Le Liban se relèvera-t-il ?

Alors que le Liban tra­verse une période tra­gique de son his­toire, il est inté­res­sant de mieux connaître les chré­tiens maro­nites qui sont à l’o­ri­gine de ce pays si éton­nant du Moyen-​Orient. Auront-​ils une nou­velle fois le cou­rage et les res­sources spi­ri­tuelles néces­saires pour faire face aux épreuves qui s’a­battent sur leur chère patrie et demeu­rer fidèle à ce qui la fit ?

Saint Maron

Saint Maron a don­né son nom à l’Église maro­nite, il est un ana­cho­rète ayant vécu au IVème siècle non loin de Cyr (70 km au nord-​ouest d’Alep, en Syrie ), il y a fon­dé une école monas­tique pros­père dont les dis­ciples ont rayon­né dans toute la région. Maron choi­sit de se reti­rer dans les mon­tagnes du dio­cèse de Cyr pour habi­ter les ruines d’un ancien temple païen qu’il trans­for­ma en un lieu de prière chré­tien, il est mort vers 410. On se dis­pu­ta son corps mais vers 452 l’empereur Marcien le fit pla­cer près d’Apamée dans un monas­tère construit tout exprès : le monas­tère de Saint-​Maron, ber­ceau de l’Église maronite.

L’Eglise maronite

Saint Maron n’a pas envi­sa­gé de son vivant à fon­der une Église déter­mi­née, tou­te­fois l’es­prit évan­gé­lique qu’il ensei­gna à ses dis­ciples fut la base de l’Église maro­nite. Le monas­tère de Saint-​Maron acquis une influence consi­dé­rable (comp­tant 800 reli­gieux au VIIème siècle) s’é­ten­dant aux autres cou­vents de la région ain­si qu’aux fidèles recou­rant à eux, le supé­rieur devint un chef spi­ri­tuel et tem­po­rel. Lorsque sur­vinrent les musul­mans au VIIème siècle, le siège patriar­cal d’Antioche dont dépen­daient les moines se trou­va vacant durant presque 150 ans, d’a­bord par impos­si­bi­li­té au patriarche de rési­der (titu­laire in par­ti­bus) puis tout sim­ple­ment faute de titu­laire de 702à 742, lais­sant livrées à elle-​même la Phénicie – le Liban actuel -, la Syrie et la Palestine. Alors, cou­pé de tout, le monas­tère du devant la grave néces­si­té se décla­rer en toute légi­ti­mi­té indé­pen­dant et for­mer une Église patriar­cale auto­nome dont le pre­mier patriarche fut saint Jean-Maron.

Cette Église fut, devant le fait accom­pli, recon­nue par Rome et l’on don­na dès 685 le titre de patriarche d’Antioche à son chef. Constamment rat­ta­chée au Siège Apostolique, l’Église maro­nite ne ces­sa de subir des per­sé­cu­tions vio­lentes de la part des musul­mans et des héré­tiques, à tel point que les maro­nites durent aban­don­ner les plaines fer­tiles de la Syrie pour se rendre au Liban où ils se fon­dirent avec le peuple local. Cette émi­gra­tion mas­sive eu lieu au Xème siècle, après la des­truc­tion du monas­tère de Saint-​Maron, par elle le Liban et l’Église maro­nite vont se trou­ver pro­fon­dé­ment liés. Les moines éta­blis au Mont-​Liban vont conser­ver leur influence, la com­mu­nau­té maro­nite étant cen­trée sur leur vie monas­tique, ce qui lui donne un carac­tère original.

Le maronitisme

Le maro­ni­tisme est un cou­rant phi­lo­so­phique et théo­lo­gique mais aus­si natio­nal. Il prit nais­sance avec la que­relle chris­to­lo­gique chal­cé­do­nienne en vue de défendre la véri­té doc­tri­nale contre les mono­phy­sites, héré­tiques qui niaient la nature humaine du Christ.

