Lettre n° 02 du Père Directeur de la Milice de l’Immaculée. La mort héroïque de saint Maximilien Kolbe – 26 juillet 2016

Très chers Chevaliers de l’Immaculée !

Le 14 août 1941, veille de l’Assomption, saint Maximilien fut tué par une injec­tion d’acide phé­nique au camp d’Auschwitz. Il y était empri­son­né depuis le 17 février, enfer­mé là par les esclaves d’Hitler en rai­son du cou­rage qu’il met­tait à res­pec­ter les prin­cipes de la foi catho­lique contre les enva­his­seurs nationaux-​socialistes. Il avait été trans­fé­ré à Auschwitz en mai, où il souf­frait plus que les autres pri­son­niers parce qu’il était prêtre. Un jour, vers la fin du mois de juillet, l’un des pri­son­niers s’échappa. Comme puni­tion, le com­man­dant ordon­na que dix autres pri­son­niers soient condam­nés à une mort atroce – mou­rir de faim et de soif dans le sombre « don­jon de la faim ».

Lorsque l’un d’entre eux com­men­ça à pleu­rer de déses­poir : « Oh ma pauvre femme ! Mes pauvres enfants ! Qui pren­dra soin de vous ? », le père Kolbe s’avança vers le com­man­dant et dit fer­me­ment : « Je demande à mou­rir à la place de ce père de famille ».

Le com­man­dant res­ta stu­pé­fait pen­dant un moment. Une requête de ce genre était impensable.

« Et pour quelle rai­son ? », demanda-​t-​il à Kolbe. « Parce que je suis vieux et faible et qu’il a une femme et des enfants ».

« Qui es-​tu ? », deman­da le commandant.

« Je suis un prêtre catho­lique. », fut la réponse.

Sa requête fut accep­tée. Pendant les 10 jours pas­sés dans le don­jon il pré­pa­ra tous les autres condam­nés à mou­rir en paix avec Dieu et à entrer au para­dis. Lorsqu’après tant de jours il fut le der­nier à être conscient, l’ordre fut don­né de le tuer.

Désirant com­mé­mo­rer le 75ième anni­ver­saire de sa mort héroïque, je veux vous écrire cette seconde lettre.

Le Père Maximilien s’est pré­pa­ré à cette mort toute sa vie, pous­sé en cela par un évè­ne­ment extra­or­di­naire qui a eu lieu pen­dant son enfance et que nous connais­sons grâce à sa mère. Inquiet de son propre carac­tère dif­fi­cile qu’il avait du mal à domi­ner, le gar­çon de 10 ans com­men­ça à prier avec fer­veur Notre-​Dame pour Lui deman­der Son aide. Un jour, la Mère céleste lui appa­rut avec deux cou­ronnes dans les mains, une rouge et une blanche : la blanche, expliqua-​t-​Elle, est la cou­ronne de pure­té, la rouge, du mar­tyre. Lui deman­dant laquelle choisira-​t-​il, il répon­dit qu’il pren­dra les deux ! Bien qu’il ne par­la jamais de ce miracle à per­sonne durant sa vie, il est aisé de com­prendre que cette vision orien­ta toute sa vie, ins­pi­ra toutes ses déci­sions, le gui­da dans toutes ses entre­prises et le pré­pa­ra fina­le­ment à l’acte qui cou­ron­na sa vie d’amour : sa mort héroïque ! C’est de cette vision que furent for­més ses prin­cipes, règles de vie et conduite per­son­nelle. Cette vision fut la pre­mière et prin­ci­pale invi­ta­tion de la Reine du Ciel à deve­nir Son che­va­lier. Quand il répon­dit géné­reu­se­ment et fut le pre­mier à être enrô­lé, par Elle-​même, en tant que Chevalier de l’Immaculée, Elle lui pro­mit les deux couronnes.

Maintenant, à tra­vers Ses ins­tru­ments, ELLE vous a invi­té à deve­nir Son Chevalier. Et quand vous avez répon­du géné­reu­se­ment et avez pris votre enga­ge­ment au sérieux, avez-​vous pen­sé qu’ELLE vous pro­met­trait moins ? En véri­té, cette vision se rap­porte à cha­cun de nous ! Chaque che­va­lier devrait médi­ter pro­fon­dé­ment sur le « mes­sage » de cette vision afin de rece­voir la même récom­pense : l’éternel cou­ronne au paradis !

