Lettre n° 58 de Mgr Bernard Fellay aux Amis et Bienfaiteurs de la FSSPX d’avril 2000

Chers Amis et Bienfaiteurs,

l y a quelques jours, Dieu rap­pe­lait à lui son Excellence Mgr Salvador Lazo. Mgr Lazo, évêque émé­rite de San Fernando de La Union aux Philippines, avait rejoint le com­bat pour la Tradition en 1995. Courageusement, il prit la plume pour essayer de faire connaître au cler­gé de son pays, à tous les prêtres et évêques, ce que lui-​même avait eu la grâce de décou­vrir : une immense crise bou­le­verse la sainte Église. Il est temps de réagir. Il a por­té son témoi­gnage un peu par­tout dans le monde, don­nant des confé­rences en par­ti­cu­lier dans le monde anglophone.

Malgré les pres­sions de l’épiscopat et même de Rome, il a fidè­le­ment conti­nué à défendre la bonne cause retrou­vée après 25 ans dans la mou­vance post-​conciliaire. Lui-​même expli­quait que les évêques, pour la plu­part, sont ense­ve­lis sous la pape­rasse admi­nis­tra­tive et n’ont presque pas le temps de pen­ser. La plu­part suit les ordres venus d’en haut, de Rome, de la confé­rence épis­co­pale qui se charge de dif­fu­ser les nou­velles fil­trées et choi­sies : ain­si par exemple, Mgr Lazo n’apprendra qu’après avoir rejoint la Tradition, vers 1996, qu’en 1984 l’ancienne messe avait été de nou­veau per­mise, certes sous cer­taines conditions.

Son cou­rage a été pour nous tous une grande conso­la­tion et récon­fort pen­dant toutes ces der­nières années, et sur­tout pour nos prêtres en Asie. Son sou­tien incon­di­tion­nel à l’œuvre de Mgr Lefebvre, en déve­lop­pant une solide et pro­fonde ami­tié avec nos prêtres, lui valut aus­si l’animosité des évêques de son pays, limi­tée tout de même par le res­pect pour son ancien­ne­té. Les pres­sions ne man­quèrent cepen­dant pas.

Nos prêtres de Manille le veillèrent jour et nuit pen­dant le der­nier mois de sa pénible mala­die. Il ren­dra son âme à Dieu dans les bras de nos abbés, dans notre prieuré.

« J’offre ces souf­frances pour la conver­sion des évêques » ; « Je veux aller à la mai­son » disait-​il aux abbés un peu sur­pris ; « Oui, je veux aller au ciel… Mon Dieu, si vou­lez, vous pou­vez venir me chercher ».
« Le nonce peut venir me visi­ter… Je lui dirai que je meurs pour Jésus-​Christ et non pour les hommes ».

En sui­vant ses der­nières volon­tés, nous avons eu l’honneur de l’inhumer dans notre église de Manille, Notre-​Dame des Victoires, tout un pro­gramme. C’est là qu’il repose en atten­dant la résur­rec­tion des morts et le juge­ment der­nier qui mani­fes­te­ra la gran­deur d’âme de cet évêque de grande droi­ture, esti­mé par ses confrères évêques pour « sa sagesse, sa pru­dence, ses indé­niables réa­li­sa­tions », mais cepen­dant accom­pa­gné par aucun d’eux lors de la céré­mo­nie d’enterrement (messe pon­ti­fi­cale avec cinq absoutes). La crainte d’être conta­mi­nés par la Tradition catho­lique sans doute, alors qu’ils osent invi­ter les païens et les ido­lâtres jusque dans la cathé­drale de Manille !
Un de nos prêtres lui deman­da bien sim­ple­ment s’il pen­sait savoir d’où lui venait la grâce de sa conver­sion à la Tradition. Il répon­dit tout aus­si sim­ple­ment qu’il pen­sait que son heure sainte quo­ti­dienne y était peut-​être pour quelque chose ain­si que sa dévo­tion au saint Rosaire.
Espérons que ses prières et son sacri­fice seront bien­tôt exau­cés, que le jour ne soit pas trop loin qui voie une armée d’évêques renouer avec la Tradition plu­ri­sé­cu­laire de l’Église. Quel bien il en sortirait !

