L’immortalité de l’âme

La néga­tion de l’im­mor­ta­li­té de l’âme est au cœur de l’a­po­sta­sie moderne. Il est donc néces­saire de rap­pe­ler les arguments-​clés à ce sujet, d’en revoir les fon­de­ments indes­truc­tibles et de détruire les erreurs adverses. Nous nous appuie­rons pour cela sur le témoi­gnage de la civi­li­sa­tion humaine, sur la réponse de la rai­son et sur celle de la foi.

1) Le témoignage de la civilisation humaine

Aucun homme n’a jamais pu être indif­fé­rent devant la mort. Même atten­due, même dési­rée, elle sur­prend tou­jours et sus­cite une pro­tes­ta­tion, un refus qui s’enracinent dans l’intense désir de vivre insé­pa­rable de l’homme. A la dis­pa­ri­tion d’un être cher, plus encore à l’heure où la mort nous appelle nous-​mêmes, nous n’arrivons pas à com­prendre ou à admettre que la mort soit le terme natu­rel de l’existence humaine.

Il n’y a pour­tant aucune réa­li­té qui soit si cer­taine que celle de notre mort. Si son jour est caché, sa venue ne fait pas de doute et il serait insen­sé de se croire l’objet d’une excep­tion à ce sujet. Tout homme est condam­né iné­luc­ta­ble­ment à dis­pa­raître après avoir fait un pas­sage de quelques années, une cen­taine peut-​être, sur notre pla­nète. Rien en cela, semble-​t-​il, de mys­té­rieux ni d’étrange : comme d’autres êtres nous appa­rais­sons puis après un cer­tain temps nous dis­pa­rais­sons, lais­sant der­rière nous d’autres hommes pour nous rem­pla­cer ; ceux-​là s’effaceront éga­le­ment pour céder la place aux géné­ra­tions futures qui trans­met­tront le flam­beau de la vie avant de s’évanouir pour jamais.

Chaque jour, un demi-​million d’êtres humains cessent d’exister : le soleil n’en conti­nue pas moins de briller sur nos têtes ; bien peu songent à la mort d’autrui, la vie se pour­suit avec ses joies, ses peines et ses sou­cis. Puis un matin, le soleil ne se lève­ra plus pour nous : nous serons morts.

L’homme se caractérise par des rites funéraires

Ce fait qui, répétons-​le, paraît si simple ne l’a jamais été pour l’homme. Face à la mort, celui-​ci pro­teste de l’essentielle dif­fé­rence entre lui et les ani­maux. Les bêtes meurent comme nous, mais après leur mort tout s’achève : le cadavre reste là et aucun des ses congé­nères ne s’en pré­oc­cupe. Tandis que la dépouille mor­telle d’un homme reste mar­quée d’un carac­tère spé­cial et qu’elle est trai­tée selon cer­tains rites par­ti­cu­liers. Toutes les civi­li­sa­tions sans excep­tion ont eu le culte des morts et il n’existe pas de signes plus cer­tains du pas­sage de l’homme en un lieu que l’existence d’un monu­ment funé­raire : le res­pect face à l’au-delà est ancré dans la nature humaine.

Aujourd’hui encore, dans nos pays si déchris­tia­ni­sés, la fête reli­gieuse la plus célé­brée est le pre­mier novembre, impro­pre­ment consi­dé­rée comme le « jour des morts », où l’on va fleu­rir les tombes pour hono­rer ceux qui nous ont pré­cé­dés et que nous avons aimés. Dans la patrie du maté­ria­lisme his­to­rique elle-​même, la dépouille embau­mée de Lénine était l’objet d’un culte de véné­ra­tion inin­ter­rom­pu depuis sa dis­pa­ri­tion. Il convient donc de nous arrê­ter sur ce phé­no­mène sin­gu­lier qui doit nous ren­sei­gner sur l’idée que les hommes se font de la mort humaine.

Les rites d’ensevelissement

Si les rites funé­raires sont divers sui­vant les époques et les civi­li­sa­tions, ils pré­sentent néan­moins de nom­breux carac­tères com­muns. Tout d’abord, on pré­pare le corps : celui-​ci est soit momi­fié, soit embau­mé sui­vant divers pro­cé­dés, quel­que­fois enduit de cire, ailleurs déchar­né et les os peints de cou­leur, ou sim­ple­ment lavé et habillé de vête­ments cor­res­pon­dants à son rang dans la socié­té. La cré­ma­tion ou inci­né­ra­tion est éga­le­ment connue dans cer­taines civi­li­sa­tions, mais elle suit des rites par­ti­cu­liers, et les cendres en sont soi­gneu­se­ment recueillies.

