Mgr Lefebvre, serviteur de la messe et de la doctrine, abbé Michel Simoulin – Mars 2016

« C’est évi­dem­ment la rai­son du com­bat mené par Mgr Lefebvre, non seule­ment pour main­te­nir et sau­ver la litur­gie et la Messe, mais aus­si pour refu­ser les doc­trines nou­velles énon­cées par le Concile. Son atta­che­ment – et le nôtre – à la doc­trine et à la Messe est un et total, sans pos­si­bi­li­té de sépa­rer l’un de l’autre. »

C’était il y a 25 années, dans les pre­mières heures du 25 mars, le Lundi-​Saint 1991 : Monseigneur Marcel Lefebvre s’endormait dans les bras de Notre-​Dame. Cette année ce sera le Vendredi-​Saint, mais rien ne peut nous empê­cher de nous­sou­ve­nir de ce matin de fête choi­si par Dieu pour appe­ler à Lui son bon et fidèle serviteur.

Tout semble avoir été dit sur Mgr Lefebvre, mais encore aujourd’hui cer­tains ne retiennent de lui qu’une par­tie de son action pour l’Église.

Certains ne veulent voir en lui que le refus des nou­veau­tés conci­liaires. D’autres ne voient en lui que le refus de la litur­gie nouvelle.

Mais qui voit en lui, non l’homme des refus, mais l’homme de la fidé­li­té totale, le ser­vi­teur de la vie de l’Église, et donc ser­vi­teur de sa doc­trine et ser­vi­teur de la Messe, défen­seur de sa foi et défen­seur de sa Messe, sau­veur de sa Tradition et sau­veur de son sacer­doce ?

Car la reli­gion catho­lique n’est pas seule­ment une doc­trine ou une litur­gie ! Elle est une vie ! Elle n’est pas toute conte­nue, enfer­mée dans un cer­tain nombre de véri­tés ou de dogmes ! Elle est une vie : vie de l’âme, vie de foi, d’espérance et de cha­ri­té… Vie qui peut exis­ter en toute per­fec­tion même là où la doc­trine n’est qu’imparfaitement connue, pour­vu qu’elle soit impli­ci­te­ment accep­tée. Cela est une pen­sée chère à saint Thomas d’Aquin, qui évoque par­fois une « vetu­la » [vieille femme] que nous serions peut-​être ten­tés de mépriser.

« Mon juste, dit en effet le Seigneur (Habacuc, II, 4) vit par la foi. Et cela est si mani­feste qu’aucun phi­lo­sophe, avant l’avènement du Christ, par tous ses efforts, ne put en savoir autant sur Dieu et les véri­tés néces­saires à la vie éter­nelle, qu’une vieille femme après l’avènement du Christ au moyen de sa foi. » (Commentaire du Credo) ; « Mais est-​il vrai que la cha­ri­té qui est avec la science, soit sur­émi­nente à celle qui est sans la science. Il semble que non, parce qu’alors un théo­lo­gien sans ver­tu aurait une cha­ri­té plus excel­lente qu’une pauvre femme qui serait sainte. » (Commentaire Ephésiens III,19) ; « Une petite vieille en sait bien plus de ce qui se rap­porte à la foi que tous ces phi­lo­sophes. […] Mais quelle est la petite vieille qui ne sait pas aujourd’hui que l’âme est immor­telle ? La foi peut beau­coup plus que la phi­lo­so­phie, par consé­quent, si la phi­lo­so­phie s’oppose à la foi, on ne peut l’accepter. » (Sermon Attendite a fal­sis)

Avis aux « ratio­ci­neurs » de tout poil et de tout bord, et qu’on relise plu­tôt le si beau déve­lop­pe­ment de Mgr Lefebvre sur le mys­tère de la Croix (cf. p. 6), dans son Itinéraire spi­ri­tuel, qui fut son tes­ta­ment, ou encore le cha­pitre sur « le Saint-​Sacrifice de la Messe » (cf. p. 7) dans sa Lettre ouverte aux catho­liques per­plexes.

Si l’attachement à l’ancien Ordo Missae [ordi­naire de la Messe] et le refus du Novus Ordo [nou­vel ordi­naire de la Messe] fut la base pra­tique fon­da­men­tale du com­bat entre­pris par Mgr Lefebvre, et demeure la nôtre, son prin­ci­pal grief envers le Concile est de nature fon­ciè­re­ment doc­tri­nale, car por­tant sur la pré­sence en son sein de thèses moder­nistes mor­ti­fères, incom­pa­tibles avec l’enseignement tra­di­tion­nel de l’Église, et incon­ci­liables avec l’esprit de la litur­gie et du sacer­doce traditionnels.

Sur ce point, il faut être bien atten­tif à ne pas consi­dé­rer la litur­gie comme une simple règle de prière, variable et sans apport avec la doc­trine, comme une simple dévo­tion ou un ajout sacra­men­tel. Bien au contraire, la Messe – avant d’être une litur­gie – est une doc­trine incar­née ! Elle est l’Incarnation de la foi. Elle est la Rédemption en acte, la foi qui vit et qui se célèbre, la foi magni­fiée, habillée de pourpre et d’or, chan­tée pour faire entendre au ciel et à la terre la voix de Jésus-​Christ et les bat­te­ments de son cœur ; elle est aus­si édu­ca­tion de toute l’âme des par­ti­ci­pants, pour leur faire aimer et chan­ter leur foi et leur amour envers Jésus-​Christ. Elle est le « Mysterium fidei » que célèbre l’Église pour rendre à Dieu tout hon­neur et toute gloire, par, avec et en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Dom Gréa, en 1909, écri­vait dans son bel ouvrage La sainte litur­gie :

« La prière litur­gique est le plus excellent hom­mage qui puisse être ren­du à Dieu par l’homme sur la terre ; tout ce qui la dimi­nue est un mal­heur public, et sa sup­pres­sion est le der­nier châ­ti­ment dont Dieu menace les cités : « Je ferai ces­ser en ce lieu la voix de l’Époux et de l’Épouse » (Jer. VII, 34 ; XVI, 9Apoc. XVIII, 23), le solen­nel col­loque de Jésus-​Christ et de l’Église.

