Rome et la FSSPX – Déclaration commune de « The Remnant » et de « Catholic Family News »

Traduction par­tielle en fran­çais depuis l’o­ri­gi­nal (1)

Les rumeurs ne cessent de rico­cher entre elles dans toute la presse et à tra­vers l’Internet au sujet des négo­cia­tions en cours entre Rome et la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X. Certains indi­vi­dus publient, sur ces négo­cia­tions, des décla­ra­tions cen­sées faire auto­ri­té, alors qu’ils ne sont mani­fes­te­ment pas au cou­rant de tous les faits. Mgr Bernard Fellay, Supérieur géné­ral de la Fraternité Saint-​Pie X, a publi­que­ment décla­ré que contrai­re­ment à diverses allé­ga­tions, aucune négo­cia­tion n’était en chan­tier dans l’immédiat.

La plu­part des par­ti­sans de la FSSPX ont pous­sé un sou­pir de sou­la­ge­ment en enten­dant cette nou­velle, de même que beau­coup de per­sonnes qui, pour n’être pas de leurs rangs, n’en savent pas moins que la Fraternité fait contre­poids à tout le mou­ve­ment tra­di­tio­na­liste « approuvé ». 

D’autres catho­liques sont cha­gri­nés que Mgr Fellay semble igno­rer la branche d’olivier que lui tend le Vatican. Les auteurs du pré­sent docu­ment, qui sont les rédac­teurs en chef de deux jour­naux catho­liques jouis­sant d’une large dis­tri­bu­tion, tiennent à faire part de leur sou­tien pour l’extrême pru­dence dont Mgr Fellay et la Fraternité Saint-​Pie X doivent faire preuve dans toute négo­cia­tion avec la Rome actuelle en cette passe très dan­ge­reuse de l’histoire. Dans la décla­ra­tion qui suit, nous avons l’intention d’exposer les rai­sons qui nous amènent à conclure que le moment n’est pas encore venu, hélas ! pour que la Fraternité conclue un accord.

« Garantir notre avenir »

Il y a trois ans, Mgr Fellay a avan­cé trois sages cri­tères pour enta­mer des négo­cia­tions avec l’actuel Vatican. Dans sa « Lettre aux amis et bien­fai­teurs » du 3 juillet 2003, il met­tait en garde :

« Pour garan­tir notre ave­nir, nous devons obte­nir de la Rome d’aujourd’hui une preuve claire de son atta­che­ment à la Rome d’hier. Lorsque les auto­ri­tés romaines auront réaf­fir­mé avec des actions par­lant plus fort que les mots qu’« Il ne doit pas y avoir d’innovations en dehors de la Tradition », alors « nous » [la Fraternité] ne serons plus un problème. »

Compte tenu de ces pru­dents cri­tères, nous ne voyons pas com­ment des négo­cia­tions actuelles garan­ti­raient l’avenir de la Fraternité Saint-​Pie X, car la Rome d’aujourd’hui ne four­nit aucune preuve claire de son atta­che­ment à la Rome d’hier, aucun signe par des actions par­lant plus fort que les mots qu’« il ne doit pas y avoir d’innovations en dehors de la Tradition ». En fait, on assiste même au contraire, d’autant plus que beau­coup de gens qui avaient com­men­cé par saluer l’élection du car­di­nal Ratzinger à la papau­té, y com­pris un cer­tain nombre de catho­liques conci­liaires, consi­dèrent main­te­nant d’un air décon­fit les neuf pre­miers mois du nou­veau pontificat.

Le pape Benoît XVI, dont la pre­mière allé­geance est tou­jours allée à la nou­velle théo­lo­gie moder­niste, ne semble pas dif­fé­rent du car­di­nal Ratzinger, qui applau­dis­sait Vatican II pour avoir été un anti-​Syllabus et qui décla­rait avec emphase : « Il ne doit pas y avoir de retour au Syllabus ». Cela devait appa­raître à l’évidence dans le dis­cours qu’il a pro­non­cé le 22 décembre 2005 devant la Curie Romaine et au cours duquel il n’a ces­sé de louer la liber­té reli­gieuse de Vatican II comme consti­tuant le nou­vel étalon-​or des rela­tions entre l’Église et l’État. L’allégeance à la nou­velle vision mon­diale de Vatican II res­sort avec la même évi­dence d’autres dis­cours dans les­quels le pape prône une « saine laï­ci­té », alors que rien ne sau­rait répu­gner davan­tage à la Royauté sociale de Jésus-​Christ pré­co­ni­sée par le Magistère papal d’avant Vatican II.