Examinons briè­ve­ment le mes­sage de la Reine à Son che­va­lier pri­vi­lé­gié et à tra­vers lui, à nous tous :

1. LA COURONNE : Alors que de nos jours presque tout le monde conçoit sa vie sur terre comme la chose la plus impor­tante et sou­vent la seule digne d’importance, le mes­sage de la double cou­ronne nous incline for­te­ment vers l’éternité, et pré­ci­sé­ment vers la gloire éter­nelle et la vic­toire au para­dis. Quiconque marche dans les traces de saint Maximilien se libé­re­ra de la pire de toutes les illu­sions, le maçon­nique ou com­mu­niste « para­dis sur terre ». Chacun se tourne vers l’horizontal, est constam­ment occu­pé par sa ridi­cule petite per­son­na­li­té, se détourne du ver­ti­cal, se concentre sur la terre au lieu du ciel, sur le temps au lieu de l’éternité, sur l’exil au lieu de l’éternel patrie. Notre-​Dame, à tra­vers cette pro­messe, fait com­prendre à Maximilien Kolbe et à tous Ses che­va­liers le sens de notre courte vie dans cette val­lée de larmes : il n’y aura d’attente à avoir dans ce monde autre que pré­pa­ra­tion, pèle­ri­nage, longs et labo­rieux efforts. Mais nos yeux, cœurs et âmes sont diri­gés plus haut, en accord avec la pro­messe de Notre Seigneur : « Demeurez fidèles jusqu’à la fin, et vous gagne­rez la cou­ronne de vie ! » La pro­messe des deux cou­ronnes cor­res­pond exac­te­ment aux magni­fiques mots de Notre-​Dame à Sainte Bernadette de Lourdes : « Je pro­mets de vous rendre heu­reux, mais dans l’autre monde, pas dans celui-ci ! »

2. Quelle est pré­ci­sé­ment cette récom­pense ? C’est une double cou­ronne, un double triomphe : blanc et rouge ! La cou­ronne pour conser­ver l’héroïque pure­té et pour don­ner son sang pour la gloire de Dieu et la sal­va­tion des âmes. Mais n’oubliez jamais qu’une cou­ronne appar­tient par essence tou­jours au roi et à la reine. La cou­ronne de gloire éter­nelle vous ne pou­vez uni­que­ment la trou­ver que sur la tête du Roi des Rois et/​ou sur celle de Notre-​Dame, reine du ciel et de la terre. Si Notre-​Dame offre à notre saint une telle cou­ronne et même une double cou­ronne, cela veut pré­ci­sé­ment dire qu’il est invi­té à par­ti­ci­per à la gloire et au triomphe de Notre-​Seigneur et de Notre-​Dame, et plus pré­ci­sé­ment : au Sacré-​Cœur et au Cœur Immaculée de Marie ! Cela signi­fie encore : ma récom­pense éter­nelle et ma joie sont les tré­sors conte­nus dans le Sacré-​Cœur et dans le Cœur Immaculée de Marie. Ces cœurs unis sont l’objet de mes dési­rs, mes médi­ta­tions, ma gloire, ma joie et mon récon­fort : mon unique et mon tout ! En réa­li­té, toute la vie du Père Kolbe était une médi­ta­tion constante sur sa mer­veilleuse Mamusia (petite Mère) et Hetmanka (com­man­dant en chef) et à tra­vers elle sur la beau­té du Sacré-​Cœur ! Ces Cœurs très sacrés devraient aus­si être « notre unique et notre tout ».