Étant à Manille, nous en avons pro­fi­té pour exa­mi­ner la vie du prieu­ré. Depuis sep­tembre 1998, deux abbés ont été déta­chés de Manille pour s’occuper du pré-​séminaire, éta­bli sur une autre île plus au sud. De là, tout en pré­pa­rant les can­di­dats au sémi­naire et les futurs frères, ils s’occupent des fidèles de la région de Cebu. Ainsi la com­mu­nau­té de Manille a dimi­nué un peu, réduite à cinq prêtres qui rayonnent du Japon à Hong Kong sans oublier la Corée. En même temps, ils pré­parent les jeunes filles qui pensent avoir une voca­tion à la vie reli­gieuse ; elles sont regrou­pées en deux mai­son pas trop loin du prieu­ré. En même temps, ils conti­nuent de déve­lop­per la vie parois­siale ain­si que des mis­sions médi­cales dans Manille même. La der­nière fut un franc suc­cès : en un seul jour, plus de 900 patients des quar­tiers pauvres ont été trai­tés : à peu près tous les quatre mois, les méde­cins, les den­tistes, fidèles de notre prieu­ré, donnent une jour­née à cette bonne cause. Toute une rue est blo­quée par la muni­ci­pa­li­té. On y monte une grande tente et jusqu’au cou­cher du soleil les pauvres du quar­tier se pré­sentent sans inter­rup­tion à l’accueil. De là, les malades sont diri­gés vers les dif­fé­rents méde­cins. On ne peut qu’admirer la cha­ri­té chré­tienne à l’œuvre !

Il fau­drait que par­tout, en tous lieux, le monde d’aujourd’hui puisse voir cette cha­ri­té en action, qui ne cherche qu’à sou­la­ger, qu’à don­ner sans rien attendre en retour. La cha­ri­té est inven­tive, mul­tiple et diver­si­fiée. Ainsi, dans le même sens, la capi­tale de la Biélorussie a vou­lu saluer ce dévoue­ment en hono­rant l’un de nos prêtres pour son action huma­ni­taire dans la ville de Minsk !

Bien que cela ne soit pas notre pré­oc­cu­pa­tion pre­mière, il ne fait aucun doute qu’il man­que­rait quelque chose à la Tradition catho­lique si les œuvres de misé­ri­corde tem­po­relle lui fai­saient défaut. Mais il n’en est rien ! Et les marques si nom­breuses de cha­ri­té fra­ter­nelle que l’on peut consta­ter par­mi les fidèles et qui débordent le cercle de la tra­di­tion est pour nous une source de pro­fonde action de grâces : la Charité vain­cra le monde de méchan­ce­té et de men­songe, de lâche­té et d’artifice. Nous le savons, Dieu est plus grand, infi­ni­ment, que le mal, que la crise si pro­fonde qui tra­verse notre époque et où il devient dif­fi­cile de ne pas voir une anti­ci­pa­tion du ter­rible temps de l’Antéchrist. Oui, Dieu vain­cra, l’Église triom­phe­ra encore une fois. Quel hon­neur de pou­voir par­ti­ci­per à la grande bataille d’aujourd’hui. Il faut qu’Il règne, il faut que les familles rede­viennent chré­tiennes, que les cœurs rede­viennent catho­liques, que le monde entier recon­naisse son Créateur et Sauveur et qu’il se place enfin sous son doux joug. Travaillons tous, avec appli­ca­tion, cha­cun à sa place, à ce magni­fique labeur. La cha­ri­té ne peut pas être enchaînée.

