Synode. Le double cri d’alarme du cardinal Antonelli (Sandro Magister)

Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

Il a pré­si­dé pen­dant cinq ans le conseil pon­ti­fi­cal pour la famille. Permettre aux divor­cés rema­riés de com­mu­nier, prévient-​il, mar­que­rait non seule­ment l’a­vi­lis­se­ment de l’eu­cha­ris­tie mais aus­si la fin du sacre­ment de mariage.

ROME, le 12 juin 2015 – Le car­di­nal Ennio Antonelli, 78 ans, est une auto­ri­té en ce domaine. Pendant cinq ans, il a été le pré­sident du Conseil pon­ti­fi­cal pour la famille et c’est lui qui a été char­gé de l’or­ga­ni­sa­tion des deux Rencontres mon­diales des familles qui ont pré­cé­dé celle qui va avoir lieu pro­chai­ne­ment à Philadelphie : celle de Mexico en 2009 et celle de Milan en 2012.

Il a d’autre part acquis une notable expé­rience pas­to­rale. Il a été arche­vêque d’a­bord de Pérouse et ensuite de Florence, ain­si que, pen­dant six ans, secré­taire de la confé­rence des évêques d’Italie. Il fait par­tie du mou­ve­ment des Focolari.

Il n’a pas pris part à la pre­mière ses­sion du synode consa­cré à la famille qui a eu lieu au mois d’oc­tobre der­nier. Toutefois il par­ti­cipe acti­ve­ment à la dis­cus­sion qui a lieu actuel­le­ment, comme le prouve le livre qu’il vient de publier ces jours-​ci : E. Antonelli, « Crisi del matri­mo­nio ed euca­ris­tia » [Crise du mariage et eucha­ris­tie], Éditions Ares, Milan, 2015, 72 pp., 7,00 euros. C’est un livre par­ti­cu­lier. Agile, comp­tant peu de pages, il se lit d’une seule traite. Il est intro­duit par une pré­face qui a été rédi­gée par un autre car­di­nal expert en la matière, Elio Sgreccia, ancien pré­sident de l’a­ca­dé­mie pon­ti­fi­cale pour la vie.

On trou­ve­ra ci-​dessous quelques extraits qui per­met­tront de s’en faire une idée.

Le car­di­nal Antonelli y pré­sente une nou­velle fois, avec une aimable fer­me­té et un réa­lisme pra­tique, la doc­trine et la pas­to­rale qui sont actuel­le­ment en vigueur en ce qui concerne le mariage.

Et il met en évi­dence les consé­quences insou­te­nables aux­quelles on arri­ve­rait si cer­tains des chan­ge­ments qui sont actuel­le­ment pro­po­sés à dif­fé­rents niveaux de l’Église étaient mis en œuvre.

Extraits du livre du cardinal Antonelli « Crise du mariage et eucharistie », par Ennio Antonelli

Aux homosexuels qui vivent ensemble aussi, pourquoi pas ?

La pas­to­rale en vigueur encore actuel­le­ment donne des indi­ca­tions ana­logues en ce qui concerne les divor­cés rema­riés, les per­sonnes qui vivent ensemble sans être unies par quelque lien ins­ti­tu­tion­nel que ce soit et les catho­liques qui ont uni­que­ment contrac­té un mariage civil.

Le trai­te­ment qui est réser­vé à ces trois caté­go­ries de per­sonnes est pra­ti­que­ment le même : pas d’accès aux sacre­ments de la péni­tence et de l’eucharistie, accueil dans la vie ecclé­siale, proxi­mi­té res­pec­tueuse et per­son­na­li­sée afin de connaître concrè­te­ment cha­cune des per­sonnes, de les orien­ter et de les accom­pa­gner vers une éven­tuelle régularisation.

Mais, main­te­nant, cer­tains envi­sagent d’accorder l’accès à l’eucharistie uni­que­ment aux divor­cés rema­riés civi­le­ment, en main­te­nant l’exclusion pour les concu­bins de fait, pour les concu­bins qui sont enre­gis­trés comme tels et pour les homo­sexuels qui cohabitent.

Personnellement, je consi­dère que cette limi­ta­tion est peu réa­liste, parce que les gens qui coha­bitent sont beau­coup plus nom­breux que les divor­cés rema­riés. En rai­son de la pres­sion sociale et de la logique interne des choses, les opi­nions qui tendent à ce qu’il y ait davan­tage de per­mis­si­vi­té fini­ront sans aucun doute par l’emporter.