3. En choi­sis­sant la fin, vous devez choi­sir les moyens. Si je veux obte­nir la cou­ronne de gloire, ma vie sur terre sera un effort per­ma­nent tel que celui que le père Kolbe nomme « Notre Idéal » : la cou­ronne blanche – L’Immaculée, et à tra­vers Elle, la cou­ronne rouge – le Sacré Cœur (voyez l’acte de consé­cra­tion). Il résu­me­ra tou­jours toute la vie spi­ri­tuelle en deux termes : la pure­té et le sang, la sain­te­té à tra­vers la souf­france, la prière et le sacri­fice. En d’autres termes la cou­ronne blanche vous sera décer­née si par­tout et tou­jours vous cher­chez uni­que­ment à réa­li­ser la VOLONTE DE L’IMMACULEE, qui n’est rien d’autre que la vir­gi­ni­té de l’âme, l’essence de la Pureté. Ceci il l’écrivit très clai­re­ment dans sa « Règle de Vie » à la fin de sa retraite en 1920 : « Je dois deve­nir un saint ! Je dois deve­nir un grand saint ! » Bien des fois il expli­qua l’essence de la trans­for­ma­tion en saint : la totale confor­mi­té avec la volon­té de Dieu. Et il insis­ta sur le fait que seule l’Immaculée a reçu la grâce de nous for­mer, Ses enfants, à deve­nir saints : « notre degré de sain­te­té dépend de notre proxi­mi­té avec l’Immaculée. […] Si vous vou­lez réel­le­ment vous sanc­ti­fier, rappelez-​vous, la sanc­ti­fi­ca­tion et la per­sé­vé­rance (dans la recherche de la sain­te­té) dépend de la dévo­tion à Notre-​Dame »… « Permettez-​Lui de vous gui­der, et vous serez vous-​mêmes convain­cus, que l’Immaculée est le plus court et le plus sûr che­min vers la sain­te­té. » La cou­ronne blanche est la constante imi­ta­tion de l’Immaculée jusqu’à ce que j’abandonne tota­le­ment ma propre volon­té pour ne réa­li­ser que ce qu’Elle désire ! ». La cou­ronne rouge sera obte­nue si vous êtes prêt à aimer Dieu « jusqu’à la fin » : le mar­tyre est par essence « l’amour de Dieu à tra­vers la souf­france », le plus grand amour est « de don­ner votre vie pour vos frères ». Ainsi, il parle et écrit sur ces thèmes tous les jours : « La vie de l’homme est faite de trois phases : la pré­pa­ra­tion au tra­vail, le tra­vail et la souf­france. A tra­vers ces trois phases, Dieu nous amène à Lui. Plus une âme est fer­vem­ment dévouée à Dieu, plus tôt elle se pré­pare à cette troi­sième phase, afin de cimen­ter son amour pour l’Immaculée avec la souf­france née de l’amour. Car rien ne nous unit à l’Immaculée et ne nous ren­force tant dans la cha­ri­té que cet amour com­bi­né à la souf­france pour l’amour. Précisément sur ce che­min de souf­france nous pou­vons trou­ver si oui ou non nous Lui appar­te­nons vrai­ment, sans réserve. Dans cette troi­sième phase de nos vies nous devons mon­trer le plus grand amour pour Elle, l’amour d’un Chevalier ! L’amour pour Dieu est per­fec­tion­né dans la souf­france, comme l’or est puri­fié dans le feu. Il est impor­tant de men­tion­ner ici l’extraordinaire dévo­tion du saint au Saint-​Sacrement et à la sainte messe. La messe quo­ti­dienne et l’heure sainte (obli­ga­toires pour tous les frères de Niepokalanów, en dépit de leur emploi du temps sur­char­gé) étaient pour lui les moments les plus impor­tants de la jour­née. Pourquoi ? Parce que pour gagner la cou­ronne rouge nous devons constam­ment être unis avec le Précieux Sang de Notre-​Seigneur, cou­lant de Sa tête cou­ron­née de la cou­ronne d’épines et de Son cœur per­cé… pré­sents dans le calice de la sainte messe. Quel pro­gramme pour chaque Chevalier, exac­te­ment comme Saint Louis Marie Grignon de Montfort décri­vit « les apôtres des temps der­niers » : Le cru­ci­fix dans la main droite, le Rosaire dans la main gauche ! Le cru­ci­fix est le sacri­fice de Notre Seigneur sur la croix, pré­sent lors de la sainte messe. Et celui qui vit la sainte messe en imi­ta­tion constante et géné­reuse de Notre-​Seigneur obtien­dra la cou­ronne rouge. Le rosaire est le sym­bole de la dévo­tion à Notre-​Dame, tel une chaîne qui lie l’enfant à sa mère, le che­va­lier à sa reine. Celui qui main­tient la vraie dévo­tion à Marie et L’accepte tota­le­ment et entiè­re­ment comme Mère et Reine, obtien­dra la cou­ronne blanche : Il rece­vra d’ELLE tous les fruits mer­veilleux de la sagesse et de la pureté.