Après cela, le mort est ame­né à son lieu de repos (n’oublions pas que le mot « cime­tière » signi­fie éty­mo­lo­gi­que­ment « dor­toir ») : soit une fosse dans la terre, soit une grotte amé­na­gée, un édi­fice, une pyra­mide, un puits, sans jamais lais­ser la chose au hasard. Le mort doit dor­mir dans la paix, aus­si dès les temps pri­mi­tifs les cadavres ont-​ils été mis à l’abri des pré­da­teurs. La plu­part du temps, les monu­ments funé­raires sont ras­sem­blés en un même empla­ce­ment pour for­mer une nécro­pole, laquelle consti­tue un espace sacré inaliénable.

Le défunt prend ain­si place dans le lieu qui lui a été pré­pa­ré ; on l’installe dans une posi­tion déter­mi­née et on l’entoure de divers objets usuels, outils, ali­ments, parures, armes, mon­naies, par­fois ani­maux domes­tiques voire femme et ser­vi­teurs. Lorsqu’il est ain­si prêt pour le grand voyage, les vivants se pré­oc­cupent de pro­té­ger son som­meil par des ins­crip­tions mena­çant de la colère des dieux les vio­la­teurs des tombes, par des signes magiques ou des emblèmes terrifiants.

Mais l’on est pas encore quitte envers le mort. Autour de sa tombe, même long­temps après l’enterrement, des rites sont néces­saires : repas funé­raires, offrandes, liba­tions, jeux en l’honneur du dis­pa­ru, encens ou bien en nos contrées céré­mo­nie du 14 juillet devant le monu­ment aux morts, entre­tien et fleu­ris­se­ment des tombes.
Ce res­pect du corps n’est pour­tant pas igno­rance ; per­sonne ne peut se cacher que la cor­rup­tion et la décom­po­si­tion sont le lot fatal de ces restes. Même si, pour retar­der cette des­truc­tion, cer­taines civi­li­sa­tions embau­maient leurs défunts, il n’y aurait eu là qu’un pis-​aller, une ten­ta­tive déses­pé­rée s’il s’était agi de les sous­traire à un pro­ces­sus bio­lo­gique inéluctable.

Le mort n’est pas entièrement mort

En véri­té, ces soins minu­tieux sont des rites sym­bo­liques, c’est-à-dire les signes visibles d’une réa­li­té invi­sible. A tra­vers eux, les vivants mani­festent que le mort n’est pas abso­lu­ment mort. Les atten­tions pour cette dépouille mor­telle ne sont pas des­ti­nées au corps lui-​même : elles signi­fient que l’être qui habi­tait ce corps l’a quit­té lorsque celui-​ci est mort, mais ne s’est pas éteint avec lui. Par les céré­mo­nies signi­fi­ca­tives dont ils entourent l’enveloppe cor­po­relle de celui qui les a quit­tés, les hommes attestent la per­sis­tance, au-​delà même de la mort, de la vie humaine.
Outre un corps phy­sique, l’humanité a tou­jours cru en effet qu’il y avait en nous un « souffle de vie », un « feu », un « esprit », ce que nous appe­lons une « âme », et que cette âme ne s’éteignait pas avec le corps mais pour­sui­vait en un lieu incon­nu une exis­tence mys­té­rieuse.
Cette croyance uni­ver­sel­le­ment attes­tée en la vie future consti­tue une preuve remar­quable de la réa­li­té de celle-​ci. Ce qui a été cru spon­ta­né­ment par toutes les civi­li­sa­tions, même les plus oppo­sées et les plus étran­gères les unes aux autres, ne peut être en une telle matière qu’une véri­té fon­dée sur la nature humaine, un fait qui dépasse les dif­fé­rences acci­den­telles et ne s’explique rai­son­na­ble­ment que si les hommes ont la cer­ti­tude abso­lue d’une exis­tence qui ne se limite pas à leur court pas­sage sur la terre.

