Lettre n° 72 de Mgr Bernard Fellay aux Amis et Bienfaiteurs de la FSSPX d’avril 2008

Chers amis et bienfaiteurs,

Le Motu Proprio Summorum Pontificum qui a recon­nu que la messe tri­den­tine n’avait jamais été abro­gée pose un cer­tain nombre de ques­tions en ce qui concerne le futur des rela­tions de la Fraternité Saint-​Pie X avec Rome. Plusieurs per­sonnes, dans les milieux conser­va­teurs et à Rome même, ont fait entendre leurs voix arguant que, le Souverain Pontife ayant posé un acte d’une si grande géné­ro­si­té, et don­né par là même un signe évident de bonne volon­té à notre égard, il ne res­te­rait à notre Société qu’une seule chose à faire : « signer un accord avec Rome ». Malheureusement quelques-​uns de nos amis se sont lais­sés prendre à ce jeu d’illusions.

Nous vou­drions sai­sir l’occasion de cette lettre du temps pas­cal pour rap­pe­ler une fois de plus les prin­cipes qui gou­vernent notre action en ces temps trou­blés et signa­ler quelques évé­ne­ments récents qui indiquent bien clai­re­ment que, au fond, à part l’ouverture litur­gique du Motu Proprio, rien n’a vrai­ment chan­gé, afin de tirer les conclu­sions qui s’imposent

Le prin­cipe fon­da­men­tal qui dicte notre action est la conser­va­tion de la foi, sans laquelle nul ne peut être sau­vé, nul ne peut rece­voir la grâce, nul ne peut être agréable à Dieu, comme le dit le Concile Vatican I. La ques­tion litur­gique n’est pas pre­mière, elle ne le devient que comme expres­sion d’une alté­ra­tion de la foi et cor­ré­la­ti­ve­ment du culte dû à Dieu.

Il y a un chan­ge­ment notable d’orientation dans le Concile Vatican II par rap­port à la vision de l’Eglise, sur­tout par rap­port au monde, aux autres reli­gions, aux Etats, mais aus­si par rap­port à elle-​même. Ces chan­ge­ments sont recon­nus par tous, mais ne sont pas éva­lués de la même manière par tous. Jusqu’ici, ils étaient pré­sen­tés comme très pro­fonds, révo­lu­tion­naires : « la Révolution de 89 dans l’Eglise » a pu dire un des car­di­naux du Concile.

Benoît XVI encore car­di­nal pré­sen­tait la ques­tion ain­si : « Le pro­blème des années soixante était d’acquérir les meilleures valeurs expri­mées de deux siècles de culture « libé­rale ». Ce sont en fait des valeurs qui, même si elles sont nées en dehors de l’Eglise, peuvent trou­ver leur place – épu­rées et cor­ri­gées – dans sa vision du monde. C’est ce qui a été fait ((Mensuel Jesus, novembre 1984, p. 72.)) ». Et au nom de cette assi­mi­la­tion, une nou­velle vision du monde et de ses com­po­sants a été impo­sée : une vision fon­da­men­ta­le­ment posi­tive, qui a dic­té non seule­ment un nou­veau rite litur­gique, mais aus­si un nou­veau mode de pré­sence de l’Eglise dans le monde, beau­coup plus hori­zon­tal, plus pré­sente aux pro­blèmes humains et ter­restres que sur­na­tu­rels et éternels…

En même temps, la rela­tion aux autres reli­gions se trans­for­mait : depuis Vatican II, Rome évite tout juge­ment néga­tif ou dépré­cia­teur de ces autres reli­gions. Par exemple, la déno­mi­na­tion clas­sique de « fausses reli­gions » a com­plè­te­ment dis­pa­ru du voca­bu­laire ecclé­sias­tique. Les termes « héré­tiques » et « schis­ma­tiques », qui qua­li­fiaient les reli­gions plus proches de la reli­gion catho­lique, ont eux aus­si dis­pa­ru ; ils sont éven­tuel­le­ment uti­li­sés, sur­tout celui de schis­ma­tique, pour nous dési­gner. Ainsi en est-​il du terme « excom­mu­ni­ca­tion ». La nou­velle approche se nomme œcu­mé­nisme, et contrai­re­ment à ce que tous croyaient, ce n’est pas d’un retour à l’unité catho­lique qu’il s’agit, mais de l’établissement d’une nou­velle sorte d’unité qui ne requiert plus de conversion.