L’eucharistie réduite à un geste de courtoise

Il est vrai que l’eucharistie est néces­saire pour le salut, mais cela ne veut pas dire que seuls ceux qui reçoivent ce sacre­ment sont effec­ti­ve­ment sau­vés. Un chré­tien non catho­lique – ou même un croyant d’une autre reli­gion qui n’est pas bap­ti­sé – pour­rait être plus uni spi­ri­tuel­le­ment à Dieu qu’un catho­lique pra­ti­quant et, mal­gré cela, il ne peut pas être admis à la com­mu­nion eucha­ris­tique parce qu’il n’est pas en pleine com­mu­nion visible avec l’Église.

L’eucharistie est le som­met et la source de la com­mu­nion spi­ri­tuelle et visible. La visi­bi­li­té est éga­le­ment essen­tielle, dans la mesure où l’Église est le sacre­ment géné­ral du salut et le signe public du Christ sau­veur du monde. Cependant les divor­cés rema­riés et les autres per­sonnes qui vivent ensemble dans des condi­tions irré­gu­lières sont, mal­heu­reu­se­ment, dans une situa­tion objec­tive et publique d’opposition grave vis-​à-​vis de l’Évangile et de la doc­trine de l’Église.

Dans l’actuel contexte cultu­rel de rela­ti­visme, l’eucharistie risque d’être bana­li­sée et réduite à l’état de rite de socia­li­sa­tion. Il est déjà arri­vé que des per­sonnes qui n’étaient même pas bap­ti­sées se soient appro­chées de la table de com­mu­nion, parce qu’elles pen­saient faire ain­si un geste de cour­toi­sie, ou que des incroyants aient récla­mé le droit de com­mu­nier à l’occasion d’un mariage ou de funé­railles, sim­ple­ment pour mani­fes­ter leur soli­da­ri­té envers leurs amis.

Pire que dans les églises d’orient

Certaines per­sonnes vou­draient qu’il soit per­mis aux divor­cés rema­riés d’accéder à l’eucharistie, tout en affir­mant l’indissolubilité du pre­mier mariage et en ne recon­nais­sant pas la seconde union en tant que mariage véri­table, de manière à évi­ter la bigamie.

Cette manière de voir est dif­fé­rente de celle des Églises orien­tales qui per­mettent aux divor­cés rema­riés civi­le­ment de contrac­ter un second (et même un troi­sième) mariage cano­nique, même si celui-​ci est inter­pré­té dans un sens péni­ten­tiel. Elle appa­raît même, par cer­tains aspects, comme plus dan­ge­reuse, dans la mesure où elle conduit logi­que­ment à admettre comme licite la pra­tique de la sexua­li­té géni­tale en dehors du mariage, notam­ment parce que les gens qui pra­tiquent la coha­bi­ta­tion sont beau­coup plus nom­breux que les divor­cés remariés.

Les plus pes­si­mistes pré­voient déjà que l’on fini­ra par consi­dé­rer comme éthi­que­ment licites le fait de coha­bi­ter avant le mariage, les coha­bi­ta­tions de fait, qu’elles soient enre­gis­trées ou non enre­gis­trées, les rap­ports sexuels occa­sion­nels, peut-​être aus­si la coha­bi­ta­tion de per­sonnes homo­sexuelles, et jusqu’aux amours mul­tiples et aux familles multiples.

Entre le bien et le mal, il n’y a pas de gradualité

Il est cer­tai­ne­ment sou­hai­table d’adopter, en matière de pas­to­rale, une atti­tude construc­tive, en cher­chant à « sai­sir les élé­ments posi­tifs pré­sents dans les mariages civils et, compte-​tenu des dif­fé­rences, dans les concu­bi­nages » (Relatio Synodi, n° 41).

Il est cer­tain que les unions illé­gi­times contiennent, elles aus­si, d’authentiques valeurs humaines (par exemple l’affection, l’aide réci­proque, l’engagement com­mun vis-​à-​vis des enfants), parce que le mal est tou­jours mélan­gé au bien et qu’il n’existe jamais à l’état pur. Cependant il faut évi­ter de pré­sen­ter de telles unions comme étant en elles-​mêmes des valeurs impar­faites, alors qu’il s’agit de graves désordres.

La loi de gra­dua­li­té concerne seule­ment la res­pon­sa­bi­li­té sub­jec­tive des per­sonnes et elle ne doit pas être trans­for­mée en gra­dua­li­té de la loi, en pré­sen­tant le mal comme un bien impar­fait. Entre ce qui est vrai et ce qui est faux, entre ce qui est bien et ce qui est mal, il n’y a pas de gra­dua­li­té. L’Église – alors même qu’elle s’abstient de juger les consciences qui sont vues par Dieu seul et qu’elle accom­pagne avec res­pect et patience les pas qui sont faits en direc­tion du bien pos­sible – ne doit pas ces­ser d’enseigner la véri­té objec­tive à pro­pos du bien et du mal.