Le refus spontané de la mort

D’ailleurs, il y a en nous une ten­dance native à l’immortalité. Personne n’a jamais accep­té la mort : celle-​ci semble injuste, cruelle. Nous la reje­tons de toutes nos forces, n’admettant pas qu’elle brise nos espé­rances, anni­hile nos pro­jets, efface notre influence, tranche sans pitié une exis­tence que nous esti­mons à peine com­men­cée. Il y a dans l’être humain un désir de vivre que rien ne peut étouf­fer, qui per­siste mal­gré les souf­frances, les échecs et les décep­tions. Au fond de nous-​mêmes se cache cette cer­ti­tude que nous ne devons ni ne pou­vons mou­rir. Lorsque le corps se délabre déjà, que nos éner­gies phy­siques déclinent, nous sen­tons encore notre âme jeune, forte, entre­pre­nante, dési­reuse de pour­suivre sans fin son existence.

A cet incoer­cible désir de vivre tou­jours se joint le sen­ti­ment de la pro­fonde injus­tice du monde : non pas celle qui naî­trait de l’inégalité sociale ou des dif­fé­rences éco­no­miques, mais l’injustice morale. Il est insup­por­table à l’homme de voir celui qui fait le mal vivre tran­quille et hono­ré, tan­dis que celui qui fait le bien souffre et est mépri­sé. N’est-ce pas pour­tant un état de fait quo­ti­dien ? Le mal, la cruau­té, la lâche­té, le men­songe triomphent avec impu­dence ; le vice est hono­ré, le crime impu­ni ; la bon­té, le cou­rage, la véri­té sont per­sé­cu­tés odieu­se­ment sans qu’apparemment cela sou­lève de pro­tes­ta­tions.
Notre conscience nous affirme qu’une telle situa­tion est vio­lem­ment injuste, révol­tante, qu’une ano­ma­lie aus­si criante ne peut durer tou­jours, qu’un moment vien­dra où la véri­té sera res­tau­rée, les méchants punis et les bonnes gens récom­pen­sés. Cela n’a pas lieu, à l’évidence, sur la terre : c’est donc que nous le ver­rons après cette courte exis­tence, lorsque nous aurons chan­gé de rive.

L’être humain, dans sa vie quo­ti­dienne, a ain­si le désir natu­rel de vivre tou­jours et de voir, au-​delà de son fugi­tif séjour ter­restre, la jus­tice morale, aujourd’hui vio­lée, res­tau­rée en toutes choses. Si ce désir est natu­rel et naît avant toute réflexion, n’est-ce pas parce qu’il est fon­dé sur la réa­li­té de cette exis­tence future qui nous appa­raît spon­ta­né­ment comme nécessaire ?

2) La réponse de la raison

La per­ma­nence de notre être au-​delà de la mort, la phi­lo­so­phie clas­sique, celle de Platon, d’Aristote, de saint Augustin, qu’a illus­trée avec tant d’éclat au Moyen-​Age saint Thomas d’Aquin, phi­lo­so­phia per­en­nis qui est, selon le mot de Bergson, « la méta­phy­sique natu­relle de l’esprit humain », cette per­ma­nence, disons-​nous, la phi­lo­so­phie l’établit avec cer­ti­tude. Traçons, en quelques lignes, les linéa­ments de cette démonstration.

Nous voyons d’abord que notre corps est com­po­sé de par­ties bien diverses, membres, organes, cel­lules, etc. Or, tout cela ne forme qu’un seul être, une seule réa­li­té. Il n’y a pas « un » bras, « une » jambe, mais « mon » bras, « ma » jambe, qui font par­tie de mon corps, qui sont mon corps. Lorsque nous met­tons la main dans le feu, nous ne disons pas « la main s’est brû­lée » mais « je me suis brû­lé », car toute action d’un organe est attri­buée à ce quelque chose qui est moi-même.

