Vous avez dit : « église officielle » ?

1 – Depuis que Monseigneur Benelli a uti­li­sé l’expression, la ter­mi­no­lo­gie « église conci­liaire » est deve­nu la locu­tion habi­tuelle par laquelle est dési­gné l’ensemble des conci­liaires c’est-à-dire de ceux qui se reven­diquent de Vatican II, qu’ils appar­tiennent à l’église ensei­gnante ou enseignée.

2 – Malgré la disputatio((Cf. Revue Sel de la Terre, n° 85 de l’é­té 2013 p. 1 à 16 et revue Courrier de Rome, n°363 de février 2013))qui a agi­té les milieux tra­di­tio­na­listes, l’expression est res­tée pour dési­gner ceux qui, dans l’Église, sont oppo­sés à la Tradition. Du reste, les conver­tis eux-​mêmes emploient habi­tuel­le­ment et comme natu­rel­le­ment l’expression, tant il est clair pour eux qu’il y a comme deux socié­tés qui s’affrontent et dont les doc­trines et les pra­tiques sont si anta­go­nistes. Quand ils viennent nous voir, ils nous disent clai­re­ment qu’ils ont quit­té « l’église conci­liaire », « l’autre église ».

3 – Depuis quelques temps on s’aperçoit qu’une autre expres­sion veut se sub­sti­tuer à celle d’église conci­liaire. On parle alors d’église officielle((Ce n’est pas une nou­veau­té, cette expres­sion a déjà été employée en diverses occa­sions. Le pro­blème ici n’est pas tant l’ex­pres­sion elle-​même que sa sub­sti­tu­tion à cette autre locu­tion d’é­glise conci­liaire. )). Dans quelle mesure faut-​il adop­ter une telle expres­sion ? Quelle pré­ci­sion apporte-​t-​elle dans un contexte déjà bien com­pli­qué ? Fau-​il rem­pla­cer conci­liaire par offi­ciel ?

4 – Il faut tout d’abord rap­pe­ler que Notre-​Seigneur n’a fon­dé qu’une seule Église : c’est l’Église catho­lique, une, sainte, et apos­to­lique. Foi et sacre­ments sont ses biens les plus pré­cieux, et l’autorité a été ins­ti­tuée pour les défendre.

5 – Il est néces­saire d’appartenir à l’Église catho­lique pour être sau­vé. Cette incor­po­ra­tion se fait par le bap­tême, lequel est insé­pa­rable de la pro­fes­sion de foi.((Un adulte païen qui rece­vrait le bap­tême dans le pro­tes­tan­tisme ou l’or­tho­doxie ne serait pas incor­po­ré à l’Église catho­lique. Il y entre­rait lors de sa conver­sion en abju­rant ses erreurs et en pro­fes­sant publi­que­ment la foi.)) Société visible, l’Église catho­lique com­porte aus­si une par­tie invi­sible qui n’est rien d’autre que la com­mu­nion des saints. C’est ain­si que l’on dis­tingue le corps de l’âme de l’Église.

6 – Il faut entendre le dogme « Hors de l’Église point de salut » de l’appartenance à l’âme de l’Église. Mais une telle appar­te­nance se fait par l’incorporation, c’est-à-dire par l’appartenance au corps, socié­té visible. C’est une néces­si­té de moyen, autre­ment dit c’est un moyen néces­saire sans lequel ne peut être atteint le but.

7 – Il existe cepen­dant des cas, que l’on dit être extra­or­di­naires ‑et rares par conséquent- dans la mesure où ils ne sont pas la voie ordi­naire vou­lue par Dieu. Cela concerne les per­sonnes qui, n’ayant pas connais­sance de l’Église catho­lique, cherchent cepen­dant à ser­vir Dieu comme ils le connaissent en obéis­sant au moins à la loi natu­relle connue par la conscience. Ceux-​là appar­tiennent à l’âme de l’Église sans appar­te­nir à son corps. Mais il est cer­tain qu’ils se feraient bap­ti­ser dès qu’ils auraient reçu la connais­sance de l’Église catholique.

8 – Il faut dire que les mou­ve­ments dits tra­di­tio­na­listes (FSSPX et com­mu­nau­tés amies) appar­tiennent à l’Église et y ont tou­jours appar­te­nu, mal­gré les condam­na­tions et injus­tices qu’ils ont subies.

