « [Des Tamouls non bap­ti­sés] com­mu­nient [à Lourdes]. J’ai vu un jour un homme mettre l’hostie dans sa poche. Il m’a dit : « Je suis hin­douiste, mais je la prends pour l’amener à Paris à ma mère qui est très malade, car c’est une nour­ri­ture divine » ».

Pour évi­ter ces risques objec­tifs, les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques de l’époque ont mul­ti­plié les demandes de pré­cau­tion. Par exemple, les conciles rap­pellent l’obligation que le fidèle consomme immé­dia­te­ment l’hostie, devant le prêtre, lequel doit contrô­ler effec­ti­ve­ment cette consommation.

Mais même cela n’a pas suf­fi pour réduire à un niveau tolé­rable les risques de pro­fa­na­tion. Et, sui­vant la pente nor­male des choses, l’Église a évo­lué vers une pro­cé­dure qui, dans la pra­tique, réduit au mini­mum les pos­si­bi­li­tés d’une uti­li­sa­tion de l’Eucharistie non res­pec­tueuse de sa réa­li­té sainte. En dépo­sant direc­te­ment l’hostie dans la bouche du com­mu­niant, il devient, sinon impos­sible, du moins réel­le­ment dif­fi­cile pour ce der­nier de la récu­pé­rer et de l’utiliser d’une autre façon que pour la com­mu­nion elle-même.

Dans le registre du « symbolique »

Le pre­mier motif de l’évolution du rite de com­mu­nion est donc pra­tique. Ce motif pos­sède une cer­taine impor­tance, bien sûr, mais il n’est ni le seul, ni peut-​être le plus essen­tiel. Si nous nous arrê­tions exclu­si­ve­ment à des consi­dé­ra­tions pra­tiques concer­nant la com­mu­nion, des solu­tions « inno­vantes », issues des tech­niques com­mer­ciales modernes (pour la dis­tri­bu­tion) et des pro­cé­dures sécu­ri­taires (pour empê­cher les pro­fa­na­tions), pour­raient faci­le­ment être trouvées.

Toutefois le rite de dis­tri­bu­tion de la com­mu­nion, au-​delà de son aspect pra­tique (qui existe, évi­dem­ment : il faut bien que, dans la pra­tique, les com­mu­niants reçoivent la sainte Eucharistie), pos­sède un autre aspect beau­coup plus impor­tant : il s’agit d’exprimer par cer­tains gestes, atti­tudes ou paroles la réa­li­té de la sainte Eucharistie, de mani­fes­ter (et de for­mer, à cer­tains égards) les sen­ti­ments inté­rieurs de ceux qui s’approchent de la communion.

Nous sommes ici, comme pour toute la litur­gie, dans l’univers du « sym­bo­lique » plus que dans celui de l’action pure­ment pra­tique. Le registre sym­bo­lique exprime, par des posi­tions du corps ou des expres­sions ver­bales, les sen­ti­ments inté­rieurs de l’âme, sans qu’il existe for­cé­ment, de façon paral­lèle, une uti­li­té pra­tique immé­diate à ce geste. Lorsque l’ancien com­bat­tant dépose une gerbe de fleurs au monu­ment aux morts le 11 novembre, lorsque le maire lit les noms de ceux qui sont « morts au champ d’honneur », cela n’a aucune uti­li­té pra­tique pour ces défunts. Il s’agit en réa­li­té d’exprimer sym­bo­li­que­ment l’hommage des vivants à ceux qui sont tom­bés pour la patrie.

C’est prin­ci­pa­le­ment à la lumière du sym­bo­lisme qu’il convient d’examiner le rite adop­té par l’Église, lorsqu’elle donne la com­mu­nion dans la bouche et non plus dans la main. Tel est le vrai cri­tère litur­gique. Et il faut juger ce rite en fonc­tion des élé­ments les plus fon­da­men­taux de la foi chré­tienne, non en fonc­tion de consi­dé­ra­tions étran­gères, pro­fanes, qui peuvent sans doute avoir leur inté­rêt en d’autres domaines, mais qui n’ont pas lieu de se mani­fes­ter ici.

Exprimer la présence réelle et la révérence due au sacrement

Dans le rite de com­mu­nion, le pre­mier point à expri­mer sym­bo­li­que­ment est la pré­sence réelle du Christ sous les voiles de l’hostie, et en consé­quence la révé­rence due à ce sacre­ment très saint.

Cette pré­sence du plus sacré des mys­tères dans l’hostie, la pré­sence de Dieu même, de Notre Seigneur Jésus-​Christ en per­sonne, est par­ti­cu­liè­re­ment bien expri­mée sym­bo­li­que­ment lorsque seuls les ministres sacrés, qui ont été consa­crés tout spé­cia­le­ment par le rite de l’ordination, touchent de leurs mains les saintes espèces. Il y a là un rite sym­bo­lique remar­qua­ble­ment effi­cace pour expri­mer la dif­fé­rence entre le pain ordi­naire (que tout le monde a l’habitude de tou­cher dans la vie de chaque jour) et le pain eucha­ris­tié, le pain sacré, que les ministres consa­crés touchent seuls. Tout le monde com­prend spon­ta­né­ment le sens de ce rite, y com­pris l’enfant qui ne sait pas encore lire.
C’est là, sans aucun doute, le motif prin­ci­pal du chan­ge­ment de pra­tique réa­li­sé par l’Église il y a plus d’un mil­lé­naire : expri­mer de façon plus vive et plus évi­dente la foi de l’Église dans la pré­sence réelle du Christ.