L’âme, principe d’unité de l’homme

Il faut donc qu’il y ait en nous un prin­cipe qui nous consti­tue comme un seul être, qui fait que nous sommes nous-​mêmes, per­sonnes humaines et non agré­gats de cel­lules. Ce prin­cipe qui orga­nise notre être, qui le ras­semble, qui le fait exis­ter comme un seul indi­vi­du, nous l’appelons l’âme. A la mort, lorsque ce prin­cipe uni­fi­ca­teur dis­pa­raît, bien que les organes soit pré­sents et dans le même état, l’homme n’est plus un tout orga­ni­sé qui existe et agit, mais un cadavre qui va se dis­soudre en peu de temps.
Au contraire, durant notre vie, notre corps change sans cesse et même, au dire des bio­lo­gistes, nos cel­lules sont entiè­re­ment renou­ve­lées en quelques années sans qu’il en reste une seule du corps pri­mi­tif. Nous sen­tons pour­tant que nous sommes le même homme, que nous avons gar­dé le même corps et non pas acquis un corps étran­ger : ceci parce que notre âme s’est conser­vée iden­tique sous les divers changements.

Un principe d’unité doit être un lui-même

Cette âme est-​elle, ain­si que le corps, com­po­sée de par­ties ? Nous venons de la défi­nir comme le prin­cipe uni­fi­ca­teur et orga­ni­sa­teur du corps com­po­sé. Ce qui uni­fie doit lui-​même être un, c’est l’évidence, car ce qui est divers tend à agir de façon diverse. Notre pied et notre œil n’agissent pas selon un mode com­pa­rable, l’un marche et l’autre voit, et si tous deux tendent vers un but unique (par exemple mon­ter dans l’autobus), c’est parce que notre âme réunit ces mou­ve­ments divers par eux-​mêmes en une seule action. Etant prin­cipe d’unité, notre âme ne peut être divi­sée, sinon il lui fau­drait encore à elle-​même un prin­cipe d’unité, et ain­si à l’infini. Elle est donc une, simple, sans par­tie, indivisible.

De quelle nature est cette âme indi­vi­sible ? Elle n’est pas maté­rielle car tout ce qui est maté­riel est divi­sible. Est-​elle cepen­dant liée à la matière de telle sorte que, au moment de sa sépa­ra­tion d’avec elle, elle cesse d’exister ? En d’autres termes, à la mort notre âme indi­vi­sible disparaît-​elle parce qu’elle n’a plus de corps à orga­ni­ser et à vivi­fier ? Il faut pour tran­cher une telle ques­tion étu­dier suc­cinc­te­ment l’activité de l’âme humaine et de ses facultés.

L’activité de l’intelligence est indépendante de la matière

Prenons l’intelligence : nous per­ce­vons par elle des des réa­li­tés qui sont non pas maté­rielles mais imma­té­rielles ; uni­ver­selles et non sin­gu­lières ; éter­nelles et non tem­po­relles ; en dehors du lieu et non loca­li­sées. Nous avons par exemple dans l’esprit les notions de cause, de néces­saire, de ver­tu, d’infini, de droit, d’être, de connais­sance, de liber­té, de logique, etc. Rien en tout cela de maté­riel ou de sin­gu­lier. Des causes ou des êtres, nous en avons ren­con­trés de toutes les sortes et lorsque nous pen­sons à l’idée de cause ou d’être, ce n’est pas à telle cause par­ti­cu­lière, à tel être déter­mi­né, mais à la cause en géné­ral et à tout être. La cause ni l’être ni aucune des notions de ce genre n’ont de poids, de volume, de lieu ni de matière.

Il faut en dire autant d’une pro­po­si­tion comme le théo­rème de Pythagore, par exemple : « Dans un tri­angle rec­tangle, le car­ré de l’hypoténuse est égale à la somme des car­rés des deux autres côtés. » Lorsque Pythagore fit cette décou­verte il y a plu­sieurs mil­liers d’années, il se ser­vait peut-​être d’un tri­angle tra­cé sur le sable. Depuis ce jour, d’innombrables élèves ont des­si­né des tri­angles sur des tableaux noirs pour illus­trer ce théo­rème. Or, quelle que soit la figure, en tous les lieux et temps, et même si, sans le tra­cer, je ne fais que pen­ser au tri­angle, le théo­rème reste tou­jours vrai, il l’était il y a mille ans, il le sera dans mille ans, car il est une pro­prié­té néces­saire du tri­angle et non de tel tri­angle qu’a esquis­sé Pythagore sur le sol de Crotone. Ce théo­rème se véri­fie indé­fi­ni­ment dans tous les tri­angles rec­tangles pos­sibles parce qu’il est une qua­li­té propre du tri­angle en géné­ral, en dehors de toute matière, de tout lieu et de tout temps.