4. Le qua­trième mes­sage inclus dans cette vision : pour obte­nir les cou­ronnes, vous devez vous battre : et parce que les cou­ronnes sont l’ultime récom­pense après la vic­toire finale, le com­bat dure­ra tant que la vie elle-​même et ce sera un com­bat héroïque ! Ainsi fut la vie de saint Maximilien : dès l’enfance il apprit qu’ELLE est « le com­man­dant en chef » des armées chré­tiennes, et où qu’ELLE appa­raisse, le diable essaie­ra de La détruire de toutes ses forces, avec toute sa ter­rible colère. De l’autre côté, où que Satan règne, ELLE arrive afin « d’écraser sa tête ». L’Eglise sur terre est l’Eglise mili­tante, et per­sonne ne peut entrer dans le Royaume des cieux sans un com­bat per­ma­nent contre les enne­mis internes (mau­vais pen­chants, concu­pis­cence) et externes (les armées innom­brables du démon) jusqu’à la fin de sa vie. Ainsi, nous ne devrions ni ima­gi­ner ni dési­rer une vie douce et joyeuse sur terre sans les épreuves et batailles ; au contraire, se levant chaque jour, le Chevalier est prêt à une nou­velle jour­née de com­bat pour pro­pa­ger et conqué­rir le monde et les âmes pour « la Cité de Dieu ».

5. Une der­nière consi­dé­ra­tion : com­ment se battre ? A nou­veau, voyez le très simple exemple de notre saint : vous devez pen­ser aux cou­ronnes (médi­ta­tions), vous devez les deman­der (prières), vous devez prendre les moyens. Si vous vou­lez rece­voir les cou­ronnes, alors vous devez d’abord dési­rer et col­la­bo­rer afin que tous puissent recon­naître et se sou­mettre au Roi des Rois à tra­vers notre Reine du Ciel. Vous devez tra­vailler au triomphe du Sacré-​Cœur de Jésus, du Cœur Immaculée de Marie dans tous et cha­cun des cœurs en par­ti­cu­lier : en d’autres mots, être Son dévoué che­va­lier, ins­tru­ment à tra­vers laquelle la Médiatrice de toutes les grâces peut envoyer les rayons de grâce dans de nom­breuses âmes pour leur conver­sion et sanc­ti­fi­ca­tion. Et com­ment ferez-​vous cela ? Quelles sont les armes pour faire connaître et aimer Jésus et Marie ? Encore une fois : prières, sacri­fices, volon­té de l’Immaculée et tous les autres moyens à la por­tée de votre zèle et de votre géné­ro­si­té. Les mêmes moyens pour invi­ter d’autres âmes à obte­nir les cou­ronnes et aller au para­dis sont les pra­tiques concrètes pour obte­nir votre propre récom­pense : ce que vous faites pour les autres, vous le faites deux fois pour vous-mêmes !

A la fin juillet, saint Maximilien entra dans le don­jon avec 9 autres condam­nés ; mar­chant vers la plus ter­rible des morts, il mena tous ces prin­cipes et ins­pi­ra­tions de la double cou­ronne jusqu’à leur ultime réa­li­sa­tion : tel qu’il vécut, il mourut !

Puissent son exemple et son inter­ces­sion nous rendre tou­jours plus géné­reux, afin que nous puis­sions entendre un jour des lèvres de notre Sauveur : « Viens main­te­nant, bon et dévoué che­va­lier, reçois les cou­ronnes que je t’ai pro­mises quand tu déci­das de deve­nir le sol­dat de Ma Mère, le CHEVALIER DE L’IMMACULEE ! »

Jour de la fête de Sainte Anne, le 26 juillet 2016 

Avec ma bénédiction,

Votre dévoué,

Abbé Karl Stehlin (1), prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

P.S. Permettez-​moi de joindre une inter­view avec Michael Micherdzinski, l’un des der­niers témoins du sacri­fice héroïque de saint Maximilien. Cette inter­view a été réa­li­sée par le père fran­cis­cain Witold Pobiedzinski en 1998 et fut publiée dans les jour­naux polo­nais. Incidemment, le père Witold Pobiedzinski a rejoint la Tradition catho­lique en 2011 et vit depuis au prieu­ré de la FSSPX à Varsovie, en Pologne.

- Vous étiez pri­son­nier au camp de concen­tra­tion d’Auschwitz pen­dant cinq ans. Vous avez connu per­son­nel­le­ment St. Maximilien Maria Kolbe là-​bas. Quelle fut l’importance pour vous et les autres pri­son­niers de la pré­sence de ce moine par­mi vous ?

