La papauté et le monde – Abbé Régis de Cacqueray – 05 mai 2010

Abbé Régis de Cacqueray, Supérieur du District de France

Suresnes, le 05 mai 2010 en la fête de saint Pie V

Pourquoi le monde hait Benoît XVI

« Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous » Jean XV, 18. Cet aver­tis­se­ment que Notre Seigneur adres­sait à ses dis­ciples fut sans doute l’un des plus graves. Il les pré­ve­nait solen­nel­le­ment qu’ils n’auraient rien à attendre du siècle, que leur seule espé­rance repo­sait en Lui. De fait, à peine Dieu eut-​il envoyé son Saint Esprit, au jour de la Pentecôte, que ceux qui avaient le zèle d’annoncer Jésus Christ furent l’objet de la répro­ba­tion du monde. Ils furent pour­chas­sés hors des syna­gogues, écar­tés des forums, puis condam­nés, déca­pi­tés ou cru­ci­fiés. L’empereur les calom­nia, les accu­sa des pires méfaits, notam­ment d’avoir brû­lé Rome. À mesure que la foi se répan­dait, « les fils de lumière » étaient exé­cu­tés, voués aux lions ou aux bûchers tan­dis que « les fils des ténèbres » huaient, se gaus­saient et rica­naient. Ainsi s’accomplissait la célèbre maxime de Tertullien : « le sang des mar­tyrs est semence de Chrétiens ». Sur le sacri­fice de ceux qui pré­fé­raient mou­rir plu­tôt que de renier la véri­té révé­lée s’édifia l’Église. Sur les tom­beaux des pre­miers apôtres s’érigea la Chrétienté.

Certes, lorsque les princes recon­nais­saient la pri­mau­té de Dieu sur les socié­tés, lorsque les rois savaient eux-​mêmes s’agenouiller devant leur Créateur, les per­sé­cu­tions ces­saient, et s’imposait la trêve des saints. Mais à peine la révolte humaine se dressait-​elle orgueilleu­se­ment à la face du Seigneur que l’avertissement divin se confir­mait : le monde haïs­sait tout à la fois Dieu et ses dis­ciples. Notre pays fut sans aucun doute le labo­ra­toire de cette funeste rébel­lion, et la France devint la triste nation qui osa à la fois per­sé­cu­ter le cler­gé et empri­son­ner le vicaire du Christ. En 1799, le pape Pie VI mou­rut à Valence, sur notre ter­ri­toire, alors admi­nis­tré par les révo­lu­tion­naires du Directoire.

Ce monde bâti sur la haine de Dieu

Depuis, le monde qui nous entoure n’a ces­sé de renier Dieu. Il a récla­mé sa rup­ture totale d’avec l’Église ; en de mul­tiples occa­sions, il a fait périr les prêtres qui mou­raient par mil­liers sur les pon­tons de la Loire, dans les bagnes de Guyane ou dans les camps de tra­vail, plus à l’Est ; il a impo­sé une légis­la­tion qui fai­sait dis­pa­raître tou­jours davan­tage la morale chré­tienne, comme elle ten­tait de réduire la reli­gion à la sphère la plus pri­vée, jusqu’au fin fond des consciences. Ainsi, les lois anti­chré­tiennes se sont mul­ti­pliées depuis deux cents ans pour spo­lier l’Église, pour por­ter atteinte à la sainte ins­ti­tu­tion du mariage, pour tuer les enfants à naître, pour per­ver­tir les esprits des plus inno­cents. Face à l’inquiétant ave­nir qui se des­si­nait, le pape Pie IX eut la clair­voyance d’armer les âmes, de les pré­ve­nir du dan­ger qui se tra­mait : dès 1864, dans le Syllabus, cata­logue des quatre-​vingts erreurs qui se pro­pa­geaient, il condam­na très fer­me­ment l’idée selon laquelle « le Pontife romain peut et doit se récon­ci­lier et faire un com­pro­mis avec le pro­grès, le libé­ra­lisme et la civi­li­sa­tion moderne. » Il n’y eut que les libres-​penseurs ou libé­raux pour se lamen­ter d’une telle pros­crip­tion, pour conti­nuer à vou­loir adap­ter l’Église au monde qui la haïs­sait, pour vou­loir jume­ler les deux Jérusalem, pour faire coha­bi­ter Saül le per­sé­cu­teur et l’apôtre saint Paul.

