Pax Dei

L’annonce cou­rant jan­vier par le pape Benoît XVI d’une nou­velle Réunion inter­re­li­gieuse à Assise pour le mois d’octobre pro­chain a pro­vo­qué un juste élan de pro­tes­ta­tions des voix vrai­ment catho­liques. Certains nous diront peut-​être d’attendre les faits. Soit ! Mais ne les connaissons-​nous pas en scru­tant le passé ?

Déjà, lors de la réunion inter­re­li­gieuse de 1986, les ecclé­sias­tiques œcu­mé­nistes étaient obli­gés de tor­tu­rer les mots pour ten­ter d’écarter tout indif­fé­ren­tisme et rela­ti­visme : On ne prie­ra pas ensemble, mais on sera ensemble pour prier !

Mais de fait, ces pré­cau­tions ora­toires peuvent-​ils effa­cer l’effet syn­cré­tiste catas­tro­phique induit dans l’esprit des fidèles qui ont pu voir en 1986, pour ne prendre que cet exemple, un Bouddha trô­ner sur un taber­nacle jusqu’à mettre sous le bois­seau les pre­miers com­man­de­ments de Dieu ? :

« Je suis Yahvé, ton Dieu, qui t’ai fait sor­tir du pays d’Égypte, de la mai­son de ser­vi­tude. Tu n’au­ras pas d’autres dieux devant ma face. Tu ne te feras point d’i­mage taillée, ni de repré­sen­ta­tion quel­conque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te pros­ter­ne­ras point devant elles, et tu ne les ser­vi­ras point ; car moi, Yahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis l’i­ni­qui­té des pères sur les enfants jus­qu’à la troi­sième et la qua­trième géné­ra­tion de ceux qui me haïssent, et qui fais misé­ri­corde jus­qu’en mille géné­ra­tions à ceux qui m’aiment et qui gardent mes com­man­de­ments. »((Deutéronome 20, 1–6 ))

Mais, cer­tains objec­te­ront peut-​être encore : « Regardez au moins l’intention du Pape Benoît XVI qui est bonne : La recherche de la paix ! »

« En octobre pro­chain, a décla­ré le pape, je me ren­drai en pèle­ri­nage dans la ville de saint François, en invi­tant à s’u­nir à ce che­min les frères chré­tiens des dif­fé­rentes confes­sions, les repré­sen­tants des tra­di­tions reli­gieuses du monde et, idéa­le­ment, tous les hommes de bonne volon­té, pour faire mémoire de ce geste his­to­rique vou­lu par mon Prédécesseur et renou­ve­ler solen­nel­le­ment l’en­ga­ge­ment des croyants de chaque reli­gion à vivre sa propre foi reli­gieuse comme un ser­vice pour la cause de la paix. »((Le 1er jan­vier 2011, à l’occasion de la prière de l’Angelus, le pape Benoît XVI a annon­cé son inten­tion de renou­ve­ler la céré­mo­nie inter­re­li­gieuse d’Assise du 27 octobre 1986.))

De quoi s’agit-il ? Nous aimons certes tous médi­ter sur le Princeps Pacis, le Prince de la Paix. Nous voyons bien éga­le­ment que le monde s’effondre tou­jours un peu plus dans des dis­cordes, guerres civiles, attaques tou­jours répé­tées contre les chré­tiens, qu’ils soient en Irak, en Egypte, ou même en France où la chris­tia­no­pho­bie fait rage (en France, par exemple, 90% des cime­tières pro­fa­nés sont des cime­tières catholiques !)

Certes, tout catho­lique ne peut qu’être sai­si par l’actualité de ces der­niers mois, voire de ces der­nières années. La paix ne doit-​elle pas être l’objet de nos prières ? Bien sûr ! Nul ne peut s’en dés­in­té­res­ser. Pie XII le pro­cla­mait déjà bien clai­re­ment dans son radio Message de Noël 1954 :

« Si nous tour­nons nos regards vers l’avenir, pro­cla­mait Pie XII, le pre­mier pro­blème urgent qui se pré­sente est la Paix inté­rieure des Nations. »

Mais de quelle paix s’agit-il ? Pour arri­ver aux bonnes conclu­sions, il convient de bien la définir.