Tous les pri­son­niers envoyés à Auschwitz étaient accueillis par les mêmes mots : « vous n’êtes pas à un sana­to­rium mais à un camp de concen­tra­tion alle­mand duquel il n’y a aucune autre sor­tie que par la che­mi­née. Les Juifs peuvent vivre pen­dant deux semaines, les prêtres sur­vivent un mois et le reste vit trois mois. Ceux à qui ça ne plait pas peuvent tout de suite aller au grillage ». Cela vou­lait dire qu’ils pou­vaient être tués car ils fai­saient pas­ser un cou­rant à haute-​tension sans arrêt dans les grillages qui entou­raient le camp. Ces mots dès le départ enle­vaient aux pri­son­niers tout espoir. J’ai reçu une grâce incroyable à Auschwitz, car je séjour­nais dans un bloc avec le Père Maximilien et je me tenais avec lui en rang au moment de la sélec­tion pour la mort. Je fus témoin ocu­laire de son sacri­fice héroïque qui m’a redon­né l’espoir et aus­si aux autres prisonniers.

- Quelles furent les cir­cons­tances de cet évé­ne­ment, du plus haut inté­rêt, qui pousse les gens à poser la ques­tion : pour­quoi a‑t-​il fait cela, et au nom de quelles valeurs ?

Il y a 63 ans, le mar­di 29 juillet 1941, à envi­ron 1h de l’après-midi, juste après l’appel de la mi-​journée, les sirènes se mirent à hur­ler. Plus de 100 déci­bels tra­ver­sèrent le camp. Les pri­son­niers accom­plis­saient leurs tâches à la sueur de leur front. Les hur­le­ments de sirène signi­fiaient une alerte, et l’alerte vou­lait dire qu’un pri­son­nier man­quait à l’appel. Les SS firent immé­dia­te­ment ces­ser le tra­vail et com­men­cèrent à escor­ter les pri­son­niers du camp vers l’appel pour véri­fier le nombre de pri­son­niers. Pour nous qui tra­vail­lions sur la construc­tion d’une usine à caou­tchouc aux alen­tours, cela vou­lait dire une marche de sept kilo­mètres vers le camp. On nous pous­sa à aller plus vite. 

L’appel mit en évi­dence une chose tra­gique : il man­quait un pri­son­nier à l’appel, dans notre Bloc 14a. Quand je dis « dans notre bloc », je veux dire celui du Père Maximilien, Franciszek Gajowniczek, d’autres et le mien. C’était un mes­sage ter­ri­fiant. Tous les autres pri­son­niers furent relâ­chés et furent auto­ri­sés à se rendre à leurs blocs. On nous annon­ça la puni­tion : res­ter au garde-​à-​vous sans couvre-​chef, jour et nuit, sans man­ger. La nuit, il fai­sait très froid. Quand les SS avait une relève de la garde, nous nous regrou­pions telles des abeilles, ceux qui se tenaient au-​dehors réchauf­faient ceux qui se trou­vaient au milieu et alors nous chan­gions de position.

De nom­breuses per­sonnes âgées ne purent résis­ter à la cor­vée de res­ter debout nuit et jour dans le froid. Nous espé­rions au moins qu’un petit peu de soleil nous réchauf­fe­rait. Le matin, l’officier alle­mand nous cria : « parce qu’un pri­son­nier s’est échap­pé et que vous ne l’en avez pas empê­ché ou arrê­té, dix d’entre vous vont mou­rir de faim afin que les autres se sou­viennent que même les plus petites ten­ta­tives d’é­va­sion ne seront pas tolé­rées. » La sélec­tion débuta.

- Que se passe-​t-​il chez un homme quand il sait que c’est peut-​être le der­nier moment de sa vie ? Quels sen­ti­ments accom­pa­gnaient les pri­son­niers qui purent entendre la sen­tence qui les condam­nait à la mort ?

Je pré­fé­re­rais m’épargner le sou­ve­nir des détails de ce moment ter­rible. Je dirai en gros à quoi res­sem­blait cette sélec­tion. Le groupe entier se ren­dit au départ de la pre­mière ligne. Au-​devant, deux pas devant nous, un capi­taine alle­mand se tenait debout. Il vous regar­dait dans les yeux tel un vau­tour. Il mesu­rait cha­cun d’entre nous et ensuite levait sa main et disait, « Du ! », ce qui veut dire « Toi ». Ce « Du ! » vou­lait dire la mort par la faim, et il conti­nuait ain­si. Les SS sor­taient alors des rangs le pauvre pri­son­nier, notaient son numé­ro et le met­taient à part sous surveillance.

