Le synode ouvre une crise dans l’Eglise, par Jean-​Marie Guenois – 21 octobre 2014

Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

Le rédac­teur en chef du Figaro char­gé des reli­gions [1], qui était au Vatican durant les deux semaines de débats, dresse le bilan du synode sur la famille pour FigaroVox.

Résumé : Beaucoup pensent que l’Eglise va finir par lais­ser de côté ces sujets mais ils se trompent car ils n’ont pas encore réa­li­sé le niveau de déter­mi­na­tion réfor­miste de ce pape et de son équipe rap­pro­chée. La véri­table rup­ture avec le pas­sé vient du fait que, pour la pre­mière fois, le Pape met le pro­blème sur la table et lance un débat franc et ouvert sur la ques­tion dont il publie les résul­tats et les votes. François consi­dère que l’Eglise doit s’a­dap­ter à un cer­tain nombre de situa­tions. Il veut conduire ces chan­ge­ments par le biais des synodes et nous en avons actuel­le­ment une réa­li­sa­tion gran­deur nature. Il vou­drait aus­si confé­rer, comme il l’a écrit, une par­tie du pou­voir doc­tri­nal, aux confé­rences épis­co­pales. Ce qui est cer­tain est que ce synode ouvre une « crise » dans l’Eglise au sens ancien de ce mot qui est celui de poser un choix, de déci­der. Encore une fois, ce pape qui n’est pas un théo­lo­gien mais un pas­teur, voit l’Eglise comme un « peuple en marche »

FigaroVox : Alors que les évêques convo­qués par le pape ont approu­vé same­di un rap­port final sur la famille, quel bilan tirez-​vous de cette assem­blée synodale ?

Jean-​Marie GUENOIS : Il y a de mul­tiples façons de tirer ce bilan car c’est une réa­li­té très com­plexe dont on pas fini de sai­sir les consé­quences mais aus­si la gra­vi­té. L’une serait spi­ri­tuelle. C’est l’é­lan que veut don­ner l’Eglise à la cause de la famille mais aus­si aux familles tout court, les familles concrètes et les familles chré­tiennes en pre­mier lieu. Dans un monde désen­chan­té qui ne croit plus à l’a­mour, qui ne croit plus pos­sible de s’en­ga­ger l’un pour l’autre, ni de s’en­ga­ger pour ses enfants, il s’a­git de réaf­fir­mer que l’a­mour existe et qu’il est pos­sible. Ce que l’Eglise appelle le mariage indis­so­luble. En un mot c’est regar­der le verre à moi­tié vide d’un divorce sur deux comme un verre à moi­tié plein, celui d’un mariage sur deux, durable et heu­reux ! Derrière l’i­ré­nisme appa­rent de ce pro­pos posi­tif, le synode a donc contri­bué à une prise de conscience des enjeux réels de la ques­tion fami­liale. Elle paraît tel­le­ment rin­garde aux yeux de beau­coup… elle est tou­te­fois le centre même de l’é­qui­libre des sociétés.

La seconde approche de ce bilan touche la ques­tion des divor­cés rema­riés. Oui, le synode a été han­té par la ques­tion des divor­cés rema­riés. Et ce ne fut pas par fixa­tion occi­den­tale car l’é­cla­te­ment de la famille se dif­fuse à haute vitesse dans le monde. Ni par la « faute » des médias qui auraient créé, voire inven­té leur « synode » ! Cette dis­pro­por­tion sur les divor­cés rema­riés est venue du choix des évêques eux-​mêmes qui ont débor­dé très lar­ge­ment le temps de paroles pré­vu sur ce thème. Ils l’ont mul­ti­plié par quatre lors de la pre­mière semaine. Et encore plus lors de la seconde semaine où ils ont tra­vaillé par petit groupe. Du reste, ce sujet des divor­cés rema­riés était la véri­table rai­son qui a conduit le pape François à convo­quer ce synode.

Troisième approche, plus poli­tique, les résul­tats. Le docu­ment final exprime à la fois les posi­tions fermes et indis­cu­tables de l’Eglise, comme l’in­dis­so­lu­bi­li­té du mariage mais il rend bien compte des débats intrin­sèques et intenses sur les divor­cés rema­riés et sur l’ho­mo­sexua­li­té que la culture catho­lique a effec­ti­ve­ment du mal à abor­der. Le rap­port final a été approu­vé à l’ex­cep­tion de trois para­graphes sur les divor­cés rema­riés et sur les homo­sexuels. Ils sont les seuls sur une soixan­taine à ne pas avoir recueilli la majo­ri­té des deux tiers néces­saire. Le Vatican a cepen­dant immé­dia­te­ment pré­ci­sé que ces para­graphes n’a­vaient pas été « reje­tés » mais qu’ils n’a­vaient sim­ple­ment pas eu « le niveau de consen­sus suf­fi­sant pour être inté­grés dans le rap­port final ». Beaucoup pensent que l’Eglise va finir par lais­ser de côté ces sujets mais ils se trompent car ils n’ont pas encore réa­li­sé le niveau de déter­mi­na­tion réfor­miste de ce pape et de son équipe rap­pro­chée. A l’ex­cep­tion unique et notoire du car­di­nal Pell, aus­tra­lien, elle va dans le sens de la réforme.

