Suffit-​il d’assembler pour unir ?

« Ne faites pas avec les infi­dèles d’as­sem­blage dis­pa­rate sous un même joug. Quel rap­port peut-​il en effet y avoir entre la jus­tice et l’i­ni­qui­té ? Qu’y a‑t-​il de com­mun entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord y‑a-​t-​il entre le Christ et Bélial ? Quelle part le croyant peut-​il avoir avec l’in­croyant ? Comment conci­lier le temple de Dieu avec les idoles ? » – II Cor, IV, 14–16.

Comme tous les ans, l’Église a consa­cré la semaine du 18 au 25 jan­vier à « prier pour l’unité ». En effet, le début cor­res­pond à la fête de la chaire de saint Pierre, et la fin à la conver­sion de saint Paul : ces deux sym­boles se prêtent aisé­ment à la volon­té de voir la Foi se pro­pa­ger pour sau­ver de nou­velles âmes.

Cette période est désor­mais consa­crée à une sur­en­chère de scan­dales et d’apostasie publique tant de curés dans les paroisses que d’évêques. Tant et si bien que Dieu doit conte­nir sa colère devant tant de blas­phèmes qui crient vers le Ciel.

- Cette semaine ne fut-​elle pas auto­ri­sée par le pape saint Pie‑X ?

Auparavant, une dis­tinc­tion s’impose : les papes non moder­nistes n’ont pas uti­li­sé le terme d’unité de l’Église, comme si cette carac­té­ris­tique lui man­quait. Le pape don­na son appro­ba­tion en 1909 à des prières durant cette semaine « Pour la conver­sion des frères éga­rés ». Son sou­ci était le retour des héré­tiques vers l’unité de l’Église.

Ne trouvez-​vous pas que cette divi­sion entre chré­tiens donne un piètre exemple de ce qu’a vou­lu le Christ ?

Ce furent les pro­tes­tants qui envi­sa­gèrent cette réa­li­té : en effet, à la dif­fé­rence de toutes les héré­sies de l’histoire de l’Église, la leur a intro­duit le libre exa­men, la lec­ture de la Bible à la seule lumière de sa propre rai­son. Le résul­tat ne se fit pas attendre, et ce fut une constel­la­tion d’opinions les plus dis­pa­rates. Autant de pro­tes­tants, autant d’églises. D’où cette consta­ta­tion de Bossuet dans son Histoire des varia­tions des églises pro­tes­tantes publié en 1688.

Panique chez les protestants !

Ils auraient dû se rendre compte que sans « auto­ri­té magis­té­rielle », ils étaient voués à cette explo­sion. Mais plu­tôt que de se poser le pro­blème de « la véri­té », ils pré­fé­rèrent « replâ­trer ». Dès 1857, repre­nant une ini­tia­tive anté­cé­dente, un catho­lique libé­ral et un pas­teur, au Royaume-​Uni, créent l‘Association pour la Promotion de l’Unité de la Chrétienté. Elle comp­te­ra 6000 membres. Dès 1864, le Saint-​Siège demande aux catho­liques de se reti­rer. Mais l’interdiction pour les catho­liques se fera plus exi­geante lors des ren­contres de Chicago en 1886 : déjà à cette époque, on ten­tait de remi­ser les dif­fé­rences dog­ma­tiques pour s’entendre sur un socle com­mun de croyance.

Vers 1910, l’œcuménisme prend sa tour­nure moderne d’une recherche de conver­gence entre les chré­tiens de dif­fé­rentes confes­sions qui abou­ti­ra à la créa­tion du Conseil œcu­mé­nique des Églises en 1948. Les pro­tes­tants, les sectes auto­pro­cla­mées « reli­gion », ain­si que les ortho­doxes s’y uniront.

Le tour­nant de Vatican II

La papau­té n’a jamais per­mis à l’Église catho­lique de péné­trer dans cette grande « foire de reli­gions ». Cependant, le concile Vatican II marque un véri­table tour­nant en énon­çant que « ces églises et Communautés sépa­rées, bien que nous les croyions souf­frir de défi­ciences, ne sont nul­le­ment dépour­vues de signi­fi­ca­tion et de valeur dans le mys­tère du Salut. » (Unitatis redin­te­gra­tio n °03) Autrement dit, Dieu daigne se ser­vir des sectes pro­tes­tantes en tant que telles pour sau­ver les âmes.

Jusqu’alors, on savait que l’erreur ne pou­vait qu’entraver la démarche des gens sin­cères ; leur abou­tis­se­ment ne peut pas être « par » l’erreur et les sectes, mais « mal­gré » elles.

Aux anti­podes, Jean-​Paul II nous pré­cise : « Il est extrê­me­ment impor­tant de faire une pré­sen­ta­tion cor­recte et loyale des autres églises dont l’Esprit ne refuse pas de se ser­vir comme des moyens de salut.1 ».

On com­prend com­ment furent ini­tiées ces grandes réunions comme à Assise, où la prière de cha­cun est consi­dé­rée à éga­li­té, comme à Assise – la pre­mière en ce lieu fut le 27 octobre 1986 – On y voit le pape lui-​même, dans une église dépouillée du Saint Sacrement et des signes de véné­ra­tion à la Vierge, et les repré­sen­tants des autres reli­gions s’assembler avec un rameau d’olivier à la main « pour prier ».

Mais n’est-ce pas une avan­cée de mon­trer au monde un visage de paix et d’unité ?

Ce ne furent jamais les catho­liques qui divi­sèrent la tunique du Christ. C’est la rai­son pour laquelle on parle des « sectes » qui se séparent. Le terme lui-​même désigne le fait de se cou­per de l’unité.