La sainte litur­gie revêt, en effet, tous les carac­tères de l’Église elle-​même et par­ti­cipe à ses notes glo­rieuses ; par son anti­qui­té, elle remonte aux apôtres ; elle est une dans sa sub­stance et, comme la tunique de la reine, elle n’ad­met de diver­si­té que dans les orne­ments et, pour ain­si dire, les perles et les bro­de­ries qui l’embellissent ; elle est uni­ver­selle et appar­tient à tous les lieux comme à tous les temps ; elle est sainte de la sain­te­té même du Saint-​Esprit, qui l’a­nime au-​dedans et qui, par­lant dans les Saintes Écritures et dans la Tradition, forme toute la trame des paroles sacrées. »

Si tout cela n’est que « pié­té » sans lien avec la doc­trine, je me demande ce qui le sera ! Et le pape Paul VI le savait bien, lui qui, selon l’aveu de son ami et confi­dent Jean Guitton « était sou­cieux, par esprit œcu­mé­nique, de dimi­nuer es obs­tacles. Et il pen­sait que la litur­gie nou­velle, pré­pa­rée par Bugnini (à qui il don­nait sa confiance) pou­vait rap­pro­cher les pro­tes­tants et les catho­liques soit en adou­cis­sant l’aspect sacri­fi­ciel et « tri­den­tin » de la messe de saint Pie V, soit en se rap­pro­chant des litur­gies les plus anciennes, où le sacri­fice est impli­cite. »

La Messe tri­den­tine est sous-​tendue par la doc­trine du Concile de Trente, et elle le véhi­cule avec toute son âme, comme le Novus Ordo Missae (NOM) est sous-​tendu par celle de Vatican II, qu’il véhi­cule sans âme­mais de toute la force de l’autorité qui l’a pro­mul­gué. Ainsi on devient et on demeure « tri­den­tin » par le seul fait de par­ti­ci­per à la messe tri­den­tine, de se lais­ser por­ter, for­mer et ins­truire par sa litur­gie, sans tou­jours s’en rendre compte. Et l’on devient conci­liaire par la fré­quen­ta­tion des rites conci­liaires, sans même l’avoir recher­ché. C’est ain­si que des « conci­liaires » naïfs et sin­cères sont deve­nus inca­pables de com­prendre les motifs de nos refus. Pour eux, il est natu­rel d’assister à ces rites ! Et il faut être un géant de la vie inté­rieure pour « demeu­rer pareil » mal­gré l’esprit des rites.

Et je dois avouer que j’ai du mal à com­prendre com­ment on peut se dire atta­ché à la Messe Tridentine et en récla­mer l’usage, sans jamais dire une parole contre les doc­trines qui la contre­disent ! Il fau­dra bien qu’un jour ces socié­tés qui ont obte­nu de pou­voir user d’un droit recon­nu par Benoit XVI, nous expliquent com­ment elles s’arrangent avec leur conscience pour ne jamais émettre la moindre réserve sur les pré­di­ca­tions de ceux qui le leur ont accor­dé ! Comment nom­mer ce com­por­te­ment ? Je n’ose évo­quer le cas de ce père béné­dic­tin qui ose même défendre et jus­ti­fier les thèses conci­liaires les plus avan­cées !

C’est évi­dem­ment la rai­son du com­bat mené par Mgr Lefebvre, non seule­ment pour main­te­nir et sau­ver la litur­gie et la Messe, mais aus­si pour refu­ser les doc­trines nou­velles énon­cées par le Concile. Son atta­che­ment – et le nôtre – à la doc­trine et à la Messe est un et total, sans pos­si­bi­li­té de sépa­rer l’un de l’autre. Et sans l’avoir recher­ché et sans le savoir peut-​être, il fut un bel exemple de cette forte pen­sée de Psichari :

« Ça n’est pas dif­fi­cile, le pro­grès. Je n’ad­mire pas. Ce qui est dif­fi­cile, au contraire, c’est de res­ter pareil, d’être le roc bat­tu de tous les orages, mais qui reste debout et qu’au­cun oura­gan n’é­bran­le­ra ». (L’Appel des armes, p. 33)

Daigne la Vierge de l’Annonciation nous accor­der cette fer­me­té et cette fidé­li­té qui nous feront vivre dans la cohé­rence d’une foi qui devient prière et d’une prière qui ne dit rien de moins que la foi que nous avons reçue de l’Église lors de notre baptême.

Saint et géné­reux Carême et sainte et fer­vente Semaine Sainte à tous dans la joie de célé­brer notre foi et de chan­ter notre amour à notre Dieu cru­ci­fié par amour et res­sus­ci­té pour notre espérance.

Abbé Michel Simoulin, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X in Le Seignadou de mars 2016