La paix, dans le dis­cours reli­gieu­se­ment cor­rect actuel, est deve­nue un trans­cen­dan­tal devant lequel tout doit prendre réfé­rence. Le pape Jean-​Paul II dans son dis­cours final lors de la ren­contre oecu­mé­nique d’Assise en 1986 don­nait cette affir­ma­tion sur­pre­nante :

« Le défi de la paix, tel qu’il se pré­sente actuel­le­ment à toute conscience humaine, trans­cende les dif­fé­rences religieuses. »

Etrange concep­tion de la paix, même si le pape ajou­tait devant les repré­sen­tants des autres religions :

« Je redis hum­ble­ment ma propre convic­tion : la paix, porte le nom de Jésus-Christ. »

Etrange concep­tion qui réduit l’adhésion au nom de Jésus-​Christ à une simple et humble convic­tion per­son­nelle ! Etrange pro­pos qui va éga­le­ment à l’encontre de la défi­ni­tion tra­di­tion­nelle de la paix don­née depuis saint Augustin : « La tran­quilli­té de l’ordre juste. »

Autrement dit, pour le Docteur de l’Eglise, la paix doit décou­ler de l’ordre juste, et non l’ordre de la paix. Le pre­mier ordre n’est-il donc pas de recon­naître et de pro­cla­mer la divi­ni­té de Notre Sauveur, non pas seule­ment pour les chré­tiens, mais pour tous ! Pie XII avait un lan­gage clair et défi­nis­sait pro­phé­ti­que­ment ces deux sortes de paix, en 1954 : La paix froide et la pax Dei !

« Qu’entend-on, en effet, dans le monde de la poli­tique, par paix froide, sinon la pure coexis­tence de divers peuples, entre­te­nue par la crainte mutuelle et la dés­illu­sion réci­proque ? Or il est clair que la simple coexis­tence ne mérite pas le nom de paix, telle que la tra­di­tion chré­tienne, for­mée à l’école des esprits supé­rieurs d’un Augustin et d’un Thomas d’Aquin, a appris à la défi­nir : « Tranquillitas ordi­nis ». La paix froide n’est qu’un calme pro­vi­soire, dont la durée est condi­tion­née par le sen­ti­ment instable de la crainte, et le cal­cul fluc­tuant des forces pré­sentes ; elle n’a rien de l’ « ordre » juste, lequel sup­pose une série de rap­ports conver­geant vers un but com­mun juste et droit. Et comme de plus, elle exclut tout lien d’ordre spi­ri­tuel entre les peuples coexis­tants dans la jux­ta­po­si­tion, la paix froide est bien loin de celle qu’a prê­chée et vou­lue le Divin Maître ; celle-​ci est fon­dée sur l’union des esprits dans la même véri­té et dans la cha­ri­té, et saint Paul la défi­nit « Pax Dei », celle qui engage avant tout les intel­li­gences et les cœurs et s’expriment en une har­mo­nieuse col­la­bo­ra­tion dans tous les domaines de la vie, sans en exclure le domaine poli­tique, social et éco­no­mique. Voilà pour­quoi Nous n’osons pas offrir la Paix froide au Divin Enfant. Elle n’est pas la pax simple et solen­nelle que chan­tèrent les Anges aux ber­gers dans la sainte nuit ; encore moins est-​elle la pax Dei qui sur­passe tout sen­ti­ment et est source de joie intime et pleine ; mais elle n’est pas davan­tage celle que rêve et que sou­haite l’humanité pré­sente déjà si affli­gée. Celle-​ci est, en fait le Christ même. Car, si la paix est ordre, et si l’ordre est uni­té, le Christ est le seul qui puisse et veuille unir les esprits humains dans la véri­té et dans l’amour. »

Les paroles de Pie XII sont claires, nettes et pré­cises.

Cette tran­quilli­té de l’ordre ne peut décou­ler que de la Charité dans la clar­té de la véri­té pré­pa­rée par la jus­tice qui va écar­ter tous les obs­tacles qui pour­raient cau­ser une quel­conque désunion.

Dans ce contexte, affirmons-​le encore une fois, quitte à nous répé­ter, le pre­mier ordre à affir­mer, non pas seule­ment comme une convic­tion per­son­nelle mais comme une cer­ti­tude de foi catho­lique, c’est-​àdire uni­ver­selle, est celui chan­té par le Gloria de la messe à pro­pos de Dieu trois fois saint : « Tu solus sanc­tus, tu solus Dominus, tu solus altis­si­mus. »

Et cet hom­mage d’adoration, nous le devons éga­le­ment à son divin Fils, notre rédemp­teur, sans lequel, depuis la chute ori­gi­nelle, aucun ordre véri­table ne peut être construit et aucune vraie paix.

Décidément, l’esprit des réunions d’Assise de 1986 ou de ses suc­cé­da­nées est bien éloi­gné de celui de l’enfant d’Assise, saint François, dont la très belle prière résume à elle seule ce qu’est la véri­table paix : « Seigneur, faites de moi un ins­tru­ment de votre paix. »

Abbé Patrick VERDET, Prieur-​Doyen d’Aquitaine

Editorial extrait de « Notre-​Dame d’Aquitaine n° 25 » de mars-​avril 2011