Aussi, com­ment ne pas avoir été hor­ri­fié lorsque les hommes d’Église eux-​mêmes, à la faveur du concile Vatican II, s’aventurèrent à vou­loir adap­ter l’Église au monde, et plus par­ti­cu­liè­re­ment à ce monde-​là, au point d’en faire leur pre­mier objec­tif et de délais­ser celui qui avait été le sien pen­dant deux mil­lé­naires, à savoir le salut des âmes ? Nous ne pou­vons que sous­crire au tra­gique constat que Mgr Lefebvre dres­sa en 1976 en voyant, dans cette étrange union entre l’institution fon­dée par le Christ et celle dans laquelle agit son enne­mi, un « mariage adul­tère ». Car com­ment était-​il pos­sible de mettre l’Église au dia­pa­son d’un monde qui sou­hai­tait voir l’influence catho­lique dimi­nuer, la Foi se rela­ti­vi­ser et la morale se flé­trir, si ce n’est en accom­mo­dant cer­tains de ses ministres avec ces épou­van­tables desseins ?

Pour qui chantent les sirènes du monde ?

Or, à mesure que les papes modernes s’engageaient dans des voies nou­velles, rom­pant avec la Tradition – depuis les célé­bra­tions œcu­mé­niques jusqu’aux com­pro­mis inter­re­li­gieux – ce monde met­tait un terme à sa haine et applau­dis­sait. Les médias, ses sinistres ambas­sa­deurs, n’avaient plus de mots pour célé­brer des papes qu’ils trou­vaient soli­daires, ouverts au monde, en phase avec leur temps, selon leurs cri­tères inquié­tants. Ils ne taris­saient plus d’éloges pour célé­brer, avec la réunion inter­re­li­gieuse d’Assise, l’institution d’une reli­gion uni­ver­selle où la soli­da­ri­té avait rem­pla­cé la véri­té. Ils don­naient une publi­ci­té sans égale aux Journées mon­diales de la Jeunesse pour rete­nir une ambiance « bon enfant », tan­dis qu’on dégra­dait la litur­gie au gré des dérives locales. Et lors de la mort de Jean-​Paul II, les médias ne s’y trom­pèrent pas : ils saluèrent en lui le pape d’Assise, le pape du mur des lamen­ta­tions, le pape de l’ONU. Ils condam­nèrent en revanche le pape de la morale catho­lique qui avait ren­voyé dos à dos por­no­graphes et avorteurs.

Le pape Benoît XVI suc­cé­da donc à un pape immen­sé­ment popu­laire et dont il avait été le prin­ci­pal col­la­bo­ra­teur. Il ne s’est pas affran­chi de l’héritage de Vatican II et de ses pré­dé­ces­seurs. Il l’a dit tex­tuel­le­ment, il veut s’en faire le conti­nua­teur. Et lorsqu’il s’est recueilli dans la mos­quée d’Istanbul, lorsqu’il a prié à la grande syna­gogue de Rome ou, lorsque, tout récem­ment, le 14 mars der­nier, il a par­ti­ci­pé acti­ve­ment à un culte luthé­rien en assu­rant la pré­di­ca­tion d’une céré­mo­nie domi­ni­cale au temple de la Via Sicilia, nous n’avons pu que nous indi­gner en consi­dé­rant encore la rup­ture totale de telles pra­tiques de confu­sion avec la pru­dente atti­tude catho­lique obser­vée par les papes jusqu’au Concile. Or, ces signes sont jus­te­ment ceux qui per­mettent aux médias d’avoir encore quelque consi­dé­ra­tion pour Joseph Ratzinger. Pour ces gestes, il était encore, il n’y a pas si long­temps, loué, jugé intel­li­gent et paci­fique alors même qu’une chasse est désor­mais clai­re­ment orga­ni­sée contre lui.

Le monde à visage découvert

Nous n’en assis­tons pas moins les poings ser­rés à cette chasse. Quelle clique infâme ! Mais qui sont-​ils, ces hommes de la classe média­tique, pour se poser en face du pape comme des paran­gons de la ver­tu ? Qui sont-​ils pour accu­ser l’Église catho­lique de tous les vices et de tous les crimes ? Spontanément, se retrouvent sur nos lèvres les expres­sions dont s’est ser­vi notre divin Sauveur pour dési­gner la classe politico-​religieuse per­ver­tie par laquelle Il fut jugé et condam­né. Ce sont les mêmes sépulcres blan­chis, les mêmes pha­ri­siens. Ils haïssent le Christ comme ils haïssent ceux qui se réclament de Lui. Ils livrent les socié­tés qui leur sont confiées à la débauche et viennent faire la morale à un vieillard dont la vie pri­vée n’offre aucune prise à leur soif de scandale.