Le fait que ce dis­cours du 22 décembre dénonce l’« her­mé­neu­tique de la dis­con­ti­nui­té et de la rup­ture » n’est pas ce sur quoi on peut pla­cer beau­coup d’espoir. Pendant des années, le car­di­nal Ratzinger a déplo­ré les mau­vaises inter­pré­ta­tions du Concile. Mais il n’a jamais dit que la solu­tion de ce pro­blème rési­dât dans un retour à la tra­di­tion d’avant Vatican II. Au contraire, il a maintes fois répé­té que pour résoudre le pro­blème en ques­tion, il fal­lait décou­vrir le « véri­table » ensei­gne­ment de Vatican II. La solu­tion du car­di­nal Ratzinger – et, aujourd’hui, celle du pape Benoît XVI – au chaos actuel consiste à ren­voyer les catho­liques aux docu­ments libé­raux et ambi­gus de Vatican II, ceux-​là mêmes qui ont pro­vo­qué la crise.

Un retour à Quas Primas, au Serment anti-​moderniste, au Syllabusdu bien­heu­reux Pie IX n’occupe aucune place dans la « res­tau­ra­tion » que le pape pour­rait éven­tuel­le­ment pré­co­ni­ser. Le Benoît XVI d’aujourd’hui n’est autre que le car­di­nal Ratzinger d’hier. La nou­velle théo­lo­gie de Vatican II est tou­jours le centre de son univers.

Aussi une ques­tion brûle-​t-​elle les lèvres des catho­liques inquiets : com­ment une Fraternité Saint-​Pie X « récon­ci­liée » pourrait-​elle opé­rer libre­ment sous l’égide de la nou­velle théo­lo­gie moder­niste, alors que sa rai­son d’être même est de s’opposer publi­que­ment à cette nou­velle théo­lo­gie des­truc­trice ?

En effet, c’est bien là le point cru­cial sur lequel il serait fatal pour la FSSPX d’accepter un com­pro­mis. Pourtant il semble pro­bable que Rome attende de la Fraternité qu’elle « cède un peu » sur la ques­tion de l’acceptation du Concile.

Il est hors de ques­tion que la FSSPX (qui n’est pas for­mel­le­ment en état de schisme – ain­si qu’est allé jusqu’à l’admettre le car­di­nal Castrillón Hoyos, de la Commission pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei – et qui n’est pas sédé­va­can­tiste) puisse conser­ver indé­fi­ni­ment son sta­tut cano­nique « irré­gu­lier ». En fin de compte, elle réin­té­gre­ra entiè­re­ment le giron de Pierre, très pro­ba­ble­ment après que Rome aura aban­don­né la poli­tique de l’échec de Vatican II, évé­ne­ment dont nous sommes convain­cus qu’il doit se pro­duire et qu’il se pro­dui­ra à l’heure vou­lue par Dieu.

Nous sommes pour­tant d’avis que l’« état d’urgence », loin d’avoir dis­pa­ru, s’est au contraire tel­le­ment enra­ci­né dans l’élément humain de l’Église qu’il ne fau­dra rien de moins qu’une inter­ven­tion divine pour res­tau­rer notre Mère la Sainte Église. Comme le regret­té Michael Davies le notait peu avant sa mort, nous sommes « au-​delà de la crise », car l’Église n’est même plus capable d’engendrer les voca­tions sacer­do­tales néces­saires pour assu­rer l’administration des sacre­ments aux fidèles. L’augmentation du nombre des « paroisses sans prêtre » est là pour rap­pe­ler cette triste réalité.