Notre intel­li­gence conçoit donc et connaît cer­taines notions, rela­tions et rai­son­ne­ments en dehors de toute matière. S’il en est ain­si, c’est que notre intel­li­gence n’est pas elle-​même maté­rielle, car elle doit avoir les mêmes pro­prié­tés que ses actes.

L’intelligence a la capacité de devenir autre qu’elle-même

Une autre preuve de son indé­pen­dance vis-​à-​vis de la matière s’énonce comme suit. Un corps maté­riel peut deve­nir autre chose que sa nature mais il doit ces­ser d’être ce qu’il était aupa­ra­vant. Ainsi le bois peut deve­nir de la cendre mais il cesse alors d’être du bois. L’eau à 100° devient de la vapeur mais en per­dant son carac­tère liquide, etc. Aucun corps ne peut se trans­for­mer en un autre et res­ter simul­ta­né­ment le même.

Notre intel­li­gence, elle, devient tous les objets qu’elle connaît sans perdre sa nature propre. J’ai dans l’esprit, quand je les pense, les arbres, les fleurs, le soleil, le ciel. Je ne me suis pas pour autant trans­for­mé en un arbre ni en une fleur. Mon intel­li­gence est res­tée ce qu’elle était et pour­tant elle est deve­nue arbre ou fleur, soleil ou ciel. Comme une telle plas­ti­ci­té est impos­sible aux corps maté­riels, nous en concluons que notre intel­li­gence est supé­rieure à ceux-ci.

Complétons notre ana­lyse. Un corps ne peut se replier tota­le­ment sur lui-​même. Notre œil, quoiqu’il soit un organe très per­fec­tion­né, ne peut se voir lui-​même. Cela est dû à la matière qui conserve tou­jours une cer­taine épais­seur, laquelle empêche le replie­ment total. Au contraire, notre intel­li­gence peut se replier sur elle-​même. Sans ces­ser de réflé­chir, nous sai­sis­sons que nous sommes en train de pen­ser. On appelle ce phé­no­mène spon­ta­né la conscience : nous avons conscience de nos actions même pen­dant que nous les accom­plis­sons, nous avons conscience de nos dési­rs, nous avons conscience de nos pen­sées. Cette com­plète réflexion de l’intelligence sur elle-​même prouve que celle-​ci n’a pas d’épaisseur, qu’elle est immatérielle.

L’activité de la volonté est indépendante de la matière

Si nous exa­mi­nons main­te­nant la volon­té, nous remar­quons éga­le­ment qu’elle se situe au-​dessus de la matière. Les corps sont déter­mi­nés natu­rel­le­ment à une seule fin, les organes ne peuvent accom­plir que cer­taines fonc­tions, même les ani­maux les plus per­fec­tion­nés sont, par leur ins­tinct, entiè­re­ment dépen­dants des condi­tions et des déter­mi­na­tions préa­lables. Mais la volon­té de l’homme est abso­lu­ment au-​dessus des condi­tions où l’homme évo­lue : quand tout l’incline en un sens, celui-​ci reste libre de se déter­mi­ner en un autre sens ; et lorsqu’il fait libre­ment un acte, il sent qu’il pour­rait libre­ment en faire un autre.

Les actes de l’homme sont impré­vi­sibles, ain­si que l’expérience le mani­feste, car les causes préa­lables influent, inclinent mais ne déter­minent pas. Dans nos déci­sions vrai­ment libres, nous sen­tons que ce ne sont pas notre héré­di­té, notre édu­ca­tion, notre tem­pé­ra­ment, pas même les cir­cons­tances qui font le choix ultime, mais notre liber­té, au-​dessus de tous les condi­tion­ne­ments, qui opte sans être néces­si­tée. Dépassant et pou­vant même contra­rier les fac­teurs maté­riels, notre volon­té libre se place donc en dehors de la matière.

L’âme est indivisible et immatérielle, donc immortelle

Si la volon­té comme l’intelligence sont imma­té­rielles, il est clair que l’âme qui en est le sujet est éga­le­ment supé­rieure à la matière. Si l’âme est telle, elle ne dépend pas du corps et en se sépa­rant de lui ne cesse pas d’exister. Nous avons vu plus haut que l’âme est indi­vi­sible : nous en avons d’ailleurs conclu qu’elle ne peut se détruire en elle-​même mais seule­ment, éven­tuel­le­ment, en rela­tion avec la matière. Or, nous venons de consta­ter que tel n’est pas le cas. Il reste à avouer que l’âme humaine est indes­truc­tible abso­lu­ment, qu’à la mort du corps elle conti­nue à vivre : l’âme est immortelle.

