Après le Synode, tout commence

Le rap­port final du Synode (Relatio Synodi) publié le 18 octobre 2014, ne conclut rien ; bien au contraire il pré­sente des thèmes de réflexion dont les dio­cèses vont main­te­nant se sai­sir, avant que le Synode d’octobre 2015 ne les réexamine.

Sur la ques­tion de la com­mu­nion des divor­cés rema­riés, le car­di­nal Walter Kasper ne perd pas espoir. Dans Il Messaggero, cité par le blog de La Croix le 20 octobre, il confie : « La ques­tion est tou­jours sur la table. Elle réap­pa­raî­tra dans les docu­ments du pro­chain synode. La dis­cus­sion en est main­te­nant au niveau de chaque pays. Nous ver­rons. » La veille, 19 octobre, le quo­ti­dien fran­çais rap­por­tait cette confi­dence : « ‘Au début de la semaine, on espé­rait pou­voir aller plus loin’, com­mente un car­di­nal proche du pape François, ajou­tant aus­si­tôt, sou­rire en coin : « Mais patience, patience… nous sommes en che­min ». Dans son homé­lie du 19 octobre pour la béa­ti­fi­ca­tion de Paul VI, François a décrit cette ‘marche qui, dans les Eglises de toute la terre, nous pré­pare au pro­chain Synode’. Il a invi­té à se lais­ser sur­prendre par Dieu. ‘Lui n’a pas peur de la nou­veau­té !’, a‑t-​il fait remarquer. »

Le 20 octobre, sur les ondes de Radio Vatican, Romilda Ferrauto sou­ligne que le rap­port final « recon­naît la pré­sence d’éléments valables en dehors du mariage chré­tien, à condi­tion que ces formes soient fon­dées sur une rela­tion stable et authen­tique entre un homme et une femme et orien­tées vers le mariage chré­tien ». C’est ce que disait déjà le rap­port inter­mé­diaire du 13 octobre : « Une nou­velle sen­si­bi­li­té de la pas­to­rale d’aujourd’hui consiste à com­prendre la réa­li­té posi­tive des mariages civils et, en tenant compte des dif­fé­rences, des concu­bi­nages. (…) Dans ces unions aus­si (unions de fait, ndlr), on peut voir des valeurs fami­liales authen­tiques, ou du moins le désir de celles-​ci. Il faut que l’accompagnement pas­to­ral com­mence tou­jours par ces aspects positifs. »

Sébastien Maillard, le cor­res­pon­dant à Rome de La Croix, dans un article inti­tu­lé De l’art de diri­ger un Synode divi­sé, signale le rôle pré­pon­dé­rant du pape « qui s’est décrit comme ‘un po fur­bo’ (un peu rusé) » : « Alors que le rap­port final don­nait un net coup de barre au docu­ment d’étape et que trois articles sur les sujets sen­sibles en débat étaient reje­tés, il a repris le des­sus en deux temps trois mou­ve­ments – manœuvre qui gagne­rait à être étu­diée en sciences poli­tiques. (…) Synode, tel que l’a orches­tré ce pape jésuite pour mettre en forme l’exercice du dis­cer­ne­ment. Depuis le départ, il a ima­gi­né non pas une mais deux assem­blées syno­dales. Avec, de l’une à l’autre en 2015, une consul­ta­tion réelle des fidèles, qui pas­se­ra par la ren­contre inter­na­tio­nale des familles à Philadelphie en sep­tembre pro­chain. L’Eglise catho­lique est ain­si pla­cée en état de Synode per­ma­nent (sic), tra­duc­tion ins­ti­tu­tion­nelle d’une manière de tou­jours se remettre en che­min. » – Et de se remettre en ques­tion, c’est ce que l’on appelle aus­si la révo­lu­tion permanente.

De retour de Rome où il sui­vait le Synode, le jour­na­liste Jean-​Marie Guénois déclare dans Le Figaro du 21 octobre : « Ce synode a lan­cé la dis­cus­sion. Les évêques rendent main­te­nant la parole au monde pour que le débat se pour­suive dans les églises. Mais il va fal­loir veiller aux mani­pu­la­tions. Vous allez voir jaillir de par­tout des péti­tions par exemple. A l’image de celle que le car­di­nal Marx – l’un des membres du G8 – qui s’est per­mis d’arriver au synode en affir­mant, feuille à l’appui, que « tous les évêques alle­mands » atten­daient la réforme sur les divor­cés rema­riés. Il faut donc s’attendre à un fort bat­tage qui va faire pres­sion sur l’opinion. Quand la seconde ses­sion du synode pren­dra place, le fruit sera mûr. Mais les argu­ments des théo­lo­giens fon­dés, eux, sur la tra­di­tion de l’Eglise et non sur l’opinion, n’auront pas bou­gé… Entre temps des com­mis­sions de tra­vail spé­cia­li­sées auront pré­pa­ré des solu­tions pra­tiques et juri­diques pour avancer. (…)

« Certains évoquent un risque de ‘schisme’. Il y a déjà des schismes de fait dans l’Eglise catho­lique avec beau­coup de prêtres ou de fidèles qui ne par­tagent pas la foi catho­lique sur l’eucharistie ou sur la Vierge Marie par exemple, mais qui se disent catho­liques, alors qu’ils sont d’authentiques chré­tiens… pro­tes­tants ! Il pour­rait donc y avoir un schisme de fait, silen­cieux, invi­sible si les déci­sions allaient trop loin. Ce qui est cer­tain, en revanche, est que ce synode ouvre une ‘crise’ dans l’Eglise au sens ancien de ce mot qui est celui de poser un choix, de déci­der. Encore une fois, ce pape qui n’est pas un théo­lo­gien mais un pas­teur, voit l’Eglise comme un ‘peuple en marche’ qui découvre col­lec­ti­ve­ment au fur et à mesure du che­min, les voies nou­velles à emprun­ter. Et l’on n’a pas encore réa­li­sé, en France notam­ment et dans cer­tains milieux, comme je tente de l’expliquer dans mon der­nier livre (Jusqu’où ira François ? J.-C. Lattès éd.) l’ampleur et la pro­fon­deur du chan­ge­ment de papau­té entre Benoît XVI et François. Le choc de ce synode ouvre peut-​être les yeux à cer­tains. Ce chan­ge­ment de pape n’est pas seule­ment celui d’un pape, c’est aus­si un nou­veau cap. »

L’aveu le plus can­dide vient du pré­sident de la Conférence épis­co­pale cana­dienne, Mgr Paul-​André Durocher qui écrit sur son blog sans détour : « D’une cer­taine manière, ce que nous avons fait avec la vie fami­liale est ce que le concile Vatican II a fait pour la litur­gie et l’œcuménisme : don­ner le feu vert à un style de minis­tère qui est déjà en train d’émerger dans l’Eglise, assu­rer les fon­de­ments théo­lo­giques, et invi­ter toute l’Eglise à faire de même. Bien sûr, ceux qui n’ont pas aimé ce que Vatican II a fait pour la litur­gie et l’œcuménisme ne doivent pas aimer ce que ce Synode a fait pour la vie fami­liale… » – Sans com­men­taire ; il vaut mieux lire ou relire Le Rhin se jette dans le Tibre, le Concile incon­nu de Ralph M. Wiltgen s.v.d. (DMM) et Vatican II, une his­toire à écrire de Roberto de Mattei (Muller).

Sources : Apic/​IMedia/​La Croix – DICI n°303 du 24/​10/​14