9 – Il faut en dire de même de ceux que l’on appelle ordi­nai­re­ment du titre de résis­tants, car qu’ils aient quit­té la Fraternité, ou qu’ils en aient été évin­cés ne signi­fie pas qu’ils ont été exclus de l’Église. Ces per­sonnes sont par­fai­te­ment catho­liques et cer­tai­ne­ment plus proches de nous dans le com­bat doc­tri­nal que ceux que l’on nomme ral­liés (Fraternité Saint-​Pierre, Christ-Roi…)

10 – Quant aux conci­liaires, le cas est vrai­ment com­pli­qué. En effet, puisque les conci­liaires sont de véri­tables moder­nistes (du moins pour les majores((On nomme par ce terme ceux qui appar­tiennent à la hié­rar­chie ecclé­sias­tique et par­ti­cu­liè­re­ment à l’Église ensei­gnante : pape et évêques.)), et que le moder­nisme est condam­né par l’Église, on peut très légi­ti­ment dou­ter de leur appar­te­nance à l’âme de l’Église : ils ont per­du pour la plu­part la foi, ils ont chan­gé tous les sacre­ments, et leur auto­ri­té n’est plus au ser­vice du bien com­mun de l’Église. Ils sont imbus d’un venin phi­lo­so­phique (sub­jec­ti­visme) qui les éloigne objec­ti­ve­ment de la foi. On peut alors dire qu’ils appar­tiennent au corps de l’Église. Mais le temps qui passe peut finir même par nous faire douter((Douter, c’est sus­pendre un juge­ment, c’est avouer qu’on ne sait pas répondre à une ques­tion. Mais c’est aus­si dire deux choses : qu’il y a une véri­table ques­tion qui se pose, et qu’il faut par consé­quent appor­ter un véri­table tra­vail théo­lo­gique afin de pré­pa­rer une réponse que pour­ra sanc­tion­ner plus tard l’au­to­ri­té catho­lique de l’Église.)) de cette vérité((Par exemple le car­di­nal Barbarin, pri­mat des Gaules et arche­vêque de Lyon a don­né la confir­ma­tion catho­lique lors d’une céré­mo­nie de « confir­ma­tion pro­tes­tante avec pasteur(e) ». En s’op­po­sant ain­si ouver­te­ment à la pro­fes­sion publique de la foi, on peut bien se deman­der s’il est encore membre de l’Église. Récemment encore le car­di­nal de Sao Paulo s’est retrou­vé dans une céré­mo­nie où Notre Dame et Bouddha étaient « hono­rés » simul­ta­né­ment. On se pose la même ques­tion à son égard.)).

11 – On com­prend mieux alors ce que veulent dire les fidèles lorsqu’ils parlent d’église conci­liaire et d’église tra­di­tion­nelle. Ce ne sont pas deux Églises dis­tinctes (du moins pour l’instant, en atten­dant une condam­na­tion pro­chaine d’un pape catho­lique). Ce sont comme deux par­ties ou deux états de l’Église catho­lique : la pre­mière est malade et la seconde est saine.((A ce sujet, on a vou­lu oppo­ser l’é­tude des pères domi­ni­cains d’Avrillé à celle de l’ab­bé Gleize. C’est une incom­pré­hen­sion. Si les pre­miers ont vou­lu mon­trer qu’il exis­tait une oppo­si­tion radi­cale entre conci­liaires et tra­di­tio­na­listes, l’ab­bé Gleize en revanche s’est atta­ché à mon­trer que cette oppo­si­tion ne consti­tue pas encore deux socié­tés dis­tinctes parce que ces deux cou­rants sub­sistent au sein même de l’Église catho­lique. Avrillé décrit la mala­die et son oppo­si­tion à la san­té ain­si que son œuvre des­truc­trice dans son orga­ni­sa­tion, tan­dis que l’é­minent pro­fes­seur d’ec­clé­sio­lo­gie, sans le nier, affirme que ce ne sont pas encore deux corps dis­tincts, mais un même corps social dans lequel une cer­taine par­tie (et pas la moindre) est cor­rom­pue. Il y aura deux socié­tés dis­tinctes lorsque ces moder­nistes conci­liaires seront condam­nés et chas­sés de l’Église.)) Ces deux expres­sions sont donc une des­crip­tion très par­lante de l’état de l’Église catho­lique. Conciliaire dit bien (et l’on peut dire que c’est une défi­ni­tion vul­gaire au sens éty­mo­lo­gique) l’opposition à traditionnel.