Le phi­lo­sophe ajoute que Dieu, infi­ni­ment juste et équi­table, doit récom­pen­ser le bien et punir le mal. Puisque l’âme ne meurt pas et que la jus­tice par­faite à laquelle l’homme aspire natu­rel­le­ment n’existe pas en ce bas monde, la rai­son nous contraint d’affirmer que Dieu opè­re­ra ce redres­se­ment après la mort, mais d’une façon qui reste bien mystérieuse.

3) La réponse de la foi

Les cer­ti­tudes phi­lo­so­phiques sur l’immortalité de l’âme et la jus­tice d’outre-tombe sont bien impar­faites : que seront ce juge­ment, ces récom­penses et ces peines, cette vie après la mort ? La phi­lo­so­phie ne peut nous l’apprendre, car l’ordre propre de la rai­son est ici dépas­sé. Mais Dieu, dans son infi­nie sagesse et bon­té, a vou­lu nous faire connaître les secrets de la vie future et a confié cette Révélation à l’Église catho­lique fon­dée par son Fils Jésus-​Christ. C’est à elle que nous irons deman­der nos lumières.

Le jugement particulier

L’Église nous apprend qu’au moment de la mort chaque âme est jugée par Dieu sur sa vie ter­restre, selon qu’elle a bien ou mal vécu. Ce juge­ment est ins­tan­ta­né, infaillible et défi­ni­tif. On consi­dère com­mu­né­ment qu’il s’effectue à l’instant exact où l’âme quitte le corps. Cette pré­ci­sion peut don­ner à réflé­chir : après un acci­dent, tan­dis que les pom­piers s’affairent, que les poli­ciers dressent le constat, que les badauds dis­cutent et com­mentent, l’âme immor­telle de l’accidenté com­pa­raît devant le tri­bu­nal sou­ve­rain du Dieu tout-​puissant où elle rend compte, jusque dans le moindre détail, de toutes et cha­cune des ses actions. Combien il serait plus utile en pré­sence de ce cadavre muti­lé de prier pour cette âme ou de faire réflexion sur soi-​même et sa propre mort que de se répandre en bavar­dages oiseux !

L’Église nous révèle encore qu’il n’existe que deux sen­tences : l’une pour ceux qui auront mal agi jusqu’au bout et c’est l’enfer éter­nel ; l’autre pour ceux qui se seront tour­nés vers Dieu avec le désir pro­fond de bien faire et le regret sin­cère de leurs fautes, au moins au der­nier ins­tant, et c’est la récom­pense, le Paradis. Jésus-​Christ a ensei­gné cette véri­té cru­ciale en maints pas­sages de l’Évangile, mais jamais si clai­re­ment que dans le grand dis­cours sur le Jugement der­nier où les deux sen­tences sont expres­sé­ment rapportées :

« Venez, les bénis de mon Père, rece­voir le Royaume qui vous a été pré­pa­ré depuis le com­men­ce­ment du monde. (…) Retirez-​vous de moi, mau­dits, allez au feu éter­nel, qui a été pré­pa­ré pour le diable et ses anges. (…) Et les méchants iront au sup­plice éter­nel, les justes à la vie éter­nelle » (Évangile selon saint Matthieu, chap. 25, ver­sets 34, 41 et 46).

Les deux voies

Que sont l’enfer et le Paradis, selon la foi chré­tienne ? L’enfer est un lieu d’atroces souf­frances où les mau­vais, obs­ti­nés dans le mal et dési­rant pécher tou­jours plus, seront éter­nel­le­ment châ­tiés sans qu’il y ait jamais pour eux ni dimi­nu­tion ni ces­sa­tion de leurs peines. Le Paradis est un lieu de bon­heur par­fait où les justes jouissent de la vision de Dieu et de son inti­mi­té au titre d’une récom­pense qui dure­ra éter­nel­le­ment et ne leur sera jamais enle­vée. Récompense et puni­tion, car notre vie sur la terre est un temps d’épreuve qui nous est don­né pour accom­plir notre unique tâche : mener une vie mora­le­ment bonne et conforme à la loi de Dieu, après laquelle nous rece­vrons notre dû selon nos mérites, d’une façon stable, inamis­sible et éternelle.

