Analyse du Décret Optatam totius du 28 octobre 1965

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Historique du décret Optatam totius

La for­ma­tion des prêtres est un sou­ci constant de l’Eglise. Et ce sou­ci n’échappe pas à la moder­ni­té de notre temps.

Des demandes

Lors donc que le pape Jean XXIII fit deman­der aux évêques du monde entier d’envoyer leurs dési­dé­ra­tas pour les dis­cus­sions du concile, ce ne sont pas moins de 550 pro­po­si­tions qui arri­vèrent à Rome concer­nant la for­ma­tion sacer­do­tale. Ces demandes occupent bien 80 grandes pages des Actes pré­pa­ra­toires au concile.

Une com­mis­sion pré­pa­ra­toire fut alors dili­gen­tée pour étu­dier les dif­fé­rents vœux des évêques du monde entier. Cette com­mis­sion fut dirige par le car­di­nal Giuseppe Pizzardo((Ce car­di­nal a alors quatre-​vingt huit ans et a pour secré­taire à la curie Mgr Dino Staffa qui s’impliqua vrai­ment avec le Cœtus contre la col­lé­gia­li­té. )) alors pré­fet de la Congrégation pour les études et les sémi­naires depuis le 14 mars 1939, soit depuis l’accession de Pie XII au trône pon­ti­fi­cal. Ce n’est pas peu dire, et cela peut bien expli­quer l’orientation que pren­dra le décret.

Travail préparatoire

Deux sché­mas concer­nant les sémi­naires furent rédigés((Cette com­mis­sion devait aus­si s’occuper des études et de l’éducation et rédi­gea par consé­quent d’autres sché­mas qui ne concernent pas direc­te­ment les sémi­naires.)). L’un por­tait sur les voca­tions et l’autre, beau­coup plus long, sur la for­ma­tion des sémi­na­ristes. Suite à l’examen des textes par la com­mis­sion cen­trale pré­pa­ra­toire en février 1962, le sché­ma sur les voca­tions fut insé­ré comme un pre­mier cha­pitre au second sché­ma. En jan­vier 1963 ce texte fut abré­gé puis envoyé aux pères conci­liaires qui appor­tèrent leurs observations.

Mais le 23 jan­vier 1964, la com­mis­sion de coor­di­na­tion déci­da que ce sché­ma devait être réduit à quelques pro­po­si­tions seule­ment, « aux points essen­tiels ». Cela ferait accé­lé­rer les dis­cus­sions et per­met­trait de pas­ser plus de temps sur les sujets du Concile jugés plus impor­tants, tels l’ecclésiologie, la révé­la­tion ou l’œcuménisme. N’oublions pas du reste que début 1964 deux ses­sions se sont déjà écou­lées et que deux textes seule­ment en sont issus.

La com­mis­sion s’exécuta donc et rédui­sit son sché­ma à une série de 22 propositions.

Dans l’aula

Le texte fut mis en dis­cus­sion du 12 novembre 1964 au 17 du même mois. Il y eut assez peu d’interventions, mais il n’est pas ano­din de rap­pe­ler qu’au même moment, une bataille fai­sait rage en cou­lisse sur la col­lé­gia­li­té et la nota prævia((Cf. articles pré­cé­dents sur Lumen Gentium.)). Cependant saint Thomas d’Aquin fut au cœur des dis­cus­sions. Les libé­raux deman­daient non pas l’abolition du doc­teur angé­lique, mais seule­ment d’adopter son atti­tude vis à vis de la véri­té. Autrement dit l’enseignement tho­miste n’était pas le plus impor­tant et pou­vait dis­pa­raître du moment que l’on gar­dait un amour per­son­nel (et sub­jec­tif) de la vérité((Intervention du car­di­nal Léger.)).

Mais dans l’ensemble, les pères conci­liaires étaient favo­rables au sché­ma, et le car­di­nal Ruffini((Ancien secré­taire de la congré­ga­tion pour les sémi­naires.)), ain­si que mon­sei­gneur Staffa((Actuel (au moment du concile, c’est enten­du…) secré­taire de la congré­ga­tion pour les sémi­naires.)) et la maître géné­ral des domi­ni­cains se firent un hon­neur de défendre dûment la place de saint Thomas

La com­mis­sion révi­sa le texte de façon non sub­stan­tielle. Les ajouts furent lar­ge­ment accep­tés par les pères et le décret fut voté défi­ni­ti­ve­ment par 2318 voix contre 3.