« Du ! » sem­blait comme un mar­teau bat­tant une com­mode vide. Tout le monde avait peur à chaque fois que le doigt bou­geait. La colonne sous sur­veillance bou­gea de quelques pas en avant, afin que l’espace entre les rangs pût être ins­pec­té et avec le rang sui­vant se for­mèrent des cou­loirs d’une lar­geur de trois ou quatre mètres. Le SS mar­chait dans ce cou­loir et disait encore : « Du ! Du ». Nos cœurs fai­saient un bruit sourd. Avec ce bruit dans nos têtes, le sang mon­tait à nos tempes et c’était comme si ce sang allait jaillir de nos nez, de nos oreilles et de nos yeux. C’était dramatique.

- Comment se com­por­ta St. Maximilien pen­dant cette sélection ?

Le Père Maximilien et moi-​même étions dans la sep­tième ran­gée. Il se tenait à ma gauche, deux ou trois amis peut-​être nous sépa­raient de lui. Quand les ran­gées devant nous dimi­nuèrent, une peur de plus en plus grande nous sai­sit. Je dois dire : peu importe la déter­mi­na­tion ou la frayeur d’un homme ; aucune phi­lo­so­phie ne lui est alors utile. Heureux celui qui croit, qui est capable de se repo­ser sur quelqu’un, de deman­der à quelqu’un la misé­ri­corde. J’ai prié la Mère de Dieu. Je dois l’avouer avec hon­nê­te­té : je n’avais alors jamais prié ni avant ni après avec tant de zèle.

Bien qu’on pou­vait entendre encore « Du ! », la prière en moi me chan­gea suf­fi­sam­ment pour que je me calme. Les gens ayant la foi n’étaient pas aus­si effrayés. Ils étaient prêts à accep­ter en paix leur des­tin, presque en héros. C’était for­mi­dable. Les SS pas­sèrent à côté de moi, me balayant des yeux et puis pas­sèrent à côté du Père Maximilien. Franciszek Gajowniczek leur plut ; il se tenait à la fin de la ran­gée, et était un ser­gent de 41 ans de l’armée polo­naise. Quand l’allemand dit « Du ! » et le mon­tra du doigt, le pauvre homme s’exclama : « Jésus ! Marie ! Ma femme, mes enfants ! » Bien sûr, les SS ne prê­taient pas atten­tion aux paroles des pri­son­niers et écri­vaient juste leur numé­ro. Gajowniczek jura plus tard que s’il avait péri dans le bun­ker de la faim, il n’aurait pas su qu’une telle plainte, une telle sup­plique était venue de sa bouche. 

- La sélec­tion ter­mi­née, est-​ce que les pri­son­niers res­tants res­sen­taient du sou­la­ge­ment que la grande peur soit finie ?
La sélec­tion prit fin, dix pri­son­niers ayant été choi­sis. C’était leur ultime appel. Quant à nous, nous pen­sions que ce cau­che­mar debout allait prendre fin : nous avions mal à la tête, nous vou­lions man­ger, nos jambes étaient enflées. Soudain, une agi­ta­tion débu­ta dans ma ran­gée. Nous nous tenions à inter­valle de la lon­gueur de nos sabots quand tout à coup quelqu’un com­men­ça à avan­cer entre les pri­son­niers. C’était le Père Maximilien.

Il avan­çait à petits pas, car per­sonne ne pou­vait faire de grands pas avec des sabots, car il fal­lait retrous­ser ses orteils pour empê­cher les sabots de tom­ber. Il se diri­geait tout droit vers le groupe de SS, qui se tenait près de la pre­mière ran­gée de pri­son­niers. Tout le monde trem­blait, car il s’agissait de la trans­gres­sion d’une des règles les plus impor­tantes, ce qui vou­lait dire un châ­ti­ment bru­tal à la clé. La sor­tie de la ran­gée vou­lait dire la mort. Les nou­veaux pri­son­niers qui arri­vaient dans le camp, ne sachant rien de cette inter­dic­tion étaient bat­tus jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus tra­vailler. Cela équi­va­lait à aller au bun­ker de la faim.

Nous étions cer­tains qu’ils tue­raient le Père Maximilien avant qu’il par­vienne jusqu’au bout. Mais quelque chose d’extraordinaire se pro­dui­sit qui ne fut jamais obser­vé dans l’histoire des sept cents camps de concen­tra­tion du Troisième Reich. Il n’est jamais arri­vé qu’un pri­son­nier de camp puisse quit­ter la ran­gée sans être puni. C’était quelque chose de si inima­gi­nable pour les SS qu’ils res­tèrent inter­lo­qués. Ils se regar­dèrent les uns les autres sans savoir ce qu’il se passait.