Un mouvement philosophique et théologique

En effet, 40 ans après la mort de saint Maron (vers 410), le concile de Chalcédoine se réuni (451) pour condam­ner la doc­trine mono­phy­site sou­te­nue par Eutychès. Théodoret, évêque de Cyr, fut le défen­seur achar­né en Syrie de la doc­trine catho­lique défi­nie et approu­vée par Rome à Chalcédoine : il y a deux natures dis­tinctes dans le Christ mais sub­sis­tant en une seule per­sonne. L’Église d’Antioche fut déchi­rée par les que­relles et deux clans se for­mèrent. Les moines de Saint-​Maron sou­tinrent farou­che­ment Théodoret dans cette lutte dont il était le cham­pion avec le pape saint Léon le Grand, cela mal­gré le déchaî­ne­ment des per­sé­cu­tions contre eux (lors d’un mas­sacre 350 d’entre eux furent tués). Si Théodoret, par sa science et ses direc­tives, aida les maro­nites à per­sé­vé­rer dans l’or­tho­doxie, l’empereur Marcien aus­si les sou­tint en leur fai­sant construire en 452 dans la région d’Apamée le grand monas­tère de Saint-​Maron déjà évo­qué. Cette téna­ci­té des maro­nites dans la défense achar­née de la doc­trine de l’Église uni­ver­selle ne se démen­ti­ra pas du Vème siècle jus­qu’à nos jours, fai­sant ain­si preuve du seul uni­ver­sa­lisme qui vaille : le catho­li­cisme. Si au XVIIIème siècle on essaya de remettre en doute his­to­ri­que­ment la conti­nui­té de l’or­tho­doxie des maro­nites, ce débat est aujourd’­hui lar­ge­ment tran­ché et l’on sait qu’il n’y eu pas de rupture.

Un courant national

La juri­dic­tion du supé­rieur du monas­tère de Saint-​Maron fut trans­fé­rée au patriarche maro­nite au VIIIème siècle, elle s’é­ten­dait non seule­ment sur tous les cou­vents se récla­mant de Saint-​Maron mais aus­si sur toutes les popu­la­tions de la région. C’est ain­si que se for­ma une Église-​nation garante de la sur­vie des maro­nites. La mon­tagne liba­naise fut le site géo­gra­phique par excel­lence de cette Église dont le patriarche était à la fois chef civil et religieux,de cette for­te­resse inex­pug­nable ni les byzan­tins, ni les arabes, ni les turcs ne purent leur arra­cher leur iden­ti­té, ils seront for­cés de les recon­naître comme une nation. Les rois de France saint Louis en 1250 et Louis XIV en 1649 garan­ti­ront leur auto­no­mie en met­tant spé­cia­le­ment sous leur pro­tec­tion « la nation maronite ».

La liturgie maronite

Le siège d’Antioche dont dépen­daient les moines de saint Maron avait sa litur­gie propre, la litur­gie syro-​antiochienne, dont la langue était le syriaque (appe­lé aus­si ara­méen), langue que les maro­nites conser­ve­ront. Le syriaque était la langue par­lée par le Christ lui-​même et les paroles de la consé­cra­tion que pro­nonce le prêtre maro­nite dans la messe sont presque les mêmes que celle qu’a pro­non­cé Notre Seigneur à la Cène, la veille de sa Passion. Désormais le syriaque n’est par­lé cou­ram­ment que dans de rares régions du fait de son rem­pla­ce­ment par l’a­rabe depuis le moyen-​âge (décla­ré langue offi­cielle du pays lors de l’in­dé­pen­dance en 1943). La litur­gie maro­nite garde quand à elle le syriaque comme langue litur­gique mais un bon nombre de textes sont dits en arabe. Nous pou­vons éga­le­ment remar­quer une cer­taine lati­ni­sa­tion quand à l’or­don­nan­ce­ment du rituel et de la messe, celle-​ci est sur­ve­nue au XVIème siècle dans le but de mani­fes­ter l’at­ta­che­ment indé­fec­tible des maro­nites au Siège suprême de Rome. De ce fait, la litur­gie maro­nite est la litur­gie orien­tale de loin la plus proche de celle des latins. Notons aus­si que cette litur­gie est d’a­bord celle des moines maro­nites, elle est la base et l’ins­pi­ra­tion de l’Église maro­nite qui est une sorte de grande com­mu­nau­té monas­tique, c’est pour­quoi il incombe tout par­ti­cu­liè­re­ment aux monas­tères de la sau­ve­gar­der et de la trans­mettre sans altération.