En somme, le synode a par­fai­te­ment atteint l’ob­jec­tif ini­tial fixé par le . Il sou­hai­tait ouvrir un débat pour faire évo­luer les posi­tions et résoudre des ques­tions essen­tielles. Il a donc lan­cé les dis­cus­sions en don­nant un coup de pied dans la four­mi­lière. Les posi­tions oppo­sées se sont expri­mées libre­ment, le Pape a ain­si pu mesu­rer et les argu­ments, et le refus ou l’ac­cep­ta­tion de ces chan­ge­ments. Ce qui signi­fie que le résul­tat du vote a peu d’im­por­tance. Il n’empêchera pas le pape de prendre une déci­sion après la seconde ses­sion du synode. Elle sera déli­cate car François veut conci­lier indis­so­lu­bi­li­té du mariage avec un accès pos­sible, dans cer­tains cas, à la com­mu­nion pour les divor­cés rema­riés. Mais le cli­mat et les esprits auront été pré­pa­rés pour une muta­tion sur un sujet que beau­coup pen­saient figé.

Le Pape n’a pas obte­nu la majo­ri­té des deux tiers sur trois para­graphes, concer­nant les divorcés-​remariés et les homo­sexuels. S’agit-​il d’une pre­mière ? Peut-​on aller jus­qu’à par­ler d’une rup­ture au sein de l’Eglise ?

On ne peut pas par­ler d’é­chec du synode. On l’a vu, le but était avant tout de déclen­cher un débat. C’est chose faite. Ce qui est inédit n’est pas ce vote car l’Eglise uti­lise cette pra­tique dans de nom­breuses ins­tances d’ad­mi­nis­tra­tion ou de déci­sions pour sta­tuer sur cer­tains dos­siers. Ce qui est nou­veau c’est que le pape ait vou­lu que le résul­tat soit publié. Avant d’é­vo­quer votre ques­tion sur la rup­ture, deux remarques sur ces para­graphes. La pre­mière touche leur conte­nu. Entre les deux ver­sions du docu­ment, celle du lun­di 13 octobre, mi par­cours du synode, et celle du same­di 14, sa conclu­sion, les conte­nus de ces para­graphes, sur l’ho­mo­sexua­li­té et sur les divor­cés rema­riés ont été consi­dé­ra­ble­ment adou­cis. Il s’a­gis­sait de trou­ver un consen­sus. Il n’a pas été atteint même si la majo­ri­té simple a été net­te­ment dépas­sée. Pourquoi ? Ces oppo­sants ont pour cer­tains voté contre le texte pour pro­tes­ter contre la méthode expé­di­tive du synode. En prin­cipe le docu­ment inter­mé­diaire doit être rédi­gé à la fin de la pre­mière semaine pour prendre au mieux en compte toutes les inter­ven­tions des évêques. La véri­té ‑et le mini scan­dale qui a écla­té – est que la majeure par­tie de ce docu­ment était déjà rédi­gée avant même l’ou­ver­ture du synode sur la base des avis récol­tés dans les églises du monde grâce au grand son­dage pré­pa­ra­toire ! Ces méthodes, et d’autres faits, ont bra­qué cer­tains évêques qui ont déci­dé de voter contre les textes. Quant à la ques­tion de la rup­ture, il est un peu tôt pour le dire. La véri­table rup­ture avec le pas­sé vient du fait que, pour la pre­mière fois, le Pape met le pro­blème sur la table et lance un débat franc et ouvert sur la ques­tion dont il publie les résul­tats et les votes. Une dyna­mique qui, même si elle est impar­faite parce que tout le texte n’a pas été adop­té, ne casse pas son élan réfor­ma­teur. Elle démontre plu­tôt que le pape a enten­du la voix de l’op­po­si­tion mais qu’elle est aus­si mino­ri­taire de fait. On peut aus­si voir dans cet « inci­dent » ou dans cet accroc – qui n’en est pas un en réa­li­té – un moyen d’ap­puyer la volon­té réfor­ma­trice du pape François. S’il ne sait pas encore com­ment le cur­seur de la réforme va être pla­cé, François sait déjà qu’il déci­de­ra et appli­que­ra ses réformes.

