Editorial du n° 38 de janvier 2015 – Aux Sources du Carmel : Élie, « Père et chef des Carmes »

Bulletin du Tiers-​Ordre sécu­lier pour les pays de langue fran­çaise

Editorial du n° 38 de janvier 2015 – Aux Sources du Carmel :
Élie, « Père et chef des Carmes » , abbé Dubroeucq

Cher frère, Chère sœur,

« Nous sommes les fils des pro­phètes, non selon la chair, mais par l’imitation de leurs œuvres. Notre Rédempteur disait aux juifs qui se glo­ri­fiaient de tirer leur ori­gine d’Abraham : « Faites les œuvres d’Abraham. » De même on doit dire aujourd’hui aux Carmes : « Faites les œuvres d’Élie. »[1] »

Ces paroles du bien­heu­reux Jean Soreth, Prieur géné­ral de l’Ordre du Carmel au XVème siècle, révèlent un état d’esprit qui se remarque chez les Carmes dès l’émergence, de 1280 à 1350, de la théo­rie de la suc­ces­sion élia­nique héré­di­taire. Élie devient celui sur l’image duquel le Carme doit se modeler.

Qui est Élie, « Père et chef des Carmes », leur fon­da­teur et leur modèle ? À défaut d’écrits, c’est dans la vie de ce saint pro­phète qu’il convient de recher­cher l’illustration pré­cise de l’esprit et de la « ver­tu » par les­quels doit se défi­nir la famille spi­ri­tuelle qui se réclame de lui. Or nous avons dans la Sainte Écriture quelques traits carac­té­ris­tiques par les­quels sont connues la per­sonne et la vie du grand Prophète. Le Saint-​Esprit, qui a ins­pi­ré l’auteur sacré, a rele­vé les élé­ments authen­ti­que­ment signi­fi­ca­tifs qu’il conve­nait de rete­nir. Comme l’écrivait saint Grégoire de Nysse pré­ci­sé­ment à pro­pos d’Élie et de Jean-​Baptiste : « Ces choses n’ont pas été écrites sans rai­son, mais bien pour notre ensei­gne­ment, pour que nous confor­mions notre vie à la leur[2] ».

Quels sont donc les traits scrip­tu­raires carac­té­ris­tiques de la vie d’Élie ?

Il se tient en pré­sence de Dieu[3], comme les sept Esprits qui, sem­blables à des lampes ardentes de zèle et d’amour, sont en per­ma­nence devant le trône du Tout-​Puissant, Le contem­plant sans cesse et prêts à Le ser­vir selon sa parole.

Dans la soli­tude du désert, il puise la lumière et la force néces­saires pour accom­plir ce ser­vice. C’est là que Dieu, se mani­fes­tant à lui dans la contem­pla­tion, lui com­mu­nique son Esprit et lui fait connaître sa volon­té[4].

Par la ver­tu et l’Esprit de Dieu, il peut dis­pen­ser au monde les bien­faits de la misé­ri­corde divine, ou appe­ler sur les pécheurs le châ­ti­ment céleste[5].

Il porte témoi­gnage devant les hommes, avec un zèle ardent, pour le Dieu vivant et contre les œuvres mau­vaises, ce qu’il fait en toute véri­té, sans se lais­ser arrê­ter, ni dévier si peu que ce soit, par des consi­dé­ra­tions de per­sonnes ou de fonc­tions[6].

À qui est choi­si par Dieu pour entrer en par­ti­ci­pa­tion de son minis­tère, il com­mu­nique son esprit et sa ver­tu[7].

Il s’en remet com­plè­te­ment à Dieu, à la Providence, pour ce qui est du soin de l’entretien de sa vie comme du sou­ci de ce qu’il doit accom­plir. Élie est en tout et uni­que­ment au ser­vice du Seigneur, sans l’ombre du par­tage, vivant en plé­ni­tude et per­fec­tion l’amour de Dieu. La tra­di­tion una­nime des Pères a rete­nu ce trait, la vie de prière en soli­tude, comme la carac­té­ris­tique pra­tique de la voca­tion élianique.

