100 ans d’une actrice française au Brémien

L’actrice Dominique Marcas pro­fite de la quié­tude de la mai­son de retraite Le Brémien Notre-​Dame. Elle a fêté ses 100 ans le 8 août der­nier. Silence ! on tourne !

Dans son fau­teuil à la mai­son de retraite Notre-​Dame au Brémien (com­mune d’Illiers-​l’Evêque), l’ac­trice nous raconte sa vie avec une pré­ci­sion incroyable […]. Son nom ne vous dit peut-​être pas grand chose, pour­tant, de 1951 à 2009, elle a joué dans une cen­taine de pièces de théâtre et autant de films ! « des seconds rôles », précise-​t-​elle, modeste.

Une petite fille qui partait mal dans la vie

Elle s’ap­pe­lait alors Marcelle Napoléone Perrigault, et rêvait de la scène, et toute petite elle réci­tait des fables entre les deux portes du salon. Sa mère « qui ne l’ai­mait pas beau­coup » disait avec dédain : « Tu fini­ras sur les planches ! ». La jeune fille en rêvait, mais n’o­sait y pré­tendre, « avec ma taille de 1m48 et mon phy­sique ingrat ! ». Pourtant c’est bien sur les planches, der­rières les camé­ras et en com­pa­gnie de grands acteurs qu’elle a pas­sé sa vie !

Rejetée par sa mère « une grande et belle femme, qui me trou­vait moche et s’at­ten­dait à ce que je ne sur­vive pas plus que ma jumelle qui était morte toute petite ». Marcelle Napoléone com­mence, pour gagner sa vie, à s’oc­cu­per d’en­fants dans une famille avant d’être ins­ti­tu­trice au cours Martinet à Paris, tout en sui­vant des cours de théâtre avec Henri Bosc. Cependant elle n’ose tou­jours pas y croire ! Un jour où elle dit : « avec mon phy­sique et mon allure je ne ferai jamais de théâtre », elle se voit répondre : « le théâtre cela va de Paulin Carton à Greta Garbo en pas­sant par Edwige Feuillère ».

Rencontres décisives 

Sa vie prend un tour­nant déci­sif quand elle assiste à la pièce d’Albert Camus, Les Justes, jouée par Maria Casarès. Fascinée par la grande actrice, elle lui écrit, lui confie qu’elle a été reje­tée par sa famille, et qu’elle ima­gine que cela doit être dur pour Maria Casarès de ne plus être dans son pays. Maria lui répond et l’in­vite à venir la voir. Marcelle Napoléone n’ose pas. Mais un peu plus tard elle ren­contre Maria dans la rue, qui lui dit : « mais il y a long­temps que je vous attends ». Ainsi Marcelle Napoléone se retrouve dans sa loge avant un grand spec­tacle […]. Entre les deux femmes, c’est le début d’une grande ami­tié… qui ne plait pas à la direc­trice du cours Martinet qui lui assène : « vous ces­sez de voir Maria Casarès ou je vous ren­voie ». La jeune femme choi­sit l’a­mi­tié, et elle va être héber­gée par Maria, dans une chambre de bonne qu’elle pos­sède dans un immeuble, rue de Vaugirard. Elle part même en vacances en Charente.

C’est Maria qui l’en­voie voir Arletty qui joue dans Un tram­way nom­mé désir. Deuxième ami­tié. C’est alors que celle qui déteste son pré­nom Napoléone, adopte son nom d’ac­trice : Dominique à cause du rôle d’Arletty dans Les visi­teurs du soir et Marcas, contrac­tion de Maria Casarès. Elle monte enfin sur les planches pour jouer comme dou­blure pen­dant trois ans, Lorsque l’en­fant paraît avec Gaby Morlay, inter­pré­tant tan­tôt la vieille fille tan­tôt la bonne.

Théâtre National Populaire, tournées et tournages

Puis les rôles s’en­chaînent au TNP, dans Amante polaire avec Casarès, dans Le songe d’une nuit d’é­té, etc.…De 1991 à 1993 ce sera une tour­née pour Phèdre avec Maria Casarès ; elle y joue le rôle de Panope.