Vatican II

Après la ren­contre du 29 août der­nier entre Mgr Fellay et le pape Benoît XVI, le car­di­nal Francesco Pompedda, ancien pré­fet de la Signature apos­to­lique, a décla­ré au quo­ti­dien ita­lien La Stampa que la Fraternité Saint-​Pie X ne pour­rait se récon­ci­lier avec le Saint-​Siège que si elle recon­nais­sait la vali­di­té des décrets de Vatican II.

De même, John Allen, du National Catholic Reporter, a énu­mé­ré – d’une manière d’ailleurs assez inexacte – les « quatre condi­tions posées par la direc­tion de la FSSPX pour un rapprochement : 

1. plus large auto­ri­sa­tion de célé­brer la Messe d’avant Vatican II ;
2. levée des excom­mu­ni­ca­tions contre les quatre évêques consa­crés par Mgr Lefebvre en 1988 ;
3. recon­nais­sance du droit de cri­ti­quer cer­tains aspects de Vatican II, en par­ti­cu­lier son ensei­gne­ment sur la liber­té reli­gieuse ;
4. octroi d’une struc­ture cano­nique – par exemple, une admi­nis­tra­tion apos­to­lique – pour don­ner aux tra­di­tio­na­listes une cer­taine autonomie. »

S’agissant des deux pre­mier points, la Fraternité Saint-​Pie X ne demande pas une plus large « auto­ri­sa­tion » de célé­brer la Messe tri­den­tine, car une telle auto­ri­sa­tion serait super­flue. Elle veut sim­ple­ment, comme tout vrai catho­lique, que le Vatican admette la véri­té, qui est que la Messe tri­den­tine n’a jamais été inter­dite et que tous les prêtres sont libres de la célé­brer sans « indult » spé­cial de la part des évêques.

Dans le même esprit, la FSSPX ne demande pas au Vatican de « lever » les excom­mu­ni­ca­tions de 1988, car elle ne recon­naît pas leur exis­tence. Là encore, la Fraternité veut seule­ment que Rome admette la véri­té en décla­rant ces excom­mu­ni­ca­tions nulles et non ave­nues.

En outre, la Fraternité pré­sente ces deux pre­miers points non comme condi­tions d’une récon­ci­lia­tion, mais comme condi­tions pour enga­ger des négo­cia­tions pou­vant débou­cher sur sa régu­la­ri­sa­tion. Cependant, elle demande que le Vatican com­mence par s’exprimer hon­nê­te­ment sur ces deux points impor­tants. Si le Vatican ne veut pas admettre la véri­té – et si une ins­ti­tu­tion est tenue d’admettre la véri­té, c’est bien lui –, les négo­cia­tions sont plu­tôt inutiles.

En ce qui concerne le troi­sième point, qui est capi­tal et devrait faire figure de condi­tion abso­lue pour la régu­la­ri­sa­tion de la FSSPX, John Allen écrit : 

« Un car­di­nal du Vatican, inter­ro­gé par NCR le 2 février, a décla­ré qu’il dou­tait que le Saint-​Siège puisse accep­ter les condi­tions posées par la Fraternité pour une récon­ci­lia­tion, en par­ti­cu­lier la recon­nais­sance du droit d’être en désac­cord avec des élé­ments de Vatican II. « Cela aurait de très graves consé­quences pour l’unité de l’Église », a dit le car­di­nal. Le pré­lat, qui a gar­dé l’anonymat, a encore décla­ré qu’il pen­sait que le pape « com­pre­nait cela très bien » et n’avancerait donc qu’avec prudence. ».

(…)

L’ancien mépris du cardinal Ratzinger pour les catholiques de tradition

(…) Le pape Benoît XVI et la FSSPX sont d’accord, il convient de le noter, pour dire que l’Église est en crise. Leur désac­cord tient à la cause de cette crise. Le pape sou­tient que Vatican II est bon en soi, mais mal inter­pré­té et appli­qué. La Fraternité Saint-​Pie X sou­tient (à juste titre, selon nous) que Vatican II se résume à une pile de docu­ments enta­chés d’erreur qui ne peuvent que pro­duire de mau­vais fruits. Quiconque pos­sède une connais­sance ne serait-​ce que rudi­men­taire de l’histoire du Concile sait que les docu­ments en ont été rédi­gés par des théo­lo­giens radi­caux et dans une inten­tion révolutionnaire.