- Que se passa-​t-​il ensuite ?

Le Père Maximilien mar­chait dans ses sabots et son uni­forme rayé de pri­son­nier avec son bol sur le côté. Il ne mar­chait pas comme un men­diant, ni comme un héros. Il mar­chait comme un homme conscient de sa grande mis­sion. Il se tenait cal­me­ment face aux offi­ciers. Le com­man­dant du camp retrou­va fina­le­ment ses esprits. Furieux, il demande à son adjoint « Was will dieses Polnische Schwein ? » (« Que veut ce porc de Polonais ? »). Ils com­men­cèrent à cher­cher le tra­duc­teur, mais il se trou­va que le tra­duc­teur n’était pas néces­saire. Le Père Maximilien répon­dit cal­me­ment : « Ich will ster­ben für ihn » (« Je veux mou­rir a sa place »), mon­trant de sa main Gajowniczek qui se tenait à côté.

Les Allemands res­tèrent aba­sour­dis, la bouche ouverte d’étonnement. Pour eux, les repré­sen­tants de l’im­pié­té du monde, il était incom­pré­hen­sible que quelqu’un sou­haite mou­rir pour un autre homme. Ils regar­dèrent le Père Maximilien d’un regard inter­ro­ga­teur : est-​ce qu’il est deve­nu fou ? Peut-​être n’avons-nous pas com­pris ce qu’il a dit ?

Finalement, la deuxième ques­tion arri­va : « Wer bist du ? » (« Qui es-​tu ? »). Le Père Maximilien répon­dit : « Ich bin ein Polnischer Katolischer Priester » (« Je suis un prêtre catho­lique polo­nais »). Ici, le pri­son­nier confes­sa qu’il était polo­nais, donc qu’il venait de la nation qu’ils détes­taient. De plus, il admet­tait qu’il était un homme du cler­gé. Pour les SS, le prêtre était une dou­leur de la conscience. Il est inté­res­sant de noter que, dans ce dia­logue, le Père Maximilien n’utilisa pas une seule fois le mot « s’il vous plait ». En par­lant comme il l’a­vait fait, il avait bri­sé le pou­voir que les alle­mands avaient usur­pé de droit de vie ou de mort et il les for­çait à par­ler autre­ment. Il se com­por­tait comme un diplo­mate expé­ri­men­té. Seulement, au lieu d’une queue de pie, d’une écharpe ou de déco­ra­tions, il se pré­sen­tait lui-​même dans un cos­tume de pri­son rayé, un bol et des sabots. Le silence mor­ti­fère régnait et chaque seconde sem­blait durer des siècles. 

Finalement, quelque chose arri­va, que ni les Allemands ni les pri­son­niers n’ont com­pris jus­qu’à ce jour. Le capi­taine SS se tour­na vers le Père Maximilien et s’adressa à lui avec le « Sie » (« vous ») de poli­tesse et lui deman­da : « Warum wol­len Sie für ihn ster­ben ? » (« Pourquoi voulez-​vous mou­rir à sa place ? »)

Toutes les normes éta­blies des SS s’effondraient. Un moment aupa­ra­vant, il l’avait appe­lé le « porc de Polonais » et main­te­nant il se tour­nait vers lui et le vou­voyait. Les SS et les offi­ciers ordi­naires qui se tenaient près de lui n’étaient pas sûrs d’avoir bien enten­du. Une seule fois, dans l’histoire des camps de concen­tra­tion, un offi­cier de haut-​rang, auteur de meurtres de mil­liers de per­sonnes, s’est ain­si adres­sé à un pri­son­nier de cette manière.

Le Père Maximilien répon­dit : « Er hat eine Frau und Kinder » (« Il a une femme et des enfants »). Ce qui est le résu­mé de tout le caté­chisme. Il mon­trait à tous ce que la pater­ni­té et la famille vou­laient dire. Il avait deux doc­to­rats sou­te­nus à Rome « sum­ma cum laude » (la meilleure note pos­sible), et était édi­teur, mis­sion­naire, ensei­gnant aca­dé­mique de deux uni­ver­si­tés à Cracovie et Nagasaki. Il pen­sait que sa vie valait moins que la vie d’un père de famille ! Quelle for­mi­dable leçon de catéchisme !

- Comment l’officier réagit-​il aux paroles du Père Maximilien ?

