1er mars

13e apparition – Le crucifiement

5e Mystère douloureux : le crucifiement

L’Evangile nous dit que Jésus condam­né au sup­plice de la Croix, fut emme­né par les sol­dats et par­vint au Golgotha, « sui­vi d’une grande masse de peuple ». C’est un cor­tège sem­bla­ble­ment consti­tué qui le 1er mars arrive à la Grotte de Massabielle.

Les docu­ments nous disent que huit à dix sol­dats mar­chant sur deux rangs pré­cé­daient la voyante. Derrière, se pres­sait la foule se ren­dant au lieu de l’Apparition. Cette foule, pré­cisent les témoins, était com­po­sée de gens de tout âge, de toute condi­tion, hommes, femmes et enfants, ouvriers, pay­sans, bour­geois et mili­taires. Les envi­rons de la Grotte, le che­min qui la sur­monte, tout était encom­bré de monde. C’était expri­mer cette véri­té que sur le Calvaire tout ce qui porte nom d’homme, sans dis­tinc­tion de sexe, d’âge ou de classe, se trou­vait pré­sent pour cru­ci­fier son Dieu… Et durant toute l’Apparition, cette foule va éprou­ver et mani­fes­ter les sen­ti­ments de l’autre foule du Calvaire, senti­ments du plus haut pathétique.

Catherine Emme­rich nous dit qu’il y eut au Golgotha un moment de silence solen­nel. Elle a enten­du gémir et elle a vu qu’une ter­reur géné­rale s’empara des hommes et des ani­maux. C’est exac­te­ment ce que nous rap­portent les spec­ta­teurs du ler mars. Il régnait par­tout, disent-​ils, un silence sai­sis­sant. « C’est à peine s’il y avait un peu de mou­ve­ment ou de bruit de paroles au-​dessus du rocher et au loin ». Seuls les sou­pirs et les gémis­se­ments entre­cou­paient le si­lence. Ils éprou­vaient eux-​mêmes une « impres­sion de frayeur ».

Et c’est pen­dant la vision de Bernadette que, dans cette même foule, se pro­dui­sit la fameuse scène des « Chapelets en l’air ».

Bernadette réci­tait ce jour-​là ses Ave sur le cha­pelet d’une autre per­sonne. « Où est ton cha­pe­let ? » deman­da la Vierge. « Le voi­là ! », répon­dit l’en­fant, après l’a­voir tiré de sa poche et en le lui mon­trant. C’est ce chapelet-​là dont il fal­lait qu’elle se ser­vît. Son père, la voyant faire, s’é­cria : « Vite les cha­pe­lets en l’air ! » Aussitôt les spec­ta­teurs éle­vèrent à bout de bras leur cha­pe­let dans la direc­tion de la Grotte. Ils s’i­ma­gi­naient que la Vierge allait les bénir.

La Providence per­mit cette méprise pour que fût évo­quée à la Grotte la scène qui se jouait ce jour-​là. Cette foule qui, au moment même où la voyante montre son cha­pe­let, – sym­bole le plus expres­sif du Christ, dit le Père Cros, – en disant « Le voi­là », et qui pour exé­cu­ter un ordre don­né, bran­dit le Rosaire auquel pend un Crucifix, ne rappelle-​t-​elle pas l’autre foule qui, le bras levé sem­blablement, avait répon­du à l” « Ecce homo » par un cri de mort : « Enlève-​le ! Enlève-​le ! Crucifie-​le ! » Cette foule-​là aus­si ne savait pas ce qu’elle fai­sait. Cette foule-​là aus­si accom­plis­sait la Volonté du Père. Cette foule-​là enfin, comme celle du Golgotha, appe­lait aus­si la béné­dic­tion du ciel : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! »

Au cours de sa vision, l’en­fant fut enca­drée par l’ab­bé Dézirat et sa mère, j’al­lais dire par saint Jean et Marie. L’un et l’autre se tenaient debout à ses côtés. Comme saint Jean, l’ab­bé Dézirat était « un jeune prêtre récem­ment ordon­né et non encore pla­cé ». Comme saint Jean, l’Evangéliste des der­niers moments du Christ, il regar­dait atten­ti­ve­ment la figure de la voyante, et racon­ta ce qu’il avait vu, signant son témoi­gnage de l’ex­pres­sion même de saint Jean : « Quod vidi­mus tes­ta­mur ». Et si cette phy­sio­no­mie de Bernadette, telle qu’il nous l’a dé­crite, ne reflète pas la dou­leur du Christ en Croix, renon­çons à comprendre.