Malheureusement, l’abbé Joseph Ratzinger a été l’un de ces théo­lo­giens radi­caux du Concile. Il ne recon­naît pas les dan­gers inhé­rents à ces textes ambi­gus. Pour lui, la résis­tance à Vatican II lui-​même n’est pas une option admis­sible, ce qui le place en oppo­si­tion fron­tale avec Mgr Lefebvre et les motifs de résis­tance expo­sés par ce der­nier. Dans J’accuse le Concile, Mgr Lefebvre écrit :

« Il est néan­moins cer­tain que le Concile a été détour­né de ses buts par un groupe de conspi­ra­teurs et qu’il nous est impos­sible de prendre la moindre part à cette conspi­ra­tion, mal­gré le fait qu’il puisse y avoir des décla­ra­tions satis­fai­santes dans Vatican II. Les bons textes ont ser­vi de cou­ver­ture pour faire accep­ter et pas­ser les textes qui sont des leurres, qui sont équi­voques et dénués de sens. Il ne nous reste qu’une solu­tion : aban­don­ner ces dan­ge­reux exemples et nous accro­cher à la tra­di­tion, c’est-à-dire à ce qui est le Magistère offi­ciel de l’Église depuis 2000 ans. »

Pas du tout, dit le car­di­nal Ratzinger, à pré­sent pape Benoît XVI : il faut sau­ver le Concile, dont la richesse reste à « décou­vrir » ; là encore, il y a une diver­gence irré­con­ci­liable avec la FSSPX. Dans ces condi­tions, qu’est-ce qui pour­rait bien ser­vir de base à des négo­cia­tions à moins que le Vatican ne fasse un grand pas à droite, ou la Fraternité un tout aus­si grand pas à gauche ?

Pour des catho­liques de tra­di­tion, il n’est pas ques­tion de dépous­sié­rer les textes de Vatican II de ce qu’ils ont de révo­lu­tion­naire. Résister à Vatican II, débar­ras­ser le monde de ce fléau et retour­ner à la Tradition catho­lique sont les seuls moyens de sor­tir du chaos actuel. Cette posi­tion catho­lique tra­di­tion­nelle est repré­sen­tée par la Fraternité Saint-​Pie X, et ne trou­ve­ra aucun écho favo­rable dans la hié­rar­chie actuelle.

Notre Seigneur a aver­ti Ses Apôtres que cer­tains vous « met­tront à mort… croyant rendre un culte à Dieu » (Jn 16 : 2). Il est donc pro­bable que les diri­geants actuels du Vatican, mal­gré leurs sou­rires de cir­cons­tance, ten­te­ront de tuer la résis­tance anti­mo­der­niste de la FSSPX « en croyant rendre un culte à Dieu ». Le Vatican actuel s’est per­sua­dé, à coup sûr, que l’amalgame hégé­lien de la FSSPX dans la très moder­niste « réa­li­té ecclé­siale d’aujourd’hui » consti­tue une mis­sion à accom­plir pour le bien de l’Église. Le car­di­nal Castrillón Hoyos a bien mani­fes­té cette atti­tude dans ses rela­tions avec la Fraternité Saint-Pierre.

Ostpolitik traditionaliste

Une par­tie de cette inser­tion dans la « réa­li­té ecclé­siale d’aujourd’hui » consiste, pour le Vatican, à accor­der leur « régu­la­ri­sa­tion » aux groupes tra­di­tio­na­listes pour­vu qu’ils ne s’opposent pas publi­que­ment à la nou­velle messe et à l’orientation oecu­mé­nique de Vatican II. Il s’agit d’une sorte de pacte Vatican-​Moscou à l’usage des catho­liques de tra­di­tion.

