Lettre ouverte de Louis Veuillot au pape François

Question posée par un jour­na­liste au Pape François, le 27 juin 2016 :

« Vous irez en octobre en suède pour com­mé­mo­rer les 500 ans de la réforme. Pensez-​vous que ce soit le moment juste (…) pour recon­naître les dons et aus­si peut-​être pour lever l’excommunication de Luther ? »

Le Pape répond : 

« Je crois que les inten­tions de Luther n’é­taient pas erro­nées. C’était un réfor­ma­teur. Peut-​être cer­taines de ses méthodes n’é­taient pas justes, mais dans ce temps-​là, si nous lisons l “Histoire de Pastor - un alle­mand luthé­rien conver­ti au catho­li­cisme – nous voyons que l’Église n’est vrai­ment pas un modèle à imi­ter : cor­rup­tion, mon­da­ni­té, atta­che­ment à l’argent et au pou­voir. C’est pour cela qu’il a pro­tes­té, il était intel­li­gent et il a fait un pas en avant en jus­ti­fiant pour­quoi il le fai­sait. Aujourd’hui pro­tes­tants et catho­liques, nous sommes d’ac­cord sur la doc­trine de la jus­ti­fi­ca­tion : sur ce point si impor­tant il ne s’é­tait pas trom­pé. Il a fait un médi­ca­ment pour l’Église, ensuite ce médi­ca­ment s’est conso­li­dé en un état de choses, en une dis­ci­pline, en une manière de faire, de croire. Et puis il y avait Zwingli, Calvin et der­rière eux il y avait le prin­cipe « cuius regio eius reli­gio ». Nous devons nous mettre dans l’his­toire de ce temps-​là, ce n’est pas facile de com­prendre. Puis les choses ont été de l’a­vant, ce docu­ment sur la jus­ti­fi­ca­tion est un des plus riches « .

Devant ces pro­pos effa­rants, ahu­ris­sants, insul­tants envers l’Église, du Pape François, j’ai donc contac­té Louis Veuillot, qui, avec la béné­dic­tion de son ami le Pape Pie IX, a bien vou­lu me lais­ser trans­crire quelques élé­ments suf­fi­sants pour ouvrir l’intelligence, les yeux et le cœur du Pape. Puissent ces pro­pos, avec nos prières, lui obte­nir une véri­table conver­sion et renon­cer à ce que cer­tains jugent déjà comme la « cano­ni­sa­tion » de Luther.

Dans de fortes études sur le pro­tes­tan­tisme, Louis Veuillot met en lumière le fait que Luther a ouvert la voie qu’ont sui­vie tour à tour, Voltaire, Robespierre et Proudhon.

Il y a démon­tré qu’en éman­ci­pant la rai­son humaine, Luther a été pour ses adeptes une cause immé­diate de déchéance intel­lec­tuelle et morale. il y démontre que l’é­man­ci­pa­tion de la rai­son est deve­nue le prin­cipe des aber­ra­tions phi­lo­so­phiques et poli­tiques des temps modernes, non moins que la source des désordres sociaux de l’é­poque contemporaine.

Il a été une cause immé­diate de déchéance intel­lec­tuelle et morale.

« Pour per­ver­tir l’homme, il suf­fi­sait de le sépa­rer de l’élé­ment divin, c’est-​à-​dire de le réduire à ses propres forces ».

Luther a opé­ré un pro­dige plus effrayant, celui « de créer un chré­tien qui en pré­sence de l’Eglise, dépo­si­taire et inter­prète de la véri­té de Dieu, pro­cla­mât la sou­ve­rai­ne­té de sa propre raison ».

« En pro­cla­mant le droit du libre exa­men, en sou­met­tant la rai­son de Dieu à la rai­son sou­ve­raine de l’homme, en don­nant à chaque indi­vi­du la facul­té, ou plu­tôt en lui impo­sant l’o­bli­ga­tion de se créer à lui-​même sa reli­gion dans les limites de la Bible, Luther a nié la pré­sence sur la terre, de l’au­to­ri­té divine et par là, il a don­né aus­si­tôt l’exis­tence à des reli­gions pure­ment humaines. Puisque la rai­son a conquis la part de Dieu dans la direc­tion morale de l’hu­ma­ni­té, elle doit res­ter seule maî­tresse des croyances, des doc­trines, des lois, des moeurs. et aus­si a‑t-​elle reven­di­qué et exer­cé ce droit de sa vic­toire. Dès lors, plus de tra­di­tion, plus d’in­failli­bi­li­té, plus de véri­té abso­lue, plus de droit divin, plus de lien d’u­ni­té dans la foi, en d’autres termes, plus de foi ».