12 – Récemment, on cherche dans les milieux catho­liques tra­di­tio­na­listes à impo­ser le terme d’église offi­cielle pour rem­pla­cer celui d’église conci­liaire. Certes, offi­ciel exprime bien l’idée que nous recon­nais­sons que ces évêques, quoiqu’indignes, occupent le pou­voir, et ce pou­voir, en tant que tel, nous ne pou­vons que le res­pec­ter. Mais rem­pla­cer conci­liaire par offi­ciel com­porte une grave ambi­guï­té. Car le catho­lique tra­di­tio­na­liste, qui ne se recon­naît pas conci­liaire et pour cause, doit-​il désor­mais dire qu’il ne se recon­naît pas non plus catho­lique offi­ciel ? Le catho­lique tra­di­tio­na­liste n’appartiendrait donc plus à l’église offi­cielle ? Il ne serait pas plei­ne­ment catho­lique ? Mais alors à quelle église appartiendrait-​il ? Pour le savoir, il faut se deman­der à quoi s’oppose le mot offi­cielle. Réponse : offi­cieuse, ou alors cachée, clan­des­tine, ou alors patrio­tique. Mais alors le catho­lique tra­di­tio­na­liste ne se recon­naît en aucune d’elles. Faudrait-​il dire qu’il appar­tient à l’église offi­cielle au risque d’être confon­du avec les moder­nistes ? Absit. Reste à dire par consé­quent qu’il n’appartient pas à l’Église. Et c’est la rai­son pour laquelle il devient en mal de reconnaissance.

13 – En réa­li­té, il s’agit là d’une ambi­guï­té grave et très per­ni­cieuse. Remplacer le terme d’église conci­liaire par église offi­cielle pour l’appliquer aux moder­nistes vient gom­mer la dis­tinc­tion et l’opposition entre tra­di­tion­nel et conci­liaire. En gom­mant cette dis­tinc­tion, il atté­nue clai­re­ment le com­bat de la foi au risque de le nier et en vient à faire regret­ter au tra­di­tio­na­liste de n’appartenir à aucune église vrai­ment sérieuse en lui don­nant l’impression de n’être pas nor­mal et par consé­quent de recher­cher la nor­ma­li­sa­tion. Cette expres­sion tait donc la véri­table mala­die dont l’Église est atteinte, met en état d’infériorité ou de com­plexe le véri­table catho­lique qui a gar­dé intègre foi et sacre­ments, et entre­tient une confu­sion typi­que­ment libé­rale. En réa­li­té, l’utilisation d’un telle expres­sion confuse relève déjà du libé­ra­lisme et n’est plus vrai­ment catholique.

14 – Pour com­battre un enne­mi, et a for­tio­ri lorsque cet enne­mi est infil­tré dans la cita­delle, il faut un lan­gage clair et non équi­voque pour le dési­gner. Le catho­lique tra­di­tio­na­liste ne com­bat pas l’Église catho­lique c’est une évi­dence. Mais pourra-​t-​on lui faire croire qu’il com­bat une église offi­cielle ? Si elle est offi­cielle, on risque de lui créer quelques remords de conscience à com­battre, car c’est offi­ciel et l’Église catho­lique est offi­cielle ! Non, il com­bat la mala­die. Et cette mala­die, il lui a don­né un nom : église conciliaire.

15 – Car si l’église conci­liaire appar­tient à l’Église catho­lique aujourd’hui, il est en revanche impos­sible de dire que l’Église catho­lique est conciliaire !

16 – Le tra­vail théo­lo­gique, lequel fait cruel­le­ment défaut aujourd’hui, consiste à affi­ner les expres­sions, et par là à mieux expri­mer la réa­li­té de ce que nous vivons. C’est ce qu’a tou­jours fait l’Église.

17 – Les idées mènent le monde. Et les idées sont énon­cées par les mots. En chan­geant les mots, on change les idées. Et dans ce cas pré­sent, en chan­geant les idées, on change la nature du com­bat. Ce qui serait une trahison.

18 – Que votre oui soit oui, que votre non soit non, le reste vient du malin. ()

Abbé Gabriel Billecocq, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, 1er vicaire de Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet

Sources : Le Chardonnet n° 333 de décembre 2017