Au début des années soixante, le pape Jean XXIII a conclu avec Moscou un pacte aux termes duquel Moscou auto­ri­se­rait des obser­va­teurs ortho­doxes russes à assis­ter au Concile, en échange de quoi celui-​ci ne cri­ti­que­rait ni ne condam­ne­rait le com­mu­nisme. Monseigneur Lefebvre pen­sait que ce pacte avec Moscou suf­fi­sait – en soi et de soi – à condam­ner le Concile :

« Le refus de ce concile pas­to­ral d’émettre la moindre condam­na­tion offi­cielle du com­mu­nisme suf­fit à elle seule à le dis­gra­cier à jamais, quand on pense aux dizaines de mil­lions de mar­tyrs, aux gens dont la per­son­na­li­té a été scien­ti­fi­que­ment détruite dans les hôpi­taux psy­chia­triques, où ils ser­vaient de cobayes à toutes sortes d’expériences. Et le Concile pas­to­ral, qui ras­sem­blait 2.350 évêques, n’a pas dit un mot, mal­gré les signa­tures de 450 Pères qui exi­geaient une condam­na­tion et que j’ai moi-​même appor­tées à Mgr Felici, secré­taire du Concile, en com­pa­gnie de Mgr Sigaud, Archevêque de Diamantina. Faut-​il pour­suivre encore l’analyse pour par­ve­nir à ses conclu­sions ? Ces lignes me semblent suf­fi­santes pour jus­ti­fier le refus de suivre ce concile, ces réformes, ces ten­dances dans tout leur libé­ra­lisme et tout leur néo-modernisme ».

Le silence du Vatican plut évi­dem­ment aux com­mu­nistes, qui se moquent de savoir si vous êtes contre eux, pour­vu que vous ne vous oppo­siez pas publi­que­ment à eux. De même, le Vatican moder­niste se moque que les catho­liques de tra­di­tion n’aiment ni la nou­velle messe, ni le nou­vel oecu­mé­nisme, pour­vu qu’ils ne les cri­tiquent pas. Jusqu’à pré­sent, cela a été l’accord d’Ecclesia Dei Adflicta avec les « catho­liques atta­chés à la Messe tridentine ».

C’est d’ailleurs ce que s’est enten­du dire très exac­te­ment l’un d’entre nous, qui s’était ren­du en visite à Rome en 1994 auprès de la Commission Ecclesia Dei. Un res­pon­sable de cette com­mis­sion lui a expli­qué qu’une condi­tion essen­tielle de « régu­la­ri­sa­tion » était que le groupe tra­di­tion­nel concer­né accepte de n’émettre aucune oppo­si­tion publique à Vatican II ou à la nou­velle messe.

Nous pen­sons qu’il est immo­ral de conclure un tel accord, d’échanger le silence contre la recon­nais­sance. Les méde­cins ne doivent pas se conten­ter de pro­mou­voir la bonne san­té ; encore doivent-​ils com­battre les mala­dies qui tuent. De même, les prêtres catho­liques sont tenus non seule­ment d’enseigner la véri­té, mais aus­si de com­battre l’erreur. Or, jusqu’à pré­sent, le com­pro­mis Ecclesia Dei dit aux prêtres qu’il y a des erreurs qu’ils n’ont pas le droit de com­battre. Et ce sont ces erreurs qui tiennent aujourd’hui le haut du pavé.

Une telle démarche est absurde. C’est comme dire à saint Thomas d’Aquin qu’il est libre de célé­brer l’ancienne Messe en latin pour­vu qu’il ne dise rien contre les Albigeois. Ou comme de dire à saint Ignace de Loyola que lui-​même et ses jésuites sont libres de célé­brer la Messe tri­den­tine pour­vu qu’ils ne disent rien contre le protestantisme.

On ne peut qu’imaginer jusqu’où un saint Athanase aurait écou­té ces modernes quié­tistes, qui échangent le silence contre la « régu­la­ri­sa­tion », s’ils lui avaient ne serait-​ce que sug­gé­ré de se concen­trer sur ce sur quoi les catho­liques sont « pour » et de ces­ser de cri­ti­quer ce sur quoi ils sont contre, à savoir l’arianisme ! Il leur aurait ri au nez.