Que fait cette rai­son émancipée ? 

« Elle passe tout droit à l’in­dé­pen­dance abso­lue, et cette indé­pen­dance se courbe avec une indif­fé­rence hon­teuse sous n’im­porte quelle dic­ta­ture, pour som­brer dans l’in­dif­fé­rence et le mépris de toute religion. » 

« Le pro­tes­tan­tisme « accroît alors la por­tion ani­male de l’hu­ma­ni­té en y fai­sant redes­cendre tous ceux que la connais­sance et l’a­mour de Dieu éle­vaient jadis à la vie spirituelle ».

L’éman­ci­pa­tion de la rai­son humaine par Luther, prin­cipe des aber­ra­tions phi­lo­so­phiques des temps modernes.

Veuillot constate que « La rai­son éman­ci­pée, c’est-​à-​dire incré­dule, n’a fait autre chose, depuis sa vic­toire, que tra­vailler à détruire ce que la rai­son sou­mise, c’est-​à-​dire croyante, avait édi­fié après de longs siècles et de puis­sants travaux » …

Résultat, explique Veuillot : 

il a pro­duit des mil­liers de sectes reli­gieuses ; il a intro­duit le désordre dans la conscience.

Un siècle et demi après que Luther eut écar­té la phi­lo­so­phie de la « voie large et lumi­neuse » que sui­vait la rai­son catho­lique, le pro­tes­tant Leibnitz lui-​même n’a­vait besoin que de consi­dé­rer « la marche nou­velle et les ten­dances fata­listes de l’es­prit phi­lo­so­phique » pour annon­cer cent ans après à l’avance les révo­lu­tions dont l’Europe allait être ébranlée.

Epouvanté, il écri­vait dès l’an­née 1670 : 

« Puissent tous les savants réunir leurs forces pour ter­ras­ser le monstre de l’a­théisme et ne pas lais­ser davan­tage croître un mal d’où l’on ne peut attendre que l’a­nar­chie universelle ».

Hélas, com­mente Veuillot : « Le mal plus grand et plus ter­rible qu’on ne le voyait, enva­hit les sciences politiques. »

L’éman­ci­pa­tion de la rai­son humaine par Luther, prin­cipe des aber­ra­tions poli­tiques des temps modernes.

« La rai­son indi­vi­duelle, sou­ve­raine en reli­gion, enphi­lo­so­phie, le devint donc en politique.Après s’être fait, de son plein gré, une reli­gion, une­phi­lo­so­phie, l’in­di­vi­du veut se faire un gou­ver­ne­ment sui­vantles idées et les goûts qui l’ont gui­dé dans le choix dureste.En même temps que la notion de Dieu périt dans lacons­cience et dans l’es­prit, la notion de l’au­to­ri­té, fille duciel, s’ef­face, lais­sant le champ libre aux com­bats des inté­rêt­sin­di­vi­duels, armés les uns contre les autres de tou­te­la force et de tout l’en­tê­te­ment de l’égoïsme ».

« Soustrait aux droits de Dieu, l’homme tombe immé­dia­te­ment­sous le joug de l’homme. Dans ce morcellement,et dans cette contre­fa­çon de l’au­to­ri­té, la société,qui était une famille dégé­nère en un pêle-​mêle de tri­bus­dont le plus ardent désir est de s’a­néan­tir réciproquement.Vivante image des sectes du pro­tes­tan­tisme et desé­coles de phi­lo­so­phie. Même prin­cipe, même résultat ! »

Louis Veuillot tire cette consé­quence que « la poli­ti­quede la rai­son sou­ve­raine se réduit au manie­ment dela foule », or « on agite la foule par la pas­sion, par l’erreur,par la crainte, et de cette fer­men­ta­tion se dégage une­force qui peut tout, mais qui passe vite et qui par elle-​mêmene crée rien ; irré­sis­tible comme la vapeur, sub­ti­leet sté­rile comme elle ».