Tout le monde atten­dait de voir ce qui allait se pas­ser ensuite. Le SS se savait le maître de la vie et de la mort. Il pou­vait don­ner l’ordre de le battre très vio­lem­ment pour avoir enfreint la règle stric­te­ment obser­vée concer­nant le fait de sor­tir du rang. Et plus impor­tant encore, com­ment est-​ce qu’un pri­son­nier osait prê­cher la morale ?! L’officier pou­vait faire condam­ner les deux à la mort par la faim. Après quelques secondes, le SS dit : « Gut » (« Bon »). Il était d’accord avec le Père Maximilien et admet­tait qu’il avait rai­son. Cela vou­lait dire que le bien avait gagné contre le mal, le mal absolu.

Il n’y a pas de plus grand mal que, par haine, de condam­ner un homme à périr de faim. Mais il n’y a pas non plus de plus grand bien que de don­ner sa propre vie pour un autre homme. Le bien abso­lu gagne. Je vou­drais insis­ter sur les réponses du Père Maximilien : on le ques­tionne à trois reprises et par trois fois il répond avec conci­sion et briè­ve­té, usant de quatre mots. Le chiffre quatre dans la Bible signi­fie sym­bo­li­que­ment l’homme tout entier.

- Quelle impor­tance pour vous et les autres pri­son­niers res­tants d’avoir été témoins de tout ceci ?

Les Allemands lais­sèrent Gajowniczek retour­ner dans le rang et le Père Maximilien prendre sa place. Les condam­nés devaient reti­rer leurs sabots parce qu’ils ne leur étaient plus d’aucune uti­li­té. La porte du bun­ker de la faim était ouverte seule­ment pour en sor­tir les cadavres. Le Père Maximilien entra en der­nier avec son binôme et il l’aida même à mar­cher. C’était comme ses propres obsèques avant sa mort. Devant le bloc, on leur dit de reti­rer leurs uni­formes rayés et on jeta les pri­son­niers dans une cel­lule de huit mètres car­rés. La lumière du jour fil­trait à tra­vers les trois bar­reaux de la fenêtre sur le sol froid, dur et humide et les murs noirs.

Un autre miracle arri­va là-​bas. Le Père Maximilien, bien qu’il res­pi­rait à l’aide d’un seul pou­mon, sur­vé­cut aux autres pri­son­niers. Il demeu­ra vivant dans la chambre de la mort pen­dant 386 heures. Tous les méde­cins recon­naî­tront que c’est incroyable. Après cette ago­nie hor­rible, le bour­reau dans un uni­forme médi­cal lui don­na une injec­tion mor­telle. Mais il ne suc­com­ba pas non plus… Il durent le finir avec une deuxième injec­tion. Il mou­rut la veille de l’Assomption de la Sainte Vierge Marie, Son Commandant-​en-​Chef. Il vou­lait tra­vailler et mou­rir pour Marie l’Immaculée toute sa vie. Ce fut sa plus grande joie.

- En réfé­rence à la pre­mière ques­tion, pouvez-​vous s’il vous plaît déve­lop­per : qu’est-ce que cette atti­tude extra­or­di­naire du Père Maximilien (être déli­vré de la mort par la faim) signi­fia pour vous ?

Le sacri­fice du Père Maximilien ins­pi­ra de nom­breux tra­vaux. Il ren­for­ça l’activité du groupe de résis­tance du camp, l’organisation sou­ter­raine des pri­son­niers et cela divi­sa le temps entre « l’avant » et « l’après » du sacri­fice du Père Maximilien. De nom­breux pri­son­niers ont sur­vé­cu à leur pas­sage au camp, grâce à l’existence et aux opé­ra­tions de cette orga­ni­sa­tion. Quelques-​uns d’entre nous reçurent de l’aide, deux sur cent. J’ai reçu cette grâce, vu que je suis l’un de ces deux. Franciszek Gajowniczek fut non seule­ment secou­ru mais vécut encore 54 ans.

Notre saint compagnon-​prisonnier secou­rut, par-​dessus tout, l’humanité en nous. Il était un guide spi­ri­tuel dans le bun­ker de la faim, don­na du sou­tien, diri­gea les prières, par­don­na les péchés et mena les mou­rants vers l’autre monde avec le signe de la Croix. Il ren­for­ça la foi et l’espoir en nous qui avons sur­vé­cu à la sélec­tion. Au milieu de cette des­truc­tion, cette ter­reur et le mal, il redon­na l’espoir.

Note de la RDLPL

(1) M. l’ab­bé Karl Stehlin est Supérieur du District d’Asie