Accepter de se taire face aux erreurs du Concile pour être recon­nu du Vatican actuel empêche beau­coup de bons prêtres Ecclesia Dei et Indult de cri­ti­quer les chan­ge­ments post-​conciliaires, parce qu’ils sont ter­ri­fiés à l’idée de déplaire à l’évêque du lieu, qui peut leur reti­rer leur Messe heb­do­ma­daire avec Indult. Trop sou­vent, ceux qui consentent à faire cet échange perdent le sens du com­bat catho­lique que requiert l’époque actuelle. Le rapide effon­dre­ment de Campos en offre un exemple par­ti­cu­liè­re­ment évident.

Les prêtres de Campos, au Brésil, qui consti­tuaient naguère un bloc d’opposition à Vatican II, sont main­te­nant neu­tra­li­sés. Mgr Rifan, évêque de Campos, prend part à la nou­velle messe, et la résis­tance publique du cler­gé au moder­nisme conci­liaire a fait long feu. L’abbé Peter Scott, Recteur du sémi­naire de la FSSPX en Australie, a écrit à ce sujet, fin 2004 :

« Qu’est-ce qui peut bien expli­quer le chan­ge­ment de ton de ces vingt-​cinq prêtres de Campos, qui ont refu­sé trente-​trois ans durant toute col­la­bo­ra­tion avec la nou­velle messe, qui ont expo­sé ces fameuses rai­sons de ne pas assis­ter à la nou­velle messe et de ne pas y col­la­bo­rer, qui ont si bien défen­du le sta­tut cano­nique des prêtres tra­di­tion­nels, per­sé­cu­tés jus­te­ment à cause de leur refus de célé­brer la nou­velle messe ? Ce n’est pas la mort de Mgr De Castro Mayer, inter­ve­nue onze ans avant que ce com­pro­mis n’ait lieu, ni le besoin d’un évêque, puisque la Fraternité Saint-​Pie X leur en avait four­ni un. C’est tout sim­ple­ment le fruit d’un troc poli­tique, du com­pro­mis exi­gé d’eux en échange d’une recon­nais­sance de leur Administration apos­to­lique. Et l’on y voit bien la queue du diable. Non seule­ment il leur a été inter­dit toute œuvre mis­sion­naire hors du dio­cèse, non seule­ment ils ont été pla­cés sous l’autorité de l’évêque dio­cé­sain dans tous leurs apos­to­lats de Campos, mais voi­ci à pré­sent qu’on les oblige à col­la­bo­rer à la nou­velle messe, de même qu’à la justifier.

Le père Cottier, O.P., théo­lo­gien per­son­nel du pape Jean-​Paul II, avait pré­dit cette issue il y a plus de deux ans, lors de la consé­cra­tion épis­co­pale de Mgr Rifan, en décla­rant : « Nous devons attendre un peu avant de deman­der d’autres actes indi­quant qu’ils en sont venus à notre manière de pen­ser : par exemple, une par­ti­ci­pa­tion aux concé­lé­bra­tions dans le rite réfor­mé. Ici nous devons faire preuve de patience… L’unité redé­cou­verte dans le sein de l’Église ren­ferme en elle-​même une dyna­mique qui por­te­ra ses fruits. » Déclaration pro­phé­tique, assu­ré­ment. Il est triste d’avoir à noter que la Fraternité Saint-​Pierre a mis onze ans à accep­ter le Protocole 1411, qui oblige ses membres à célé­brer ou à concé­lé­brer la nou­velle messe si l’évêque Novus Ordo le demande, mais qu’il n’a fal­lu que deux ans aux prêtres de Campos pour en arri­ver au même point. La poli­tique de Rome est très claire : rame­ner ces prêtres à soi au moyen d’un sta­tut cano­nique, puis exer­cer sur eux des pres­sions suf­fi­santes pour qu’ils se sou­mettent, et même pour qu’ils jus­ti­fient leur sou­mis­sion. Ce n’est là rien d’autre qu’une vic­toire com­plète du modernisme ».

Il n’existe aucune rai­son de croire que la « poli­tique de Rome » ait chan­gé en ce qui concerne le pro­jet de régu­la­ri­sa­tion de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X.