Les chrétiens au Liban

Le Liban actuel est un petit pays du Moyen-​Orient d’en­vi­ron 10 400 km car­ré (¼ de la Suisse), 5,5 mil­lions d’ha­bi­tants (dont 43% de chré­tiens), sur­tout mon­ta­gneux, avec pour capi­tale Beyrouth. C’est un pays tra­di­tion­nel­le­ment hos­pi­ta­lier et ouvert ( terre des antiques mar­chands phé­ni­ciens ), d’une beau­té natu­relle extra­or­di­naire qui lui vaut d’être cité plus de 70 fois dans la Bible et que le Christ lui-​même a fou­lé en se ren­dant à Tyr et à Sidon. La dévo­tion à la Sainte Vierge y est très forte, comme en témoigne le célèbre sanc­tuaire natio­nal de Notre-​Dame du Liban.

Les apôtres et les dis­ciples allant de Jérusalem à Antioche de Syrie durent prendre l’u­nique route pas­sant par le lit­to­ral liba­nais, les liba­nais furent donc dans les pre­miers à rece­voir l’Évangile. En effet, saint Pierre et saint Paul tra­ver­sèrent la Phénicie de nom­breuses fois nous disent les Actes des Apôtres. Les fouilles archéo­lo­giques cor­ro­borent l’af­fir­ma­tion d’un chris­tia­nisme fleu­ris­sant dès le Ier siècle et s’or­ga­ni­sant à par­tir des IIème et IIIème siècles. Ce chris­tia­nisme res­ta cepen­dant sur le lit­to­ral et il fut rat­ta­ché au siège d’Antioche. Quand à la mon­tagne liba­naise, moins peu­plée et plus farouche, elle res­ta païenne jus­qu’à l’ar­ri­vée des maro­nites (du VIIème au Xème siècle, fuite de la per­sé­cu­tion isla­mique) qui ache­vèrent de conver­tir les habi­tants et détrui­sirent les temples païens. Nous disons « ache­vèrent » car les moines maro­nites, à l’es­prit mis­sion­naire mar­qué, y exer­çaient déjà un apos­to­lat depuis le Vème siècle (Abraham de Cyr, Simon, etc). Une fois ins­tal­lés sur les cimes, les maro­nites s’é­ten­dirent dans les villes du lit­to­ral. Ce n’est qu’au Xème siècle que le patriar­cat maro­nite lui-​même quit­ta la Syrie pour s’ins­tal­ler avec ses fidèles dans la mon­tagne du Liban.

Le patriarcat maronite

L’Église de Jérusalem per­dit la pré­émi­nence des patriar­cats d’Orient en 70 avec la des­truc­tion de la ville, le nou­vel ordre fut plus tard celui-​ci : Constantinople, Alexandrie, Antioche, Jérusalem. Au Vème siècle le patriar­cat d’Antioche com­pre­nait 15 dio­cèses mais celui-​ci devint – comme on l’a vu – vacant au VIIème siècle du fait de l’in­va­sion musul­mane et son titre fut don­né au patriarche maro­nite en 685. Comme cette Église d’Antioche a été fon­dée par saint Pierre lui-​même avant de se rendre à Rome pour y fixer défi­ni­ti­ve­ment son siège, le patriarche maro­nite ajoute habi­tuel­le­ment à son pré­nom celui de « Pierre ». Le pal­lium lui est concé­dé par le Pape après on élec­tion par le col­lège des évêques maronites.

Suite au trans­fert du titre patriar­cal, une scis­sion s’o­pé­ra entre les fidèles du patriar­cat d’Antioche, cer­tains choi­sirent de dépendre du Basileus (l’empereur byzan­tin), ce sont les mel­kites, du syriaque mélech qui signi­fie « roi ». Ils aban­don­nèrent pro­gres­si­ve­ment la litur­gie syro-​antiochienne pour fina­le­ment adop­ter la litur­gie byzan­tine du siège de Constantinople. Les mel­kites – ou gréco-​byzantins – habi­taient sur­tout le lit­to­ral liba­nais tan­dis que les maro­nites – ou syro-​antiochiens – vivaient en majo­ri­té dans la mon­tagne liba­naise. Le patriarche maro­nite fut le chef direct de tous les évêques maro­nites, ils lui étaient sou­mis comme des évêques auxi­liaires, sans dio­cèses propres, cela jus­qu’au synode du Mont-​Liban en 1736 où l’on don­na l’au­to­no­mie (juri­dic­tion totale) aux évêques rési­den­tiels et où l’on fixa clai­re­ment les limites des dio­cèses, tou­te­fois cette déci­sion ne fut plei­ne­ment appli­quée qu’en 1819. Après cette réforme, le patriarche, tout en gou­ver­nant un dio­cèse déter­mi­né, est res­té le chef de l’Eglise maro­nite car l’in­dé­pen­dance des évêques ne s’en­ten­dait qu’à l’in­té­rieur de leurs dio­cèses, il conti­nue d’exer­cer son rôle fédé­ra­teur en choi­sis­sant et en nom­mant les évêques (actuel­le­ment 14 évê­chés à pour­voir en cas de vacance). Jusqu’à ce jour, en 2016, l’Église maro­nite a comp­té 77 patriarches, le siège patriar­cal fut trans­fé­ré du couvent Saint-​Maroun au Liban en 938 mais il est aujourd’­hui à Bkerké d’où le patriarche uni 2 400 000 fidèles (dont 675 000 en diaspora).