Mais si nous menons une vie mau­vaise et péche­resse, mépri­sant les lois de Dieu et son amour, notre exis­tence se ter­mi­ne­ra par le ter­rible et juste ver­dict de Dieu nous condam­nant à des sup­plices méri­tés. « Il est hor­rible de tom­ber entre les mains du Dieu vivant », nous dit l’Apôtre saint Paul (Épître aux Hébreux, chap. 10, ver­set 31), lorsqu’on s’est moqué de lui durant sa vie ; car, ajoute-​t-​il, « on ne se moque pas de Dieu » (Épître aux Galates, chap. 6, ver­set 7). Parce qu’elle connaît cette tra­gique éven­tua­li­té, l’Église prêche à temps et à contre­temps, envoie ses mis­sion­naires jusqu’aux extré­mi­tés de la terre afin d’apprendre aux hommes à « reje­ter l’impiété et les mau­vais dési­rs et à vivre sobre­ment, jus­te­ment et pieu­se­ment sur cette terre, atten­dant la bien­heu­reuse espé­rance » du Ciel. (Épître de saint Paul à Tite, chap. 2, ver­sets 11 à 13) Sans dis­con­ti­nuer elle répète cette parole par laquelle Jésus-​Christ, son divin fon­da­teur, inau­gu­ra son ministère :

« Si vous ne faites péni­tence, vous péri­rez tous » (Évangile selon saint Luc, chap. 13, ver­set 5), c’est-à-dire vous tom­be­rez pour tou­jours dans l’enfer des tour­ments, « là où le ver qui ronge ne meurt pas, où le feu ne s’éteint pas. » (Évangile selon saint Marc, chap. 9, ver­set 43) « Là seront les pleurs et les grin­ce­ments de dents. » (Évangile selon saint Luc, chap. 13, ver­set 28)

Les grandes assises de l’humanité

Notons soi­gneu­se­ment qu’il n’existe pas à pro­pre­ment par­ler de lieu inter­mé­diaire entre le Ciel et l’enfer. Deux sorts sont seuls pos­sibles : le bon­heur éter­nel, le mal­heur éter­nel. Le Purgatoire, qui échoit à ceux qui, ayant vou­lu aimer Dieu, n’ont pas payé sur la terre toutes leurs dettes envers sa jus­tice, est un lieu tran­si­toire d’expiation. Ceux qui y séjournent sont défi­ni­ti­ve­ment des­ti­nés au Ciel et, après une cer­taine puri­fi­ca­tion, y entrent pour tou­jours. En toute rigueur de terme, il n’y a que deux lieux : se détour­ner de l’un, c’est par le fait même mar­cher vers l’autre. Cette seule pen­sée devrait nous effrayer et nous faire « accom­plir notre salut avec crainte et trem­ble­ment » (Épître de saint Paul aux Philippiens, chap. 2, ver­set 12).

L’Église, confor­mé­ment à la mis­sion qu’elle a reçue du Fils de Dieu, enseigne une der­nière grande véri­té sur la vie après la mort : outre le juge­ment par­ti­cu­lier à cha­cun, il y aura un Jugement géné­ral. Tous les humains com­pa­raî­tront ensemble devant Dieu et, publi­que­ment, à la face des anges et des hommes, Dieu ren­dra à cha­cun selon ses œuvres. Pourquoi cet ultime arrêt ? Non pour modi­fier les sen­tences anté­rieures qui sont irré­vo­cables ; mais afin de réta­blir la pleine jus­tice, même dans la socié­té. Il est des hommes qui ont mal vécu et sont morts hono­rés et glo­ri­fiés. Il en est d’autres qui ont sain­te­ment vécu et sont morts mépri­sés et insul­tés. En ce jour des grandes assises de l’humanité, les pre­miers seront humi­liés par la révé­la­tion publique de leurs for­faits quand leur masque hypo­crite sera arra­ché. Les seconds au contraire seront hono­rés et exal­tés d’autant plus qu’ils ont vécu ici-​bas pauvres et incon­nus. Cette glo­ri­fi­ca­tion échoi­ra spé­cia­le­ment à Notre Seigneur Jésus-​Christ, Fils de Dieu, qui sera magni­fi­que­ment hono­ré après avoir été reje­té et bafoué sur cette terre dont il venait sau­ver les habitants.