A la Michaudière, se tisse une ami­tié avec Yvonne Printemps qui a quit­té Sacha Guitry pour Pierre Fresnay, de qui Dominique sera la secré­taire. Elle admire Edwige Feuillère, et son ami­tié pour elle la pousse à visi­ter la mère de la grande actrice qui n’a pas le temps de le faire.

Ce n’est qu’à 90 ans que Dominique Marcas quitte le scène après deux années (2008–2009) de repré­sen­ta­tion de Fine de par­tie de Samuel Beckett, avec Charles Berling. Au ciné­ma, elle fut remar­quée dans le rôle de la vieille bre­tonne dans l’île aux 30 cercueils.

Elle joue aus­si dans Les belles de nuit, dans Notre Dame de Paris, dans Les anges gar­diens de Poiré, et tient le rôle du grand inqui­si­teur en 1999 dans Jeanne d’Arc de Luc Besson. A la télé­vi­sion, elle enchaîne plu­sieurs Maigret, mais aus­si Dialogue des car­mé­lites où elle joue mère Jeanne, la plus âgée des religieuses.

La foi ancrée au cœur

Ainsi est Dominique. Dans cette vie active d’ac­trice très rem­plie, elle pour­suit une route droite faite d’a­mi­tiés, de ser­vices ren­dus et de fidé­li­té à sa foi « dans ce milieu où la morale catho­lique n’est pas la pre­mière pré­oc­cu­pa­tion » ! « Jamais je n’ai man­qué la messe, dit-​elle, même pen­dant les tour­nées théâ­trales et pen­dant les tour­nages. Lors du tour­nage du Dialogue des car­mé­lites, Pierre car­di­nal, le réa­li­sa­teur, qui pour­tant était pro­tes­tant, a atten­du mon retour de messe pour com­men­cer la jour­née de tournage ».

Dans sa mai­son de retraite, elle prie tous les jours pour toutes ses grandes amies d’au­tre­fois, et aus­si pour Pierre Fresnay qui lui avait dit un jour qu’il était inca­pable d’a­voir la foi. Mais d’où tient-​elle cette fois solide ? « Je remer­cie mes parents de m’a­voir éle­vée dans une famille pra­ti­quante », répond-​elle. Et elle évoque à plu­sieurs reprises son père tué un lun­di lors du débar­que­ment de 1944 alors qu’il allait por­ter secours et elle voit comme un signe le fait qu’il avait com­mu­nié la veille. Pour elle, la foi est natu­relle, com­ment peut-​on pen­ser que le ciel, les étoiles, la beau­té du monde, auraient pu être créé par un homme ! »

« Comment la France était-​elle tom­bée si bas pour com­mettre cette igno­mi­nie de mener à l’é­cha­faud des sœurs qui n’a­vaient fait de mal à per­sonne ? Et puis, vous savez, mon­ter à l’é­cha­faud, même si je ne ris­quais pas ma tête, c’é­tait stressant ».

L’actrice était éga­le­ment sou­te­nue par l’Union Catholique du Théâtre, ani­mée par le père Carré. « Je n’ai jamais caché ma foi, mais ne m’en suis pas non plus vantée ».

Elle a une véné­ra­tion pour la Vierge. « Quand je pense à Elle qui a pleu­ré au pied de la croix… » Et elle voit un signe de sa part pour pou­voir finir sa vie dans cette mai­son de retraite appe­lée  Notre Dame. « La Sainte Vierge me pro­tège bien » conclut-elle.

Dominique est sereine. Sa vie ne fut pas tou­jours facile, mais jamais elle ne s’est plainte, et elle n’a eu aucune haine pour sa mère. « Pourquoi me plaindrais-​je ? Avoir la foi est une grande chance ».

Source : Bulletin parois­sial n°27 de Saint-​André-​Mesnilliers (Eure)