Plan du texte

Les 22 pro­po­si­tions s’articulent autour de 7 points ain­si résumés :

  • prin­cipes
  • voca­tions
  • les grands séminaires
  • for­ma­tion spirituelle
  • révi­sion des études
  • for­ma­tion pastorale
  • com­plé­ment de formation.

Présentation – Les séminaires

Aux origines

Le mot sémi­naire vient du latin semi­na­rium et signi­fie pépi­nière. En effet, la racine du mot est semen : la graine, le prin­cipe vital. Le mot dit bien la réa­li­té : un sémi­naire est une pépi­nière de voca­tions. C’est là que se trouvent les prêtres en germe ou en formation.

En revanche, l’existence des sémi­naires est assez récente. Il faut en effet attendre le XVIème siècle et le concile de Trente (1545–1563) pour voir appa­raître les pre­miers sémi­naires. Cette ins­ti­tu­tion n’existait pas aupa­ra­vant. Les futurs prêtres étaient for­més soit auprès des curés, soit dans des universités.

Mais au début du XVIème siècle, des congré­ga­tions de clercs régu­liers furent fon­dées (ce ne sont pas des ordres monas­tiques à pro­pre­ment par­ler). On pense notam­ment aux jésuites, mais éga­le­ment aux Théatins fon­dés en 1524 par saint Gaétan de Thiene ou aux Barnabites fon­dés en 1530. Ces ins­ti­tuts for­maient eux-​mêmes, en interne, leurs prêtres. C’est sur cette expé­rience réus­sie que le Concile de Trente impo­sa alors à l’Eglise uni­ver­selle une réforme toute nou­velle pour don­ner au cler­gé des bases solides((Décret Cum ado­les­cen­tium ætas, ses­sion XXII, ch.18. [NDLR de LPL : dans ce décret du 15 juillet 1563, le Concile rend obli­ga­toire pour chaque dio­cèse lafon­da­tion d’un sémi­naire pour la for­ma­tion du cler­gé local. Là où ce n’est pas­pos­sible, il pré­voit soit la fon­da­tion de sémi­naires inter­dio­cé­sains ou régio­naux sous la res­pon­sa­bi­li­té des évêques impli­qués, soit l’en­voi des can­di­dats du dio­cè­se­dans un sémi­naire bien pour­vu qui demeure, dans ce cas, la res­pon­sa­bi­li­té directe del’é­vêque du lieu. Le Concile brosse ensuite le por­trait des can­di­dats » de pré­fé­ren­cede enfants pauvres « , sans exclure les riches, à condi­tion qu’ils assument les frais­fi­nan­ciers, ces der­niers dans le régime béné­fi­cial étant déjà pour­vus de res­sour­ces­fi­nan­cières. On don­ne­ra une ini­tia­tion aux huma­ni­tés dans les petits sémi­naires et dansles grands sémi­naires une for­ma­tion à l’é­tat ecclé­sias­tique, les homé­lies des Saintset tout ce qui paraî­tra oppor­tun pour l’ad­mi­nis­tra­tion des sacre­ments, sur­tout pour lemi­nis­tère des confes­sions, enfin les formes des rites et des céré­mo­nies « . De plus l’é­vêque est char­gé de sub­ve­nir aux besoins finan­ciers de cette nou­vel­leins­ti­tu­tion en pré­le­vant les reve­nus néces­saires sur tous les béné­fices du diocèse.Il ins­ti­tua encore deux conseils pour assis­ter l’é­vêque, l’un pour la for­ma­tion etl’autre pour la ges­tion tem­po­relle. ])). De là naquirent les sémi­naires tels que nous les connais­sons désormais.

Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet, un flambeau de la Tradition

Cependant, les nou­veau­tés sont sou­vent longues à se mettre en route. Si le décret du concile de Trente était clair, l’application en était plus dif­fi­cile, par­ti­cu­liè­re­ment en France où le par­le­ment refu­sait de rece­voir les décrets de concile de Trente comme loi du royaume.

Mais par­mi les pre­mières ten­ta­tives de sémi­naires, il faut citer Adrien Bourdoise (1584–1655). Clerc et étu­diant à Paris, il se place sous la férule du car­di­nal de Bérulle, en com­pa­gnie de Vincent de Paul. Quittant l’Oratoire, il fonde une socié­té d’ecclésiastiques en 1612 (il n’est pas encore prêtre) et se place sous la direc­tion et au ser­vice du curé de Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet, l’abbé Froger. Cette petite com­mu­nau­té tra­vaillait à une meilleure for­ma­tion du cler­gé et for­mait ain­si un embryon de sémi­naire, lequel fut véri­ta­ble­ment éri­gé en 1644. Ce sémi­naire eut une grande noto­rié­té et l’on peut bien dire qu’il fut au cœur de la réforme du cler­gé pari­sien d’abord, puis fran­çais ensuite.