Petite Histoire

Les maronites et les communautés schismatiques

En 1054, lors du grand schisme d’Orient, l’Église maro­nite s’est trou­vée la seule com­mu­nau­té orien­tale non schis­ma­tique et si les maro­nites durent quel­que­fois s’al­lier aux byzan­tins contre les musul­mans, ce ne fut jamais au détri­ment de leur foi ni de leur liber­té mais au contraire, ils contri­buèrent durant le XVIIIème siècle au retour des armé­niens, des mel­kites et des syriens à l’Église catho­lique, unique arche du salut. En voi­ci pour preuve la lettre du Cardinal Préfet de la Propagande à Rome au patriarche maro­nite Jean Hage en 1895 où il dit ceci : 

« La noble Église maro­nite, par son union sin­cère et per­pé­tuelle au siège infaillible de saint Pierre, a défen­du et sau­ve­gar­dé en Orient, à toutes les époques, la sainte foi catho­lique. Bien plus, au siècle der­nier, elle tra­vailla à la conver­sion des autres com­mu­nau­tés orien­tales séparées ».

Les maronites et le Saint-Siège

L’attachement des maro­nites à Rome a été pro­fon­dé­ment ancré dans leur esprit dès l’o­ri­gine du maro­ni­tisme. En 517 les moines de Saint-​Maron envoient une sup­plique au pape Hormisdas, le ren­sei­gnant sur les per­sé­cu­tions dont les accablent les mono­phy­sites. Le pape leur répon­dit en 518 pour les encou­ra­ger à per­sé­vé­rer en dépit des souf­frances dans la défense de la véri­té doc­tri­nale. Avec l’ar­ri­vée de l’is­lam les rela­tions avec Rome furent tota­le­ment cou­pées, les Croisades per­mirent une brève ouver­ture mais il fau­dra attendre le XVème siècle pour qu’elles reprennent de manière régu­lière grâce aux mis­sion­naires fran­cis­cains. Lorsqu’en 1535, François Ier, roi de France, signa avec le sul­tan otto­man Soliman les « Capitulations », les mis­sion­naires latins purent alors se rendre en Orient en toute tran­quilli­té, étant mis à part bien sûr les pirates maures de Méditerranée… En effet, depuis lors la France exer­ça un pro­tec­to­rat sur les chré­tiens du levant et Rome en pro­fi­ta pour envoyer des mis­sions pon­ti­fi­cales auprès des maronites.

L’invasion arabe

L’invasion arabe eu lieu au VIIème siècle (prise de Damas en 634), à cette époque les chré­tiens du Moyen-​Orient étaient las du gou­ver­ne­ment byzan­tin en rai­son de ses manières d’a­gir et de les gou­ver­ner. De plus cette région se trou­vait affec­tée par les héré­sies et les dis­sen­sions inté­rieures. Ces deux fac­teurs faci­li­tèrent cette inva­sion arabe et par là, la péné­tra­tion de l’is­lam, cepen­dant les îlots de résis­tance furent nom­breux. Parmi ceux-​ci se trou­vaient les maro­nites retran­chés dans la mon­tagne liba­naise ; une par­tie notable des mara­dates se fusion­na à eux, il s’a­git d’un peuple ori­gi­naire de Perse fuyant la Syrie pour ne pas suc­com­ber à l’a­ra­bi­sa­tion et à l’islamisation.