On voit donc, d’après ce que l’histoire ins­pi­rée fait connaître du Patriarche du Carmel, que la retraite dans la soli­tude, dans l’obédience de Dieu seul, en consti­tue l’unique ensei­gne­ment pra­tique, ensei­gne­ment fon­da­men­tal, mis en évi­dence par l’Esprit-Saint comme l’unique néces­saire que doivent rete­nir ceux qui vou­dront mar­cher dans la voie d’Élie.

Il est une autre indi­ca­tion essen­tielle que four­nit l’Écriture : c’est le fait qu’Élie a mis­sion de confé­rer l’onction sainte à des rois, dont Dieu veut faire ses ins­tru­ments, et que fina­le­ment il trans­met son esprit à un autre pro­phète, Élisée, appe­lé à lui suc­cé­der, qui lui-​même le com­mu­ni­que­ra ensuite à une lignée, aux « Fils des pro­phètes ». Ainsi la voca­tion d’Élie comporte-​t-​elle un aspect apos­to­lique posi­tif, la dis­tri­bu­tion d’une sur­abon­dance de sa grâce inté­rieure. Le Prophète du Carmel ne doit pas être seule­ment le témoin de Dieu, il doit don­ner Dieu, com­mu­ni­quer l’Esprit aux justes élus pour cela par le conseil divin. C’est en ceci que culmine son minis­tère, c’est ain­si qu’il accom­plit en per­fec­tion, avant de dis­pa­raître, la voca­tion de média­teur de grâce que sym­bo­lise son pou­voir sur la pluie.

L’article pre­mier de la Règle demande aux ter­tiaires d’observer, « dans la mesure com­pa­tible avec leur état, la manière de vivre des Carmes Déchaussés, sous la pro­tec­tion de l’auguste Reine du Carmel, à l’imitation de tant de saints qui ont illus­tré par leurs ver­tus son Ordre glo­rieux. » Ces saints ont eu pour modèle avant tout le Prophète Élie. Les Souverains Pontifes ont maintes fois rap­pe­lé le lien qui unit les Carmes Déchaussés à Élie. Paul V dans la Bulle du 13 juillet 1604, dit aux mêmes reli­gieux : « Par votre humi­li­té, pau­vre­té, nudi­té, abs­ti­nence, jeûnes, aus­té­ri­té de vie, vous vous mon­trez les fils et imi­ta­teurs fer­vents de votre père et pro­phète Élie. »

Dès sa publi­ca­tion, le livre « L’Institution des Premiers Moines » (dont l’origine n’est pas bien connue, et qui fut publié en 1370 par Philippe Riboti) devint, dans l’Ordre du Carmel, le trai­té de l’imitation d’Élie. Il com­porte deux par­ties, l’une spi­ri­tuelle, l’autre his­to­rique. Jusqu’à sa paru­tion, les Carmes qui hono­raient déjà Élie comme fon­da­teur, se réfé­raient à la Sainte Écriture (Livres des Rois) pour étu­dier les faits et gestes de sa vie reli­gieuse. Le cha­pitre II de l’Institution est inti­tu­lé : « Retraite d’Élie au désert, double fin de la vie éré­mi­tique et renon­cia­tion aux choses qui passent ». On y lit les deux fins de la vie du Carmel : « L’une que nous attei­gnons par notre labeur et l’exercice des ver­tus avec l’aide de la grâce divine : offrir à Dieu un cœur saint et pur de toute souillure actuelle du péché ; nous y par­ve­nons lorsque nous sommes par­faits en Carith (c’est-à-dire cachés dans cette cha­ri­té de laquelle le Sage dit : « l’amour couvre toutes les fautes. » [Prov., 10]. Dieu vou­lant qu’Élie arri­vât à cette fin, lui dit : « Cache-​toi au tor­rent de Carith… »» « L’autre fin de cette vie nous est pro­po­sée en ver­tu d’un pur don de Dieu ; elle consiste à goû­ter d’une cer­taine manière en notre cœur, à expé­ri­men­ter dans notre esprit, la force de la divine pré­sence et la dou­ceur de la gloire d’en haut, non seule­ment après la mort, mais même en cette vie mor­telle… Cette fin, Dieu la pro­mit à Élie, en lui disant : « Et là tu boi­ras au tor­rent. »[8] » Élie a sui­vi l’Esprit de Dieu qui l’a mené dans cette voie qui conduit l’âme, par le che­min du renon­ce­ment et de la contem­pla­tion, à l’union divine. 