Prudence et circonspection


Il y a eu des rumeurs selon les­quelles la FSSPX allait conclure un « accord » avec Rome d’ici Pâques ou avant la fin du man­dat de Supérieur géné­ral de Mgr Fellay, l’été pro­chain. Nous n’avons jamais ajou­té foi à ces rumeurs, tant il sem­blait peu pro­bable que la hié­rar­chie de la Fraternité, après avoir si bien réus­si à conser­ver l’unité de celle-​ci durant les dix-​huit ans écou­lés depuis les consé­cra­tions épis­co­pales, com­met­trait tout à coup une impru­dence confi­nant à la folie. On ne peut qu’imaginer le chaos qui se pro­dui­rait si le Vatican actuel avait son mot à dire dans l’élection à venir d’un nou­veau Supérieur général.

Cette rumeur s’est révé­lée fausse, comme bien d’autres.

À l’imitation de Mgr Lefebvre, son fon­da­teur, la Fraternité Saint-​Pie X gar­de­ra ouvertes cer­taines lignes de com­mu­ni­ca­tion avec le Vatican actuel. Elle obéi­ra aus­si à l’exhortation émise par Notre Dame à Fatima de « prier beau­coup pour le Saint-​Père ». Mais compte tenu des remarques for­mu­lées dans le pré­sent docu­ment, il semble que le temps n’est pas encore venu de conduire des négo­cia­tions sérieuses en vue d’une régularisation.

Pour reprendre les sages cri­tères de Mgr Fellay, le Vatican n’a don­né aucune « preuve claire de son atta­che­ment à la Rome d’hier », il n’a pas « réaf­fir­mé avec des actions par­lant plus fort que les mots qu’il ne doit pas ‘y avoir d’innovations en dehors de la Tradition’ ». Il nous semble peu pro­bable qu’une régu­la­ri­sa­tion orches­trée par le Vatican actuel garan­tisse l’avenir de la Fraternité Saint-​Pie X ou pro­fite le moins du monde au mou­ve­ment tra­di­tio­na­liste mondial.

De peur que la pré­sente décla­ra­tion n’apparaisse pas aux yeux de cer­tains comme une entre­prise par­ti­sane éma­nant de cer­taines forces inté­rieures à la FSSPX, nous tenons à bien pré­ci­ser que ni The Remnant, ni Catholic Family News ne sont des publi­ca­tions de la Fraternité Saint-​Pie X. En outre, cette décla­ra­tion est co-​rédigée par quelqu’un qui assiste régu­liè­re­ment à la Messe avec Indult et qui est convain­cu qu’en l’absence de l’important contre­poids consti­tué par la FSSPX, il n’y aurait ni Messe avec Indult, ni Fraternité Saint-​Pierre, ni Institut du Christ-​Roi, ni bour­geon­ne­ment du mou­ve­ment tra­di­tio­na­liste inter­na­tio­nal. Si la Fraternité Saint-​Pie X était reti­rée de cet édi­fice à l’équilibre pré­caire, quelles garan­ties aurions-​nous que Rome conti­nue­rait à se mon­trer « géné­reuse » avec nous ?

Tous les tra­di­tio­na­listes, par consé­quent, ont un inté­rêt dans cette affaire. La ques­tion que nous devons nous poser – où que nous assis­tions à la Messe – est la sui­vante : quel avan­tage le tra­di­tio­na­lisme tirerait-​il d’un rap­pro­che­ment entre la Fraternité Saint-​Pie X et le Vatican alors que le motu pro­prio Ecclesia Dei pré­cise bien qu’il n’y aurait pas de Messe avec Indult s’il n’y avait pas de Fraternité Saint-​Pie X ? Certains car­di­naux émi­nents de la Curie romaine recon­naissent eux-​mêmes ouver­te­ment que la FSSPX n’a jamais été en situa­tion de schisme for­mel. Il n’existe donc, à l’évidence, aucun dan­ger pour les âmes, alors qu’il y en aurait mani­fes­te­ment un en cas de schisme for­mel. Ajoutons à cela que si les évêques libé­raux accordent régu­liè­re­ment des Messes avec Indult, c’est dans l’unique but de contrer la Fraternité Saint-​Pie X. Celle-​ci, en effet, connaît un déve­lop­pe­ment expo­nen­tiel dans le monde entier, comme la Fraternité Saint-​Pierre, comme L’Institut du Christ-​Roi, etc. En fait, il semble évident qu’en l’état actuel des choses, le mou­ve­ment tra­di­tio­na­liste tout entier a inté­rêt à ce que la FSSPX reste sur ses posi­tions. Quelle est, dans ces condi­tions, l’urgence d’un rap­pro­che­ment ? À nos yeux, il n’y en a pas. Aux yeux de Rome, elle semble grande. Pourquoi ?