C’est ain­si que « la sou­ve­rai­ne­té de la rai­son, en détrui­sant­la notion de l’au­to­ri­té, rem­place l’au­to­ri­té par ledes­po­tisme, l’o­béis­sance par la ser­vi­li­té, la liber­té parl’esclavage ».

Louis Veuillot démontre ensuite, l’his­toire en main,que « Dieu n’a rien plus soi­gneu­se­ment ensei­gné à l’homme que le res­pect de l’au­to­ri­té [ … ]le prin­cipe pro­tes­tant, intro­duit­dans la poli­tique, mine sans­cesse cette auto­ri­té, par des­coups sous les­quels la sociétéelle-​même doit périr.L’autorité a en soi­quelque chose de si légitime,de si néces­saire, desi divin que rien ne peutl’é­bran­ler sérieusement,sauf elle-​même. Tantqu’elle rem­plit sa mission,tant qu’elle fait son devoir,elle croit fer­me­ment à son­droit, et elle résiste aux plus redou­tables ; épreuves, appuyée sur­la conscience publique.Mais l’au­to­ri­té conspire contre elle-​même et se tra­hit­lors­qu’elle se sépare de Dieu. Premièrement, elle se reti­reain­si la pro­tec­tion de Celui par qui les rois régnaient ; secondement,elle ne peut se sépa­rer de Dieu sans entre­pren­dre­contre les droits de Dieu ; et tout ce qu’elle fai­ten ce sens tourne néces­sai­re­ment contre le bien du peuple​.Car le droit de Dieu dans ce monde, c’est là véri­ta­ble­mentle bien et l’a­pa­nage, l’u­nique bien, l’u­ni­quea­pa­nage des faibles et des petits.

Après avoir ame­né l’au­to­ri­té à se sur­char­ger de pou­voir, le pro­tes­tan­tisme, ou si l’on aime mieux, l’es­prit pro­tes­tant l’a cor­rom­pu en le sépa­rant de Dieu, en lui ôtant la crainte de Dieu, en l’o­bli­geant à faire entre­prise sur entre­prise contre les droits de Dieu. »

Cela a conduit fina­le­ment à « des flots de sang qui ont inon­dé la terre ».

« Pour moi, je regrette, je l’a­voue fran­che­ment, c’est qu’on n’ait pas brû­lé Luther, c’est qu’il ne se soit pas trou­vé quelque prince assez pieux et assez poli­tique pour mou­voir une croi­sade contre les protestants ».

Veuillot se prend à rap­pe­ler les « temps à la fois plus­vi­gou­reux dans le mal, plus fermes et plus sages dans lebien où il y avait peine de mort contre ceux qui pro­met­taient­la paix publique en fabri­quant de faussescroyances ».

« Nos pères croyaient l’hé­ré­siarque plus dan­ge­reuxque le voleur et ils avaient rai­son. une doc­trine héré­ti­queé­tait une doc­trine révo­lu­tion­naire. il en résul­tait des troubles,des sédi­tions, des pillages, des assas­si­nats, tou­tes­sortes de crimes contre les par­ti­cu­liers et contre l’Etat.On tom­bait en guerre civile, on fai­sait alliance ave­cl’é­tran­ger, et la natio­na­li­té était mena­cée en même tempsque la vie et la for­tune des indi­vi­dus. L’hérésie qui est untrès grand crime reli­gieux était donc aus­si un très grand­crime poli­tique [ … ] l’hé­ré­siarque, exa­mi­né et convain­cu­par l’Eglise était livré au bras sécu­lier et puni de mort.Rien ne m’a jamais sem­blé plus natu­rel et plus nécessaire.Cent mille hommes périrent par suite de l’hé­ré­sie de Wyclef, celle de Jean Huss en fit périr davan­tage ; on ne peut­me­su­rer ce que l’hé­ré­sie de Luther a coû­té de sang [ … ]La prompte répres­sion des dis­ciples de Luther, une croi­sa­de­contre le pro­tes­tan­tisme auraient épar­gné à l’Europe,trois siècles de dis­cordes et de catas­trophes où laFrance et la civi­li­sa­tion peuvent périr ».