La loi de gra­dua­li­té sert à dis­cer­ner les consciences et non pas à clas­ser comme plus ou moins bonnes les actions à accom­plir et encore moins à éle­ver le mal à la digni­té de bien imparfait.

En ce qui concerne les divor­cés rema­riés et les per­sonnes qui vivent en concu­bi­nage, cette loi, loin de favo­ri­ser les pro­po­si­tions nova­trices, sert en défi­ni­tive à confir­mer la pra­tique pas­to­rale traditionnelle.

Pas de pardon sans conversion

Admettre les divor­cés rema­riés et les concu­bins à la table de com­mu­nion implique une sépa­ra­tion entre la misé­ri­corde et la conver­sion qui ne paraît pas en har­mo­nie avec l’Évangile.

Il s’agirait là de l’unique cas de par­don sans conver­sion. Dieu accorde tou­jours son par­don ; mais on ne peut le rece­voir que si l’on est humble, si l’on recon­naît que l’on a péché et si l’on s’engage à chan­ger de vie.

Au contraire le cli­mat de rela­ti­visme et de sub­jec­ti­visme éthico-​religieux qui règne actuel­le­ment favo­rise l’autojustification, en par­ti­cu­lier dans le domaine affec­tif et sexuel. On a ten­dance à mini­mi­ser sa propre res­pon­sa­bi­li­té, en attri­buant les éven­tuels échecs aux condi­tion­ne­ments sociaux. D’autre part il est facile d’attribuer la res­pon­sa­bi­li­té de l’échec à l’autre conjoint et de se pro­cla­mer innocent.

Toutefois il ne faut pas dis­si­mu­ler le fait que, si la res­pon­sa­bi­li­té de l’échec peut dans cer­tains cas incom­ber à un seul des deux conjoints, au moins la res­pon­sa­bi­li­té de la nou­velle union (illé­gi­time) incombe aux deux par­te­naires et c’est prin­ci­pa­le­ment cette union qui, tant qu’elle dure, empêche l’accès à l’eucharistie.

La ten­dance à por­ter sur la seconde union un regard posi­tif et à consi­dé­rer que seule la sépa­ra­tion qui l’a pré­cé­dée est un péché n’a pas de fon­de­ment théo­lo­gique. Il ne suf­fit pas de faire péni­tence uni­que­ment pour cette sépa­ra­tion. Il faut chan­ger de vie.

Adieu l’indissolubilité

Habituellement, les gens qui sont favo­rables à l’accès des divor­cés rema­riés et des concu­bins à la com­mu­nion eucha­ris­tique affirment que l’indissolubilité du mariage n’est pas mise en discussion.

Cependant, au-​delà de leurs inten­tions, étant don­née l’incohérence doc­tri­nale qui existe entre le fait d’admettre ces per­sonnes à l’eucharistie et l’indissolubilité du mariage, on fini­ra par nier, dans la pra­tique concrète, ce que l’on conti­nue­ra à affir­mer théo­ri­que­ment comme un prin­cipe, ce qui ris­que­ra de réduire le mariage indis­so­luble à un idéal, beau peut-​être, mais réa­li­sable uni­que­ment par quelques per­sonnes chanceuses.

La pra­tique pas­to­rale qui s’est déve­lop­pée dans les Églises orien­tales ortho­doxes est ins­truc­tive à cet égard.

Dans leur doc­trine, ces Églises affirment l’indissolubilité du mariage chré­tien. Cependant, dans leur pra­tique, les motifs de dis­so­lu­tion du mariage pré­cé­dent et de per­mis­sion de contrac­ter un deuxième (ou un troi­sième) mariage se sont pro­gres­si­ve­ment mul­ti­pliés. De plus le nombre de per­sonnes qui font de telles demandes est main­te­nant très éle­vé. Désormais toutes les per­sonnes qui pré­sentent à l’autorité ecclé­sias­tique une attes­ta­tion de divorce civil obtiennent éga­le­ment d’elle l’autorisation de contrac­ter un nou­veau mariage, sans même devoir pas­ser par une enquête et par une éva­lua­tion cano­nique de leur affaire.

On peut pré­voir que la com­mu­nion eucha­ris­tique des divor­cés rema­riés et des per­sonnes qui vivent en concu­bi­nage va, elle aus­si, deve­nir rapi­de­ment un fait géné­ra­li­sé. À ce moment-​là, par­ler de l’indissolubilité du mariage n’aura plus beau­coup de sens et la célé­bra­tion même du sacre­ment de mariage per­dra sa valeur pratique.

Traduction fran­çaise par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.