Monseigneur Lefebvre et le décret pour les séminaires

Lorsque Monseigneur Lefebvre fut sol­li­ci­té par de jeunes sémi­na­ristes pour fon­der un sémi­naire puis l’œuvre que nous connais­sons aujourd’hui, il rédi­gea un direc­toire assez court pour les jeunes lévites. Pour ce faire, « il s’est ins­pi­ré du droit cano­nique, d’un pas­sage du décret conci­liaire et fort peu du règle­ment du Séminaire fran­çais de Rome ».((Marcel Lefebvre, une vie par Mgr Bernard Tissier de Mallerais, Clovis, 2002, p. 438.))

De même, l’année de spi­ri­tua­li­té (la pre­mière année de sémi­naires dans les sémi­naires de la FSSPX), l’étude cen­trée sur Notre Seigneur à la lumière de saint Thomas, la connais­sance de la théo­lo­gie posi­tive pour l’historique des ques­tions doc­tri­nales, tous ces points répondent à la demande du décret conciliaire.

Après le concile, la congré­ga­tion pour les sémi­naires et les uni­ver­si­tés (qui prit en 1967 le nom de congré­ga­tion pour l’Education) rédi­gea en jan­vier 1970 un docu­ment appe­lé Ratio fuda­men­ta­lis, conforme au décret conci­liaire. Ce texte don­nait des orien­ta­tions claires et concrètes en vue de la réforme des sémi­naires. Or le 22 novembre 1971, le car­di­nal Gabriel Garrone, pré­fet de cette congré­ga­tion romaine, rece­vait Mgr Lefebvre. S’enquérant de l’application de la Ratio fun­da­men­ta­lis à Ecône, il s’entendit répondre par le véné­rable arche­vêque : « Eminence, nous sommes peut-​être les seuls à la suivre, votre règle ! »((Idem, p.498.))…

Analyse du texte

Le renou­veau de l’Eglise tant dési­ré par Vatican II dépend du minis­tère des prêtres. On le com­pren­dra aisé­ment. Mais le minis­tère des prêtres dépend à son tour de la for­ma­tion des sémi­na­ristes. Voilà pour­quoi un tel décret peut trou­ver sa place dans ce concile de l’aggiornamento. Et pourtant…

Dans la Tradition

A la lec­ture de ce texte, on pour­ra être sur­pris par le ren­voi régu­lier et très fré­quent aux textes du magis­tère anté­rieur. L’exhortation Hærent ani­mo de saint Pie X, les exhor­ta­tions de Pie XI et de Pie XII sont lar­ge­ment citées et servent vrai­ment de base à l’élaboration de ce décret. Il est vrai que le car­di­nal Pizzardo, qui pré­side la com­mis­sion en charge de ce texte est pré­fet de la congré­ga­tion pour les sémi­naires depuis 1939. Sans comp­ter qu’il exerce des offices à la curie depuis 1912 et même 1908 ! Sous saint Pie X.

Un souci complet

Le décret n’envisage pas seule­ment la for­ma­tion du sémi­na­riste. Son sou­ci s’étend en deçà et au-​delà du sémi­naire. Le texte évoque pour com­men­cer l’éclosion des voca­tions, rap­pe­lant la néces­si­té de les pré­pa­rer par une vie chré­tienne authen­tique, que ce soit à la mai­son, dans les écoles, par les curés et les reli­gieux : « C’est à toute la com­mu­nau­té chré­tienne qu’incombe le devoir de sus­ci­ter les voca­tions. » (n°2) Suit alors un long déve­lop­pe­ment de cette idée.

Dans un deuxième temps (et c’est la par­tie cen­trale du décret) le texte évoque la vie des sémi­naires et le sou­ci de for­mer de saints prêtres, conformes à Notre Seigneur.

Enfin, le der­nier para­graphe mani­feste que la for­ma­tion du sémi­na­riste doit se pour­suivre dans le sacer­doce par des ses­sions, des exer­cices ou autres moyens : « La for­ma­tion sacer­do­tale, sur­tout dans les condi­tions de la socié­té actuelle, doit encore se pour­suivre et se com­plé­ter après l’achèvement du cycle d’études dans les sémi­naires. » (n°22)