Malgré les inven­tions inouïes d’une Rome dont on se demande avec tou­jours plus d’inquiétude où elle va, Quo vadis ? Malgré le spec­tacle curieux et stu­pé­fiant de cer­taines céré­mo­nies du Jubilé qui tournent à une sorte de délire à saveur maçon­nique (par exemple, l’humiliante demande de par­don du 12 mars cor­res­pond si exac­te­ment aux reproches faits depuis long­temps par les enne­mis de l’Église qu’il est impos­sible de ne pas faire un lien entre les deux ; les expres­sions telles la « glo­ba­li­sa­tion de la soli­da­ri­té » pro­non­cée devant M. Kofi Annan le 7 avril der­nier, font pen­ser à une mise à l’unisson avec l’Organisation des Nations Unies qui pro­meut la glo­ba­li­sa­tion du monde, de l’économie ; et l’invitation de M. Gorbatchev faite aux socia­listes de suivre Jean-​Paul II n’est cer­tai­ne­ment pas une parole en l’air) ; mal­gré tout cela, nous gar­dons toute notre espérance.

Et notre pèle­ri­nage au mois d’août sera une pro­tes­ta­tion de notre atta­che­ment à la Rome éter­nelle, à la tra­di­tion immé­mo­riale de l’Église, à la foi catho­lique. Soyez nom­breux à mani­fes­ter ain­si la viva­ci­té de votre Foi et votre volon­té inébran­lable de res­ter catho­liques coûte que coûte.

À la fin mon Cœur Immaculé triom­phe­ra. Alors que l’heure est si tra­gique, sachons trou­ver dans Notre Seigneur, dans le Cœur Immaculé de Notre Dame, dans le Sacré-​Cœur, la force, l’élan, l’enthousiasme des vrais chré­tiens. Le monde pas­se­ra, Dieu, Lui et sa Parole, ne pas­se­ront pas.

Mais, certes, pour nous, le devoir de faire des sacri­fices et de prier est urgent ; de prier pour notre salut, notre fidé­li­té, de prier pour les prêtres et les évêques. Ainsi nous aime­rions ter­mi­ner cette lettre par une prière pour les prêtres écrite par un prêtre ce der­nier siècle, et que nous vous invi­tons à prier de temps en temps. Que Dieu récom­pense votre géné­ro­si­té tou­jours si assi­due en une abon­dance de grâces et de bénédictions.

L’esprit de sacri­fice, versez-​le, ô mon Dieu, dans sa plé­ni­tude sur vos prêtres. C’est leur gloire autant que leur devoir d’être des vic­times, de se consu­mer pour les âmes, de vivre sans joies humaines, de subir sou­vent la méfiance, l’injustice et la per­sé­cu­tion. Qu’ils songent à ce qu’ils disent chaque jour à l’autel : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » Qu’ils y songent et qu’ils se l’appliquent : « Je ne suis plus moi, je suis Jésus, et Jésus cru­ci­fié. Je suis, comme le pain et le vin, une sub­stance consa­crée qui a ces­sé d’être elle-même. »

O mon Dieu, je brûle du désir de la sanc­ti­fi­ca­tion de vos prêtres. Je vou­drais que toutes ces mains consa­crées qui vous touchent fussent des mains amies dont le contact vous soit doux, et que ces bouches, qui pro­noncent à l’autel des paroles si sublimes, ne se ravalent jamais aux for­mules triviales.

Qu’ils gardent, dans toute leur per­sonne, l’habitude de leurs nobles fonc­tions. Que cha­cun les trouve simples et grands comme l’hostie, acces­sibles à tous, et supé­rieurs aux autres hommes.

O mon Dieu, faites qu’ils emportent de la messe d’aujourd’hui la soif de la messe de demain, et que, pleins eux-​mêmes des dons reçus, ils aient la grâce de les com­mu­ni­quer lar­ge­ment aux autres.

Ainsi soit-​il

En la fête de la Résurrection, 23 avril 2000

+Bernard Fellay, Supérieur général

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FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.