Sainte Thérèse de Jésus nous invite à le suivre ; elle s’est assi­mi­lé la sève élia­nique conte­nue dans l’Institution des Premiers Moines. Le nom du Prophète est pro­non­cé quand, décri­vant les Septièmes Demeures, elle parle du zèle qui consume une âme par­ve­nue à l’entière consom­ma­tion en Dieu : « de là, ce zèle brû­lant de la gloire de Dieu qui consu­mait notre père Elie ; de là, chez saint Dominique et saint François, cette soif de gagner des âmes pour qu’elles puissent ensuite chan­ter les louanges de Dieu[9]. »

A la suite de notre Père saint Elie, soyons ani­més, chers ter­tiaires, du même esprit de prière, d’une vie en pré­sence de Dieu, grâce à laquelle nous serons rem­plis de la cha­ri­té divine qui se pro­pa­ge­ra sur la terre, selon le pro­fond désir de Notre-​Seigneur. Ainsi, nous cor­res­pon­drons à la voca­tion de l’Ordre, ain­si nous édi­fie­rons la Sainte Église que ses enne­mis cherchent à détruire. L’urgence de l’apostolat était immi­nente au temps de sainte Thérèse de Jésus, à cause de la pro­pa­ga­tion du pro­tes­tan­tisme. Elle ne l’est pas moins actuel­le­ment devant le laï­cisme, le maté­ria­lisme, l’extension de l’islam, la pro­pa­ga­tion des sectes… Il nous sera deman­dé compte au jour du juge­ment de ce que nous aurons fait pour le salut de notre pro­chain. Travaillons dès main­te­nant puisque le Seigneur nous en donne le temps, pui­sons dans la contem­pla­tion des mys­tères divins, unis à la Reine du Carmel, la cha­ri­té, le zèle pour la gloire de Dieu, le salut des âmes et le ser­vice de la Sainte Église. 

† Je vous bénis.

Abbé L.-P. Dubrœucq

Retraites carmélitaines

Retraites car­mé­li­taines

Retraites mixtes (hommes et dames),ouvertes prin­ci­pa­le­ment aux ter­tiaires du car­mel mais aus­si aux per­sonnes inté­res­sées par la spi­ri­tua­li­té du carmel.

Inscriptions auprès de M. l’ab­bé Dubroeucq au prieu­ré de Gastines tél : 02 41 74 12 78 

Tél : au prieu­ré Saint Louis-​Marie Grignon de Montfort, 49380 Faye d’Anjou ou au 06 16 80 63 17

Notes de bas de page
  1. R.P. Élisée de la Nativité, Élie le pro­phète, in Études car­mé­li­taines, DDB, 1956, t. 2, p.82.[]
  2. Sur la vir­gi­ni­té, texte cité in Jean le Solitaire, Aux sources de la tra­di­tion du Carmel, Paris, Beauchesne, 1953, ch. I : Les fon­de­ments scrip­tu­raires, p.25.[]
  3. I Rois 17,1.[]
  4. I Rois 17, 2–7 et 19, 4–18.[]
  5. I Rois 17, 1, 14–16 et 17–23 ; I Rois 18, 40–45 ; II Rois 1, 12–16.[]
  6. I Rois 17, 1 ; 18, 26–40 ; 19, 10.[]
  7. I Rois 19, 19 ; II Rois 2, 15. []
  8. R.P. Élisée de la Nativité, op. cit., loc. cit., p.110 et p. 85–86. []
  9. Septièmes Demeures, ch. 4, 11, in Thérèse d’Avila. Œuvres com­plètes, Paris, Cerf, 2010, p. 1157. []