Nous savons mal­heu­reu­se­ment bien qu’il y a eu des chutes de prêtres et des chutes trop nom­breuses. Sans doute y en a‑t-​il tou­jours eu, mais nous sup­pu­tons que leur nombre s’est trou­vé aug­men­té par la tour­mente qui s’est abat­tue sur l’Église et qui a lais­sé les prêtres déso­rien­tés, devant por­ter leur céli­bat sans rece­voir les grâces qui leur per­met­taient de pui­ser des forces au renou­vel­le­ment du Sacrifice de Notre Seigneur Jésus Christ. Nous devons une com­pas­sion sans bornes aux enfants qui furent leurs inno­centes vic­times et nous devons tout faire pour expier des scan­dales qui s’avèrent infi­ni­ment plus graves lorsqu’ils pro­viennent de per­sonnes consa­crées à Dieu.

Mais nous refu­sons ce men­songe blas­phé­ma­toire qui laisse accroire que les prêtres et, en rai­son même de leur état consa­cré, consti­tue­raient une popu­la­tion « à risque ». Peu importent nos per­sonnes et l’agressivité que ces cam­pagnes média­tiques déve­loppent contre l’habit ecclé­sias­tique. Ce n’est pas de notre hon­neur qu’il est ques­tion mais de celui de Notre Seigneur Jésus Christ. Ils vou­draient que tout un cha­cun finisse par se détour­ner de cette reli­gion dont les obli­ga­tions angé­liques, répu­tées ineptes et inte­nables, ravalent fina­le­ment les adeptes, selon eux, au-​dessous des bêtes. Ne nous lais­sons pas émou­voir par cette infer­nale dés­in­for­ma­tion ! Expions pour les péchés qui ont été com­mis mais ne trou­vons, à l’évocation de ces fautes, que le désir de prier pour la sanc­ti­fi­ca­tion des prêtres ou celui de deve­nir de saints prêtres et des prêtres saints.

Le chemin de croix du pape Benoît XVI

Après en avoir cher­ché une autre, nous ne trou­vons d’autre com­pa­rai­son à cette traque et à cet hal­la­li contre ce vieil homme que celle de la Passion de Notre Seigneur Jésus Christ. Le monde entier semble se liguer contre lui et l’insulter, signer sa mort média­tique et déchaî­ner contre lui les pires fureurs dont per­sonne ne sait exac­te­ment où elles vont s’arrêter. Nous aime­rions bien trou­ver une autre réfé­rence que celle de la Passion du Christ qui n’est pas satis­fai­sante en tous points car les réjouis­sances d’un monde média­tique, lorsque les gestes inter­re­li­gieux sont posés ou quand la mort de l’État catho­lique est jus­ti­fiée par le dis­cours papal, ne siéent aucu­ne­ment à la per­sonne de Notre Seigneur. Pourtant, quelle autre choisir ?

Si nous assis­tons donc éga­le­ment le cœur ser­ré à cette chasse à l’homme qu’aucun des trois pré­dé­ces­seurs de Benoît XVI n’a subie, interrogeons-​nous en outre sur les rai­sons de ver­dicts aus­si tran­chés. On les trouve dans les pro­cès dres­sés par les mêmes adu­la­teurs de ce monde : lorsqu’il est ques­tion de résu­mer de manière acca­blante les cinq années de l’actuel pon­ti­fi­cat, ce sont les mesures de res­tau­ra­tion qui sont citées par les médias, depuis la libé­ra­tion de la messe tra­di­tion­nelle jusqu’à la levée des « cen­sures » offi­cielles qui tou­chaient les évêques de la Fraternité Saint-​Pie X, deux mesures qui ont favo­ri­sé à leurs yeux les défen­seurs d’une foi et d’une morale sans com­pro­mis­sion. De manière plus par­ti­cu­lière encore, ils reprochent au Souverain Pontife une condam­na­tion désor­mais ferme et répé­tée de l’avortement, de l’euthanasie, de l’union des homo­sexuels, ces piteux éten­dards deve­nus l’apanage de ceux qui veulent construire une socié­té sans Dieu.

Même sans beau­coup d’illusions sans doute, sur les dif­fi­cul­tés qui l’attendaient il y a cinq ans, lorsqu’il fut élu pape, Benoît XVI n’imaginait pro­ba­ble­ment pas que son pon­ti­fi­cat serait un tel che­min de croix. Sans jouir de la même aura que son pré­dé­ces­seur, il aurait pu vivre quelques années sur les béné­fices de son pres­tige. S’il l’avait vou­lu, il ne lui aurait pas été très dif­fi­cile de trou­ver quelques conces­sions sup­plé­men­taires à faire à la moder­ni­té et aux grands de ce monde pour ne pas prendre le risque d’être celui qui en devien­drait le souffre-​douleur. Cependant, cet homme n’est cer­tai­ne­ment pas mû par la recherche de la com­plai­sance de ses sem­blables. S’il n’a pas deman­dé à être pape, il veut faire son devoir, une fois élu, quoi qu’il doive lui en coûter.