Le Pape ne s’est pas expri­mé clai­re­ment sur ces trois para­graphes. Quelle est aujourd’­hui sa véri­table ligne ? Est-​elle aus­si « moder­niste » que le pré­tendent les médias ?

Le Pape s’est expri­mé, entre les lignes de son dis­cours de clô­ture same­di, non pas sur ces para­graphes mais sur l’es­prit qui doit pré­si­der à cette réforme. Il a ren­voyé dos à dos ce qu’il appelle les « tra­di­tion­na­listes » oppo­sés à la réforme qu’il juge rigides et les « pro­gres­sistes » qu’il estime légers. C’est un Jésuite et il est « rusé » comme il s’est défi­nit lui-​même : il n’al­lait pas com­mettre l’er­reur de com­men­ter ce vote ! Il a sim­ple­ment recon­nu qu’il y a eu un débat dif­fi­cile, par­fois encou­ra­geant, par­fois décou­ra­geant mais il a sur­tout consa­cré la moi­tié de son dis­cours à jus­ti­fier comme jamais aucun de ses pré­dé­ces­seurs, l’au­to­ri­té du pape. Il a cité le texte même de la consti­tu­tion de l’Eglise catho­lique pour rap­pe­ler qu’il avait le pou­voir, au « ser­vice » de tous mais que c’é­tait lui le patron.

Oui, c’est évi­dem­ment un réfor­ma­teur. Et ce sur trois grands axes. D’abord, la manière dont il vit, dont il incarne la papau­té est un chan­ge­ment en soi. Son style de papau­té, démo­cra­tique, proche des gens, tranche avec une papau­té de style impé­riale même s’il se découvre de plus en plus autoritaire.

Ensuite, un deuxième axe de réforme concerne la manière dont fonc­tionne la curie. Il sou­haite sim­pli­fier l’or­ga­ni­sa­tion du Vatican. Il court-​circuite la secré­tai­re­rie d’Etat, autre­fois toute-​puissante, qui fil­trait les pro­blèmes et en réfé­rait ensuite au Pape. François pré­fère créer ses propres conseils, ses groupes de réflexion : le fameux G8, com­po­sé de huit car­di­naux qui le conseillent. Mais il a fal­lu attendre presque une année au secré­taire d’Etat, le car­di­nal Parolin, donc chef de la curie, pour entrer dans ce cercle dont il était exclu. C’est dire…

Un troi­sième axe vise à faire évo­luer la doc­trine de l’Eglise. Ce pro­gramme est conte­nu dans son exhor­ta­tion apos­to­lique La joie de l’Evangile. Sur le plan doc­tri­nal, François consi­dère que l’Eglise doit s’a­dap­ter à un cer­tain nombre de situa­tions. Il veut conduire ces chan­ge­ments par le biais des synodes et nous en avons actuel­le­ment une réa­li­sa­tion gran­deur nature. Il vou­drait aus­si confé­rer, comme il l’a écrit, une par­tie du pou­voir doc­tri­nal, aux confé­rences épiscopales.

Bien enten­du, l’Eglise reste une ins­ti­tu­tion par­fois mes­quine mais aus­si gran­diose, très humaine mais aus­si méta­phy­sique. La plu­part de ses ensei­gne­ments fon­da­men­taux n’ont pas voca­tion à chan­ger avec le temps. Chaque pape apporte cepen­dant son lot de réflexions, de changements.

Le synode, qui se réuni­ra de nou­veau dans un an, n’est théo­ri­que­ment qu’un organe consul­ta­tif. Le Pape peut-​il pas­ser en force ? Cela ouvrirait-​il la voie à une crise ouverte au sein de l’Eglise ?

Dans les faits, seuls les car­di­naux élec­teurs, autre­ment dit 120 per­sonnes, ont le pou­voir de s’op­po­ser au Pape. Un car­di­nal peut ain­si, avec la défé­rence qui sied, mani­fes­ter son désac­cord en face du sou­ve­rain pon­tife. Les évêques, en revanche ont juré obéis­sance au Pape. Les car­di­naux éga­le­ment mais un simple évêque ne peut pas s’op­po­ser ouver­te­ment. Peu de per­sonnes peuvent donc tenir tête à François.