Une recherche d’équilibre subjectif

En réponse à une époque dés­œu­vrée et dés­équi­li­brée, le concile mani­feste son sou­ci et son désir de for­mer des prêtres équi­li­brés et pos­sé­dant une bonne matu­ri­té. Des prêtres capables d’assumer volon­tai­re­ment leur vie. « Que dans tout le pro­ces­sus de sélec­tion et de pro­ba­tion des sémi­na­ristes on fasse tou­jours preuve de la fer­me­té néces­saire, même si l’on souffre du manque de prêtres : Dieu ne lais­se­ra pas son Eglise man­quer de ministres, si on appelle aux ordres ceux qui en sont dignes. » (n°6)

C’est pour­quoi le décret demande à ce que les sémi­na­ristes apprennent l’usage de la vraie liber­té, celle par laquelle ils se pro­posent et assument leur vie ver­tueuse, à la suite de Jésus-​Christ, dans un équi­libre affec­tif plei­ne­ment vécu et une chas­te­té authen­ti­que­ment com­prise et accep­tée comme un renon­ce­ment pour suivre Notre Seigneur. « Les sémi­na­ristes qui observent la tra­di­tion véné­rable du céli­bat sacer­do­tal seront pré­pa­rés très soi­gneu­se­ment à cet état où, à cause du royaume des cieux, ils renoncent à la vie conju­gale pour s’attacher au Seigneur par un amour sans par­tage. » (n°10) Le numé­ro entier est un bel éloge à la chas­te­té dans ce monde corrompu.

L’importance objective des études

Le décret vient aus­si pal­lier un défaut que cer­tains évêques avaient rele­vé : le manque d’unité orga­nique dans les études. Désormais, il est clair que la for­ma­tion tant spi­ri­tuelle qu’intellectuelle ou pas­to­rale est entiè­re­ment cen­trée sur Notre Seigneur par l’intermédiaire de saint Thomas d’Aquin. « La révi­sion des études ecclé­sias­tiques doit avant tout viser à ce que les dis­ci­plines phi­lo­so­phiques et théo­lo­giques soient mieux arti­cu­lées ensemble et concourent har­mo­nieu­se­ment à ouvrir tou­jours plus grand l’esprit des sémi­na­ristes au mys­tère du Christ. » (n°14) « Les sémi­na­ristes appren­dront à péné­trer plus pro­fon­dé­ment les mys­tères du salut au moyen de la spé­cu­la­tion, sous la conduite de saint Thomas. » (n°16)

Pour ce faire, le décret rap­pelle la néces­si­té d’une bonne dis­ci­pline (n°5 et 11) et le choix très impor­tant de bons maîtres. « La for­ma­tion des sémi­na­ristes dépend à la fois d’un bon règle­ment, mais aus­si et sur­tout de bons édu­ca­teurs. Aussi les direc­teurs et pro­fes­seurs de sémi­naires seront-​ils choi­sis par­mi une élite et soi­gneu­se­ment pré­pa­rés par une solide doc­trine etc. » (n°5)

Deux bémols

Le décret sur la for­ma­tion des prêtres que nous offre le second concile du Vatican semble bien se situer dans la conti­nui­té du concile de Trente : le sou­ci de confir­mer les valeurs anciennes en for­mant des prêtres qui soient d’autres Christs.

Cependant deux points paraissent devoir être men­tion­nés comme un bémol à ce texte. Le pre­mier est la men­tion et la réfé­rence pour la for­ma­tion des sémi­na­ristes à Lumen Gentium. On l’a vu dans les articles pré­cé­dents, cette der­nière consti­tu­tion apporte une nou­velle défi­ni­tion de l’Eglise et… du sacerdoce !

D’autre part, l’adage dit in cau­da vene­num (le poi­son se trouve dans la queue). Ici c’est dans la tête que se trouve le poi­son. Le pre­mier para­graphe du décret, juste après l’introduction, énonce le prin­cipe uni­ver­sel : « On doit adop­ter pour chaque pas et chaque rite un pro­gramme de for­ma­tion sacer­do­tale spé­cial, fixé par les confé­rences épis­co­pales. » (n°1) Autrement dit tout ce qui a été énon­cé dans le décret pour­rait être mis à mal par la seule déci­sion de la confé­rence épis­co­pale d’un pays. Surtout lorsque l’on connaît les pou­voirs des confé­rences aujourd’hui. Que devient alors le pou­voir de Rome face aux déci­sions de ces confé­rences ? Que peut faire un seul évêque dio­cé­sain pour son sémi­naire s’il subit la pres­sion de la confé­rence épis­co­pale de son pays ?

On retrouve là l’un des pro­blèmes majeurs de notre époque : le fos­sé qui existe entre une doc­trine clai­re­ment affir­mée et une praxis en total déca­lage avec cette doctrine.

Abbé Gabriel Billecocq, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

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