Un peu plus tard en 1857, Louis Veuillot affir­maitque « 89 qui est le libre exa­men en poli­tique, n’a pas pro­duit­moins d’é­coles que le libre exa­men reli­gieux, sonan­cêtre, n’a pro­duit de sectes ».

« Dans le pro­tes­tan­tisme poli­tique, comme dans lepro­tes­tan­tisme reli­gieux où peut être l’or­tho­doxie, et oùpeut-​elle n’être pas ? Il y a ce que l’on appelle des établissements,c’est-à-dire des ortho­doxies de fait et de force,mais qui ne reposent doc­tri­na­le­ment sur aucune base etqui ne peuvent se sou­te­nir qu’au mépris du prin­cipe géné­ra­teurde tous les pro­tes­tan­tismes, prin­cipe unique etu­ni­que­ment admis : la néga­tion de l’autorité ».

L’éman­ci­pa­tion de la rai­son humainepar Luther, source de désordres sociauxde lépoque contem­po­raine.

Dans sa bro­chure « Le pape et la diplo­ma­tie » LouisVeuillot envi­sa­geant les désordres sociaux de son temps,et cher­chant à démas­quer « le der­nier acte de la révol­te­du pro­tes­tan­tisme contre l’Eglise de Dieu », révolte« contre la véri­té divine » qui se cou­vrait du « mot » de liber­tédes peuples, exac­te­ment comme elle s’é­tait cou­ver­te­du « mot » de liber­té des consciences au temps de Luther,révélait magis­tra­le­ment que l’at­taque du « monstre » offrait­bien « le triple carac­tère qu’elle avait au XVIe siècle,caractère social, carac­tère poli­tique, carac­tère religieux ».

« Luther attaque l’é­tat social dans sa racine en ébran­lant­la soli­di­té du mariage, base de la socié­té chré­tienne ;il attaque l’é­tat poli­tique dans sa racine par le dépla­ce­mentdes pou­voirs et l’a­bo­li­tion de la hié­rar­chie, déve­lop­pe­mentde la socié­té chré­tienne, il attaque l’é­ta­tre­li­gieux dans sa racine par l’a­bo­li­tion du culte extérieur,expression néces­saire du culte inté­rieur, cou­ron­ne­mentde la socié­té chré­tienne. Cette triple attaque se fait aunom de la liberté :

- pour la liber­té de la chair : le divorce ;
pour la liber­té de l’âme : le pon­ti­fi­cat des princes ;culte extérieur ».

or, affirme Louis Veuillot « La Révolution nous pré­sen­tele déve­lop­pe­ment régu­lier et logique de ces trois­li­ber­tés protestantes ».

« De même que Luther avait pro­cla­mé pon­tifes les­rois, au nom de la liber­té reli­gieuse, de même la Révolutionproclame les peuples rois au nom de la liber­té decons­cience politique ».

« Luther disait : « Plutôt Mahomet que le Pape ». C’estle cri de la Révolution ». Certains « phi­lo­sophes du libreexa­men » ont osé par­ler de « pro­grès au milieu de cet­teim­mense misère ; ils ont dit que l’hu­ma­ni­té avait grandi,qu’elle était sor­tie de l’en­fance, arri­vée à l’âge viril, qu’el­le­pen­sait, qu’elle devait désor­mais mar­cher sans lisière, sans­tu­telle, maî­tresse d’elle-​même dans sa sagesse et dans saliberté. »

Louis Veuillot convient qu’as­su­ré­ment « l’hu­ma­ni­té avieilli et s’est éman­ci­pée ». Mais, remarque-​t-​il, « ce n’est­pas tout de vieillir et de s’é­man­ci­per ; il faut savoir enquel sens le carac­tère s’est déve­lop­pé avec l’âge ».

Pour ce qui est du pro­grès moral, assure Veuillot« c’est un pro­grès à reculons ».

Abbé Xavier Beauvais, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X 

Sources : Acampado n° 119 d’oc­tobre 2016/​La Porte Latine du 5 octobre 2016