Malheureusement, il a reçu la for­ma­tion de tous les prêtres de sa géné­ra­tion au cours d’une période par­ti­cu­liè­re­ment trou­blée. Et il est, en véri­té, bien regret­table qu’un tel homme ait bu à des sources phi­lo­so­phiques et théo­lo­giques empoi­son­nées – celles de Karl Rahner ou d’Hans Urs von Balthasar – et qui sont deve­nues pour finir le fond de son esprit. On ne peut donc qu’être inter­lo­qué par ce pape qui, tan­tôt, sur­monte admi­ra­ble­ment les bour­rasques d’un monde hai­neux contre l’Église, tan­tôt se fait applau­dir par la même intel­li­gent­sia au motif que ses gestes caressent les des­seins d’un monde en quête de soli­da­ri­té sans Dieu ; cepen­dant, les épreuves et les mal­heurs sont par­fois nos meilleurs amis pour nous rame­ner à la lumière de la véri­té et nous ne devons pas déses­pé­rer de son che­mi­ne­ment spirituel.

Notre devoir dans cette passion

De cette crise dans la crise doit sor­tir un plus grand bien. Jamais, de mémoire d’homme, le vicaire du Christ n’avait été aus­si mal­trai­té et ridi­cu­li­sé de son vivant et cela parce qu’il s’est conten­té de défendre la morale catho­lique. Il faut bien remon­ter à la figure de Pie XII, der­nier pape d’avant le Concile, pour retrou­ver un tel déchaî­ne­ment contre un Souverain Pontife et ce qu’il repré­sente. Le vieux rêve de l’aggiornamento, de l’adaptation à un monde qu’il fau­drait appri­voi­ser lorsqu’il nous hait, s’effondre de manière mani­feste. Nous devons redou­bler de prières pour que les auto­ri­tés de l’Église recon­naissent avec clair­voyance que les réjouis­sances épi­so­diques d’un monde hai­neux de Dieu, lorsque ces mêmes res­pon­sables semblent lui com­plaire, sont une ano­ma­lie inquié­tante et même contraire à la nature de l’Église.

Loin de nous lais­ser gagner par une cer­taine déses­pé­rance ou, au contraire, par un relâ­che­ment sau­pou­dré de bons sen­ti­ments, consi­dé­rons, que notre sanc­ti­fi­ca­tion exige de nous que nous ne reti­rions rien de ce com­bat de la Fraternité Saint-​Pie X ini­tié par son fon­da­teur. Nous n’imaginons pas assez la force de l’exemple. Sans doute cette Fraternité n’est-elle qu’un ins­tru­ment. Mais le constat, n’importe quel obser­va­teur peut le poser : depuis qua­rante ans, tan­dis que l’œuvre de Mgr Lefebvre s’alarmait de l’éloignement des papes par rap­port à la Tradition, du fait de leurs gestes ou de leur ensei­gne­ment, le monde applau­dis­sait à ceux-​ci. En revanche, quand le pape était conspué et moqué, il s’avérait que la Fraternité défen­dait la même véri­té qui n’était, en somme, que le patri­moine de l’Église trans­mis et enseigné.

Aujourd’hui, nous demeu­rons des ban­nis de l’Église. Mais le pape lui-​même se trouve comme mys­té­rieu­se­ment trans­por­té dans le camp de notre ban­nis­se­ment. Sans doute, il ne s’agit encore que de l’officiel ban­nis­se­ment des socié­tés civiles sans Dieu. Mais nul ne sait ce que sera la suite. Il est connu que les amis eux-​mêmes se font rares lorsque les tour­mentes deviennent plus vio­lentes. Comme le Christ à l’approche de la Passion, le vide peut deve­nir impres­sion­nant autour d’un pape parce qu’il n’y aura bien­tôt plus que des coups à ramas­ser à ses côtés.

Nous deman­dons pour nous-​mêmes la grâce de ne pas aban­don­ner, dans son infor­tune, celui dont le nom peut déjà être ins­crit sur la liste des pon­tifes per­sé­cu­tés. Nous deman­dons pour lui, s’il doit conti­nuer à faire l’amère expé­rience de la preuve par le vide, qu’il sache alors dis­tin­guer que ces ban­nis de l’Église étaient bien ses amis et ses fils les plus fidèles.

Que la Très Sainte Vierge Marie nous garde tous dans son Cœur Douloureux et Immaculé !

Abbé Régis de Cacqueray ,
Supérieur du District de France.
Suresnes, le 05 mai 2010 en la fête de saint Pie V

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.