« Bernadette, nous a‑t-​il dit, se tenait le buste bien droit, la tête rele­vée dans la direc­tion de la niche. Il sem­blait que tout son corps fût atti­ré par l’Apparition. On aurait dit que l’acte de la respira­tion était sus­pen­du… On voyait que son âme était ravie. Quelle paix pro­fonde ! Quelle suave séré­ni­té ! Quelle haute contem­pla­tion !… Ses yeux étaient lar­ge­ment ouverts… Ce qui m’ab­sor­bait sur­tout, c’é­tait l’ex­pres­sion d’a­mour du regard. Le sou­rire dépas­sait toute expres­sion… Ce qui me frap­pa encore autant que le sou­rire et le regard, c’est la joie, c’est la tris­tesse qui se pei­gnaient tour à tour sur son visage ; joie céleste ; tris­tesse vive comme un glaive, et qui cepen­dant n’al­té­rait pas le moins du monde la paix… Pendant la joie, on aurait dit qu’un rayon brillait sur le visage de l’en­fant ; pen­dant la tris­tesse, une espèce de voile le cou­vrait. On eût dit que l’âme se concen­trait alors en elle-​même sous le poids d’une dou­leur indicible ».

Nous lais­sons au lec­teur le soin de médi­ter cha­cun des points de cette dépo­si­tion qui nous dépei­gnent le même spec­tacle que contem­plait le dis­ciple bien-​aimé au pied de la Croix. On ne s’é­ton­ne­ra pas d’en­tendre par­ler à la fois de « joie céleste » et de « dou­leur pro­fonde comme un abîme ». Ces deux sen­ti­ments coexis­tèrent dans l’âme du Christ cloué en Croix.

Saint Thomas consacre un article de la Somme théo­lo­gique à expo­ser que, durant sa Passion, le Christ en même temps qu’il souf­frait la plus grande des dou­leurs, éprou­vait un bon­heur que rien ne peut éga­ler, parce qu’il était par­ve­nu au som­met de sa mis­sion, parce que sa vie inef­fable avec le Père Céleste et l’Esprit Saint n’é­tait pas interrompue.

Bien d’autres détails de l’Apparition du 1er mars méri­te­raient d’être notés, qui s’ac­cordent aisé­ment avec le spec­tacle du Calvaire. Nous les lais­se­rons de côté pour ne pas sur­char­ger ce chapitre.

Notons seule­ment le rôle pré­pon­dé­rant que tien­nent ce matin les sol­dats à la Grotte. A cause du froid, ils ont revê­tu ce matin-​là leur « man­teau blanc ». Rapide évo­ca­tion – mais com­bien émou­vante – de la scène du Calvaire, où l’on dut voir les sol­dats, tout heu­reux de leur butin, s’empresser d’es­sayer les vête­ments du Christ. Et l’on sait que les vête­ments du Christ étaient blancs…

Pourtant, les sol­dats ne figurent pas seule­ment à la Grotte pour y mettre une note de cou­leur locale. Ce sont eux qui entourent la voyante, qui la pré­cèdent dans ses exer­cices de péni­tence, qui écartent la foule, qui donnent des ordres. A Massabielle comme au Golgotha, ils sont les ministres et les auxi­liaires du mys­tère rédempteur.

C’est plus spé­cia­le­ment un sol­dat qui la pré­cède, quand elle se traîne à la fon­taine pour y boire, rap­pe­lant le sol­dat qui pré­sen­ta le vinaigre à Jésus. Quand elle eut bu, l’on vit sur ses lèvres des débris de terre ou de sable humide, comme en laisse une eau un peu bour­beuse. Puis, elle pous­sa une espèce de petit gémis­se­ment qui res­sem­blait à une res­pi­ra­tion de joie. Ensuite, elle se tour­na vers la niche et parut pro­non­cer quelques mots. A ce moment, son visage impres­sion­na spé­cia­le­ment les spec­ta­teurs. Et ce fut terminé.

Et tout ceci fait écho à ce que nous rap­porte l’Evangile : « Lors donc que Jésus eut pris le vi­naigre, il dit : C’est consom­mé. Et pous­sant un grand cri, il dit : « Père, je remets mon esprit en­tre tes mains ». Et ayant dit cela, il expira… »

14ème appa­ri­tion