Envers les confes­sions chré­tiennes s’est éta­blie une nou­velle pers­pec­tive, et cela est encore plus clair avec les ortho­doxes : dans l’accord de Balamand, l’Eglise catho­lique s’engage offi­ciel­le­ment à ne pas conver­tir les ortho­doxes et à col­la­bo­rer avec eux. Le dogme « hors de l’Eglise pas de salut » rap­pe­lé dans le docu­ment Dominus Jesus a connu une réin­ter­pré­ta­tion néces­saire à la nou­velle vision des choses : on n’a pu main­te­nir ce dogme sans élar­gir les limites de l’Eglise, ce qui a été réa­li­sé par la nou­velle défi­ni­tion de l’Eglise don­née dans Lumen Gentium. L’Eglise du Christ n’est plus l’Eglise catho­lique, elle sub­siste en elle. On a beau dire qu’elle ne sub­siste qu’en elle, il reste que l’on pré­tend à une action du Saint Esprit et de cette « Eglise du Christ » hors de l’Eglise catho­lique. Les autres reli­gions ne sont pas pri­vées d’éléments de salut… Les « églises ortho­doxes » deviennent d’authentiques églises par­ti­cu­lières dans les­quelles s’édifie « l’Eglise du Christ. »

Ces nou­velles pers­pec­tives ont évi­dem­ment bou­le­ver­sé les rap­ports avec les autres reli­gions. Il est impos­sible de par­ler d’un chan­ge­ment super­fi­ciel, c’est bien une nou­velle et très pro­fonde muta­tion que l’on pré­tend impo­ser à l’Eglise de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Ce qui fait que Jean-​Paul II a pu par­ler de « nou­velle ecclé­sio­lo­gie », admet­tant un chan­ge­ment essen­tiel dans cette par­tie de la théo­lo­gie qui traite de l’Eglise. Nous ne com­pre­nons tout sim­ple­ment pas com­ment l’on peut pré­tendre que cette nou­velle com­pré­hen­sion de l’Eglise serait encore en har­mo­nie avec la défi­ni­tion tra­di­tion­nelle de l’Eglise. Elle est nou­velle, elle est radi­ca­le­ment autre et elle oblige le catho­lique à avoir un com­por­te­ment fon­ciè­re­ment dif­fé­rent avec les héré­tiques et schis­ma­tiques qui ont tra­gi­que­ment aban­don­né l’Eglise et bafoué la foi de leur bap­tême. Ils ne sont désor­mais plus des « frères sépa­rés », mais des frères qui « ne sont pas en pleine com­mu­nion »… et nous sont « pro­fon­dé­ment unis » par le bap­tême dans le Christ, d’une union inamis­sible… La der­nière mise au point de la Congrégation de la Doctrine de la Foi sur le mot sub­sis­tit est à ce pro­pos très éclai­rante. Tout en affir­mant que l’Eglise ne peut pas ensei­gner de nou­veau­té, elle confirme la nou­veau­té intro­duite au Concile…

De même pour l’évangélisation : le devoir sacré de tout chré­tien de répondre à l’appel de Notre Seigneur Jésus-​Christ est d’abord affir­mé, « Allez par tout le monde, et prê­chez l’Evangile à toute créa­ture. Celui qui croi­ra et sera bap­ti­sé, sera sau­vé ; celui qui ne croi­ra pas, sera condam­né. ((Mc, 16, 15–16.)) » Mais il est ensuite allé­gué que cette évan­gé­li­sa­tion ne concerne que les païens, et ain­si, ni les chré­tiens, ni les juifs ne sont concer­nés… Tout récem­ment les car­di­naux Kasper et Bertone, au sujet de la contro­verse sur la nou­velle prière pour les Juifs, ont affir­mé que l’Eglise ne les conver­ti­rait pas.