Comme pré­lude à ce Jugement, les hommes res­sus­ci­te­ront, c’est-à-dire que leurs corps revi­vront pour que désor­mais l’homme com­plet subisse la peine ou jouisse de la récompense.

Conclusion générale

Résumons à grands traits notre pro­pos. Les hommes ont tou­jours eu la convic­tion, mani­fes­tée par les rites funé­raires, que la vie ne s’arrêtait pas à la mort. Ils y sont pous­sés par un désir natu­rel de l’immortalité et de la jus­tice par­faite. Cette immor­ta­li­té de l’âme et ce juge­ment de Dieu, la rai­son les démontre. Mais la foi enseigne bien plus, nous révé­lant que ce juge­ment se fait à l’instant de la mort, qu’il est ins­tan­ta­né et infaillible et que la sen­tence, irré­vo­cable, fixe l’âme pour l’éternité dans un de ces deux états, soit l’enfer éter­nel, soit le Paradis sans fin. Outre ce juge­ment par­ti­cu­lier, il y aura à la fin des temps la résur­rec­tion de la chair et un Jugement géné­ral où pleine jus­tice sera ren­due publi­que­ment et avec éclat.

Appuyé sur ces véri­tés, le chré­tien ne redoute pas la mort qui lui ouvre la vraie vie. Ce qu’il craint, c’est le péché qui conduit en enfer, « la seconde mort. » (Apocalypse, chap. 20, ver­set 14) Mais quand il vit dans l’amitié de Dieu, per­sé­vé­rant dans la prière et les bonnes œuvres, il met sa confiance en l’infinie misé­ri­corde de Celui qui a envoyé son Fils afin de nous sau­ver. Il y a encore un siècle, en pays chré­tien, le cime­tière entou­rait l’église et, chaque dimanche, la famille allait hono­rer ses ancêtres, prier pour le repos de leurs âmes et recon­naître la place où cha­cun repo­se­rait à son tour en atten­dant la bien­heu­reuse résur­rec­tion : tant la mort était serei­ne­ment accep­tée dans la lumière de la foi. La seule éven­tua­li­té ter­rible était la mort subite qui peut sai­sir dans le péché et ôter l’espace de la péni­tence. Aussi ne dissimulait-​on pas son état au malade qui était soi­gneu­se­ment aver­ti de se préparer.

Notre socié­té déchris­tia­ni­sée et maté­ria­liste a une tout autre atti­tude devant la mort. Refusant de consi­dé­rer la réa­li­té en face, elle voit dans la mort un gâchis et s’efforce de la cacher, pour qu’elle ne vienne point trou­bler, impor­tune visi­teuse, nos fêtes humaines. On camoufle les cime­tières, on fait dis­pa­raître les signes sociaux de la mort, on éli­mine les vocables trop crus et trop macabres, on dis­si­mule sans ver­gogne au mou­rant son état, sous le pré­texte absurde de ne pas l’affoler ou l’affaiblir. On traite ain­si la réa­li­té la plus cer­taine et la plus impor­tante de la vie humaine de la façon la plus insen­sée qui soit, en cher­chant à s’étourdir et à oublier.

Cette panique devant la mort, cette lâche­té sont éga­le­ment une folie, car la mort doit être le moment de l’ultime choix moral. Celui-​ci est d’ailleurs faci­li­té par l’apaisement en cet ins­tant suprême de toutes les pas­sions et illu­sions de la vie.

Après cette der­nière déci­sion, il n’y en aura plus d’autre. C’est donc un spec­tacle effrayant de voir tant d’âmes par­tir sans rien pré­voir, sans y pen­ser, sou­vent même sans être pré­ve­nues, vers ce jour et vers ce lieu où il n’y aura ni excuse, ni délai, ni recours pour celles qui seront obs­ti­né­ment res­tés sourdes à l’appel misé­ri­cor­dieux de Dieu. Fasse qu’à l’instant d’entrer dans l’éternité la bien­heu­reuse Vierge Marie, Mère de Dieu, soit auprès d’elles pour les secou­rir et leur obte­nir la grâce insigne d’une contri­tion sin­cère et complète.