De plus, François n’a pas peur de l’op­po­si­tion. Elle n’est pas d’ailleurs, sur ces ques­tions entre conser­va­teurs ou pro­gres­sistes comme on l’a trop dit, mais elle est essen­tiel­le­ment théo­lo­gique. Ainsi pouvez-​vous avoir, sur la même ques­tion des divor­cés rema­riés, des avis oppo­sés dans le camp, sup­po­sé, des conser­va­teurs comme dans celui, sup­po­sé, des pro­gres­sistes ! Cette oppo­si­tion, donc, le pape ne la nie pas. Sa volon­té et de déclen­cher le débat pour faire « avan­cer » l’Eglise et la réfor­mer acti­ve­ment. Il ne voit pas l’Eglise autre­ment « qu’en che­min ». Il faut voir aus­si que jus­qu’i­ci, les dis­sen­sions internes étaient cachées. L’Eglise sou­hai­tait tou­jours mon­trer son uni­té humaine. Une uni­té de façade, évi­dem­ment qui ne trom­pait per­sonne car l’u­ni­té de l’Eglise n’est pas dans le consen­sus, elle est dans la com­mu­nion, ce qui n’est pas la même chose. François a per­mis de mettre au grand jour les débats au sein de l’institution.

Le Pape lui-​même ne cherche pas à pas­ser en force : sa posi­tion le place au-​dessus des débats. Ses proches conseillers cepen­dant, comme le G8, mais aus­si le secré­taire du synode Mgr Bruno Forte ou l’a­mi argen­tin du pape, Mgr Fernandez, rec­teur d’u­ni­ver­si­té – qui fut le pre­mier évêque nom­mé par François – sans oublier le car­di­nal Kasper, le poussent à aller jus­qu’au bout de la réforme sans oublier aus­si le très impor­tant car­di­nal Maradiaga, dénom­mé « le vice pape » à Rome. Sauf que ces réformes au pas de charge risquent de liguer les oppo­sants excé­dés par cette façon de faire…

En défi­ni­tive, François déci­de­ra sou­ve­rai­ne­ment. Ce synode a lan­cé la dis­cus­sion. Les évêques rendent main­te­nant la parole au monde pour que le débat se pour­suive dans les églises. Mais il va fal­loir veiller aux mani­pu­la­tions. Vous allez voir jaillir de par­tout des péti­tions par exemple. A l’i­mage de celle que le car­di­nal Marx – l’un des membres du G 8 – qui s’est per­mis d’ar­ri­ver au synode en affir­mant, feuille à l’ap­pui, que « tous les évêques alle­mands » atten­daient la réforme sur les divor­cés rema­riés. Il faut donc s’at­tendre à un fort bat­tage qui va faire pres­sion sur l’o­pi­nion. Quand la seconde ses­sion du synode pren­dra place, le fruit sera mûr. Mais les argu­ments des théo­lo­giens fon­dés, eux, sur la tra­di­tion de l’Eglise et non sur l’o­pi­nion, n’au­ront pas bou­gé… Entre temps des com­mis­sions de tra­vail spé­cia­li­sées auront pré­pa­ré des solu­tions pra­tiques et juri­diques pour avan­cer. François pour­ra alors prendre sa déci­sion. Souverainement : en tant que gar­dien du dogme mais aus­si comme chef tout-​puissant de l’Eglise catholique.

Certains évoquent un risque de « schisme ». Il y a déjà des schismes de fait dans l’Eglise catho­lique avec beau­coup de prêtres ou de fidèles qui ne par­tagent pas la foi catho­lique sur l’eu­cha­ris­tie ou sur la vierge Marie par exemple mais qui se disent catho­liques alors qu’ils sont d’au­then­tiques chrétiens…protestants ! Il pour­rait donc y avoir un schisme de fait, silen­cieux, invi­sible si les déci­sions allaient trop loin. Ce qui est cer­tain, en revanche, est que ce synode ouvre une « crise » dans l’Eglise au sens ancien de ce mot qui est celui de poser un choix, de déci­der. Encore une fois, ce pape qui n’est pas un théo­lo­gien mais un pas­teur, voit l’Eglise comme un « peuple en marche » qui découvre col­lec­ti­ve­ment au fur et à mesure du che­min, les voies nou­velles à emprun­ter. Et l’on a pas encore réa­li­sé, en France notam­ment et dans cer­tains milieux, comme je tente de l’ex­pli­quer dans mon der­nier livre (« Jusqu’oû ira François ? » JC Lattes) l’am­pleur et la pro­fon­deur du chan­ge­ment de papau­té entre Benoît XVI et François. Le choc de ce synode ouvre peut-​être les yeux à cer­tains. Ce chan­ge­ment de pape n’est pas seule­ment celui d’un pape, c’est aus­si un nou­veau cap.

Sources : FigaroVox/​Jean-​Marie Guenois

Notes de bas de page

  1. Jean-​Marie Guénois est rédac­teur en chef du Figaro char­gé des reli­gions. Il vient de publier « Jusqu’ou ira François » chez JC Lattes.[]