Le moqad­dem – chef mili­taire – maro­nite Semaan tien­dra en échec durant toute sa vie les musul­mans, rem­por­tant sur eux de nom­breuses batailles (Antélias, Nahr-​el-​Kalb, etc). Devant cette résis­tance achar­née, les califes omeyades firent implan­ter autour de la mon­tagne des tri­bus isla­miques d’Iraq et de Perse (Iran actuel), espé­rant que ces colo­nies étouf­fe­raient les maro­nites et pré­vien­draient par une zone tam­pon leurs dan­ge­reuses incur­sions. Ce fut peine per­due. Les maronites-​maradates eurent à subir après quelques années la tra­hi­son de l’empereur byzan­tin Justinien II Rhinotmète qui signa un trai­té de paix avec le calife. Par réac­tion contre ce lâche aban­don, ceux-​ci mul­ti­plièrent leurs assauts à tel point que le calife ben Merwan dut en 685, pour y mettre fin, s’en­ga­ger à leur payer chaque année une forte somme d’argent et à les trai­ter selon le droit com­mun (pas de dim­mi­tude donc), tels des citoyens à part entière. Forcés d’ha­bi­ter la mon­tagne pro­tec­trice, les maro­nites ren­dirent fer­tile cette zone, assai­nis­sant les pentes, irri­guant les terres, éle­vant des ter­rasses ; les vignobles et les arbres frui­tiers donnent encore aujourd’­hui au pay­sage un aspect de jar­dins sus­pen­dus. Leur for­te­resse natu­relle mon­ta­gneuse per­mit aux maro­nites de ren­for­cer leur orga­ni­sa­tion mili­taire (30 000 com­bat­tants) et de main­te­nir une auto­no­mie rela­tive basée sur le sys­tème féo­dal, les grands pro­prié­taires furent ame­nés à prendre le carac­tère de chefs qui com­bat­taient à la tête de leurs pay­sans deve­nus leurs sol­dats : l’a­ris­to­cra­tie ter­rienne se mua en aris­to­cra­tie militaire.

Cette situa­tion dura, mal­gré quelques reprises des com­bats, jus­qu’à l’ar­ri­vée des Croisés au levant à la fin du XIème siècle. Après le départ des Croisés en 1291, com­men­ça la dynas­tie des Mamelouks (1292–1516) tout lien avec l’Europe fut inter­dit aux maro­nites de peur que les Croisés ne reviennent, les ports et les for­te­resses du lit­to­ral furent détruits. Au XIVème siècle quelques mil­liers de com­bat­tants maro­nites exé­cu­taient encore des attaques avec les Francs de Guy de Lusignan à par­tir de Chypre. De plus, l’in­ves­ti­ture du patriarche se trou­va en théo­rie sou­mise à l’ac­cord – le fir­man – des califes, chose à laquelle aucun patriarche maro­nite ne s’est plié mal­gré les menaces, inci­ta­tions et séduc­tions, hor­mis un seul d’entre eux, Helias Hoyek, durant la pre­mière guerre mon­diale (1914–1918), qui le sol­li­ci­ta auprès de l’empire otto­man afin d’é­par­gner à son peuple l’ex­ter­mi­na­tion que subis­saient déjà les armé­niens. Mais jus­qu’à cette date, les patriarches maro­nites se conten­taient de deman­der le pal­lium au Souverain Pontife tant ils étaient sou­cieux de main­te­nir les droits de l’Église et leur indé­pen­dance vis-​à-​vis de l’is­lam. L’empire mame­louk était divi­sé en six petits royaumes gou­ver­nés cha­cun par un vice-​roi – le naïb – qui repré­sen­tait le calife, il était muni d’un pou­voir de gou­ver­ner dans le cadre d’une auto­no­mie inté­rieure, le Liban fut un de ces royaumes. Grâce à cette décen­tra­li­sa­tion les maro­nites sur­ent main­te­nir une cer­taine indé­pen­dance dans l’ad­mi­nis­tra­tion de leurs affaires internes. Tout en rele­vant du vice-​roi de Tripoli, le patriarche était le chef suprême des maro­nites et il nom­mait les chefs locaux (appe­lés moqad­dem). La sou­mis­sion impo­sée au régime des mame­louks était tem­pé­rée du fait que ceux-​ci étaient recru­tés à l’o­ri­gine par­mi les esclaves blancs qui ser­vaient de garde per­son­nelle au calife (slaves, grecs, ana­to­liens, etc), on trou­vait chez eux moins de rudesse et de fana­tisme qu’au­près des musul­mans de sang arabe. Ces mame­louks étant sun­nites, ils chas­sèrent par les armes les chiites de leur empire et confi­nèrent les druzes (secte islamo-​platonicienne pré­sente au Liban) dans des zones déter­mi­nées, cela per­mis aux maro­nites de débor­der bien au-​delà du péri­mètre mon­ta­gneux ; c’est ain­si que sans s’en rendre compte, les mame­louks leur ouvrirent la porte pour domi­ner le pays.