Ajoutons à cela les posi­tions papales au sujet de la liber­té reli­gieuse et nous pou­vons aisé­ment conclure que le com­bat de la foi n’a en rien dimi­nué ces der­nières années. Le Motu Proprio qui intro­duit une espé­rance de chan­ge­ment vers le mieux au niveau litur­gique, n’est pas accom­pa­gné par des mesures logi­que­ment cor­ré­la­tives dans les autres domaines de la vie de l’Eglise. Tous les chan­ge­ments intro­duits au Concile et dans les réformes post-​conciliaires que nous dénon­çons, parce que l’Eglise les a pré­ci­sé­ment déjà condam­nés, sont confir­més. Avec la dif­fé­rence que désor­mais, on affirme en même temps que l’Eglise ne change pas… ce qui revient à dire que ces chan­ge­ments seraient par­fai­te­ment dans la ligne de la Tradition catho­lique. Le bou­le­ver­se­ment au niveau des termes joint au rap­pel que l’Eglise doit res­ter fidèle à sa Tradition peuvent en trou­bler plus d’un. Tant que les faits ne cor­ro­borent pas l’affirmation nou­velle, il faut conclure que rien n’a chan­gé dans la volon­té de Rome de pour­suivre les orien­ta­tions conci­liaires, mal­gré qua­rante années de crise, mal­gré les cou­vents dépeu­plés, les pres­by­tères aban­don­nés, les églises vides. Les uni­ver­si­tés catho­liques per­sistent dans leurs diva­ga­tions, l’enseignement du caté­chisme reste une incon­nue alors que l’école catho­lique n’existe plus comme spé­ci­fi­que­ment catho­lique : c’est deve­nu une espèce éteinte…

Voici pour­quoi la Fraternité Saint-​Pie X ne peut pas « signer d’accord ». Elle se réjouit fran­che­ment de la volon­té papale de réin­tro­duire le rite ancien et véné­rable de la sainte Messe, mais découvre aus­si la résis­tance par­fois farouche d’épiscopats entiers. Sans déses­pé­rer, sans impa­tience, nous consta­tons que le temps d’un accord n’est pas encore venu. Cela ne nous empêche pas de conti­nuer d’espérer, de conti­nuer le che­min défi­ni dès l’an 2000. Nous conti­nuons de deman­der au Saint-​Père l’annulation du décret d’excommunication de 1988, car nous sommes per­sua­dés que cela ferait le plus grand bien à l’Eglise et nous vous encou­ra­geons à prier pour que cela se réa­lise. Mais il serait très impru­dent et pré­ci­pi­té de se lan­cer incon­si­dé­ré­ment dans la pour­suite d’un accord pra­tique qui ne serait pas fon­dé sur les prin­cipes fon­da­men­taux de l’Eglise, tout spé­cia­le­ment sur la foi.

La nou­velle croi­sade du Rosaire à laquelle nous vous appe­lons, pour que l’Eglise retrouve et reprenne sa Tradition bimil­lé­naire, appelle aus­si quelques pré­ci­sions. Voici com­ment nous la conce­vons : que cha­cun s’engage à réci­ter un cha­pe­let à une heure assez régu­lière du jour. Vu le nombre de nos fidèles et leur répar­ti­tion dans le monde entier, nous pou­vons être assu­rés que toutes les heures du jour et de la nuit auront leurs voix vigi­lantes et orantes, de ces voix qui veulent le triomphe de leur Mère céleste, l’avènement du Règne de Notre Seigneur, « sur la terre comme au ciel ».

+ Bernard Fellay

Menzingen, le 14 avril 2008

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FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.