« On com­prend donc pour­quoi le Siège Apostolique n’a jamais auto­ri­sé ses fidèles à prendre part aux congrès des non-​catholiques : il n’est pas per­mis, en effet, de pro­cu­rer la réunion des chré­tiens autre­ment qu’en pous­sant au retour des dis­si­dents à la seule véri­table Église du Christ, puisqu’ils ont eu jadis le mal­heur de s’en sépa­rer.((Encyclique Mortalium Animos, 6 jan­vier 1928))

L’Église n’a pas besoin des arti­fices des hommes pour être « Une ».

Lors de l’approche de sa mort, devant ses Apôtres, le Christ a prié lon­gue­ment pour l’unité. « Rassemblez-​les dans l’unitéafin que tous soient un comme vous, Père, vous êtes en moi et moi en vous. »((Jean XV, 21))

Il veut faire par­ti­ci­per les chré­tiens à une uni­té qu’Il vit déjà. « Mon Père et moi nous sommes un » (Jean X, 30), c’est-à-dire une seule et même sub­stance. N’est-ce pas ce que nous pro­cla­mons dans notre Credo en disant que le Fils est « consub­stan­tiel au Père » ?

Incarné, le Fils est encore « un » avec le Père. Il appelle les siens à péné­trer dans cette uni­té, dans cette vie tri­ni­taire : c’est la Grâce sanctifiante.

Dieu appelle l’homme à vivre dans son Unité. Cette pro­fonde com­mu­ni­ca­tion de Dieu à l’homme le trans­forme au point de le « consom­mer dans l’unité((Jean XVII, 23)) » ; elle se fait pour tous les élus, au point qu’il existe une com­mu­nion des élus dans l’Église. Plus une chose est par­faite, plus elle a d’unité. L’unité d’un tas de sable n’est pas celle d’un être vivant !

L’Église pos­sède donc un état de per­fec­tion dès son ori­gine, dès son exis­tence dans les des­seins de la Providence éter­nelle. Dans son être, elle jouit de l’unité d’un être vivant, car elle est faite par cette « consom­ma­tion dans l’Unité ». Une uni­té spi­ri­tuelle et divine chez les êtres spi­ri­tuels dépasse néces­sai­re­ment en inten­si­té une uni­té physique.

L’Église n’a besoin que d’elle-même pour exis­ter et demeure par consé­quent indé­pen­dante de toute condi­tion humaine et ter­restre. C’est elle qui conduit l’homme à la per­fec­tion et non l’inverse.

Notre Seigneur Jésus-​Christ prie « afin qu’ils soient consom­més dans l’unité((Ibidem)) », d’une uni­té qui pré­cède et dépasse ceux qu’elle transforme.

La ten­dance moderne vou­drait que l’Église ne soit trans­cen­dante que par l’œuvre de l’homme. Or l’Église nous pré­cède, et c’est de son Unité que nous rece­vons la per­fec­tion. L’œcuménisme est donc sté­rile : il fabrique la com­mu­nion des hommes sur la néga­tion de la trans­cen­dance de l’unique Église du Christ. Nous deve­nons « un » en Dieu que par l’union que nous com­mu­niquent la Foi et la Grâce.

« Une seule Foi, un seul Baptême », dit clai­re­ment saint Paul ; car la Foi en éclai­rant l’âme l’introduit dans le domaine où elle sera puri­fiée et vivi­fiée par la Grâce.

Même l’obéissance aux chefs visibles de l’Église ne peut faire fi de cette réa­li­té. Cette ver­tu est de l’ordre moral, donc de l’agir humain : elle ne peut qu’être condi­tion­née par l’ordre onto­lo­gique de la Grâce qui nous est com­mu­ni­quée. À ce titre, il est garant de l’unité : le Souverain Pontife est au ser­vice de la Vérité dont il est le dépositaire.

On s’aperçoit, alors, que la com­mu­nion avec l’Église n’est pas à « géo­mé­trie variable », comme le voca­bu­laire moderne le laisse entendre avec ses « pleines com­mu­nions ». Les pon­tifes modernes ont créé un tiraille­ment entre l’appartenance à l’unité, et l’apparence d’une déso­béis­sance. Face à ce para­doxe seule­ment, les réac­tions peuvent être clas­si­fiées par « degré de com­mu­nion ». À un faux pro­blème s’oppose une fausse réponse. Jésus dit sans doute pos­sible : « Vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes bre­bis. Mes bre­bis entendent ma voix : je les connais et elles me suivent. » Il n’existe qu’un unique bercail.

Pour conclure, lais­sons la parole à Saint Cyprien :

« Dans l’Évangile, il y a une image du mys­tère de cette uni­té, du lien de cette entente qui doit être par­fait : c’est le vête­ment sans cou­ture de notre Seigneur Jésus Christ. Il n’est pas divi­sé ni déchi­ré… Ce vête­ment, on le reçoit tout entier, on le pos­sède sans qu’il soit abî­mé ou coupé.

Ce vête­ment, (Jn 19, 23), c’est l’image de l’unité qui vient d’en haut, c’est-à-dire du ciel et du Père. Celui qui reçoit cette uni­té et la pos­sède ne peut pas la déchi­rer, mais il l’obtient tout entière, une fois pour toutes, soli­de­ment. Celui qui déchire et divise l’Église ne peut pas pos­sé­der le vête­ment du Christ. »2

Abbé Jean-​Pierre Boubée, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Le Chardonnet n° 335 de février 2018

  1. Catechesi tra­den­dae – 16 octobre 1979 – n° 32 []
  2. St Cyprien : l’unité de l’Église []

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Pierre Boubée est prêtre depuis 1978. Après avoir connu la vie parois­siale en zone dif­fi­cile, à Mantes-​la-​Jolie, il a été direc­teur de deux lycées-​collèges et a for­mé de nom­breuses géné­ra­tions dans les œuvres de jeunesse.