Les moqaddimin (chefs) maronites

Le terme de moqad­dem signi­fie en arabe « pré­po­sé », les moqad­di­min (plu­riel) sont des chefs maro­nites (caïds civils et mili­taires, notables) pré­po­sés depuis le VIIème siècle aux affaires civiles, en ver­tu du gou­ver­ne­ment auto­nome octroyé à l’Église maro­nite sous les divers régimes isla­miques suc­ces­sifs. Pour les ser­vices consi­dé­rables qu’il ren­daient à leur nation par leur bra­voure et leur dévoue­ment, le patriarche n’hé­si­tait pas, en plus de leur titre sécu­lier, à leur confé­rer la digni­té du sous-​diaconat – ordre mineur chez les maro­nites – afin qu’ils aient pré­séance sur les laïcs lors des céré­mo­nies litur­giques. Cette charge devint héré­di­taire, leur nombre s’é­le­va à 30, for­mant une puis­sante armée capable d’as­su­rer calme et sécu­ri­té. Le patriarche veillait à ce qu’ils gou­vernent avec équi­té et jus­tice, il pou­vait si néces­saire les des­ti­tuer. Le seul trouble majeur eu lieu vers 1488 quand le moqad­dem de Bécharré sou­tint les jaco­bites, il fut vain­cu par le patriarche et son peuple.

Les maronites et les Croisés (1098–1291)

En 1009, le calife Hakim brûle le Saint-​Sépulcre, déjà plu­sieurs fois res­tau­ré, des mil­liers d’é­glises sont détruites, les Lieux Saints sont pro­fa­nés, les chré­tiens en Orient sont pas­sés sous la barre du tiers de la popu­la­tion (apos­ta­sies depuis le VIIème siècle avec la pres­sion isla­mique), ils sont tou­jours plus per­sé­cu­tés et sou­mis aux vexa­tions, les pèle­ri­nages sont ren­dus périlleux voire impos­sibles. Pour remé­dier à cette occu­pa­tion de la Terre Sainte, les chré­tiens d’Europe consti­tuent les expé­di­tions mili­taires appe­lées Croisades ; papes, princes et évêques exhortent à y prendre part, tel le pape fran­çais Urbain II en 1095. Il y eut 8 expé­di­tions suc­ces­sives de 1095 à 1291, éten­dues sur 196 ans.

Aux Omeyades (611–750) suc­cèdent les Abassides (750‑1258) qui trans­fé­rèrent la capi­tale du cali­fat de Damas à Bagdad, beau­coup plus à l’est. Le pas­sage de cette capi­tale de la Syrie à l’Iraq eu pour consé­quence l’é­loi­gne­ment du calife des pro­vinces du Levant (Syrie, Liban, Palestine), d’où l’a­nar­chie guer­rière qui s’y ins­tal­la. Face à ces luttes conti­nuelles, les maro­nites durent ren­for­cer leur armée et se sou­der autour de leur patriarche afin de main­te­nir leur auto­no­mie rela­tive. L’arrivée des Croisés au Liban en 1099 fut une joie immense et un grand sou­la­ge­ment pour les maro­nites encer­clés de toutes parts par le monde isla­mique. Ils les accueillirent comme des libé­ra­teurs et des­cen­dirent de leurs mon­tagnes. Les Croisés eux-​même furent heu­reux et agréa­ble­ment sur­pris de trou­ver l’aide de guides et de guer­riers expé­ri­men­tés au com­bat, connais­sant par­fai­te­ment le pays, ils étaient éton­nés de trou­ver une com­mu­nau­té orien­tale n’ayant pas som­bré dans le grand schisme sur­ve­nu 40 ans plus tôt (1054), cela explique la cor­dia­li­té décrite dans les chro­niques qui régnait entre Croisés et maro­nites. Si les maro­nites indi­quèrent aux Croisés le che­min le plus sûr pour arri­ver sans encombre à Jérusalem, les Croisés ouvrirent quand à eux aux maro­nites le che­min de Rome. Les papes, infor­més du sou­tien que ce peuple offrait aux Croisés, leur envoyèrent des légats, ils leurs pro­di­guèrent des éloges des­ti­nés à sou­te­nir leur foi et leur cou­rage et le patriarche fut convo­qué au IVème concile du Latran (1215) par Innocent III.