Comme nous ache­vions de rédi­ger cette décla­ra­tion, des nou­velles de Rome sont venues confir­mer la néces­si­té de se mon­trer extrê­me­ment pru­dent. Selon ces nou­velles, Benoît XVI sou­haite « avan­cer pro­gres­si­ve­ment et en temps rai­son­nable » vers la réso­lu­tion de la « ques­tion Lefebvre ». En même temps, le car­di­nal Arinze, du Vatican, sou­ligne que le pape « ne peut désa­vouer Vatican II pour faire plai­sir aux lefeb­vristes. Le pape ne peut tout réin­ven­ter, ou faire comme si Vatican II n’avait pas eu lieu ». Voilà un com­men­taire bien curieux dans la mesure où, jus­te­ment, les archi­tectes de Vatican II ont tout réin­ven­té et sub­ver­ti l’enseignement tra­di­tion­nel de l’Église pour faire plai­sir aux modernistes.

Nous sommes mani­fes­te­ment arri­vés à la croi­sée des che­mins. Les diri­geants romains vieillis­sants croient de moins en moins à la sur­vie de leur Révolution conci­liaire. La Tradition reflue avec force dans les veines et les artères de l’Église uni­ver­selle, alors que les églises du Novus Ordo se vident et se vendent au plus offrant. Il est évident que ce n’est pas le moment pour les tra­di­tio­na­listes de bais­ser pavillon, ni pour la Fraternité Saint-​Pie X de mettre fin au com­bat soli­taire qu’elle mène au nom de la sainte Tradition, ou d’accepter quoi que ce soit qui ne serait pas un accord fon­dé sur la pro­messe faite par Rome de révo­quer Vatican II.

D’ici là, nous devons prier chaque jour pour le pape Benoît XVI, afin qu’il vienne à recon­naître l’urgente néces­si­té de res­tau­rer l’Église, non pas selon une inter­pré­ta­tion plus tra­di­tion­nelle de Vatican II, mais bien plu­tôt à la lumière de la sainte Tradition elle-​même, seule réponse pos­sible au chaos cata­clys­mique déchaî­né par la révo­lu­tion post-​conciliaire. Nous devons prier aus­si pour que la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X conti­nue d’employer toutes ses res­sources à résis­ter au Concile et à sa nou­velle messe. Pourquoi ? Monseigneur Marcel Lefebvre a répon­du d’avance à cette ques­tion il y a bien des années :

« La conclu­sion est iné­luc­table, sur­tout à la lumière du bou­le­ver­se­ment géné­ral que l’Église a connu depuis le deuxième Concile du Vatican : cet évé­ne­ment des­truc­teur pour l’Église catho­lique et pour toute la civi­li­sa­tion chré­tienne n’a été ni diri­gé, ni conduit par le Saint-Esprit ».

Michael J. Matt, Rédacteur en chef de The Remnant (2) et John Vennari, Rédacteur en chef de Catholic Family News (3)

Notes de LPL

(1) Texte anglais ori­gi­nal
(2) Les auteurs de cette décla­ra­tion tiennent à pré­ci­ser que leurs jour­naux n’appartiennent pas à la Fraternité Saint-​Pie X. L’un d’entre eux fait savoir qu’il assiste régu­liè­re­ment à la messe avec indult. Il s’agit donc d’un point de vue indé­pen­dant sur les rela­tions entre Rome et la Fraternité Saint Pie X.
(3) Ibidem