Les Pères, qui voyaient autour d’eux le rite antique de la dis­tri­bu­tion dans la main, insistent énor­mé­ment dans leurs textes sur le res­pect, la foi, la dévo­tion, la véné­ra­tion, l’adoration qui sont dus à ce Corps pré­cieux du Christ. Ces recom­man­da­tions reviennent comme un leit-​motiv, ce qui tend à mon­trer que le rite antique n’avait sans doute pas toute l’efficacité sym­bo­lique requise pour expri­mer par lui-​même ce dogme cen­tral de la foi. Et, fina­le­ment, l’Église a opté pour un rite qui signi­fie plus clai­re­ment ce point, en réser­vant aux seules mains consa­crées des ministres sacrés, de manière sym­bo­lique, la mani­pu­la­tion des saintes espèces.

Manifester la « réception » du sacrement, et les deux sacerdoces

Le deuxième point à expri­mer sym­bo­li­que­ment est le carac­tère « reçu » et non « dû » du sacre­ment. Ici, un texte du car­di­nal Ratzinger peut nous aider à mieux com­prendre : « Il appar­tient à la forme essen­tielle du sacre­ment d’être reçu, et que per­sonne ne puisse se le don­ner à soi-​même. Personne ne peut se bap­ti­ser soi-​même, ne peut se confé­rer l’ordination sacer­do­tale, ne peut s’absoudre soi-​même de ses péchés. C’est à cette struc­ture de ren­contre qu’est dû le fait que la contri­tion par­faite ne peut, de par sa nature, res­ter inté­rieure, mais exige la forme de ren­contre qu’est le sacre­ment [de récon­ci­lia­tion] » (Josef Ratzinger, Église, œcu­mé­nisme et poli­tique, Fayard, 1987, cité selon l’édition alle­mande in AA. VV., Vénération et admi­nis­tra­tion de l’Eucharistie, CIEL, 1997, p. 72).

Sans aucun doute, ce carac­tère « reçu » n’est pas tota­le­ment absent du rite de la com­mu­nion dans la main, dans la mesure où le com­mu­niant ne se sert pas lui-​même, mais reçoit du ministre sacré l’hostie, qu’il porte ensuite à sa bouche.

Mais, évi­dem­ment, ce carac­tère « reçu » est expri­mé sym­bo­li­que­ment de façon beau­coup plus forte lorsque le sacre­ment est don­né aux fidèles « comme à des enfants nouveau-​nés », pour reprendre l’expression de la pre­mière épître de saint Pierre (1 P 2, 2) qui consti­tue l’introït du dimanche de Quasimodo (deuxième dimanche de Pâques dans la « forme ordi­naire ») où la litur­gie, pré­ci­sé­ment, parle aux nou­veaux bap­ti­sés de la communion.

Cette façon de pro­cé­der a, de plus, l’avantage d’exprimer, tou­jours dans le registre sym­bo­lique, et ceci de la façon la plus claire, la dif­fé­rence (essen­tielle et non seule­ment de degré) entre le sacer­doce com­mun ou bap­tis­mal, qui reçoit le sacre­ment, et le sacer­doce minis­té­riel, qui le donne.

Le carac­tère bap­tis­mal, qui fait de tous ceux qui le pos­sèdent « un sacer­doce royal » (1 P 2, 9), est en effet, comme le rap­pelle saint Thomas d’Aquin, une capa­ci­té à rece­voir les autres sacre­ments, et prin­ci­pa­le­ment la sainte Eucharistie, fin et consom­ma­tion de tous les sacre­ments (cf. III, q. 63, a. 2 et a. 6), tan­dis que le carac­tère sacer­do­tal est une capa­ci­té à don­ner, à confé­rer les sacrements.

Le choix de l’Église indivise

Telles sont quelques-​unes des prin­ci­pales rai­sons qui ont pous­sé l’Église à aban­don­ner, il y a plus d’un mil­lé­naire, la pra­tique de la com­mu­nion don­née dans la main du fidèle, au pro­fit exclu­sif de la com­mu­nion don­née direc­te­ment dans la bouche du bap­ti­sé par le ministre sacré.

Et lorsque nous disons l’Église, il faut la com­prendre en toutes ses com­po­santes. Malgré la varié­té des rites usi­tés dans les diverses Églises d’origine apos­to­lique actuel­le­ment exis­tantes, on constate qu’aujourd’hui, lors de la com­mu­nion durant la célé­bra­tion litur­gique, aucun fidèle laïc ne touche jamais de ses mains la sainte Eucharistie, mais qu’il la consomme tou­jours direc­te­ment des mains du ministre sacré. Il y a là un fait mas­sif et indis­cu­table, qui doit nous faire réfléchir.

D’autant qu’une bonne par­tie de ces Églises d’origine apos­to­lique ont conser­vé, à la dif­fé­rence de l’Église latine, la com­mu­nion sous les deux espèces, ou encore uti­lisent le pain fer­men­té. C’est donc que ces Églises, sans aucune excep­tion, ont dis­cer­né una­ni­me­ment dans le fait de don­ner la sainte Eucharistie au com­mu­niant direc­te­ment « dans la bouche » (selon diverses formes) une manière plus oppor­tune et plus conve­nable de faire, tant pra­ti­que­ment que symboliquement.

Source : Lettre à nos frères prêtres n°43 /​La Porte Latine du 11 mars 2020