Malheureusement, loin de chez eux, dés­unis entre eux, moins sou­te­nus par l’Europe, les Croisés n’ar­ri­vèrent plus à faire face à leurs enne­mis, Jérusalem fut per­due dès 1187, la 8ème Croisade – celle de saint Louis – fut un échec, et enfin la der­nière place forte de Saint-​Jean d’Acre tom­ba en 1291 : la page était tour­née. Les maro­nites payèrent cher les consé­quences de cette défaite de leurs alliés Croisés, grou­pés autour de leur patriarche ils résis­tèrent seuls à Hadeth jus­qu’à ce qu’il furent contraints de capi­tu­ler et de subir à nou­veau les per­sé­cu­tions. La perte des sei­gneu­ries latines et la cap­ture du patriarche pous­sa de nom­breux maro­nites à rejoindre à Chypre, terre franque, où Guy de Lusignan les accueillit.

Les maronites sous les Ottomans (1516–1918)

Les maro­nites rega­gnèrent – comme nous l’a­vons vu pré­cé­dem­ment – leurs mon­tagnes sous la dynas­tie des Mamelouks. Les mame­louks, après une période iso­la­tion­niste, durent en rai­son des néces­si­tés du com­merce s’ou­vrir à l’Europe, les inté­rêts maté­riels et éco­no­miques leur firent ouvrir des conces­sions extra-​territoriales pour les chré­tiens euro­péens, on y éta­blit des consuls. Le règne des mame­louks, tis­sé d’in­trigues et de que­relles, prit fin en 1516 lorsque le sul­tan otto­man Sélim Ier les écra­sa à la bataille de Marj Dabid (Turquie actuelle). Celui-​ci s’empara de tout le sul­ta­nat mame­louk et le pou­voir fut trans­por­té d’Égypte à Constantinople, prise par les otto­mans (dynas­tie d’Othman) en 1453 sur les byzan­tins déca­dents. Les maro­nites pro­fi­tèrent de la tran­si­tion pour se débar­ras­ser de la contrai­gnante tutelle mame­louk et accroître leur auto­no­mie inté­rieure, Sélim Ier cher­cha leur appui et leur fit des conces­sions bien­veillantes. Ils conti­nuaient d’être gou­ver­nés direc­te­ment par les moqad­di­min qui levaient eux-​mêmes l’im­pôt, devant rendre compte de leur ges­tion à l’é­mir du Liban (gou­ver­neur). Les diverses dynas­ties d’é­mirs liba­nais (Fakhreddine, Madn, Chehab, etc) s’ap­puyèrent sou­vent dans leur poli­tique d’é­man­ci­pa­tion de la domi­na­tion turque sur les maro­nites car ce peuple avait le sou­tien du Saint-​Siège et de la France, ce qui pesait fort avan­ta­geu­se­ment en terme d’al­liances diplo­ma­tiques. Sous le règne des otto­mans, les patriarches maro­nites firent (XVIIème siècle) rem­pla­cer le calen­drier julien par le calen­drier gré­go­rien, essuyant l’ire et la jalou­sie des dim­mis schis­ma­tiques qui com­plo­tèrent contre eux auprès des auto­ri­tés islamiques.

Ne croyons pas tou­te­fois que la période turque fut calme pour les maro­nites, bien au contraire les courtes périodes de paix per­met­taient de reprendre haleine entre les phases vio­lentes de per­sé­cu­tions. Les maro­nites n’ont jamais autant souf­fert que sous l’empire otto­man mais leur téna­ci­té leur per­mit de se main­te­nir fermes dans la foi ; un tel exemple de cou­rage por­ta de nom­breux musul­mans druzes, sun­nites et chiites à se conver­tir et de cette façon à s’en­ga­ger dans la nation maro­nite, on trouve par­mi eux des émirs (Chébistes, Abillama, etc) et des notables (Harfouche, etc). Complots et vexa­tions visaient à mettre un terme aux pri­vi­lèges dont jouis­saient les maro­nites pour ensuite les réduire à la dim­mi­tude des autres com­mu­nau­tés chré­tiennes qui consiste en une tolé­rance coer­ci­tive envers les non-​musulmans vivant en terre d’is­lam. Les turcs essayèrent notam­ment d’as­treindre au fir­man (libelle d’in­ves­ti­ture du sul­tan) le patriarche maro­nite, fir­man auquel tout pré­lat de haut rang était sou­mis dan l’empire, sauf lui. Les maro­nites ne cédèrent pas, ils réus­sirent même à main­te­nir le pri­vi­lège mul­ti­sé­cu­laire de leurs tri­bu­naux propres en ver­tu duquel ils réglaient eux-​mêmes les litiges rela­tifs au droit par­ti­cu­lier, au mariage et à la famille. Les patriarches et les évêques étaient seuls habi­li­tés à connaître ces causes, le patriarche pou­vait excom­mu­nier ou décré­ter l’emprisonnement.

