Mgr Simon fait de l’esprit

Mgr Hippolyte Simon [Photo ci-​dessus] est arche­vêque émé­rite du dio­cèse de Clermont. Il a démis­sion­né en 2016 pour rai­son de san­té. De sa retraite il prend tout de même le temps de faire part aux lec­teurs du jour­nal La Vie – jadis catho­lique – de sa réac­tion à l’élection de l’abbé Davide Pagliarani à la tête de la Fraternité Saint-​Pie X, le 11 juillet dernier.

En quelques para­graphes d’un billet trop long pour une pen­sée un peu courte, le pré­lat nous explique que, avec un prêtre à la tête d’une socié­té sacer­do­tale, l’œuvre fon­dée par Mgr Marcel Lefebvre est rede­ve­nue « une Eglise de struc­ture « pres­by­té­rienne » » (sic). Que veut-​il dire ? C’est pour­tant bien l’Eglise catho­lique qui a approu­vé les sta­tuts de la Fraternité Saint-​Pie X !

Voici son rai­son­ne­ment : « le Supérieur géné­ral est de nou­veau un prêtre, en la per­sonne de l’ab­bé ita­lien Davide Pagliarani. Et ce prêtre est ain­si éta­bli « chef » de trois évêques ! De 1988 à 1994, il s’agissait de l’abbé Schmidberger. Quand Mgr Fellay lui a suc­cé­dé, en 1994, Ecône est rede­ve­nue « épis­co­pale ». Un évêque était le pre­mier res­pon­sable de la Fraternité. Ce qui sem­blait davan­tage conforme à la grande Tradition catholique ».

La grande Tradition catho­lique qu’évoque Mgr Simon lui est déci­dé­ment bien mal connue. Le Saint-​Siège pré­fère au contraire que les congré­ga­tions soient gou­ver­nées par des prêtres et non des évêques. Lorsqu’un Chapitre élit un évêque, il faut ordi­nai­re­ment l’indult du pape. C’est ain­si que Mgr Lefebvre, lorsqu’il fut élu Supérieur géné­ral des Pères du Saint-​Esprit en 1962, suc­cé­da à un prêtre qui gou­ver­nait une socié­té de 3.382 prêtres, dont étaient issus par ailleurs 46 évêques. Le pape Jean XXIII dut confir­mer l’élection parce qu’il s’agissait d’une excep­tion au droit de l’Eglise, celui pour­tant de « la grande Tradition catho­lique » ! Six ans plus tard, en 1968, le suc­ces­seur de Mgr Lefebvre à la tête de la congré­ga­tion des Spiritains fut encore un prêtre, comme l’était le fon­da­teur, le Père Libermann. Comme tant d’autres congré­ga­tions gou­ver­nées par des prêtres, sans qu’il y eût un Hippolyte Simon pour s’en offusquer.

Certes un évêque gou­verne un dio­cèse. Mais la Fraternité Saint-​Pie X n’est jus­te­ment pas un dio­cèse. Et quand bien même un jour, dans un ave­nir hypo­thé­tique, une Prélature éta­bli­rait un évêque à la tête de la Fraternité, cela n’empêche pas celle-​ci d’être aujourd’hui gou­ver­née de manière par­fai­te­ment catho­lique par un prêtre, à l’instar des socié­tés de vie apos­to­lique qui sont légion dans l’Eglise.

Le coup de pied de l’âne

La conclu­sion de l’évêque émé­rite de Clermont laisse entre­voir un éclair de luci­di­té : « Je n’ai pas com­pé­tence pour faire un com­men­taire plus appro­fon­di sur la gou­ver­nance de la Fraternité Saint-​Pie X ». Mais il est aus­si­tôt sui­vi du coup de pied de l’âne : « je me per­mets sim­ple­ment de trou­ver un peu étrange le fait que, sous pré­texte de gar­der la tra­di­tion catho­lique, on applique les prin­cipes pro­po­sés par Jean Calvin puis déve­lop­pés par Ulrich Zwingli, en Suisse, et John Knox, en Ecosse… Comprenne qui pourra ! »

Le lec­teur est prié de rire et de s’esbaudir sur la pro­fon­deur inavouée d’une remarque cen­sée spi­ri­tuelle et ins­pi­rée. La véri­té est que Mgr Simon croit faire de l’esprit mais ignore et l’histoire de l’Eglise et la pra­tique romaine. Triste !

Cela dit, Mgr Simon exprime de façon impli­cite une concep­tion encore répan­due. Pour lui, visi­ble­ment, la Fraternité Saint-​Pie X est schis­ma­tique. Elle doit donc adop­ter une struc­ture de gou­ver­ne­ment sem­blable à celle d’une « petite Eglise », d’une « Eglise paral­lèle ». Si elle élit à sa tête un prêtre, elle est de forme pres­by­té­rienne. Si elle choi­sit un évêque, elle est de forme épis­co­pa­lienne. Simple, sim­pliste même, mais effi­cace pour déni­grer et cata­lo­guer la Fraternité…

Une œuvre d’Eglise qui défend la foi catholique

Mais la Fraternité Saint-​Pie X est une œuvre d’Eglise. Elle suit les lois de l’Eglise et leur pra­tique constante. L’accusation de schisme dont elle est régu­liè­re­ment affu­blée n’a jamais tenu. Elle recon­naît le pape comme le chef de l’Eglise, de sa hié­rar­chie visible ici-​bas, et les condi­tions mêmes des sacres de 1988 ont assez mon­tré que Mgr Lefebvre prit soin de ne pas rompre avec Rome, ne confé­rant aucun pou­voir de juri­dic­tion aux évêques auxi­liaires dont il dotait la Fraternité.

S’il pas­sa outre une loi de dis­ci­pline ecclé­sias­tique, ce ne fut pas pour les motifs qui fondent un schisme : refus de l’unité de l’Eglise ou de la sou­mis­sion au suc­ces­seur de Pierre, rejet déli­bé­ré et volon­taire de l’autorité en tant que telle. Ce n’est pas la rébel­lion contre l’autorité légi­time ou la néga­tion du dogme de l’unité de l’Eglise fon­dée sur Pierre qui explique l’attitude de la Fraternité Saint-​Pie X. Elle se fonde en véri­té sur le com­bat de la foi, celui que tout fidèle bien né et fils de l’Eglise se doit de mener. Elle ne pré­tend pas se sub­sti­tuer à l’Eglise mais la ser­vir. Elle n’aspire pas à mettre à bas la papau­té, comme Calvin, Zwingli et Knox le rêvaient, mais au contraire à défendre le Siège apos­to­lique dans la foi et la fidé­li­té au magis­tère de toujours.

Du reste, cela fait belle lurette que l’accusation de schisme n’a plus cours. Nombre d’évêques en sont bien conscients, jusqu’au pape lui-​même. Le 18 juillet 2018, le secré­taire de la com­mis­sion Ecclesia Dei, qui dépend de la Congrégation romaine pour la doc­trine de la foi, affir­mait publi­que­ment, après tant d’autres : « il est abso­lu­ment faux d’affirmer que la Fraternité Saint-​Pie X est schis­ma­tique du point de vue for­mel, cano­nique ».

Si la socié­té de prêtres catho­liques fon­dée par Mgr Lefebvre n’est pas schis­ma­tique, il serait temps que Mgr Simon la traite comme telle. Même à l’âge de la retraite, il faut rai­son gar­der, et ne pas perdre l’esprit.

Abbé Christian Thouvenot, FSSPX

Sources : Fsspx​.news