En 1860, l’empire otto­man, en accord avec l’Angleterre jalouse de l’in­fluence fran­çaise, décide de réduire le Liban chré­tien. On divi­sa le pays en deux dis­tricts (cai­ma­ca­miat), l’un maro­nite au nord et l’un druze au sud mais la manœuvre était per­verse car il y avait beau­coup de maro­nites au sud et ceux-​ci n’é­tant plus pro­té­gés par les leurs furent vio­lem­ment per­sé­cu­tés par les musul­mans druzes. Ce mor­cel­le­ment avait pour objec­tif de divi­ser admi­nis­tra­ti­ve­ment les chré­tiens alors majo­ri­taires dans le pays pour les éli­mi­ner ensuite dans une guerre civile. Fort heu­reu­se­ment, alors que les mas­sacres avaient déjà fait 22 000 morts chré­tiens en deux mois, Napoléon III déci­da l’en­voi d’un corps expé­di­tion­naire fran­çais qui y mit fin. Les puis­sances euro­péennes obli­gèrent les otto­mans à recon­naître un gou­ver­no­rat du Mont-​Liban auto­nome admi­nis­tra­ti­ve­ment quoique rele­vant tou­jours de l’empire turc. Ce gou­ver­no­rat, appe­lé mou­tas­sa­ri­fiat (1861–1914), était ampu­té de la moi­tié du Liban mais il réus­sit à assu­rer la concorde sociale et dura jus­qu’à la pre­mière guerre mondiale.

En 1914, l’empire otto­man entre en guerre aux côtés de l’Allemagne et en pro­fite pour abo­lir au Liban le régime du motas­sa­ri­fiat, à la place fut impo­sé un régime mili­taire diri­gé par le tyran Jamal Pacha. Le Liban fut iso­lé, car on savait que les maro­nites étaient les alliés tra­di­tion­nels de la France, il fut rava­gé par les per­sé­cu­tions (dépor­ta­tions, exé­cu­tions), les famines et le typhus. En 1918, avec la défaite de l’Allemagne, la guerre fut ter­mi­née et l’empire otto­man prit fin. Le patriarche Elias Hoyek (1843–1931), sou­cieux de l’a­ve­nir de sa nation, alla à Rome prendre conseil auprès du pape Benoît XV. Le 1er sep­tembre 1920, grâce à ses efforts diplo­ma­tiques entre­pris à Paris auprès de la « Conférence de la Paix », le Grand Liban est décla­ré indé­pen­dant. Le 22 novembre 1943, le Liban devient tota­le­ment indé­pen­dant avec la fin du man­dat fran­çais au Levant.

La récente guerre civile liba­naise (1974–1991), très com­plexe, se trouve cepen­dant en conti­nui­té avec l’Histoire du pays, il s’a­git d’un sujet très vaste. Mentionnons sim­ple­ment que la Constitution liba­naise sti­pule tou­jours aujourd’­hui que le pré­sident de la République doit être un maro­nite, le 1er ministre, un sun­nite, et le pré­sident de l’as­sem­blée, un chiite. Il y a actuel­le­ment au Liban 43% de chré­tiens et 57% de musul­mans, en 1932 le rap­port était de 51% contre 49% …

Abbé Gabin Hachette

Sources :

  • Histoire de l’Eglise maro­nite, en 3 tomes, par Mgr Pierre Dib (évêque maro­nite du Caire),1962
  • Précis d’Histoire de l’Eglise maro­nite, RP Joseph Mahfouz olm (Ordre liba­nais maro­nite), 1985
  • Les maro­nites, Histoire et constantes, Antoine Koury Harb
  • Maronites en Europe, col­lec­tif Lo Thedal
  • Dictionnaire de théo­lo­gie catho­lique, tome 10, article « Église maronite »
  • Dictionnaire de l’Orient chré­tien, éd. Brépols